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III.1 Différents niveaux de modélisation

III.1.1 Modèles à tube de courant

Les premiers modèles numériques pour l’étude des éoliennes Darrieus ont considéré le rotor entier comme un tout en s’appuyant sur la théorie de Froude. Ainsi, dans un tube de courant qui traverse la surface balayée par les pales, le rotor extrait de l’énergie cinétique du vent. Cette vision a été introduite d’abord pour les hélices, les hélicoptères et les

95 éoliennes à axe horizontal avant d’être transposée pour les éoliennes Darrieus par Templin [253] en 1974.

Avant tout, une hypothèse de base est l’analyse par élément de pale (blade element theory en anglais). Cela signifie que pour une pale divisée en éléments, les efforts que subissent chacun de ces éléments ne sont dépendants que des propriétés locales de l’écoulement dans le plan de la section du profil. En d’autre terme, les efforts ne sont pas affectés par l’écoulement transversal et les éléments de pale adjacents.

Le modèle de tube de courant se base simplement sur la conservation de la quantité de mouvement et de la masse dans un écoulement potentiel incompressible. Le rotor entier est remplacé par une unique surface actuatrice perméable uniformément chargée capable de capter de l’énergie (voir figure 32). On considère un tube de courant qui traverse le rotor dans lequel les équations de conservation de la quantité de mouvement et de la masse suffisent à définir une vitesse Ud de l’écoulement au niveau du disque actuateur. Le concept

repose sur l’idée qu’au total, la variation de quantité de mouvement à travers la surface actuatrice dans la direction de l’écoulement peut être associée à la somme des forces aérodynamiques agissant sur les pales dans cette même direction. La somme des forces aérodynamiques représente la traînée totale du rotor (l’effort axial) et se déduit du saut de pression à travers la surface actuatrice. Ce dernier est lui-même déterminé par la connaissance de la vitesse Ud et des coefficients aérodynamiques sur chacun des éléments constitutifs du

rotor en les supposant indépendants suivant la théorie des éléments de pale.

L’inconnue dans le système d’équation formé par cette théorie est la vitesse ←d au

niveau de la surface actuatrice. La déduction finale de cette vitesse par résolution numérique permet de déterminer finalement le couple et la puissance produits par la machine par intégration des efforts sur toute la rotation.

Figure 32 – Schéma de principe du modèle à simple tube de courant. En traits noirs discontinus : limites du tube de courant ; en traits noirs continus : entrée et sortie du tube de courant ; en pointillés noirs : rotor

initial ; en trait rouge : disque actuateur équivalent ; flèches bleues ; vecteurs vitesses supposés.

Le problème est au final monodimensionnel, et il faut considérer que le déficit de vitesse est unique et uniforme sur toute la surface balayée par le rotor. Pour pallier ce défaut d’homogénéité, →ilson et Lissaman [268] en 1974 puis Strickland [244] en 1975 ont proposé de diviser le tube de courant en plusieurs tubes adjacents et indépendants dont chacun a une vitesse Ud,i au niveau du disque actuateur (voir figure 33). Le principe de construction du

modèle reste le même sauf que la surface actuatrice est elle-même divisée en tranches qui représentent le comportement conjoint des tranches du rotor traversées dans les phases amont et aval.

Ce développement du modèle de simple tube de courant permet d’avoir une amélioration des résultats ([244] et [226]) grâce à une représentation plus réaliste des zones

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de transfert d’énergie. En l’occurrence, le modèle à simple tube de courant a tendance à surestimer la production de puissance.

Figure 33 – Schéma de principe du modèle à multiples tubes de courant. En traits noirs discontinus : limites des tubes de courant ; en traits noirs continus : entrées et sorties des tubes de courant ; en pointillés

noirs : rotor initial ; en traits rouges : éléments de disque actuateur équivalent ; flèches bleues ; vecteurs vitesses supposés.

Un point reste problématique malgré tout : étant donné la trajectoire circulaire des pales, les tubes de courant sont en général traversés deux fois par ces dernières, donc l’utilisation d’une seule surface actuatrice pour représenter les deux phases est un peu trop réducteur. Lapin [145] en 1975 a eu l’idée d’utiliser deux disques actuateurs consécutifs, en tandem. Read et Sharpe [212] en 1980 et Paraschivoiu [199] en 1981 ont ensuite suggéré de combiner les modèles à double disques et à multiples tubes de courant (voir figure 34), à l’image de deux tranches d’éoliennes successives. Le problème est donc résolu séparément dans la phase amont puis dans la phase aval. A partir d’une première résolution numérique, la vitesse à l’amont Ud,i,amont est déterminée dans un tube de courant d’entrée ←∞ et de vitesse

de sortie une vitesse d’équilibre au centre du rotor ←eq,i. Puis à l’aide de cette vitesse

d’équilibre, on construit un second tube de courant dans lequel on détermine la vitesse à l’aval Ud,i,aval.

