cadre dynamique
Le mod`ele propos´e par Barberis, Shleifer et Vishny (1998) diff`ere de l’approche pr´ec´edente. Les erreurs de comportement que l’investisseur peut r´ealiser ne sont plus exog`enes mais d´ependent des signaux successifs re¸cus. Ainsi, une s´equence de si- gnaux de mˆeme type va conduire l’investisseur `a supposer l’existence d’un “trend”, et conduire ainsi `a un “biais de repr´esentativit´e”. Une suite de signaux alternatifs va renforcer l’id´ee de stationnarit´e du processus et conduire `a un ph´enom`ene d’ancrage aux informations pass´ees.
Les occurrences de l’un des deux biais mais ´egalement leurs caract´eristiques (par exemple l’intensit´e avec laquelle le biais “s’exprime” chez l’investisseur) d´ependent ainsi de facteurs endog`enes au mod`ele et ne sont influenc´ees que par la s´equence des signaux successifs re¸cus. En ce sens, le mod`ele propos´e par Barberis, Shleifer
et Vishny (1998) peut ˆetre consid´er´e comme “dynamique”, par opposition au mod`ele pr´esent´e pr´ec´edemment. Dans ce dernier cas, le biais d’exc`es de confiance ´etait suppos´e ind´ependant des signaux re¸cus par les investisseurs.
A
Hypoth`eses
Le mod`ele suppose l’existence d’un investisseur unique, repr´esentatif de l’ensemble du march´e. La valeur de l’actif risqu´e est suppos´ee suivre un processus al´eatoire, “sans m´emoire”. L’investisseur r´ealise des erreurs d’interpr´etation d’un signal s, car il se fonde en partie sur la s´equence des signaux pass´es.7
La valeur de l’actif (risqu´e) peut ˆetre d´efinie par la somme des flux futurs actua- lis´es (au taux fixe δ). Sachant que les flux futurs suivent un processus al´eatoire sans “trend”, la vraie valeur `a l’instant t est not´ee υt :
υt=
Nt
δ (3.13)
L’investisseur re¸coit `a la date t le signal st qui prend, de mani`ere al´eatoire, la
valeur −y ou +y :
st = Nt− Nt−1
st∈ {−y; +y}
(3.14)
Il apparaˆıt donc que la vraie valeur de l’actif suit un processus al´eatoire. L’investis- seur, cependant, m´econnaˆıt ce fait et suppose deux ´etats de la nature alternatifs, l’un ´
etant caract´eris´e par un processus de retour `a la moyenne, l’autre ´etant repr´esentatif d’un march´e haussier ou baissier `a travers l’existence d’un trend. L’´evaluation de l’actif risqu´e aux yeux de l’investisseur diff`ere naturellement d’un ´etat `a l’autre.
Le signal st influence le raisonnement de l’investisseur `a deux niveaux :
7Nous utiliserons une formulation de la valeur de l’actif l´eg`erement diff´erente de la version ori- ginale de Barberis, Shleifer et Vishny (1998). Cette modification repose sur la volont´e de pr´esenter l’ensemble des mod`eles de mani`ere coh´erente.
– en premier lieu, le signal permet de d´eterminer une nouvelle valeur υt par ac-
tualisation ;
– en second lieu, le signal va modifier la vraisemblance de chacun des deux ´etats de la nature.
Le dernier argument est particuli`erement important et m´erite des explications suppl´ementaires. A un instant donn´e, le march´e peut paraˆıtre soit stationnaire, soit haussier/baissier pour l’investisseur irrationnel. Ces deux ´etats ´etant exclusifs l’un de l’autre, l’investisseur utilise les signaux successifs afin de d´eterminer l’´etat dans lequel le march´e se trouve `a l’instant t.
Ainsi, une suite de signaux positifs (+y) augmente la vraisemblance d’un “trend” (haussier ou baissier), alors qu’une succession de signaux alternatifs indique davan- tage l’´etat de la nature, qui correspond au processus stationnaire. A chaque signal s, l’investisseur corrige la probabilit´e d’ˆetre dans chacune des deux configurations. Le prix d’´equilibre pour la p´eriode est alors la moyenne pond´er´ee des deux ´evaluations de l’actif risqu´e, les pond´erations provenant de la vraisemblance de chacun des deux mod`eles.
