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Modes de vie et pratiques domestiques des Yupiit du sud-ouest de l'Alaska : analyse archéoentomologique de l'habitation semi-souterraine de Nunalleq

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Texte intégral

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© Thiéfaine Terrier, 2020

Modes de vie et pratiques domestiques des Yupiit du

sud-ouest de l'Alaska . Analyse archéoentomologique

de l'habitation semi-souterraine de Nunalleq

Mémoire

Thiéfaine Terrier

Maîtrise en archéologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

ii

Résumé

Ce mémoire de maîtrise porte sur l’habitation yup’ik semi-souterraine du site de Nunalleq (GDN-248). Il se situe dans le sud-ouest de l’Alaska, sur le vaste delta des fleuves Yukon et Kuskokwim. L’objectif de cette étude est de préciser les modes et les conditions de vie des Yupiit qui ont occupé cette structure entre 1570 et 1630 de notre ère. La méthode employée pour y parvenir est l’archéoentomologie. Treize échantillons qui proviennent des niveaux de sols de la maison ont ainsi été analysés, dans lesquels plusieurs centaines de restes de coléoptères et d’ectoparasites ont été identifiés. Leur répartition dans l’espace a permis de mieux comprendre certains aspects des modes de vie des Yupiit, notamment des pratiques culturelles liées à la gestion des poux humains et la présence du chien dans leur habitation. Les conditions environnementales à l’intérieur de la maison ont aussi été investiguées à partir des restes des coléoptères. L’exploitation des ressources naturelles, particulièrement les plantes, est également un élément qu’il a été possible de saisir. Enfin, l’impact d’un établissement de chasseurs-cueilleurs sur son environnement est discuté dans les interprétations.

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iii

Abstract

This master’s thesis examines a Yup’ik semi-subterranean dwelling at Nunalleq (GDN-248), located on the delta of the Yukon and Kuskokwim Rivers in southwestern Alaska. The main objective of this study is to assess past lifeways of the Yupiit people who lived in this village site between 1570 and 1670 AD. Archaeoentomology is the research methodology used to address the research questions. Thirteen samples taken from the house floor were analysed and found to contain hundreds of beetles (Coleoptera), lice and fleas remains. Their spatial distribution provides an understanding of some aspects of Yup’ik daily life at Nunalleq, including practices such as delousing and the presence of dogs inside the dwelling. Environmental conditions in the house were also provided by beetle remains. Local resource exploitation, including that of plants is also documented. Finally, the impact of this hunter-gatherer settlement on the environment is discussed.

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iv

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des figures ... vi

Liste des tableaux ... viii

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Présentation du projet de recherche ... 1

État de la question : Archéologie des modes de vie dans l’Arctique préhistorique ... 3

L’archéologie environnementale comme approche pour étudier les modes de vie du passé ... 9

L’archéologie environnementale et les analyses spatiales : potentiels de l’archéoentomologie ... 11

Cadre théorique : Archéologie de la maisonnée ou Household Archaeology ... 15

Présentation de la problématique ... 19

Hypothèses de recherche ... 21

Organisation du mémoire ... 23

Chapitre 1 : Le site de Nunalleq : mise en contexte géographique, chronoculturelle et archéologique ... 24

1.1 L’environnement du delta du Yukon et du Kuskokwim ... 24

1.2 Cadre chronologique : Des premiers peuplements au contact avec les explorateurs russes ... 25

1.2.1 Les premiers mouvements de population dans la zone du détroit de Béring ... 25

1.2.2 Les migrations paléo- et néo-esquimaudes. ... 26

1.2.3 Les Bow and Arrow Wars et l’arrivée des Russes ... 30

1.3 Modes de vie des Yupiit du delta ... 31

1.3.1 Les modes de subsistance ... 32

1.3.2 Les formes de l’habitat hivernal ... 37

1.3.3 Le genre, les activités et le statut dans la société yup’ik ... 43

1.3.4 Les Yupiit et le chien... 46

(5)

v

1.4.1 Bilan des recherches archéologiques ... 47

1.4.2 Données architecturales et artéfactuelles de l’évènement F ... 52

1.5 Résumé du chapitre ... 55

Chapitre 2 : Méthodologie : application de l’archéoentomologie sur le site de Nunalleq ... 57

2.1 Les principes de l’archéoentomologie ... 57

2.2 Acquisition et traitement des données archéoentomologiques ... 60

2.2.1 Stratégie d’échantillonnage ... 60

2.2.2 Traitement des échantillons ... 62

2.2.3 Méthodes analytiques ... 66

2.3 Limites de la méthode archéoentomologique ... 66

2.4 Résumé du chapitre ... 67

Chapitre 3 : Résultats ... 69

3.1 Description du sédiment des échantillons ... 69

3.2 Les insectes identifiés dans les structures ... 71

3.3 Habitat et niche écologique des taxons identifiés... 73

3.3.1 Les coléoptères (Coleoptera)... 75

3.3.2 Les ectoparasites (Phthiraptera et Siphonaptera) ... 82

3.4 Groupes écologiques ... 85

3.5 Résultats des analyses spatiales ... 86

3.6 Résumé du chapitre ... 94

Chapitre 4 : Interprétations ... 96

4.1 Activités et pratiques domestiques identifiées ... 96

4.1.1 Les pratiques déduites par les restes d’ectoparasites ... 97

4.1.2 L’apport de l’étude des restes de coléoptères dans la compréhension des pratiques domestiques ...103

4.2 Les conditions écologiques à l’intérieur de la maison ...105

4.3 Contextualiser l’habitation dans son environnement ...107

4.3.1 Comparaison des données avec une tourbière attenante au site...107

4.3.2 La maison, une île dans la toundra ? ...111

4.4 Résumé du chapitre ...114

Conclusion ...116

Retour sur la question de recherche ...116

Contributions et perspectives de recherches futures ...118

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vi

Liste des figures

Figure 1. Localisation du site de Nunalleq ... 2

Figure 2. Origines potentielles des insectes mis au jour dans une habitation norroise ... 13

Figure 3. Les principales migrations humaines de l'Arctique ... 27

Figure 4. Les différentes cultures de l'Arctique ... 28

Figure 5. Exemple de maison semi-souterraine sur l'île de Nunivak ... 38

Figure 6. Exemple de maison semi-souterraine à Ignituk ... 38

Figure 7. Habitations à Hooper Bay ... 39

Figure 8. Exemple de Qasqig à St. Michael ... 40

Figure 9. Stockage du poisson séché dans des paniers d'herbes ... 42

Figure 10. Préparation et séchage du poisson ... 43

Figure 11. Les différentes introductions du chien en Amérique du Nord ... 46

Figure 12. Plan général du site de Nunalleq ... 49

Figure 13. Représentativité des espèces exploitées à Nunalleq, sauf le chien ... 51

Figure 14. Plan de l'aire A, évènement F, niveau de sol le plus ancien ... 53

Figure 15. Les parties identifiables des coléoptères ... 58

Figure 16. Localisation des échantillons dans l'habitation de Nunalleq ... 62

Figure 17. Pronotum de Pterostichus (Cryobius) sp. et spécimen actuel Pterostichus (Cryobius) ventricosus ... 75

Figure 18. Têtes d'Olophrum spp. ... 77

Figure 19. Tête et pronotum d'Holoboreaphilus nordenskioldi ... 78

Figure 20. Tête et pronotum de Prasocuris phellandrii ... 82

Figure 21. Abdomen de Polyplacidae indet. ... 84

Figure 22. Groupes écologiques. ... 86

Figure 23. Carte de répartition des taxons xériques. ... 87

Figure 24. Carte de répartition des taxons aquatiques. ... 88

Figure 25. Carte de répartition des taxons mésiques. ... 88

Figure 26. Carte de répartition des taxons hygro-ripariens. ... 89

Figure 27. Carte de répartition des taxons eurytopiques. ... 89

Figure 28. Carte des taxons associés à la matière organique en décomposition. ... 90

Figure 29. Carte de répartition des poux de chien (Trichodectes canis). ... 90

Figure 30. Carte de répartition des puces de l'être humain (Pulex irritans). ... 91

