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Modélisation du processus de construction des représentations tactiques . 61

3.2 Les fonctions cognitives tactiques

3.2.2 Modélisation du processus de construction des représentations tactiques . 61

Dans le contexte de la conduite automobile, comme dans le cadre de toute activité dynamique, l'élaboration de représentations mentales de la situation résulte d'un processus de construction complexe, itératif, et réalisé en interaction avec l'environnement [Bellet et al., 2007]. Une première étape consiste à catégoriser grossièrement l'environnement routier dont on s'approche, en se basant sur les caractéristiques générales de l'infrastructure et sur le contexte situationnel (comme réaliser que l'on s'approche d'une intersection en ville, ou d'un virage en rase campagne). Dans un second temps, les premières connaissances mobilisées vont permettre au conducteur d'orienter sa recherche d'informations vers le recueil de nouveaux indices plus précis lui permettant de particulariser ce premier cadre interprétatif à la situation réelle (pour l'intersection urbaine, par exemple : s'agit-il d'un carrefour à feux, à stop, à priorité à droite ?). Les indices prélevés, ainsi que la prise en considération des buts et des contraintes en provenance du niveau stratégique (la direction à suivre, la contrainte de temps) va alors permettre une catégorisation plus ne de la situation et l'activation d'un schéma de conduite permettant d'atteindre un but spécique (comme tourner-à-gauche dans un carrefour à feux). Une fois transféré en mémoire de travail, ce schéma va être encore particularisé au réel au moyen d'un processus d'appariement entre, d'une part, les attributs qu'il contient et, d'autre part, les données prélevées dans l'environnement (la couleur des feux, par exemple, ou les positions, les vitesses et les trajectoires des autres usagers). D'un point de vue computationnel, ce processus de construction dynamique reposant sur la particularisation du schéma de conduite à la situation réelle peut être déni comme un processus d'instanciation de connaissances. Le terme  instanciation  est emprunté à l'informatique. C'est un anglicisme signiant  créer un élément à partir d'un modèle qui lui sert de moule . C'est par ce mécanisme d'instanciation d'un schéma de conduite qu'il conviendra par conséquent de simuler le processus cognitif d'élaboration des représentations mentales tactiques au niveau de notre modèle de simulation numérique du conducteur. A partir des connaissances plus ou moins génériques et abstraites que représentent les schémas de conduite, il s'agira de générer un premier squelette de la représentation mentale visuo-spatiale du conducteur puis d'apparier ce squelette schématique avec la géométrie des lieux. Cela réalisé, il conviendra d'enrichir ce squelette désor-mais formaté aux caractéristiques réelles de l'infrastructure, de toute la chair des informations et des événements perçus dans l'environnement.

Pour réaliser cette instanciation des schémas de conduite, nous partirons de l'approche conçue par [Mayenobe, 2004] dans le cadre de sa thèse de doctorat. Cette approche repose sur la dénition de  points remarquables . Les points remarquables sont des points de repère visuels de référence (ou des  amers  visuels) portant sur des caractéristiques particulièrement signicatives de l'infrastructure routière. La gure 17 présente des exemples de points remarquables sur une infrastructure réelle : dans une ligne droite de ce type, trois types de points remarquables sont plus particulièrement considérés : les bords de route (séparation trottoir / route), les centres de route (points médians de la rue correspondant à la ligne séparatrice centrale) et les centres de voie (à mi-chemin entre le bord de la route et la ligne séparatrice de la rue). En intersection, le centre de l'intersection et les bordures de trottoirs à l'angle des rues constituent aussi des points remarquables d'importance. La gure 18 présente un exemple de points remarquables contenus dans un schéma tactique, après instanciation de ce schéma avec une infrastructure réelle (via une vue aérienne).

Figure 17  les points remarquables en ligne droite (extrait de [Mayenobe, 2004]) Le processus d'instanciation d'un schéma de conduite consistera donc à faire coïncider les points remarquables contenus dans le schéma cognitif avec des points remarquables prélevés visuellement dans l'environnement.

Figure 18  les points remarquables au carrefour à feux (extrait de [Mayenobe, 2004]) Pour procéder à cet appariement, il n'est pas nécessaire de percevoir tous les points remar-quables. En eet, la plupart des points remarquables contenus dans les schémas peuvent être inférés partiellement les uns des autres, à partir de connaissances générales (comme le fait de savoir que la largeur moyenne des voies de circulation est de 3,50 m., par exemple). Ainsi, il sut de connaître avec précision la position de quelques points remarquables pour pouvoir projeter la géométrie qualitative du schéma sur la géométrie réelle de l'infrastructure, an que ces deux géométries se superposent d'une façon relativement correcte, quitte à procéder à des ajustements plus précis lorsque cela sera nécessaire pour la conduite. Cette première étape réalisée, il devient

3.2. Les fonctions cognitives tactiques alors possible pour le conducteur de projeter mentalement sur l'infrastructure réelle la décompo-sition fonctionnelle de l'espace routier contenue dans le schéma de conduite, c'est-à-dire les zones de déplacement et les zones d'exploration perceptives. Cela lui permet d'observer activement l'environnement et d'intégrer les objets dynamiques dans son modèle mental.

