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Modèles de structure, ordre chimique et bande de valence

III- A Introduction sur les phases décagonales

3) Modèles de structure, ordre chimique et bande de valence

Deux approches ont été mises en œuvre pour élaborer des modèles structuraux de la phase décagonale Al-Cu-Co. La première consiste à utiliser des données expérimentales de diffraction, de microscopie électronique, ou de microscopie à effet tunnel et de traiter ces données dans un formalisme mathématique en 5 dimensions. Par exemple Steurer et al. [6] ont réalisé une analyse de Patterson des pics de diffraction intenses recueillis par diffraction des rayons X. La structure dans cet hyperespace est alors décrite par un objet périodique décoré par des surfaces atomiques. Elle est ensuite projetée dans l’espace réel 3D grâce à la méthode de coupe et projection. En faisant ce type d’analyse, on obtient, par essence, un modèle de structure quasicristalline sans défaut. La deuxième approche, basée sur des calculs ab initio, permet d’affiner les modèles issus des expériences, en cherchant à minimiser l’énergie totale du système. Ces simulations nécessitent une part non-négligeable d’hypothèses, par exemple en ce qui concerne l’ordre chimique et notamment la position des atomes de métaux de transition. Cette dernière donnée d’entrée n’est toujours pas disponible pour les calculs. Elle nécessiterait l’utilisation de la diffraction de neutrons qui est la technique expérimentale la plus simple à mettre en œuvre pour discerner le Cu du Co. Néanmoins la coordinence de ces atomes peut être déterminée de manière indirecte à partir de l’analyse conjointe de la bande de valence et de la densité d’états électronique calculée de l’alliage Al-Cu-Co.

Il n’existe qu’un modèle pour la phase décagonale du groupe P10 m2. Cette structure a été résolue à partir d’expériences de microscopie électronique en transmission résolue en Z par Taniguchi et al. [24]. L’analyse des images à très fort grandissement a conduit à décrire des clusters de symétrie 5 de 0,2 nm de diamètre, décorant les sommets d’un pavage de Penrose de type pentagonal. Le pavage pentagonal est équivalent au pavage rhomboédrique mais il nécessite l’utilisation de 4 polygones : un pentagone, un losange, un bateau et une étoile. Des règles simples permettent de réaliser la conversion vers le pavage rhomboédrique, qui lui est formé uniquement de deux entités géométriques.

Le pavage ne pouvant pas être superposé parfaitement sur les images expérimentales, des défauts ont été introduits, matérialisés dans le pavage pentagonal par l’adjonction de rhomboèdres. Les auteurs ont montré que 90% des positions occupées par les clusters pouvaient être attribuées au pavage pentagonal parfait et donc que la phase présentait un désordre modéré.

A la différence de l’autre groupe d’espace, il n’existe pas d’inversion entre les plans d’ordre 10. De ce fait, tous les clusters (de symétrie 5) sont orientés de la même façon d’un plan à l’autre. Les auteurs dénombrent tout de même quelques clusters dans une orientation différente, montrant que la structure contient une concentration de défauts non-négligeable. De plus, ils soulèvent la présence de désordre chimique au centre des clusters, où des atomes d’Al sont substitués par des atomes de métal de transition. Malheureusement, malgré la résolution en Z, il est impossible de distinguer le Co (Z=27) du Cu (Z=29), à cause de leur nombre de charge trop proches. Ces défauts sont responsables de la rupture de la symétrie d’ordre 5, qui, par conséquent, est abaissée à l’ordre 10.

Pour la phase décagonale appartenant au groupe d’espace P105/mmc, il existe deux modèles de référence. Le premier (celui qui sera utilisé pour cette étude) a été déterminé par Steurer et al. [6]. La structure a été décrite par un pavage de Penrose rhomboédrique décoré par des clusters de 0,2 nm. La périodicité est de 0,41 nm le long de l’axe 10 (voir paragraphe 2)). Le second modèle développé par Burkov et al. [29] propose d’affiner la description de la structure grâce à un pavage plus complexe, en autorisant le recouvrement entre clusters. Ce type de pavage ‘binaire’ comprend des algorithmes plus élaborés pour la couverture des plans et peut être assimilé à l’utilisation simultanée de deux pavages de Penrose rhomboédriques.