Figure 31. Carte de répartition des poux de l'être humain (Pediculus humanus). ... 91

Figure 32. Représentation graphique du nombre d'individus identifiés par groupe écologique et par échantillon. ... 92

(7)

vii

Figure 34. Représentation graphique en pourcentage de chaque groupe écologique en

prenant en compte la matière organique en décomposition. ... 94

Figure 35. Poux de l'être humain, Pediculus humanus ... 99

Figure 36. Pou de chien, Trichodectes canis ...100

Figure 37. Abdomen de puce de l'être humain, Pulex irritans et spécimen actuel ...102

Figure 38. Élytre de Notaris aethiops et spécimen actuel ...105

Figure 39. Comparaison entre les données de l'intérieur avec celles de la tourbière. ...108

(8)

viii

Liste des tableaux

Tableau 1. Calendrier saisonnier des habitants de Quinhagak ... 33

Tableau 2. Séquence chronologique des évènements à Nunalleq ... 50

Tableau 3. Liste des échantillons à l'étude. ... 61

Tableau 4. Résultats de l'analyse des sédiments. ... 70

Tableau 5. Nombre Minimal d'Individus mis au jour dans les échantillons. ... 72

Tableau 6. Préférences écologiques des taxons identifiés. ... 74

Tableau 7. Tableau comparatif du nombre d'individus par litre de sédiment de la tourbière et de l'intérieur de l'habitation. ...110

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ix

Liste des abréviations

indet. : Fait suite à un nom de taxon. Indique la présence de plusieurs espèces non identifiées.

sp. : Fait suite au nom du genre. Indique la présence d’une espèce non identifiée.

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x

Remerciements

Ce mémoire de maîtrise n’aurait pas pu être réalisé sans le concours d’un certain nombre de personnes. Au premier rang de celles-ci, je tiens à remercier ma directrice de recherche Allison Bain, ainsi que Véronique Forbes, professeure à l’Université Memorial de Terre-Neuve. Leurs conseils m’ont été indispensables et ont permis de m’aiguiller sur les chemins de l’archéoentomologie nordique.

De plus, je tiens à remercier l’ensemble des chercheurs qui travaillent sur le site de Nunalleq, en particulier ceux avec qui j’ai eu l’opportunité de collaborer, Charlotta Hillerdal et Paul Ledger. De la même façon, cette maîtrise aurait été impossible sans le soutien de l’association Qanirtuuq Inc. basée à Quinhagak, Alaska, qui a initié le projet de recherche archéologique sur le terrain.

L’accès au laboratoire d’entomologie du Centre de foresterie des Laurentides a également été très utile pour cette recherche. Je souhaite donc remercier tout particulièrement son directeur, Jan Klimaszewski, qui m’a ouvert les portes de sa collection de référence. Au cours de mon parcours, j’ai eu la chance de faire un voyage au laboratoire PEAT (Palaeoecology, Environmental Archaeology and Timescales) de l’Université Memorial de Terre-Neuve. Je tenais donc à remercier vivement le Groupe de Recherches en Archéométrie de l’Université Laval pour le financement de ce séjour.

Un grand merci à tous mes amis du laboratoire sans qui les heures passées derrière le microscope auraient été bien plus ardues. Merci donc à Dorothée, Solène, Juliette, Olivier et Joey avec qui je vivais ces années dans les locaux d’archéologie environnementale, mais également à tous les autres, Véro, Jeff, Laurence P., Laurence F., Roxanne, Eli, Elianne et bien sûr Antoine et Pascal (fils). Enfin, un grand merci à Nicole Casteran qui m’a aidé en fin de parcours à la relecture et l’amélioration de mon texte.

Entendre mon père, ma mère et ma sœur m’a beaucoup aidé lors des périodes de doutes. Mes pensées vont donc à ma famille et à mes proches, qui, même éloignés, ont su écouter ce que je racontais. Raph, ce mémoire aurait été extrêmement difficile sans ton soutien et celui de Laurent. Tu as supporté tous mes états d’âme lors de cette recherche, donc tout simplement, merci.

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1

Introduction

Présentation du projet de recherche

Le sud-ouest de l’Alaska, en particulier la région de l’embouchure des fleuves Yukon et Kuskokwim, est le territoire actuel des Yupiit1 « Centraux » (Burch 1984 ; Fienup-Riordan

1984). Ils vivent sur l’ensemble de ce vaste delta, répartis dans de nombreuses communautés, celle de Bethel étant la plus importante (Alaska Department of Fish and Game 2006). Les moyens de subsistance traditionnels sont encore très présents dans la vie de ces groupes humains et sont une richesse immense, que les Yupiit s’appliquent à transmettre aux plus jeunes générations (Fienup-Riordan et Rearden 2016a).

Le site de Nunalleq (GDN-248) (figure 1) fait l’objet de fouilles archéologiques menées de concert par l’Université d’Aberdeen et l’association locale du village de Quinhagak, Qaanirtuuq Inc. (Hillerdal et al. 2019). Il est menacé actuellement de destruction par la mer de Béring, qui érode ses berges, et c’est donc dans un contexte de sauvetage, à partir de 2009, que se sont déroulées les premières opérations archéologiques sur le terrain (Knecht 2014). Le site est interprété comme étant l’ancien village d’Agaligmiut (Fienup-Riordan et

al. 2015) et aurait été occupé approximativement entre 1570 et 1630 de notre ère (Ledger et al. 2018), soit presque 200 ans avant les premières incursions russes dans la région. Le

vestige fouillé se présente sous la forme d’une grande structure semi-souterraine, bâtie avec du bois flotté et de la tourbe, et son intérieur comporte de nombreux aménagements. Sa saison d`utilisation reste encore à établir, mais il est assumé que le village ait été fréquenté intensément en hiver et, dans une moindre mesure, le reste de l’année.

La présence d’un pergélisol discontinu dans la région a permis la conservation exceptionnelle d’artéfacts et écofacts par milliers, notamment le bois, l’os, les graines, les insectes et les cheveux humains (Britton et al. 2013). Les objets mis au jour lors des fouilles se retrouvent presque tous dans les collections ethnographiques du XIXe siècle,

exposées dans différents musées, et permettent d’attribuer le site de Nunalleq aux ancêtres 1 Le terme de Yupiit sera employé tout au long de ce mémoire comme pluriel de Yup’ik.

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2

des Yupiit (Ledger et al. 2018 ; Mossolova et Knecht 2019). À la suite des différentes campagnes de fouilles, plusieurs phases d’occupation ont été définies pour l’habitation. Ces couches ont été abondamment échantillonnées en vue de réaliser des analyses spécialisées ; elles sont scellées par une couche de destruction carbonisée, qui témoigne d’un épisode d’attaque du village, qui est par la suite abandonné (Ledger et al. 2018).

Figure 1. Localisation du site de Nunalleq (d'après Britton et al. 2013).

C’est donc dans ce contexte que se situe ce projet de maîtrise. La qualité de préservation des écofacts a motivé cette recherche, qui porte sur l’analyse

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3

archéoentomologique d’un niveau de sol de l’intérieur de l’habitation. Une telle étude permet d’aborder de nombreuses questions, notamment la répartition des activités dans l’espace, ainsi que l’identification de certaines pratiques domestiques. De plus, la fin de la préhistoire dans le sud-ouest de l’Alaska est une période méconnue sur laquelle peu de recherches archéologiques ont été menées (Fink 2016 ; Shaw 1998). C’est à cette époque que se déroulent, à l’échelle du delta du Yukon et du Kuskokwim, les Bow and Arrow

Wars, qui voient s’affronter violemment les populations de plusieurs villages, par exemple

les Nuvugumiut, les Miluqautmiut et les Nenerrlugarmiut contre les Pastulirmiut dans la région de Hooper Bay (Funk 2010 : 536) ou, proche de la baie du Kuskokwim, les Agaligmiut contre les Pengurpagmiut (Fienup-Riordan et al. 2015 : 37). Ces conflits, qui prennent souvent la forme de raids, mènent à la destruction de certains établissements et à l’anéantissement de leur population, comme à Qavinaq ou à Nunalleq (Funk 2010). Ce projet de maîtrise permet par conséquent de mieux comprendre quelques aspects des modes de vie des Yupiit de cette période.

