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La modestie de Rose, sa docilité, son enjouement, son égalité d'humeur, sa sensibilité, sa fraîcheur d'âme rete-

Dans le document OUVRAGES DU MÊME AUTEUR (Page 23-28)

naient Alexandre au logis. On s'en étonnait dans le monde. Comment cette petite créole ignorante, gauche, empruntée, point jolie, sans tournure et lourde, avait-elle pu fixer ce papillon jusqu'alors si changeant, si volage?

Le « vicomte » savait pourtant que Mme de la Touche venait de perdre son mari. Mais il semblait avoir oublié jusqu'aux faveurs qu'il avait reçues d'elle.

Ces bonnes dispositions durèrent peu. Alexandre se montra bientôt moins empressé, distrait, préoccupé. Il sortait souvent et seul, n'autorisait point sa femme à l'accompagner. La volonté de Rose pliait devant la sienne. Pourtant, il lui arrivait de se plaindre. Défiante, inquiète, aussi facile à calmer qu'à émouvoir, elle inter- rogeait Alexandre sur ses fugues. Un sentiment, jus- qu'alors inéprouvé, s'éveillait en elle, une jalousie qui prenait, chaque jour, plus d'ampleur et plus d'acuité, s'exhalait en reproches timides, en larmes, en bouderies.

Agacé, irrité, le vicomte s'en allait, mettait des conditions

à son retour. Elle le suppliait de rester, promettait d'être

docile, oubliait bientôt ses promesses. Et ses reproches

recommençaient. Alexandre se faisait alors ironique et

brutal, méprisant même, parfois cynique. Pour mettre

fin à des scènes qui l'importunaient, qu'il jugeait indi-

gnes de lui, il se vantait des bonnes fortunes que lui

valaient sa jolie figure, son talent de danseur et son

esprit.

Rose dut accepter ses conditions. Tandis qu'Alexandre dansait ou jouait des comédies chez le duc de la Roche- foucauld, chez Mme de Montesson, chez les Rohan- Chabot, il lui fallait demeurer auprès de sa tante, du marquis de Beauharnais et de M. de la Pagerie, qui assistait, « navré, à l'effondrement de son œuvre ».

Grand admirateur des philosophes, et surtout de Rousseau, dont il avait fait son idole, Alexandre voulait transformer Rose en une sorte de bas-bleu, capable de briller en société. Qu'il y avait loin de la Sophie du vieux Jean-Jacques à cette épousée de dix-sept ans qui ne demandait qu'à aimer, à être aimée! Que lui impor- taient la littérature, l'histoire et les sciences ! La vie ne valait-elle pas mieux que tous les livres? N'était-elle pas et plus simple et plus belle? Plus savoureuse aussi ?...

Malgré son état de grossesse, Rose se penchait sur des ouvrages qu'elle lisait des yeux, sans les comprendre, et repoussait bientôt, d'un geste las. Pour se distraire, un seul plaisir, et quel plaisir ! Parcourir l'hôtel du mar- quis. Du jardin, fort petit, monter aux combles, se mettre à la fenêtre et regarder passer les piétons qui venaient de l'horrible rue des Deux-Portes.... Rien de plus triste que ce logis qui s'ouvrait sur une venelle malodorante, humide et privée de soleil, où jamais une voiture n'osait s'aventurer. Parfois un regret amer lui venait en songeant à cette île vêtue de lumière, où elle avait vécu toute son enfance insoucieuse, sans déplaisirs, sans rudesse et libre.

Alexandre voyageait, se pavanait de château en château, de fête en fête. Quand il eut rejoint son régiment, il adressa, rue Thévenot, des lettres assez tendres, mêlées de dissertations morales et d'allusions à l'enfant qu at- tendait Rose. Mais l'éloignement ne fit qu'accroître la désunion des deux époux. Mme Renaudin, désolée, écrivit à Patricol, l'ancien précepteur d'Alexandre, pour

le prier d'intervenir auprès de son élève. Tous deux se trouvaient alors chez le duc de la Rochefoucauld, à la Roche-Guyon. Dans sa réponse, longue et pesante, le cuistre rapportait les propres paroles d'Alexandre.