A l'issue de cette phase d'instanciation du schéma tactique, le conducteur dispose d'une représentation mentale de la situation de conduite courante lui permettant de progresser dans l'environnement et d'interagir dynamiquement avec les autres usagers de la route. De là pourront en eet s'enclencher les procédures associées à chacune des zones de déplacement et/ou d'explo-ration perceptive du schéma tactique, à charge du conducteur de s'assurer en permanence de la validité de cette représentation mentale et de détecter les changements situationnels (en fonction des événements mais aussi des actions qu'il engage) nécessitant sa mise à jour, ou l'élaboration d'une nouvelle représentation basée sur un nouveau schéma. C'est sur la base de cette repré-sentation tactique courante que le conducteur va pouvoir décider, parmi les diérentes actions alternatives contenues dans le schéma, de celle à mettre en ÷uvre dans le contexte situationnel du moment. Toutefois, pour prendre ces décisions, il a besoin d'anticiper l'évolution de la situation.

3.2.3 Modélisation du processus d'anticipation

L'anticipation est le processus cognitif qui permet au conducteur de se projeter mentalement dans l'avenir, soit pour anticiper la survenue d'événements potentiellement critiques, soit pour apprécier les eets ou la dangerosité potentielle des actions de conduite susceptibles d'être en-gagées. Cette capacité est essentielle dans la mesure où, sans anticipation, le conducteur serait contraint de ne fonctionner que sur un mode réactif, ce qui lui laisserait peu de chance de survie dans un univers dynamique soumis à une très forte pression temporelle.

La modélisation du processus d'anticipation au niveau tactique du modèle COSMODRIVE

repose sur un processus de  simulation mentale  en charge de dériver, à partir de la Représen-tation Tactique Courante (RTC), des ReprésenReprésen-tations Anticipées (RA) correspondant à des états futurs-possibles de l'environnement à T + x. C'est sur la base de ces représentations anticipées que seront prises la plupart des décisions visant à spécier l'action à mettre en ÷uvre.

Du point de vue cognitif, [Bellet et al., 2009] décrivent ce processus comme un déploiement cognitif reposant sur  l'exécution mentale  du schéma tactique en cours d'exécution (au-delà, il s'agira plutôt de catégoriser l'infrastructure pour activer un nouveau schéma plus approprié au contexte). L'anticipation tactique revient ainsi à se projeter dans le futur du schéma tactique, selon le découpage temporel et spatial des diérentes zones de déplacement qui le composent.

Dénir le processus de dérivation, comme une sorte  d'exécution mentale  du schéma, revient à rapprocher le fonctionnement du processus d'anticipation des fonctions exécutives qui seraient mises en ÷uvre pour la réalisation eective de ces actions réelles. Il existe cependant une diérence de taille : le retour en arrière est toujours possible pour des actions  exécutées mentalement , alors qu'il ne l'est jamais pour des actions  engagées réellement .

Pour générer des représentations mentales anticipées, deux stratégies de dérivation peuvent s'envisager : une stratégie  en largeur d'abord  et une stratégie  en profondeur d'abord . La première privilégie la création de représentations anticipées alternatives sur le même empan temporel. Cela permettra par exemple d'examiner et de comparer les eets de diérentes actions alternatives susceptibles d'être mises en ÷uvre à un moment donné. La stratégie  en profondeur

d'abord  privilégie pour sa part la création de représentations anticipées à plus long terme, et séquencées dans l'empan temporel complet d'un schéma.

Dans une stratégie en largeur d'abord, pour anticiper le niveau T +1, il faut générer l'ensemble des représentations possibles et probables, ce qui peut dans certains cas créer de nombreuses an-ticipations. Ainsi, un véhicule ralentissant à une intersection avec clignotant à droite génère une représentation anticipée très probable : le véhicule tournera à droite. Sans clignotant, les repré-sentations sont plus nombreuses : le véhicule tournera à droite, ou à gauche, le conducteur du véhicule est prudent à l'intersection, un objet est présent sur la route, un autre usager traverse, etc. Cette dérivation temporelle d'un pas en avant, permettra de générer de nombreuses représen-tations anticipées dans les zones d'évolution proches du véhicule, permettant ainsi d'intégrer de nombreuses alternatives diérentes, de faire émerger diérentes situations critiques et d'explorer une large gamme de comportements susceptibles de s'engager. Elle favorise la découverte de tra-jectoires optimales, mais ne permet pas de déterminer l'intégralité de la trajectoire à parcourir pour atteindre le but nal du schéma.

Dans une stratégie en profondeur d'abord, l'élaboration d'une séquence complète de repré-sentations anticipées permettant d'atteindre rapidement le but nal du schéma tactique est privilégiée. Il est donc nécessaire de créer l'anticipation à T + 1 puis continuer à T + 2 avec la situation la plus probable et ainsi de suite jusqu'au déroulement cognitif complet du schéma tactique. Cette approche favorise la découverte rapide d'une trajectoire  possible  permettant d'atteindre le but tactique, mais elle ne garantit pas de trouver une trajectoire optimale.

Ces deux stratégies de dérivation ont donc leurs intérêts et leurs inconvénients, et le conduc-teur doit faire constamment un  compromis cognitif  [Amalberti, 1996] entre ces deux stratégies.