Il existe de nombreuses variantes autour de ces deux modèles [30, 29, 31, 32, 10, 33, 34, 6, 24, 35], chacune résultant de compositions hypothétiques ou déterminée à partir de résultats expérimentaux de microscopie électronique, de diffraction X, ou encore de microscopie à effet tunnel. Le modèle le plus élaboré d’entre eux propose un traitement particulier de l’ordre chimique local qui serait à l’origine de la stabilisation de la phase [32].

Cet ordre chimique a une influence importante sur la structure électronique de la phase d- Al-Cu-Co, et donc sur sa stabilité via le terme de bande de l’énergie interne. La plupart des auteurs conclut à l’existence d’un pseudogap au niveau de Fermi, représentant un argument fort en faveur d’une stabilisation électronique par un mécanisme de Hume-Rothery. D’autres articles, plus anciens, semblaient les contredire [36]. La présence d’un pseudogap au niveau de Fermi a cependant été confirmé expérimentalement par spectroscopie d’émission X [37] ou indirectement par des mesures de propriétés de transport [38-40]. Des calculs de structure électronique à partir de phases approximantes hypothétiques ont conduit à la même conclusion [41]. Finalement, un article publié plus tard a montré qu’un pseudogap apparaissait ou non selon le modèle structural utilisé pour le calcul de densité d’états électroniques (DOS pour density of states en anglais) [40]. Plus précisément, le pseudogap est toujours présent dans la DOS partielle Al p mais il disparaît

dans la DOS totale, en raison de la présence des états d du Co situés à proximité du niveau de Fermi. La différence entre les deux cas provient de l’ordre chimique local : le pic des états d du Co se rapproche du niveau de Fermi avec la réduction des interactions TM-TM et devient plus large quand le nombre de premiers voisins Co-Co et Cu-Co augmente au détriment des voisins Cu-Cu [30, 40]. Cette dernière configuration chimique qui place les atomes de Cu au centre des clusters et modifie ainsi la coordinence du Cu, a été introduite dans le second model de Burkov [31], et semble être la plus cohérente avec les résultats expérimentaux [40]. On peut citer également des mesures de chaleur spécifique réalisées sur plusieurs échantillons Al-Cu-Co dans la gamme de composition stable de la phase décagonale par Fan et al.. Ils ont aussi conclu que l’existence du pseudogap était intimement corrélée à la coordination des atomes décorant la structure [39].

La Figure 5 présente des densités d’états totale et partielles [40] calculées pour deux modèles réalistes de la phase d-Al-Cu-Co.

Figure 5. Densités d’états électroniques totale et partielles de la phase d-Al-Cu-Co, calculée à partir du modèle de Burkov [31, 29] incluant l’ordre chimique local. Figure tirée de [40].

Il apparaît clairement sur la Figure 5, que la principale contribution au niveau de Fermi provient de la contribution des états Co d. Le maximum de densité des états d du Co est situé à -0,7 eV en dessous du niveau de Fermi (voir DOS partielle du Co sur la Figure 5a) alors que dans le même modèle de structure mais avec davantage de voisins Cu-Cu, le pic se décale à -1,4 eV (Figure 5b).

La DOS partielle du Cu d étant située relativement loin du niveau de Fermi, on peut considérer sa contribution à la DOS totale à EF comme négligeable par rapport à l’Al p et au Co d. Enfin, un pseudogap est visible à environ -0,15 eV dans la DOS partielle de l’Al p mais ce minimum local est recouvert pas la présence d’un maximum local du Co d à la même énergie.