État de la question : Archéologie des modes de vie dans l’Arctique préhistorique

Le but de cette section est de présenter brièvement différents thèmes de l’archéologie de l’Arctique qui portent sur les modes de vie des peuples de la zone circumpolaire. Par le terme « modes de vie », on entend un ensemble de traits sociaux qui se rapportent à la façon dont les humains organisent leur quotidien. Cette notion est large et fait référence à tous les concepts qui visent non seulement à comprendre les activités des humains dans le passé, mais aussi comment ils se nourrissent, pensent et s’organisent. Cette revue de littérature comporte quatre thématiques : les habitations, les moyens de subsistance, le lien entre le genre et les activités et les conditions de vie.

Les habitations

Les établissements domestiques et les maisons occupent une place centrale dans les recherches en sciences humaines, particulièrement dans le domaine de l’archéologie et de l’anthropologie, qui portent sur la zone circumpolaire. Les habitations sont le reflet de

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4

multiples aspects des sociétés, notamment sur leur organisation, mais aussi sur de nombreuses pratiques sociales (Wilk et Rathje 1982).

Plusieurs études archéologiques se sont intéressées aux établissements des groupes de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique. On trouve des fouilles d’habitations dans l’ensemble de cette zone, à différentes latitudes, depuis le Groenland (voir par exemple Darwent et Foin 2010) jusqu’aux îles du Pacifique nord (par exemple Crozier 1989 ; Griffin 2014) et aux Aléoutiennes (Corbett 2011 ; Hoffman 1999 ; Rogers 2011), en passant par l’Arctique canadien (par exemple Desrosiers et Rahmani 2003 ; Farid 2001) et l’Alaska (par exemple Alix et al. 2015 ; Darwent et al. 2013 ; Eldridge 2014 ; Harritt 2010 ; Hoffecker et al. 2012 ; Jensen 2016). Quelques sites d’habitats de la fin de la préhistoire sont également étudiés dans le sud-ouest de l’Alaska, notamment Nunalleq (Ledger et al. 2018), Qavinaq (Frink 2016) et Temyiq Tuyuryaq (Old Togiak) (Skinner 2019).

La majorité des êtres humains qui vivent dans les régions nordiques s’organisent selon un calendrier saisonnier précis qui suit la disponibilité des ressources dans l’environnement. Savoir se déplacer au fil des saisons pour s’approvisionner en matériaux est une caractéristique primordiale dans les moyens de subsistance de ces groupes de chasseurs-cueilleurs. Ces caractéristiques influencent la forme des habitations qui varient, logiquement selon les traits culturels de chaque groupe, mais également selon la période de l’année (Lee et Reinhardt 2003). Dans les sociétés circumpolaires, on distingue plusieurs types de bâtiment domestiques, soit globalement des maisons hivernales et des campements aux autres saisons. Les premières prennent majoritairement la forme de structures semi-souterraines, construites avec de la tourbe et du bois, ou, plus au nord, avec de la neige. Les autres établissements, utilisés le reste de l’année, sont généralement plus éphémères, car ils sont construits de bâtiments temporaires, comme des tentes, qu’il est facile de déplacer selon la disponibilité des ressources (Lee et Reinhardt 2003). En raison de ces caractéristiques, ces campements sont plus difficiles à percevoir par l’archéologie, et ont, de ce fait, été moins étudiés par les chercheurs.

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5

À l’inverse, les habitations hivernales ont reçu plus d’attention de la part de la communauté scientifique et la culture matérielle mise au jour dans ces établissements a été principalement utilisée pour aborder les modes de vie des groupes de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique. De nombreuses publications traitent alors de la répartition des artéfacts au sein des maisons pour tenter comprendre leur organisation. L’outillage lithique a été utilisé à ces fins dans plusieurs travaux dans l’Arctique de l’Est (voir aussi Farid 2001 ; Paquin 2016). Par exemple, à partir des outils et des éclats de chert, de schiste et de quartz cristallin du site de Kuujjuarapik au Nunavik, Desrosiers et Rahmani (2003) parviennent à localiser plusieurs aires de taille et zones de travail à l’intérieur et à l’extérieur d’une maison. En Alaska et dans les îles du Pacifique Nord, la céramique, en complément des objets en pierre, a également été étudiée pour comprendre l’occupation de certains sites et la succession culturelle de la région (par exemple Crozier 1989 ; Giddings 1957 ; Griffin 2014 ; Lutz 1973 ; Skinner 2019). Quelques auteurs se sont également consacrés aux méthodes de construction des habitations semi-souterraines (Méreuze 2015 ; Patton et Savelle 2006) ainsi qu’à leur modélisation en trois dimensions (Dawson et Lévy 2005). Enfin, plusieurs analyses zooarchéologiques menées sur des assemblages collectés dans les bâtiments ont été réalisées (Darwent et Foin 2010 ; Moody et Hodgetts 2013).

Les moyens de subsistance

L’étude des moyens de subsistance est un autre aspect important pour aborder les modes de vie des chasseurs-cueilleurs. Plusieurs chercheurs, aussi bien des archéologues que des anthropologues, se sont penchés sur cette question. Les moyens mis en œuvre par les peuples de la zone circumpolaire pour vivre dans des environnements à première vue hostiles semblent fasciner la communauté scientifique. Les recherches ethnologiques apportent aux archéologues un complément d’information important, car les moyens de subsistance traditionnels et un calendrier d’acquisition des ressources précis sont encore présents dans de nombreuses communautés (voir par exemple Fienup-Riordan et Rearden 2016a).

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Le calendrier saisonnier est très important chez les peuples semi-sédentaires, car il conditionne les mouvements et les pratiques des groupes humains. C’est même un élément qui participe à l’identité des groupes chasseurs-cueilleurs (Frink 2016). L’analyse de Renner et Huntington (2014), qui porte sur 35 communautés installées sur les côtes alaskiennes, illustre que l’environnement dans lequel s’établit un groupe humain a un impact direct sur leurs moyens de subsistance. Cette étude montre globalement que les peuples qui vivent près des rivières ont un régime plus axé sur les saumons, tandis que ceux qui vivent dans les terres ont une part de leur alimentation qui comprend plus de mammifères terrestres. Selon un raisonnement similaire, les groupes qui s’établissent sur les côtes et la banquise vont plutôt baser leur subsistance sur l’exploitation des baleines et de phoques.

Les différentes études qui visent à reconstituer le calendrier saisonnier des sociétés dans son intégralité sont plutôt menées par des ethnologues (Barker 1993 ; Fienup-Riordan 1986 ; Wolfe et al. 1984). Les analyses archéologiques se concentrent plutôt sur un aspect particulier des moyens de subsistance, notamment l’acquisition de viande, par l’étude des restes fauniques qui sont souvent mis au jour lors de fouilles de dépotoirs. Sur le delta du Yukon et du Kuskokwim, Masson-MacLean et al. (2019) montrent par exemple le régime tripartite des Yupiit de Nunalleq qui repose sur l’exploitation du saumon, du caribou et du phoque. Sur le site de Oakes Bay 1, au Labrador, Woollett (2010) souligne également l’importance de la chasse au phoque dans l’économie de l’établissement inuit. D’autres chercheurs se sont aussi intéressés à l’approvisionnement en ressources végétales destinées à l’alimentation, comme les baies, au Labrador (Zutter 2009) et à la collecte du bois dans le nord-ouest de l’Alaska (Alix et Brewster 2004).