B
R´evision des croyances concernant l’´etat de la nature et
´
emergence des biais
Comme nous l’avons soulign´e plus haut, l’arriv´ee d’un signal modifie l’anticipation des flux futurs `a travers deux ´el´ements. D’une part, le signal st modifie la vraisem-
blance de chacun des deux r´egimes, d’autre part, le signal st est int´egr´e dans les
deux mod`eles d’´evaluation afin obtenir l’esp´erance de la somme des flux futurs et ce, conditionnellement `a la vraisemblance de chacun des deux ´etats ou r´egimes. Nous ´
1 Vraisemblance de chacun des deux r´egimes
A l’arriv´ee du premier signal, les deux r´egimes sont ´equiprobables. Ainsi, aux yeux de l’investisseur, il est aussi probable que le r´egime 1, qui pr´evoit une alternance entre les r´esultats positifs et n´egatifs, r´egisse l’occurrence du prochain r´esultat que le r´egime 2, qui suppose un “trend”. Nous noterons qt la probabilit´e `a l’instant t que
l’´etat de la nature soit caract´eris´e par le r´egime de retour `a la moyenne. Compte tenu de l’existence de biais cognitif, il ne s’agit pas d’une probabilit´e objective, r´eelle, mais de la croyance erron´ee de l’investisseur.
Supposons que le signal s0 soit positif. La probabilit´e qu’il soit dˆu `a l’un comme
`
a l’autre des r´egimes est identique et ´egale `a 0.5 :
q0 = q0 = 0.5 (3.15)
A partir du deuxi`eme signal, cette probabilit´e q va ˆetre modifi´ee : si le deuxi`eme signal est ´egalement positif, la probabilit´e que le mod`ele de “trend” g´en`ere les b´en´efices augmente au d´etriment du mod`ele de “retour `a la moyenne”.
Notons et l’´etat de la nature `a l’instant t :
et= 1 si le mod`ele 1 (retour `a la moyenne) r´egit les b´en´efices et
et= 2 si le mod`ele 2 (trend) r´egit les b´en´efices
(3.16)
La probabilit´e q1 qu’`a la date t = 1 le mod`ele 1 g´en`ere les b´en´efices est fonction
du signal pr´esent s1, du signal pass´e s0 et de la probabilit´e q0 :
q1 = P rob (e1 = 1|s1, s0, q0) (3.17)
Il est possible d’exprimer cette probabilit´e conditionnelle en fonction des probabi- lit´es de transition entre les deux r´egimes et des probabilit´es d’occurrence de signaux positifs ou n´egatifs dans chacun des deux r´egimes et de g´en´eraliser cette expression
aux dates t et t + 1 :8
qt+1=
(1 − λ1) × qt+ λ2× (1 − qt) × P r(st+1|et+1 = 1)
P r(st+1|et= 1) × ((1 − λ1)qt+ λ2(1 − qt)) + P r(st+1|et= 2) × (λ1qt+ (1 − λ2)(1 − qt))
(3.18)
Nous reproduisons ci-dessous un tableau de Barberis, Shleifer et Vishny (1998), qui illustre l’application de cette formule aux signaux successifs.
Tab. 3.1 – Vraisemblance du r´egime 1 en fonction des signaux s pass´es
t st qt t st qt t st qt t st qt 0 y 0.50 1 -y 0.80 6 -y 0.89 11 y 0.74 16 y 0.89 2 y 0.90 7 -y 0.69 12 y 0.56 17 y 0.69 3 -y 0.93 8 y 0.87 13 y 0.44 18 -y 0.87 4 y 0.94 9 -y 0.92 14 y 0.36 19 y 0.92 5 y 0.74 10 y 0.94 15 -y 0.74 20 y 0.72
Reproduction `a partir de Barberis, Shleifer et Vishny (1998, p.323).
Cet exemple montre comment la probabilit´e subjective qt ´evolue en fonction
des signaux st re¸cus. Une s´erie de signaux alternatifs (dates 0 `a 4) va ren-
forcer la vraisemblance du mod`ele de retour `a la moyenne, ce qui entraˆıne un biais d’ancrage : l’investisseur sur-estime la probabilit´e d’occurrence d’un signal st+1
n´egatif quand st a ´et´e positif et r´eciproquement. Une s´erie de signaux de mˆeme
signe (dates 10 `a 14) entraˆıne au contraire une croyance accrue dans le mod`ele 2, qui suppose qu’un signal est davantage suivi par un signal de mˆeme signe. Cette croyance est propre au biais de repr´esentativit´e. Ainsi, la formation et l’ajustement
8Les variables λ
(·) correspondent aux probabilit´es de transition et figurent en annexe. La proba- bilit´e d’occurrence du signal st+1est exprim´ee conditionnellement `a l’´etat de la nature et+1et not´ee P r(st+1|et+1= 1, 2).
des croyances dans le mod`ele propos´e par Barberis, Shleifer et Vishny (1998) per- mettent de mod´eliser simultan´ement, dans le cadre d’un mod`ele dynamique, deux types de biais diff´erents.
2 Calcul de l’esp´erance conditionnelle des flux futurs
La croyance qtpeut s’analyser comme l’ensemble d’information disponible `a la date
t. Elle contient implicitement toute l’information subjective (car mal interpr´et´ee), contenue dans les signaux pass´es.
