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Modélisation des représentations mentales et des connaissances de conduite 47

2.4 Les modèles de simulation informatique du conducteur

2.5.4 Modélisation des représentations mentales et des connaissances de conduite 47

Nous avons décrit les principaux modules deCOSMODRIVE, mais ces modules construisent et manipulent des représentations et des connaissances qu'il est nécessaire d'expliciter. Nous allons donc présenter de façon plus précise les concepts de représentations mentales, de schémas de conduite et de zones enveloppes essentiels au fonctionnement du modèle.

2.5.4.1 Les représentations mentales : de la  conscience de la situation  à la prise de décision

Comme le souligne [Richard, 1990] (p. 11) :  Comprendre une situation, c'est se la représen-ter . Les représentations mentales du conducteur ne sont pas des copies exactes de la réalité, elles constituent ( [Bellet, 1998], p.85)  une interprétation (modèle interne) de la situation courante. Elles sont nalisées, c'est-à-dire qu'elles s'inscrivent dans la poursuite d'un objectif particulier et prennent en compte les exigences ponctuelles ou générales de la tâche. C'est par l'entremise de ces représentations mentales fonctionnelles que l'humain interagit dynamiquement avec son environnement, et qu'il s'y adapte. Elles vont intervenir dans le traitement de l'information, comme dans la régulation des comportements du sujet . A la façon des  images opératives  de [Ochanine, 1977], elles intègrent des déformations fonctionnelles augmentant l'importance de certaines informations pour la conduite (l'état de la voie sur laquelle je me déplace, par exemple) et minimisant des détails secondaires pour cette activité (l'état des trottoirs, par exemple). Elles ne contiennent donc qu'une partie de l'information de l'environnement, en privilégiant les infor-mations utiles pour l'activité en cours et l'atteinte des buts visés par le conducteur à cet instant. Mais ces représentations peuvent aussi contenir des informations non présentes dans l'environ-nement à l'instant t, comme des feux perçus de loin mais masqués depuis par la végétation, ou comme l'enfant susceptible d'apparaître derrière le ballon qui vient de surgir devant notre véhicule.

Ainsi dénies, les représentations mentales correspondent à la  conscience de la situation  du conducteur ( [Endsley, 1995], [Bailly, 2004], [Bellet et al., 2009]), et le contenu de ce modèle mental sera fonction de ce qu'il a perçu, intégré et compris de son environnement. A ce titre, elles jouent un rôle central dans le fonctionnement de COSMODRIVE.  En tant que modèles mentaux dynamiques de la situation courante, les représentations vont servir de guide à la réali-sation de l'activité de conduite, en interaction directe avec l'environnement. Elles jouent un rôle central dans le processus de traitement de l'information, qui s'inscrit lui-même dans une boucle de contrôle de l'activité : les représentations pilotent activement les stratégies d'exploration per-ceptive de l'environnement, tout autant qu'elles guident l'activité comportementale, à des ns d'adaptation contextuelle et de régulation dynamique, en continu, de la conduite  [Bellet et al., 2009].

Par ailleurs, l'activité de conduite ne se limite pas à réagir face aux événements. La pression temporelle oblige à anticiper en permanence des situations critiques ou à estimer les risques potentiels associés à une action avant de l'engager. Ce processus d'anticipation repose, dans le modèle COSMODRIVE, sur un processus de déploiement cognitif [Bellet et al., 2009] permet-tant de créer des représentations mentales anticipées à partir de la représentation courante. Ce processus de simulation mentale permet au modèle (comme au conducteur) de se projeter men-talement dans l'avenir et d'anticiper des évolutions futures possibles de la situation de conduite. Il joue par conséquent un rôle essentiel dans la prise de décision, car il permet d'estimer les conséquences potentielles de diérents comportements de conduite susceptibles d'être enclenchés à un moment donné, et de choisir celui dont les eets seront jugés les plus bénéques (selon un principe d'homéostasie inspiré de [Wilde, 1982b]).