Le lien entre le genre et les activités

Le lien entre les activités domestiques et le genre est également un sujet qui touche de près aux modes de vie des groupes de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique. De nombreux travaux anthropologiques présentent ces sociétés, en particulier dans le sud-ouest de l’Alaska, comme très divisées dans la répartition des tâches (voir par exemple

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Himmelheber 2000). L’homme est généralement considéré comme le chasseur tandis que les femmes sont plutôt associées aux travaux de préparation et de stockage des denrées. Les concepts de statut et d’autorité sont intimement liés à cette division du travail, duquel chaque personne tire un prestige équivalent son rôle économique (Ackerman 1990), notamment pour les femmes, pour lesquelles on a souvent considéré que leurs pratiques étaient simplistes et qu’elles n’avaient pas de réel pouvoir décisionnel (Frink 2009). Ainsi, l’habileté à préparer les peaux et à confectionner les vêtements, qui sont des activités souvent associées aux femmes, est un élément qui participe grandement à leur autorité et leur statut (Oakes et Riewe 2007). Plusieurs études plus récentes montrent que la séparation apparente des genres dans les activités quotidiennes est bien moins tranchée. Pour la réalisation de nombreuses tâches, les hommes et les femmes sont interdépendants et doivent coopérer, par exemple pour la préparation des carcasses, la collecte du bois flotté ou la construction des maisons (Ackerman 1990 ; Bodenhorn 1990 ; Dionne 2013 ; Frink 2007, 2009).

D’un point de vue archéologique, ces thématiques ont été moins explorées par les différents chercheurs. La question du genre est en effet plus délicate à aborder par l’analyse seule des artéfacts, des écofacts et de l’architecture. Le recours aux données ethnographiques présente donc un certain potentiel pour traiter de ces thématiques (LeMoine 2003 : 123). Les travaux précurseurs de McGhee (1977) sur les Inuits de l’île de Bathurst, dans l’Arctique canadien, sont par exemple consacrés au lien symbolique entre la femme, l’ivoire et la mer et l’homme, le caribou et la terre. L’auteur de cette publication utilise des données anthropologiques pour mieux comprendre certains assemblages archéologiques. Plusieurs publications traitent du rapport entre le genre et les pratiques dans les sociétés nordiques, comme LeMoine (2003) et Whitridge (2002) dans l’Arctique canadien et Jarvenpa et Brumbach (2006) sur l’ensemble de la zone circumpolaire. Quelques chercheurs ont étudié plus spécifiquement le traitement et la préparation des peaux par les femmes, notamment au Nunavik (Dionne 2013) et en Alaska (Frink 2005).

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Les conditions de vie et l’hygiène

Les pratiques hygiéniques et sanitaires sont également un thème important pour aborder les modes de vie des êtres humains du passé. Par le biais des restes osseux, Bishop (2011) s’intéresse par exemple de manière générale aux effets de la vie dans l’Arctique sur l’état de santé des Thuléens. Elle souligne l’importance des risques et des dangers que comporte leur vie quotidienne, comme les voyages en umiaks ou la chasse à la baleine, qui peuvent conduire à de nombreux traumatismes physiques. Les effets du froid sur le corps sont également considérés. Dans les maisons semi-souterraines, la reconstitution de la lumière est un élément qui participe aussi à mieux comprendre comment vivaient les personnes, car elle peut affecter leur vision et influencer l’organisation de leurs activités (Dawson et al. 2007).

L’analyse des pratiques alimentaires fait aussi partie des conditions de vie, car elle a un lien direct avec la santé physique des humains. En raison de leur type de subsistance, plusieurs maladies peuvent se développer chez les thuléens comme des infections gastro-intestinales liées à la consommation de viande, telle la trichinose (Bishop 2011 : 55). La malnutrition et le manque de nourriture dans ces sociétés sont aussi des aspects que l’analyse de restes osseux souligne (Bishop 2011). Les études zooarchéologiques et archéobotaniques permettent également d’aborder les questions d’approvisionnement en ressources comestibles comme la viande (par exemple Masson-MacLean 2019 ; Woollett 2010) ou les végétaux (Zutter 2009). Le régime alimentaire peut également être analysé grâce à l’emploi des analyses isotopiques (Britton et al. 2013 ; Britton et al. 2018). Enfin, la paléoparasitologie est un moyen d’aborder les conditions de santé liées à l’alimentation, comme le font par exemple Bouchet et al. (1999) dans leur analyse réalisée sur des dépotoirs d’établissements thuléens. D’une façon similaire, l’état des intestins et des poumons d’une momie thuléenne retrouvée au Groenland témoigne des maladies qui sévissaient à la préhistoire (Zimmerman et al. 2000).

L’archéoentomologie est aussi une méthode qui permet de préciser plusieurs éléments des conditions de vie des peuples de l’Arctique. Dans ses travaux sur le

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Groenland, Dussault (2011) invite par exemple à repenser la notion d’hygiène dans les groupes inughuits en analysant la répartition des ectoparasites dans des habitations semi-souterraines. Plusieurs pratiques culturelles sont abordées dans cette étude, notamment la présence du chien dans les maisons et les activités liées à l’épouillage.

À la suite de la présentation de ces thématiques, on observe que l’architecture, la culture matérielle et les restes osseux sont les éléments les plus utilisés pour aborder les modes de vie des humains de la zone circumpolaire. Les méthodes employées en archéologie environnementale possèdent toutefois un certain potentiel pour apporter de nouvelles pistes de réflexion sur ces questions. La prochaine section est donc consacrée à une brève revue de la littérature pertinente pour ces différents types d’analyses.

L’archéologie environnementale comme approche pour étudier les modes de vie du passé

L’archéologie environnementale est une discipline qui regroupe un ensemble de méthodes qui sont issues des sciences de la Terre, comme les analyses géochimiques, ou des sciences naturelles, notamment la palynologie, l’archéobotanique, la zooarchéologie, l’archéoentomologie ou même la bioarchéologie. Elles ont pour objectif principal l’étude des relations entre l’humain et son environnement dans le passé (Reitz et al. 2008 : 3). Les questions de recherches qui traitent des conditions et des modes de vie des humains sont particulièrement adaptées à l’emploi d’une méthode issue de l’archéologie environnementale.

Tout d’abord, l’exploitation du paysage et de ses ressources est un axe important abordé par les recherches archéoenvironnementales. Les analyses palynologiques et archéobotaniques peuvent notamment témoigner de la transformation du paysage par les êtres humains, comme l’exploitation des forêts et les pratiques agricoles (voir par exemple Lepofsky et al. 2001 ; Renouf et al. 2009 ; Roy et al. 2012). Dans leur étude sur plusieurs sites du sud du Groenland, Ledger et al. (2014) montrent par exemple l’impact de l’exploitation du bois sur l’environnement par les Norrois. Dans les sociétés agraires, la domestication de certains cultivars, comme le maïs, est également une caractéristique qu’il

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est possible de percevoir par les modifications morphologiques des graines (Scarry 2008). Les analyses archéoenvironnementales permettent aussi de se questionner sur l’approvisionnement des sites en ressources. Tout d’abord, l’exploitation des espèces marines, sur lesquelles de nombreuses sociétés de la zone circumpolaire basent leurs stratégies de subsistance (Renner et Huntington 2014), est un élément qui peut être étudié par les restes osseux (Masson-MacLean et al. 2019 ; Woollett 2010). Les analyses géochimiques peuvent aussi révéler l’effet du traitement des carcasses de baleines et des morses par l’humain, qui modifie, en augmentant significativement leur apport en nutriments, les écosystèmes des lacs d’eau douce (voir par exemple Derry et al. 1999 ; Hadley et al. 2010). Enfin, l’utilisation de matériaux comme le bois, qui est une ressource stratégique dans l’Arctique (Alix et Brewster 2004), peut être perceptible par l’archéoentomologie (Dussault et al. 2016).