L’investisseur utilise cette croyance subjective afin de d´eterminer l’esp´erance des flux futurs. Ces derniers sont ´egaux `a la somme des flux calcul´es avec le mod`ele d’´evaluation sous-jacent `a chacun des deux r´egimes, pond´er´es par la vraisemblance du r´egime consid´er´e.
Sur le plan math´ematique, Barberis, Shleifer et Vishny (1998) ont recours `a une matrice, construite `a partir des probabilit´es de transition entre les deux r´egimes et des probabilit´es d’occurrence de variations positives ou n´egatives du b´en´efice. Cette ma- trice, ´elev´ee `a la puissance j, permet le calcul des probabilit´es associ´ees aux r´esultats futurs St+j `a partir des croyances `a la date t.
Ainsi, l’esp´erance de la variation de b´en´efice `a la date t + j est exprim´ee condi- tionnellement `a l’ensemble d’information Φt. Not´ee Et(yt+j|Φt), elle est ´egale `a :9
Et(yt+j|Φt) = st γ0Qjqt + (−st) γ0Qjqt
(3.19)
Cette estimation permet `a l’investisseur de d´eterminer le flux futur esp´er´e `a la date t + j puis de calculer la somme de l’ensemble des flux futurs actualis´es.
C
D´etermination du prix d’´equilibre
9Dans un souci de clart´e, nous n’avons pas faire apparaˆıtre ici les formulations exactes des vecteurs γ, γ et Q. Elles figurent `a l’annexe C-2.
Dans le cadre th´eorique retenu par Barberis, Shleifer et Vishny (1998), la valeur de l’actif correspond `a la somme des flux futurs actualis´es. L’investisseur irrationnel d´etermine la valeur de l’actif de la mˆeme fa¸con, mais se base sur des flux futurs erron´es, car il suppose l’existence des deux r´egimes alternatifs. En notant Nt le flux
associ´e `a la p´eriode t, ils d´eterminent le prix d’´equilibre Pt :
Pt= Et Nt+1 1 + δ + Nt+2 (1 + δ)2 + · · · (3.20)
Les auteurs montrent que le prix d’´equilibre correspond alors `a :10
Pt=
Nt
δ + st(p1− p2) (3.21)
Compte tenu des hypoth`eses initiales, les variations successives de b´en´efice, cor- respondant aux signaux st, sont al´eatoires. Une variation positive (s = −y) est alors
aussi probable qu’une variation n´egative (s = y). Dans ce contexte, l’esp´erance du flux futur Nt+1 est ´egale au flux Nt. Le prix d’´equilibre rationnel, not´e Ptr, est ´egal `a
la somme des flux futurs actualis´es :
Ptr = Nt
δ (3.22)
Il apparaˆıt alors que le valeur de l’actif, d´etermin´ee par un investisseur irrationnel au sens de Barberis, Shleifer et Vishny (1998), diff`ere du r´ef´erentiel rationnel. Ce diff´erentiel s’obtient `a partir des ´equations (3.21) et (3.22) :
Pt− Ptr = st(p1− p2) (3.23)
Il est fonction du signal actuel st et des param`etres p1 et p2, qui sont d´etaill´es
en annexe. Les auteurs d´eterminent alors un ensemble de param`etres inh´erents au mod`ele, qui conduisent `a l’apparition de ph´enom`enes de sous- et de sur-r´eactions. Ces param`etres sont relatifs aux probabilit´es de transition entre les r´egimes suppos´es par l’investisseur irrationnel et les probabilit´es subjectives d’occurrence de variations de b´en´efice positives ou n´egatives.
10Les formulations exactes des param`etres p
Conclusion de la section
Dans le cadre th´eorique propos´e par Barberis, Shleifer et Vishny (1998), le signal re¸cu par l’investisseur (unique et repr´esentatif) est parfait. Cependant l’investisseur croit en l’existence de deux mod`eles (r´egimes) alternatifs, qui influencent la formation des b´en´efices. Le signal est utilis´e pour inf´erer la vraisemblance de chacun des deux r´egimes. L’investisseur utilise l’historique des signaux pass´es `a travers un syst`eme de r´evision des croyances de type bay´esien. Chaque nouveau signal entraˆıne une r´evision des croyances de l’investisseur sur la vraisemblance de l’un ou l’autre des deux r´egimes. Le prix que l’investisseur va d´efinir `a travers les mod`eles associ´es `a chacun des r´egimes est une moyenne pond´er´ee entre les deux anticipations de prix qui r´esultent de l’uti- lisation des deux mod`eles d’´evaluation.
Dans un cas, l’investisseur sur-estime la stationnarit´e des b´en´efices (mod`ele de retour `a la moyenne), dans l’autre, il la sous-estime (mod`ele de “trend”). Il en r´esulte `
a la fois des d´ecalages temporels dans l’ajustement du prix aux signaux re¸cus et des mouvements de prix importants, qui traduisent respectivement les ph´enom`enes de sous- et sur-r´eaction du march´e `a l’information.