Enn, ces représentations mentales sont construites enMDTà partir des informations perçues dans l'environnement routier, mais aussi à partir de connaissances stockées en MLT. Dans le modèle COSMODRIVE, ces connaissances portent tout d'abord sur l'environnement routier : ce sont les schémas de conduite qui permettent au conducteur de structurer l'espace et de se construire une représentation de situation, une fois que les schémas activés en MDT auront été instanciés au réel [Bellet and Tattegrain-Veste, 2003]. Mais d'autres connaissances, modélisées sous la forme de zones enveloppes, jouent aussi un rôle essentiel dans la planication de l'action et dans la gestion des interactions avec les autres usagers.

2.5.4.2 Modélisation des connaissances sur l'environnement routier : les  schémas de conduite 

L'origine du concept de  schéma  en psychologie cognitive vient des travaux de [ Bart-lett, 1932]. Pour cet auteur, un schéma correspond à une structure organisée qui intègre nos connaissances et nos attentes relatives à un aspect quelconque du monde. En d'autres termes, il s'agit d'un modèle qui synthétise, en fonction de l'expérience du sujet, certaines caractéristiques de l'environnement. De ce fait, les schémas facilitent la compréhension du réel, mais peuvent aussi occasionner des déformations de ce réel. La théorie de schémas sera utilisée par [Minsky, 1975], [Minsky, 1988] en intelligence articielle pour permettre à des robots de se déplacer dans un environnement tridimensionnel. En s'inspirant des schèmes de [Piaget and Inhelder, 1975], Minsky dénira le formalisme de frame, permettant de représenter des prototypes d'objets, de situations ou d'environnements. D'autres auteurs insisteront aussi sur la dimension temporelle de ces structures mentales, comme les scripts et les scénarii de [Schank and Abelson, 1977], permettant de décrire une suite temporelle stéréotypique d'événements, ou d'actions.

Inspirés de ces théories, les schémas de conduite deCOSMODRIVEconstituent tout d'abord  un modèle fonctionnel de l'environnement routier  [Bellet, 1998] que va utiliser le conducteur pour découper mentalement l'espace qui l'entoure en diérentes zones : des zones de déplacement permettant de faire évoluer le véhicule sur une trajectoire, et des zones d'exploration perceptive permettant de prélever des informations utiles pour piloter le véhicule. La gure15nous présente un exemple de schéma de conduite correspondant à une situation de Tourne-à-Gauche dans un carrefour à feux [Bellet et al., 2007]. Ce schéma se caractérise tout d'abord par un but tactique à atteindre dans cette infrastructure :  Tourner à Gauche . Ce but correspond à  l'état nal  du schéma (en n de Z4) que devra rejoindre le conducteur à partir de  l'état initial  correspondant à la position du véhicule à l'entrée de l'infrastructure (début de Z1). Un  état  correspond à

2.5. Modélisation et simulation cognitive du conducteur : le modèle COSMODRIVE une  position  et une  vitesse  du véhicule. Pour atteindre ce but tactique, le conducteur va devoir passer par diérents  états intermédiaires  (e.g. : n Z2) en empruntant des  zones de déplacement  (Zi). Les zones de déplacement correspondent aux zones d'évolution du véhicule, et elles dénissent les diérentes  trajectoires  que le véhicule peut suivre pour atteindre l'état nal à partir de l'état initial du schéma. A chaque zone de déplacement sont associées des  actions  à mettre en ÷uvre pour progresser dans l'infrastructure. Ces actions dépendent de  conditions  que le conducteur va devoir vérier en examinant des  zones d'exploration perceptive  (Exi) associées aux diérentes zones de déplacement (en Z1, par exemple, il est nécessaire de regarder Ex1 pour connaître la couleur des feux. Si celle-ci est  rouge , alors la  vitesse  à atteindre en n de Z1 sera de  0 km/h ). Un schéma contient aussi des points de décision, notamment lorsque des trajectoires alternatives sont possibles. Dans la gure15, un exemple de point de décision apparaît en n de Z2, permettant soit d'emprunter la trajectoire de contournement soit la trajectoire d'évitement.