Les différentes méthodes employées en archéologie environnementale servent également à distinguer de nombreuses pratiques de la vie quotidienne. Tout d’abord, l’alimentation peut être examinée sous différents angles par les macro-restes botaniques. Dans son étude du site de Uivak au Labrador, Zutter (2009) aborde la consommation de baies comme les canneberges ou les airelles (Vaccinium) mais aussi l’exploitation du bois pour la combustion et des branches de conifères destinées à servir de paillasse pour le couchage et pour isoler les sols. Les analyses zooarchéologiques menées par Darwent et Foin (2010) à Cape Grinnell au Groenland ont également permis de souligner plusieurs aspects de la vie quotidienne des Dorsétiens et des Thuléens qui occupaient le site. La répartition des restes fauniques et des os carbonisés dans cette structure semi-souterraine a notamment permis de localiser certaines aires de préparation de la viande. Ces pratiques de préparation des animaux peuvent également laisser des signatures géochimiques dans les sols. Dans les camps de pêche yup’ik du sud-ouest de l’Alaska, Knudson et al. (2004) parviennent par exemple à distinguer les zones de préparation des poissons en utilisant l’ICP-AES (Inductively Couple Plasmatonic Emission Spectrometer). Certaines méthodes archéoenvironnementales abordent aussi le travail des peaux des mammifères, des poissons et des oiseaux. À partir des restes de pollens et de chironomes, Renouf et Bell (2008) illustrent par exemple les effets du tannage des peaux de phoque sur l’étang Bass situé à

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proximité du site de Phillip’s Garden à Terre-Neuve. De même, Forbes (2015), grâce aux restes de puces des sites de Æðey et de Vatnsfjorður, réussit à identifier une zone de traitement des plumes et du duvet d’eider.

Parmi les méthodes employées en archéologie environnementale, l’archéoentomologie se distingue par le type de questions de recherches qu’elle permet d’aborder. En effet, certaines pratiques ayant trait aux conditions de vie des humains du passé ne peuvent être perçues que par les restes d’insectes. La prochaine partie est dédiée à une brève présentation du potentiel de cette méthode employée dans le cadre d’une analyse spatiale.

L’archéologie environnementale et les analyses spatiales : potentiels de l’archéoentomologie

L’archéoentomologie est une méthode qui emploie les restes d’insectes préservés dans des contextes anthropiques pour en déduire des comportements humains dans le passé (Elias 1994 ; Smith 2012). Plusieurs sites archéologiques de l’Arctique et de l’Atlantique Nord ont été le sujet d’études archéoentomologiques ayant pour but d’identifier des activités domestiques et leur répartition dans l’espace. Les insectes peuvent en effet être de bons témoins pour comprendre plusieurs pratiques (Hall et Kenward 2003). Par exemple, le stockage des aliments peut être perçu par certains taxons spécifiques qui contaminent les denrées entreposées (Huchet 2016a ; Panagiotakopulu et Buckland 1991), comme le charançon du grain, Sitophilus granarius, qui vit dans le blé (Smith et Kenward 2012 ; King et al. 2014). La présence des animaux, comme les moutons ou les vaches, au sein de bâtiments peut être également perceptible par leurs ectoparasites (Buckland et Perry 1989 ; Forbes et Milek 2014). Étant donné que les insectes témoignent de certaines activités anthropiques, il semble qu’on puisse considérer leur répartition dans l’espace en les utilisant dans le cadre d’une analyse spatiale.

L’objectif d’une telle analyse sur un site archéologique est de chercher à comprendre son organisation spatiale, en étudiant la répartition d’artéfacts ou d’écofacts dans l’espace pour en déterminer des zones d’activités (Kintigh et Ammerman 1982).

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Plusieurs types de données, autres que les restes entomologiques, peuvent être mises à profit dans de telles études, par exemple les restes lithiques, qui peuvent servir à identifier des zones de travail ou même de couchage (Desrosiers et Rahmani 2003 ; Farid 2001). De la même façon, plusieurs types d’écofacts ont été utilisés sur des sites de l’Arctique pour identifier des pratiques dans l’espace. Ainsi, les analyses archéobotaniques réalisées dans une habitation à Uivak, au Labrador, soulèvent de nombreuses questions liées à l’alimentation, mais aussi au stockage des baies, au combustible et à l’état des plateformes de couchage (Zutter 2009). Le traitement des carcasses de phoques et la gestion des restes osseux dans l’habitation sont aussi des éléments perceptibles dans une analyse spatiale qui utilise la zooarchéologie comme méthode (Darwent et Foin 2010). Enfin, sur certains sites, la géochimie peut être employée pour distinguer des espaces liés à la préparation des poissons (Knudson et Frink 2010).

À l’instar des autres méthodes archéoenvironnementales, l’archéoentomologie peut être employée dans le cadre d’une analyse spatiale. Cependant, avant de pouvoir cerner précisément des activités dans un bâtiment, plusieurs considérations méthodologiques ont été abordées et débattues par les chercheurs. Une des difficultés de ce type d’analyse concerne les insectes en eux-mêmes qui peuvent se retrouver dans les sols d’une habitation, non pas en raison de pratiques humaines, mais à cause de processus naturels comme le vent. Pour pallier en partie ces problèmes, certains chercheurs ont montré la nécessité de construire des groupes écologiques pour étudier les insectes comme un tout, et ainsi cerner cette « faune d’arrière-plan », qui vient perturber la compréhension d’un assemblage archéoentomologique (Carrott et Kenward 2001 ; Kenward et Carrott 2006). Plusieurs chercheurs ont aussi cherché à comprendre la signature entomologique de certaines pratiques comme le stockage du fourrage (Smith 1998), du fumier (Hall et Kenward 1998) ou le travail du textile (Hall et Kenward 2003).

Plusieurs établissements norrois du Groenland et d’Islande ont fait l’objet d’études archéoentomologiques visant à comprendre certains aspects des modes de vie du passé de leurs habitants (Buckland et al. 1993 ; Buckland et al. 1994 ; Dussault et al. 2014a ; Forbes 2013 ; Forbes et Milek 2014). Sur ces sites à fonction domestique, les restes d’insectes témoignent de nombreuses pratiques comme l’exploitation locale des ressources comme le

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bois, les plantes et les animaux chassés (Dussault et al. 2014a). De plus, la transhumance et la rotation des pâturages ont été explorées dans le but de mieux comprendre l’organisation des fermes au long de l’année (Forbes et al. 2014). Plusieurs activités ont pu être identifiées sur ces sites et ainsi préciser leur utilisation (figure 2). On évoque notamment la gestion du fourrage (Smith 1998) et du fumier, le travail de la laine et du duvet d’eider (Forbes 2015) et la présence des animaux domestiques (Forbes et Milek 2014).

Figure 2. Origines potentielles des insectes mis au jour dans une habitation norroise (d'après

Buckland 2000).

Quelques études portant sur la compréhension des activités humaines ont également été menées sur des sites de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique. À l’instar des travaux sur les fermes norroises de l’Atlantique Nord, l’exploitation des ressources naturelles de l’Arctique a été explorée par les chercheurs (Dussault et al. 2016 ; Forbes et al. 2014). De plus, la répartition des restes d’ectoparasites dans les maisons semi-souterraines a permis de

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s'interroger sur certaines thématiques liées à l’hygiène et aux conditions de vie, en particulier chez les Inughuits du Groenland (Dussault 2011 ; Dussault et al. 2014b). La concentration de poux de chiens et d’humains dans ces habitations a permis d’émettre des hypothèses quant à la fonction des tunnels d’entrée, qui pouvaient servir de zone de rejet et où les chiens restaient cantonnés.

L’analyse des restes de coléoptères sur les sites de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique a cependant soulevé de nombreuses interrogations quant à la capacité de ces insectes à être représentatifs d’activités humaines précises. En effet, sur ces établissements généralement semi-permanents ou très éphémères, la faune entomologique dominante est caractéristique des environnements naturels (Forbes et al. 2015 ; GAIA 2016, 2017 ; Lalonde 2020). L’absence de taxons synanthropes dans ces contextes, c’est-à-dire dépendants des habitats créés par les humains, rend donc l’identification des pratiques anthropiques plus difficile. Malgré ce phénomène, l’impact de leurs activités semble se percevoir quand même, sous la forme d’une surabondance d’insectes liés à la matière organique en décomposition (Forbes et al. 2019). On peut supposer tout un ensemble de pratiques qui favorise le développement de cette matière organique, comme le travail des peaux, des os, du bois, des plantes, et également la gestion des déchets. Par conséquent, il apparait que l’étude des restes de coléoptères sur les établissements de chasseurs-cueilleurs permet d’attester des activités humaines, sans pouvoir toutefois définir précisément lesquelles.