L’attrait du mod`ele est incontestable sur le plan de la formalisation des erreurs de comportements endog`enes. Ces derniers reposent sur l’existence de deux r´egimes alternatifs et conduisent `a formuler le prix d’´equilibre sous la forme d’un processus (complexe) `a m´emoire. Cette particularit´e interdit toutefois une analyse th´eorique du prix d’´equilibre sous la forme (traditionnelle) d’esp´erance-variance. Par ailleurs, les param`etres endog`enes du mod`ele, qui permettent de g´en´erer des sous- et sur-r´eactions ne sont que difficilement transposables en pratique, rendant une v´erification empirique du mod`ele difficile.
Conclusion du chapitre
des mod`eles de formation des prix prenant en compte un comportement non parfai- tement rationnel des agents ´economiques. Ces mod`eles permettent de comprendre de mani`ere th´eorique la formation des prix sur les march´es financiers et la dynamique des cours. Pour cela, ils se fondent sur des erreurs de comportement typiques, les biais de comportement.
Chacun des mod`eles propos´es apparaˆıt cependant comme sp´ecifique `a un (ou, au plus, deux) biais cognitif(s) et il est difficile, voire impossible, de l’appliquer `a un autre biais sans modifier profond´ement les hypoth`eses du mod`ele. Or, un mod`ele g´en´eral permettrait de comparer directement les biais entre eux, notamment leurs caract´eristiques et leurs cons´equences sur la formation des prix.
Nous avons choisi de pr´esenter, dans le cadre de ce chapitre, deux mod`eles que l’on peut consid´erer comme repr´esentatifs, car particuli`erement diff´erents. Daniel, Hirsh- leifer et Subrahmanyam (1998) proposent un cadre statique, simple et qui permet une approche analytique, `a l’instar des mod`eles en microstructure des march´es. Bar- beris, Shleifer et Vishny (1998) adoptent une structure dynamique, plus complexe, et arrivent ainsi `a mod´eliser deux biais de comportement de mani`ere simultan´ee. Ce- pendant, la richesse du mod`ele sur ce plan n’a pu ˆetre obtenue qu’au d´etriment de la formalisation analytique.
C’est en partie pour palier l’extrˆeme sp´ecificit´e des mod`eles existants, que nous nous proposons, dans le chapitre suivant, d’exposer un cadre de mod´elisation th´eorique diff´erent. Il doit permettre, au travers d’un certain nombre de param`etres, de mod´eliser plusieurs biais cognitifs de mani`ere individuelle et d’analyser, sur le plan th´eorique, leurs cons´equences respectives sur les caract´eristiques des cours.
Proposition d’un mod`ele de
formation des prix en pr´esence
d’investisseurs irrationnels
Introduction du chapitre
Au cours du chapitre pr´ec´edent, plusieurs mod`eles th´eoriques propos´es par le courant de finance comportementale ont ´et´e pr´esent´es. Comme nous l’avons soulign´e, ces mod`eles se caract´erisent par une certaine h´et´erog´en´eit´e, sur le plan des hypoth`eses relatives aux agents ´economiques et des structures de march´e. Cette diversit´e des cadres th´eoriques est li´ee aux sp´ecificit´es des biais cognitifs, et notamment `a leurs conditions d’occurrence : certains biais ne se manifestent que dans des situations particuli`eres.1
Mais cette h´et´erog´en´eit´e rend difficile voire impossible toute comparaison entre les effets des diff´erents biais sur la formation des prix. C’est pour cette raison que nous avons ´elabor´e un mod`ele th´eorique g´en´eral, qui permet la mod´elisation de biais diff´erents, sans modifier le cadre d’hypoth`eses.
1La dynamique propos´ee par Barberis, Shleifer et Vishny (1998) dans la mod´elisation des biais de repr´esentativit´e et d’ancrage en est une illustration. En effet, les deux biais ne sont jamais pr´esents de mani`ere simultan´ee ; le type de biais dominant (et sa force) r´esulte plutˆot de la s´equence d’infor- mations pass´ees.
La premi`ere section pr´esentera le cadre g´en´eral du mod`ele et la forme fonction- nelle du prix d’´equilibre. Dans une deuxi`eme section, nous introduirons des agents irrationnels et analyserons leur impact sur les caract´eristiques du prix d’´equilibre. Cette analyse est faite sans sp´ecifier de biais cognitif sp´ecifique, mais int`egre deux param`etres, qui traduisent la prise en compte erron´ee de l’information par ces in- vestisseurs irrationnels. Dans le chapitre 5, nous d´eterminerons ces param`etres en fonction du biais cognitif envisag´e.