Figure 34 – Schéma de principe du modèle à double-multiples tubes de courant. En traits noirs discontinus : limites des tubes de courant ; en traits noirs continus : entrées et sorties des tubes de courant ; en pointillés noirs : rotor initial ; en traits rouges : éléments de disque actuateur équivalent ; flèches bleues ;

vecteurs vitesses supposés.

Grâce à ce modèle, la dissymétrie entre les charges à l’amont et à l’aval a finalement pu être considérée. Mais dans l’application de ce modèle, une approximation rudimentaire est souvent faite pour des raisons pratiques, celle de considérer que le même tube de courant traverse les phases amont et aval en conservant une section transversale constante. Autrement dit, les lignes de courant sont supposées rectilignes dans le rotor bien que la vitesse diminue. Cette hypothèse va à l’encontre du principe de conservation de la masse (ou conservation du débit). Certaines études cherchent à corriger cela comme Comolet et al. [53]

U∞ Ud,i Uw,i

97 en 1982 qui développent un modèle à double-multiples tubes de courant avec évasement et déplacement latéral des lignes de courant. Depuis, plusieurs autres modèles ont été adaptés en prenant en considération l’expansion des tubes de courant ([201] et [50] par exemple).

Ensuite, une autre limitation du modèle est la supposition que la composante transversale de la vitesse est nulle. Or naturellement, avec l’évasement des lignes de courant, une vitesse latérale intervient et peut devenir importante, surtout dans les régions où les pales sont face et dos au vent ( η 0° et η 180°) pour des éoliennes de forte solidité. Chacun à leur manière, des auteurs ([71], [33], [78], [240] et [134] par exemple) ont donc été amené à ajouter l’effet de la vitesse transversale (voir figure 35).

Figure 35 – Schéma de principe du modèle à double-multiples tubes de courant avec épanouissement du flux. En traits noirs discontinus : limites des tubes de courant ; en traits noirs continus : entrées et sorties des tubes de courant ; en pointillés noirs : rotor initial ; en traits rouges : éléments de disque actuateur

équivalent ; flèches bleues ; vecteurs vitesses supposés.

Malgré ces améliorations du modèle de tube de courant, il faut rappeler que tous les modèles reposent sur des hypothèses communes et immuables, parmi lesquelles :

 Le raisonnement est nécessairement quasi-stationnaire, car il repose sur un comportement moyen et on peut juger discutable l’utilisation de polaires statiques pour représenter le comportement aérodynamique par nature instationnaire des pales. Il est possible d’ajouter un modèle empirique ou semi-empirique de décrochage dynamique (voir paragraphe II.2.2.4) sans que cela ne corrige l’aspect moyenné sur un cycle du modèle. Il est donc impossible d’avoir des efforts instantanés sur une rotation.

 Pour remplacer l’éolienne par une surface actuatrice, il faut supposer qu’à tout instant, une particule fluide du tube de courant peut rencontrer un élément de pale. Le concept repose donc sur l’analogie entre le véritable rotor et un rotor de même solidité avec un nombre de pales infini. Par ce passage à l’infini, on élimine totalement la dynamique tourbillonnaire du véritable rotor et les interactions qu’il peut y avoir entre les tourbillons et les pales. Ce genre de méthode est donc inadapté à l’étude du sillage proche ou lointain.

 Pour des vitesses réduites élevées, la théorie de Froude n’est plus adaptée, car le blocage de l’écoulement est sévère et le déficit de vitesse est si important au niveau du disque actuateur ou dans le sillage qu’il existe en réalité des zones de recirculation non-prises en compte dans le tube de courant. Il existe toutefois des corrections empiriques (correction de Glauert, voir par exemple [268]) qui améliorent certains aspects sans corriger totalement le problème.

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On peut aussi mentionner le modèle en cascade, issu du domaine des turbomachines et utilisé pour les éoliennes Darrieus par Hirsch et Mandal [118] à partir de 1987. Le concept repose sur des concepts habituels pour les turbomachines et partage un grand nombre d’avantages et de défauts avec les modèles de tube de courant. Pour plus de détails sur ce modèle, se référer à [118].