Suite à la présentation des différentes publications qui abordent les modes de vie des humains de la zone circumpolaire et de la capacité de l’archéologie environnementale pour les étudier, un cadre théorique apparait nécessaire pour lier l’ensemble des concepts évoqués. Il s’agit de « l’archéologie de la maisonnée », qui a pour objet d’étude principal une unité sociale distincte, la maisonnée, qui permet de mieux comprendre certains aspects des sociétés du passé (Foster et Parker 2012). La prochaine section est donc consacrée à l’explication des éléments constitutifs de cette approche théorique.

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Cadre théorique : Archéologie de la maisonnée ou Household Archaeology

L’archéologie de la maisonnée (ou Household Archaeology) est un concept qui se développe dans les années 1980 (Douglass et Gonlin 2012). Wilk et Rathje (1982) posent les bases de ce cadre théorique qui est utilisé principalement dans des études qui portent sur l’analyse spatiale de sites. Ses objectifs sont multiples et visent principalement la compréhension des relations entre les humains, leurs activités et l’architecture des habitations (Foster et Parker 2012). Comprendre et décrypter les maisonnées permet en effet d’aborder plusieurs aspects de la société de laquelle elle fait partie : « economic

practices, symbolic meanings, class relations, status differentiation, kin relations and gender relations » (Tobey 2002). Dans un premier temps, les termes de « maisonnées », de

« maison » et de « famille » vont être explorés à travers leurs définitions proposées par les différents chercheurs. Cela permettra de saisir les dimensions de chaque concept pour les appliquer aux maisonnées et habitations des Yupiit.

Définitions des termes

Selon Wilk et Rathje (1982), et repris par Douglass et Gonlin (2012), la maisonnée est composée de trois éléments inter reliés. Tout d’abord, elle comporte une composante sociale, c’est-à-dire son unité démographique. Cette dernière représente non seulement les individus qui composent la maisonnée, mais aussi les relations sociales qu’ils entretiennent. La composante matérielle fait référence aux possessions physiques de la maisonnée, soit la construction en elle-même et les objets qui s’y trouvent. Les aires d’activités font aussi partie de cette composante dans le sens où elles sont un espace tangible. Enfin la composante comportementale de la maisonnée représente les activités qui s’y déroulent et qui participent à l’organisation sociale.

Les auteurs s’accordent pour définir la maisonnée comme universelle (Foster et Parker 2012). La maisonnée est conçue « as the most common social component of

subsistence, the smallest and most abundant activity group » (Wilk et Rathje 1982). Elle est

de ce fait, importante pour comprendre les sociétés humaines du passé, car elle illustre à une échelle locale ses dimensions économiques, politiques et idéologiques (Douglass et Gonlin 2012). En comprenant la maisonnée, il est possible de déduire des aspects généraux

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de la société dans laquelle elle s’insère, ainsi que le changement social qui s’y opère (Douglass et Gonlin 2012). Elle est aussi très proche de l’humain, comme il est souligné par certains auteurs en sciences sociales (de Certeau et al. 1990). Bien que Michel de Certeau et al. (1990) ne conçoivent pas la maison comme un lieu de travail, mais comme un endroit privé, ils l’entrevoient comme « un lieu habité par la même personne pendant une certaine durée [qui] en dessine un portrait ressemblant à partir des objets (présents ou absents), et des usages qu’ils supposent ».

À partir de la définition de la maisonnée établie par Wilk et Rathje (1982), on s’aperçoit que ce concept dépasse le cadre du simple bâtiment physique d’une seule famille. Plusieurs constructions peuvent faire partie d’une même maisonnée, comme dans le cas d’une ferme, qui comporterait un logis, une étable, des champs, une grange, etc. De plus, il peut y avoir différentes personnes, sans relations familiales, qui vivent sous le même toit et font partie de la même maisonnée. Plusieurs exemples en Amérique du Nord illustrent ce dernier point, par exemple pour les Iroquois (Snow 2012) ou pour les Yupiit du sud-ouest de l’Alaska (Barker 1993 ; Fienup-Riordan 2007). Ces sociétés comportent des groupes humains qui vivent physiquement sous un même toit et coopèrent économiquement, sans pour autant nécessairement entretenir de liens familiaux. Hendon (1996) nuance ce concept de coopération et préfère envisager les membres d’une maisonnée comme étant interdépendants. En effet, bien que plusieurs d’entre elles puissent vivre ensemble, chaque personne est différente, a ses besoins et ses propres buts (Hendon 1996).

Concepts théoriques

Outre ses dimensions démographique, matérielle et comportementale, la maisonnée possède plusieurs fonctions qui permettent de la définir (Douglass et Gonlin 2012). Selon les cas, celles-ci peuvent être plus ou moins développées et servent de ce fait à les différencier les unes des autres (Wilk et Rathje 1982).

Les concepts impliqués dans la fonction de production représentent la création de biens et la répartition des tâches nécessaire pour y parvenir. Celles-ci peuvent être simples ou complexes, linéaires ou simultanées (Wilk et Rathje 1982). Certaines activités, qui

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s’insèrent dans un calendrier économique précis, requièrent plus ou moins d’individus pour être efficaces. Dans certains cas, plusieurs maisonnées peuvent être amenées à travailler ensemble, pour de la pêche et de la chasse en groupe, par exemple. La fonction de distribution implique la consommation des biens par la maisonnée, mais aussi ses échanges, qu’il est possible de séparer entre intramaisonnée et intermaisonnées. Par le concept de transmission, on considère les processus d’héritage et de legs de biens matériels, objets ou terres, mais également de biens immatériels comme des titres (Douglass et Gonlin 2012). On peut distinguer deux types de reproduction qui ont pour objectifs d’assurer la pérennité de la maisonnée. Le premier est physique et a pour but d’accroître et entretenir le nombre d’individus dans la maisonnée. Le second est plus social et comporte les mécanismes d’enseignement, éducation et d’apprentissage des savoirs et techniques. Enfin, avec la fonction de co-résidence, on fait référence au fait que plusieurs personnes, sans forcement de liens de sang ou de parenté, peuvent résider dans la même maisonnée. Cette notion peut varier suivant les cultures et être utilisée pour différencier les maisonnées entre elles.

Les deux premières fonctions définies par Wilk et Rathje (1982) et reprises jusqu’à aujourd’hui (Hirth 2009 ; Douglass et Gonlin 2012 ; Foster et Parker 2012) démontrent bien l’importance de la dimension économique dans la maisonnée (Steadman 1996). Selon Wilk et Netting (1984), la fonction de production vise aussi à accroître la valeur des ressources à la disposition de la maisonnée. Selon Hirth (2009), une maisonnée en bonne « santé » a une bonne économie et une forte production de biens. Selon cette vision, tout est bénéfique à produire en quantité et en diversité pendant toutes les périodes de l’année. Certains auteurs ont une vision plus nuancée et soulignent l’importance de ne pas envisager les maisonnées seulement comme des unités de production au sein d'une société (Tobey 2002).

L’archéologie de la maisonnée représente un défi pour les archéologues qui fouillent, non pas les maisonnées, mais uniquement leur composante matérielle. Wilk et Rathje (1982) soulignent que « material culture can be thought of as a shell whose form

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l’analyse de la culture matérielle, des artéfacts, de l’architecture qu’il faut déduire les composantes démographique et comportementale des maisonnées (Kent 1990 ; Tobey 2002). La production de biens, leur consommation, la spécialisation des tâches et leur répartition dans l’espace selon le genre sont des aspects qu’il est tout particulièrement possible de reconstituer par l’identification des aires d’activités au sein d’un habitat (Gougeon 2012). Les données ethnographiques peuvent aussi aider à la reconstitution des composantes sociales d’une maisonnée (Allison 1999 : 2). Dans le cas où, comme pour le sud-ouest de l’Alaska, de nombreuses études anthropologiques et ethnographiques sont disponibles, il est possible d’en tirer des informations sur les pratiques domestiques.

