• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Le site de Nunalleq : mise en contexte géographique, chronoculturelle et

1.3 Modes de vie des Yupiit du delta

1.3.1 Les modes de subsistance

Les moyens de subsistance sont un sujet d’étude privilégié pour comprendre l’organisation d’un groupe humain. Ils participent en effet à définir son identité, étant étroitement liés aux concepts de statut, d’autorité et de prise de décision (Frink 2016). Très ancrées dans la société yup’ik actuelle, les techniques de subsistance traditionnelles font partie des éléments transmis par les anciens aux plus jeunes (Fienup-Riordan et Rearden 2016a). Le calendrier saisonnier décrit dans cette section se fonde principalement sur les travaux de Wolfe et al. (1984), qui concerne le village de Quinhagak situé à quelques kilomètres du site de Nunalleq (tableau 1), et de Fienup-Riordan (1986).

Le delta du Yukon et du Kuskokwim est riche en ressources, dont l’exploitation suit très précisément les cycles de disponibilités des diverses espèces au cours de l’année (Fienup-Riordan 1986). Les différents « mois » des Yupiit portent le nom de la principale activité économique de cette période, par exemple « le temps du saumon » ou « le temps des baies » (Himmelheber 2000). De nombreuses saisons sont en effet cruciales, car elles peuvent être très courtes, et nécessitent de la préparation en vue d’optimiser l’acquisition de réserves, en prévision des mois plus maigres. Dans le calendrier économique présenté ici, la chasse à la baleine boréale (Balaena mysticetus) ne fait pas partie des stratégies de subsistance, n’étant pas disponible à partir du delta du Yukon et du Kuskokwim (Fienup- Riordan et Rearden 2016a). Sur le pourtour de la mer de Béring, notamment sur l’île Saint- Lawrence, d’autres groupes de Yupiit exploitaient ces mammifères (Jolles 2002).

33

Tableau 1. Calendrier saisonnier des habitants de Quinhagak (modifié et traduit d'après Wolfe et al.

34 Tableau 1 suite.

35

Le printemps

Les Yupiit construisent leurs campements printaniers le plus souvent en bord de mer afin d’avoir un accès direct aux ressources de la banquise et des plages. Pour se déplacer sur la glace, ils se servent de traîneaux à chiens, ou, plus récemment, de motoneiges (Fienup-Riordan 1986, 2000).

Au début du printemps, des milliers d’oiseaux nicheurs envahissent le sud-ouest de l’Alaska. La côte du delta étant l’une des aires migratoires les plus importantes de la planète (Alaska Department of Fish and Game 2006), elle abrite une variété d’oiseaux, oies, bernaches (par exemple Anser et Branta), cygnes (Cygnus), canards plongeurs (comme

Gavia stellata), etc., qui représentent une source abondante de viande et d’œufs (Barker

1993 ; Fienup-Riordan 1986 ; Klein 1966 ; Wolfe et al. 1984). La présence de banquise côtière permet la chasse aux phoques barbus (Erignathus barbatus) et annelés (Phoca

hispida), qui viennent s’y reposer, ainsi que la pêche à la morue du Pacifique (Gadus macrocephalus). Les Yupiit s’adonnent également à la chasse au morse (Odobenus rosmarus) et à la collecte de coquillages (Bivalvia). Les terres avoisinantes leur offrent une

vaste gamme de jeunes pousses et de tubercules (Ager et Ager 1980).