« En voyant Mlle de la Pagerie, déclarait le vicomte, j'ai cru pouvoir vivre heureux avec elle. Dès aussitôt j'ai formé le plan de recommencer son éducation. Le manque de volonté de Rose, son indifférence et sa non- chalance m'ont détourné de ce projet. Au lieu de rester chez moi, près d'une femme qui n'a rien à me dire, j'ai repris ma vie de garçon. » Certes, il lui en coûtait de

« renoncer au bonheur que lui promettait l'idée d'un bon ménage ». En agissant ainsi, il imaginait que Rose ferait des efforts pour acquérir les qualités qui pouvaient le fixer. Le contraire était arrivé. « Au lieu de se tourner du côté de l'instruction et des talents, ma femme est devenue jalouse. Elle veut que dans le monde je m'occupe uniquement d'elle; elle veut savoir ce que je dis, ce que je fais, ce que j'écris, et ne pense pas à acquérir les vrais moyens de parvenir à ce but et de gagner cette confiance que je ne réserve qu'à regret et lui donnerai à la pre- mière marque de son empressement à se rendre plus instruite et plus aimable. »

Alexandre revint à Paris pour assister au baptême de son fils Eugène. Cette naissance semblait avoir réconcilié les deux époux. L'accouchée rétablie, il recommença ses fredaines. Déçue, dépitée, humiliée, Rose se deman- dait quel mauvais génie le pousssait de nouveau à s'éloi- gner d'elle. Pendant la longue absence de ce maître exi- geant et bizarre, elle s'était pourtant efforcée de lui plaire. Après les Révolutions Romaines, de l'abbé Vertot, elle avait lu « de bons poètes », appris par cœur des pièces de théâtre, ouvert des atlas.... Peine perdue!

Deux mois après la naissance d'Eugène, Alexandre partait pour l'Italie.

Quand il reparut, de longs mois plus tard, M. de la Pagerie et la tante Rosette étaient de retour à la Marti- nique. Mme Renaudin venait de s'établir à Noisy, avec sa nièce, pour y passer l'été.

Durant plusieurs semaines, Rose put croire que le bonheur était revenu avec Alexandre. Jamais mari ne fut plus tendre et plus aimable. Soudain, il redevint nerveux, irritable, revêche. Étonnée de cette saute d'humeur, sa marraine le prit à part : Que lui manquait- il? N'était-il pas entouré de tous les soins qu'il pouvait souhaiter?... Elle lui fit l'éloge de Rose. Malgré sa nou- velle grossesse, la jeune femme n'avait pas interrompu les lectures que lui avait conseillées Patricol.

Rien de plus exact ; Alexandre le reconnaissait. Depuis son retour, il jouissait d'une existence attrayante et douce. Cette oisiveté, ce bien-être un peu fade, cette nonchalance de corps et d'esprit, un bourgeois de Paris pouvait s'en contenter. Mais un militaire?... A son âge, à vingt-trois ans, déjà, il n'était encore que capitaine ! Jus- tement, le marquis de Bouillé, gouverneur des Iles du Vent, était en France. Il allait regagner sous peu la Martinique, de nouveau menacée par les Anglais. Grâce à l'appui du duc de la Rochefoucauld, Alexandre espé- rait combattre sous ses ordres, devenir son aide de camp, revenir colonel. Mme Renaudin se taisait. Pour la persuader, son filleul prononçait de grands mots, parlait d'avancement, de réputation, de gloire....

Deux jours plus tard, on apprit que M. de Bouillé venait de s'embarquer pour la Martinique. Rose ne put cacher sa joie : son mari resterait auprès d'elle. Mais Alexandre, irrité de son échec, ne renonçait point à son voyage. On ne voulait pas de lui comme aide de camp?

Il partirait quand même; comme simple volontaire, voilà tout! Rose ne comprenait point cette opiniâtreté.

Quels mirages l'attiraient donc si loin? L 'ambition?...

PORTRAIT DE JOSEPHINE (Par Isabey.)

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