L’Arctique a fait l’objet de nombreux travaux en sciences sociales qui visaient à comprendre la répartition hommes/femmes des activités et le statut qui découlaient de ces pratiques (Ackerman 1990 ; Bodenhorn 1990 ; Dionne 2013 ; Frink 2007, 2009 ; Jarvenpa et Brumbach 2006 ; LeMoine 2003 ; Whitridge 2002). Du point de vue archéologique, il peut être difficile de percevoir des manifestations du genre dans la culture matérielle et les restes d’os humains.

Le genre est un élément très important à considérer dans les études sur les maisonnées (Brumfiel et Robin 2008 ; Tobey 2002), et ce particulièrement dans les sociétés de la préhistoire (Douglass et Gonlin 2012), car il est un facteur décisif dans la division des tâches et la coopération, par exemple pour la préparation des aliments (Hendon 1996) ou le traitement des peaux (voir par exemple Dionne 2013). Il est lié de près à l’organisation des sociétés et à de nombreuses pratiques sociales (Whitridge 2002 : 168).

Dans les études qui portent sur le genre, de nombreux lieux communs existent. Brumfiel et Robin (2008) en présentent trois, qui « colorent » la compréhension globale des données archéologiques : (1) les modèles du genre et des activités sont binaires, (2) les routines du travail domestique sont immuables, même s’il y a des changements économiques importants qui se produisent, et (3) le genre constitue un axe important de l’organisation sociale. Ces auteures nous invitent à reconsidérer ces postulats qu’elles jugent occidentaux et ethnocentriques. Elles proposent que, dans le passé, les

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considérations sur le genre n’étaient pas forcément les mêmes qu’aujourd’hui. De plus, il est possible que les sociétés décrites par l’ethnographie soient déjà transformées par le contact avec les Occidentaux et offrent une fausse vision de la division des tâches. Depuis les 20 dernières années, plusieurs travaux, notamment dans le sud-ouest de l’Alaska, visent à explorer plus précisément l’organisation des sociétés circumpolaires selon le genre en essayant de se détacher de ces principes occidentaux et ethnocentriques (Frink 2005 ; 2007).

Présentation de la problématique

À partir de la présentation des différentes études qui portent sur les modes de vie des peuples de l’Arctique, plusieurs constats apparaissent. Les sites de chasseurs-cueilleurs de la zone circumpolaire les plus investigués par les archéologues sont les maisons semi-souterraines hivernales. Cependant, au vu de l’immensité du territoire arctique, le nombre d’habitations analysées reste restreint. À partir des différents travaux menés sur ces bâtiments, les modes de vie des humains du passé peuvent être en partie reconstitués. La culture matérielle, les restes fauniques et l’architecture sont les éléments les plus utilisés pour aborder l’organisation intérieure des maisons et les moyens de subsistance. Les analyses spatiales, qui peuvent préciser la répartition des activités dans l’espace domestique, sont toutefois rares et plus souvent réalisées à partir des restes lithiques. Cependant, l’emploi unique de la culture matérielle dans les habitations ne permet pas d’aborder les questions liées aux conditions de vie. L’approche archéoenvironnementale apparait alors comme étant un bon moyen de remédier à cette lacune. De nombreux travaux, qui emploient plusieurs de ces méthodes, montrent la possibilité d’étudier de manière générale la relation entre l’humain et son environnement, mais également de mieux comprendre certaines activités comme la préparation de la nourriture, l’exploitation des ressources naturelles et les pratiques hygiéniques.

L’archéoentomologie est une méthode récemment employée pour étudier des établissements de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique. Elle possède un fort potentiel pour aborder des questions de recherche ayant trait aux modes et aux conditions de vie des

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humains du passé (Forbes et al. 2014, 2017). Quelques études, principalement au Labrador et au Groenland, ont été entreprises pour comprendre l’organisation spatiale de certains sites archéologiques (Dussault 2011 ; Dussault et al. 2014b ; Lalonde 2020 ; GAIA 2016, 2017). L’ensemble des travaux réalisés dans cette région montre qu’il serait possible d’utiliser cette méthode pour mieux comprendre d’autres établissements humains. Cependant, aucune recherche archéoentomologique qui porte sur un site de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique n’a encore tenté une analyse spatiale qui prendrait en compte les restes des coléoptères et les restes des ectoparasites.

Le site de Nunalleq apparait comme étant un bon candidat pour aborder une problématique qui traiterait de l’analyse des restes d’insectes pour comprendre les modes et les conditions de vie des groupes de chasseurs-cueilleurs. En effet, la qualité exceptionnelle de préservation des écofacts dans les niveaux de sols permet l’emploi de plusieurs méthodes issues de l’archéologie environnementale, dont fait partie l’archéoentomologie. L’étude préliminaire menée par Forbes et al. (2015) souligne abondamment les données potentielles qu’une analyse spatiale réalisée à partir des restes entomologiques apporterait. De nombreux aspects de la vie des Yupiit pourraient être précisés, comme la répartition des activités au sein de l’espace domestique, l’utilisation des ressources locales ou encore l’impact environnemental d’une société de chasseurs-cueilleurs. De plus, les publications ethnologiques abondantes dans la région fournissent plusieurs éléments sur les modes de vie des Yupiit de la période historique. Il peut donc être intéressant de confronter ces données avec des observations archéologiques sur un établissement de la préhistoire récente pour tenter de mieux comprendre comment les Yupiit vivaient à cette période. De nombreuses questions méthodologiques sur l’efficacité des coléoptères pour analyser les activités sur des sites de chasseurs-cueilleurs restent également en suspens et sont à explorer.

L’ensemble de ces réflexions conduit à l’élaboration de la problématique suivante : Dans quelle mesure l’analyse de la faune entomologique du site de Nunalleq peut-elle témoigner de l’organisation des activités quotidiennes et des modes de vie au sein d’un habitat de chasseurs-cueilleurs ?

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Hypothèses de recherche

La problématique de ce mémoire porte sur l’organisation spatiale des habitats des chasseurs-cueilleurs à partir des données archéoentomologiques. À partir du cadre conceptuel, des descriptions anthropologiques et des études archéoentomologiques déjà réalisées dans l’Arctique, une hypothèse de travail peut être émise. Son but va être de proposer un modèle prédictif de la signature entomologique des activités qui ont pu être effectuées sur le site de Nunalleq.

Tout d’abord, il faut mentionner que le plan de l’habitation, qui sera présenté dans une partie ultérieure, est particulier, dans le sens où il ne correspond pas aux descriptions fournies par les ethnologues (Lee et Reinhardt 2003). Par conséquent, on s’attend à observer une organisation interne du bâtiment qui sera différente de celle des autres habitations de l’Arctique étudiées par les archéoentomologues (Dussault 2011 ; Dussault et

al. 2014b ; Lalonde 2020 ; GAIA 2016, 2017). Ces travaux menés dans des contextes

domestiques ont pour sujet des maisons qui se situent au Groenland ou dans l’Arctique de l’Est. Bien que partageant certains traits culturels en commun, l’organisation sociétale des Yupiit et des Inuits est bien distincte, ce qui laisse supposer que certains éléments, telle la présence du chien dans l’habitation ou la fonction du tunnel d’entrée seront spécifiques à Nunalleq.

L’étude des restes d’ectoparasites recèle un fort potentiel pour étudier les maisonnées yup’ik et pourrait donc expliquer plusieurs phénomènes qui s’y déroulent. La présence du chien dans l’habitation fait partie de ces aspects et on suppose que cette espèce était cantonnée au tunnel d’entrée (Lantis 1990). Cependant ces animaux, probablement les chiots, auraient pu avoir accès à l’intérieur de la maison. La répartition des poux humains dans les sols peut témoigner d’un certain nombre de pratiques domestiques et hygiéniques. On postule donc qu’il serait possible d’identifier des activités comme l’épouillage à la main ou avec un peigne. Chez les Yupiit, la gestion des poux comporte également le traitement des cheveux à l’urine et l’exposition des vêtements au froid pour faire geler les parasites (Fienup-Riordan 2017).