L’été

Progressivement, les Yupiit installent des campements à l’embouchure des rivières pour surveiller les différentes espèces de poissons qui en remontent le courant. Les premiers sont les éperlans (Osmerus mordax) qui apparaissent sitôt la fonte des glaces. Leur migration, qui dure quelques heures à peine, se produit vers la mi-mai à l’embouchure du fleuve Yukon (Fienup-Riordan 1986). Plusieurs espèces de salmonidés les suivent au fil des mois : le saumon quinnat (Onchorhynchus tshawytscha) et le saumon kéta (O. keta), à deux reprises au début et à la fin de l’été ; le saumon rose (O. gorbuscha), qui se prête le mieux au séchage ; le saumon rouge (O. nerka) et le saumon coho (O. kisutch) (Barker 1993 ; Fienup-Riordan 1986 ; Wolfe 1984). Munis de filets et de kayaks, les Yupiit pêchent

36

intensément ces espèces stratégiques qui représentent un élément majeur de leur régime alimentaire (Britton et al. 2013). Il leur arrive de chasser, de manière opportuniste, des bélugas (Delphinapterus leucas) qui remontent les rivières pour profiter de l’abondance de nourriture, de même que des phoques tachetés (Phoca largha). À la même période, ils pratiquent la pêche au hareng du Pacifique (Clupea pallasii) en mer.

L’été est aussi l’occasion de faire provision de bois flotté, ressource précieuse dans ces toundras dépourvues d’arbres, pour le chauffage, la construction de maisons et de kayaks, la sculpture, etc. Les crues printanières charrient des branches et des troncs provenant des forêts boréales situées en amont des fleuves Yukon et Kuskokwim, qui s’échouent sur les plages et au bord des rivières (Alix et Brewster 2004).

L’automne

À partir du mois d’août, les Yupiit cueillent, aux environs de leurs établissements, quantité de baies de la ronce remarquable (Rubus spectabilis), de canneberges et d’airelles (Vaccinium), qui abondent sur tout le delta. Stockés dans l’eau ou dans la graisse, ces fruits servent surtout à la préparation de l’akutaq, mélange de graisse de phoque, de neige et de baies à moitié gelées (Barker 1993 : 101).

Le retour de la banquise côtière ramène progressivement les chasseurs près de la mer pour la pêche à la morue et surtout pour la chasse aux phoques barbus. Ces derniers sont moins chassés durant l’été en raison de la difficulté à les atteindre en eau ouverte et de l’abondance de poissons dans les rivières qui focalise l’attention des Yupiit (Fineup- Riordan 1986).

L’automne est également une période propice à la chasse aux gros mammifères terrestres comme le caribou (Rangifer tarandus), l’ours brun (Ursus arctos) ou l’orignal (Alces alces). Certains groupes humains s’installent donc à l’intérieur des terres pour profiter de la période de reproduction de ces espèces qui en facilite la chasse.

37

On cueille des graminées tout au long de l’automne, car c’est alors qu’elles sont les plus longues (Ager et Ager 1980). Cette ressource très importante sert à la fabrication d’objets de la vie quotidienne, notamment les paniers, les contenants, les paillasses, les litières et même les vêtements (Fienup-Riordan 2007).

L’hiver

Les camps hivernaux ne sont pas situés directement sur la côte en raison des vents violents qui sévissent en cette saison. Pour cette raison, la chasse au phoque devient également très dangereuse. Les Yupiit déploient alors plusieurs stratégies d’acquisition de denrées « fraîches ». Ils pêchent de nombreux poissons sur les lacs gelés, notamment le brochet (Esox), le corégone (Coregonus), la lotte (Lota) et la truite (des genres

Oncorhynchus et Salvelinus). Ils trappent de petits animaux à fourrure pour la qualité de

leur toison à ce moment de l’année, parmi lesquels le castor (Castor canadensis), la martre (Martes americana), le vison (Neovison vison), la loutre (Lutra canadensis), le rat musqué (Ondatra zibethicus), le lièvre arctique (Lepus arcticus) ou le renard (Vulpes) (Fienup- Riordan 1986). Ils chassent aussi certains oiseaux arctiques comme le lagopède alpin (Lagopus muta), le lagopède des saules (Lagopus lagopus) et le tétras du Canada (Falcipennis canadensis) (Wolfe et al. 1984).

Documents relatifs