Figure 15  Un schéma de conduite de Tourne-à-gauche dans un carrefour à feux (de [Bellet, 1998])

Une fois activés enMDT, les schémas de conduite sont appariés au réel (processus d'instan-ciation) an de produire la représentation tactique courante de la situation qui servira alors de guide à COSMODRIVE pour progresser dans l'infrastructure routière [Bellet and Tattegrain-Veste, 2003]. Mais pour pouvoir évoluer dans l'environnement routier, il est aussi nécessaire de prendre en compte les éventuels obstacles situés sur sa trajectoire. Pour cela, COSMODRIVE

utilise un second type de connaissances : les zones enveloppes.

2.5.4.3 Modélisation des connaissances d'interaction : les  zones enveloppes  Pour se déplacer dans l'environnement, le conducteur n'a pas seulement besoin de se repré-senter mentalement l'infrastructure routière. Il doit aussi considérer les obstacles qui se trouvent sur sa trajectoire, qu'il s'agisse d'objets statiques situés dans les zones de déplacement, ou qu'il s'agisse d'objets dynamiques (les autres usagers de la route : véhicules, piétons, cyclistes) dont la trajectoire est susceptible de croiser celle de son véhicule. Pour réaliser ces analyses, COSMO-DRIVEutilise des connaissances opératoires fortement intégrées : les Zones Enveloppes.

Ce concept de zone enveloppe se réfère à trois origines théoriques qui s'intègrent mutuellement dans l'approcheCOSMODRIVE. La théorie des marges de sécurité de [Gibson and Crooks, 1938], la théorie des schémas corporels de [Schilder, 1950], et la théorie de la proxémie de [Hall, 1992]. En référence à la théorie des marges de sécurité [Gibson and Crooks, 1938], les zones enve-loppes permettent tout d'abord de maintenir des distances de sécurité avec les autres usagers de la route (par exemple, distances de suivi de véhicule, distances à respecter lorsqu'on se rabat après un dépassement, distances d'interaction lorsqu'on croise la trajectoire d'un autre mobile, etc). A ce niveau, l'approche COSMODRIVE se réfère aux travaux de [Otha, 1993] qui distinguent trois zones : une  zone de danger  dans laquelle aucun objet ne devrait pénétrer, une  zone de menace  qui permettra de mettre le conducteur en alerte face à une menace imminente, et une  zone de sécurité  que le conducteur cherchera en général à préserver.

En référence à la théorie des  Schémas corporels  de [Schilder, 1950], dénissant ces schémas comme  l'image tridimensionnelle que chacun a de soi-même  ( [Schilder, 1968], p.35), les zones enveloppes peuvent être vues comme une  seconde peau  que projetterait le conducteur autour de son véhicule (ainsi considéré comme une extension de son propre corps), permettant ainsi à l'entité conducteur-véhicule de se déplacer dans l'espace sans heurter les obstacles situés sur sa trajectoire.

En référence aux travaux de [Hall, 1992] ayant montré que les distances d'interaction sociale entre les individus reposaient sur des  Bulles de proximité  propres à chaque culture (par exemple, les distances d'interaction homme-femme au Japon et en France sont très diérentes), les zones enveloppes sont aussi utilisées par COSMODRIVEpour gérer socialement les interactions avec les autres usagers : on peut maintenir une distance de courtoisie avec le véhicule qui nous précède ou, au contraire, adopter délibérément une attitude plus agressive en s'approchant très près de lui, pour qu'il accélère ou qu'il nous laisse dépasser.

La gure16représente les diérentes zones enveloppes deCOSMODRIVE. Ces zones ont des dimensions relatives, car leur taille s'exprime en temps de collision entre le véhicule et l'obstacle, et non en une simple distance métrique. Leur dimension varie par conséquent en fonction de la vitesse du véhicule (à 45 km/h, 1 seconde correspondra à une distance de 12,5 mètres, mais cela représentera 25 mètres à 90 km/h).