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Le site de Nunalleq est un site de chasseurs-cueilleurs de l’Arctique, ce qui suppose l’absence d’espèces d’insectes synanthropiques dans les échantillons, mis à part le pou de l’homme (Pediculus humanus). Par conséquent, la faune entomologique devrait ressembler fortement à celle de l’environnement local, élément qu’il est possible de prévoir à partir des articles déjà publiés sur le site (Forbes et al. 2015 ; Forbes et Sikes 2018 ; Forbes et al. 2019). À l’instar des établissements inuits et inughuits de l’Atlantique Nord, on s’attend également à avoir une forte proportion de taxons qui vivent dans la matière organique en décomposition (Forbes et al. 2014). Cette matière peut être créée par de multiples activités humaines. Localiser d’éventuelles aires de travail à partir des restes de coléoptères ne sera probablement pas possible, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la présence de matière organique en décomposition n’est pas le résultat d’une activité particulière, car elle peut être créée par plusieurs pratiques différentes. De plus, il est fort probable qu’une aire de travail ne soit pas, par définition, quelque chose de précis, c’est-à-dire que plusieurs activités peuvent se dérouler au même endroit à différents moments de l’année et par différentes personnes, brouillant par conséquent l’interprétation des restes d’insectes. Il faut noter également que bien des pratiques ont pu se dérouler à l’extérieur du bâtiment pour profiter de la lumière et ne pas « souiller » son intérieur. Ainsi, certaines activités, comme le traitement des peaux à l’urine ou la préparation des poissons pour la conservation, ne pourront pas être perçues par les restes entomologiques issus des sédiments de la maison, car elles se produisaient au-dehors (Fienup-Riordan 2007). Enfin, il est possible que la nature même de l’habitation, qui est entièrement construite avec des matériaux périssables, influence la quantité et la répartition de la matière organique en décomposition dans les sédiments de la maison. Cependant, les restes de coléoptères devraient pouvoir témoigner des conditions environnementales à l’intérieur de l’espace domestique. Ils pourraient donc préciser les conditions de vie des habitants du site.

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Organisation du mémoire

Ce mémoire de maîtrise est structuré en quatre chapitres. Le premier a pour objectif de contextualiser la recherche sur le site de Nunalleq et comporte une description du sud-ouest de l’Alaska d’un point de vue géographique et historique. Il est principalement construit à partir des données anthropologiques et ethnographiques disponibles pour la région. L’ensemble de ces sources sont mises à profit pour décrire les modes de vie des Yupiit du delta du Yukon et du Kuskokwim. Les fouilles archéologiques menées à Nunalleq sont également présentées dans cette partie. Le second chapitre contient les renseignements sur les méthodes utilisées pour réaliser l’analyse spatiale de l’habitation, depuis les différentes étapes du traitement des échantillons jusqu’aux méthodes analytiques employées. La troisième section du mémoire contient les résultats de toutes les analyses réalisées. La description du sédiment des prélèvements, les taxons identifiés, le nombre d’insectes et les graphiques figurent donc dans cette partie. Le dernier chapitre présente les interprétations qu’il a été possible de formuler à partir de l’assemblage entomologique. Enfin, la conclusion fait un retour sur la question de recherche et propose des pistes de réflexion pour des recherches futures.

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Chapitre 1 : Le site de Nunalleq : mise en contexte

géographique, chronoculturelle et archéologique

1.1 L’environnement du delta du Yukon et du Kuskokwim

Le site de Nunalleq (GND-248) se trouve dans le sud-ouest de l’Alaska, plus particulièrement sur le delta des fleuves Yukon et Kuskokwim (figure 1). Ce vaste territoire s’étend du détroit de Norton (Norton Sound) au nord jusqu’à la baie de Bristol (Bristol Bay) au sud. Il est bordé au sud-est par les montagnes Ahklun et à l’est par les montagnes Kuskokwim. D’un point de vue géomorphologique, le delta du Yukon et du Kuskokwim est formé par l’apport de nombreux sédiments limoneux (Alaska Department of Fish and Game 2006). Seulement quelques collines de basalte et d’anciens cônes volcaniques de moins de 120 mètres d’altitude donnent du relief à cette région qui est globalement plate (Alaska Department of Fish and Game 2006).

L’environnement du delta du Yukon et du Kuskokwim est caractéristique de la toundra humide. On trouve, à certains endroits, un pergélisol sporadique et à d’autres un pergélisol continu (Jorgenson et al. 2008). Sur le delta, l’eau est omniprésente et le territoire est parsemé de nombreux lacs, de rivières et d’étangs. Ces phénomènes ont tendance à favoriser l’apparition et la conservation de sols organiques (Alaska Department of Fish and Game 2006). En raison de la forte humidité, le climat n’est pas strictement polaire, comme au nord-ouest de l’Alaska, mais plus tempéré. Les températures moyennes annuelles de la région fluctuent entre -1 et -4C° (Alaska Department of Fish and Game 2006).

Le couvert forestier sur le delta est limité, voire inexistant. Il consiste majoritairement en des populations de saules (Salix), d’aulnes (Alnus) et de bouleaux (Betula) (Babcock et Ely 1994 ; Viereck et al. 1992). On trouve aussi quelques essences de résineux le long des cours d’eau. La forêt boréale à proprement parler commence plus à l’est, à partir des monts Kuskokwim (Alaska Department of Fish and Game 2006). Sur le delta, la végétation dominante comprend un ensemble de graminées associées à l’eau

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(notamment les Carex), des buissons et des mousses caractéristiques des environnements humides (Babcok et Ely 1994).

Toutes les conditions environnementales créent des niches écologiques occupées par de nombreuses espèces animales (Jorgenson 2000). Sur les côtes, on trouve de grandes populations de phoques (Phocidae) ainsi que d’autres mammifères marins comme les morses (Odobenus rosmarus) et les bélugas (Dephinapterus leucas). Les rivières et cours d’eau qui parcourent le delta supportent parmi les populations de saumons les plus importantes de la planète. Dans les lacs, de nombreuses espèces de poissons cohabitent, dont des brochets (Esox), des corégones (Coregonus) et des truites (Oncorhynchus). Le sud-ouest de l’Alaska est également un endroit où viennent nicher des milliers d’oiseaux, en particulier à proximité des côtes (Alaska Department of Fish and Game 2006). L’intérieur des terres est parcouru par de grands mammifères comme les ours bruns (Ursus

arctos), les loups (Canis lupus) et les caribous (Rangifer tarandus). Des animaux à fourrure

plus petits sont aussi présents sur l’ensemble du delta, par exemple les loutres communes (Lutra canadensis), les castors (Castor canadensis) et les rats musqués (Ondatra

zibethicus).

1.2 Cadre chronologique : Des premiers peuplements au contact avec les explorateurs russes

1.2.1 Les premiers mouvements de population dans la zone du détroit de Béring Tout au long de la préhistoire, plusieurs mouvements de populations s’opèrent dans la région du détroit de Béring, qui fait office de pont entre les continents asiatique et nord-américain. Il constitue donc un endroit stratégique pour étudier les migrations humaines et les premiers peuplements de l’Amérique. Le lien entre ces deux continents est illustré par plusieurs analyses génétiques récentes, qui soulignent l’affinité des populations actuelles de l’Alaska avec celles qui vivent dans le nord-est de la Sibérie (Rubicz et Crawford 2016). Le détroit de Béring aurait été emprunté dès la fin du Pléistocène, il y a approximativement de 20 000 à 15 000 ans, par les premiers êtres humains à venir en Amérique, en provenance de la Sibérie Orientale (Dillehay 2009). Certaines conditions

Figure

Figure 2. Origines potentielles des insectes mis au jour dans une habitation norroise (d'après  Buckland 2000)
Tableau 1. Calendrier saisonnier des habitants de Quinhagak (modifié et traduit d'après Wolfe et al
Figure 6. Exemple de maison semi-souterraine à Ignituk (d'après Nelson [1899]).
Figure 10. Préparation et séchage du poisson (d'après Barker 1993).
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