distraction ostéogénique
A. Modèles numériques de la distraction ostéogénique
Ce chapitre sera consacré au développement d'un modèle théorique permettant de simuler la distraction ostéogénique au plus près possible de la réalité. Pour cela, nous utiliserons l'ensemble des considérations biologiques effectuées dans le chapitre I ainsi que les informations de la littérature. Nous commencerons par passer en revue les différents modèles de distraction existants en mettant en évidence leurs points forts et leurs défauts.
On peut par ailleurs noter que de nombreuses études numériques concernant la distraction ostéogénique ont été réalisées. Certaines ont pour but d'évaluer l'effet du changement de
géométrie de l'os distracté sur son environnement.107-113 Il s'agit alors d'évaluer le gain
fonctionnel apporté par la distraction dans le cas du traitement d'une affection. L'application de ce type la plus fréquente est l'étude des conséquences d'une distraction mandibulaire sur la cinématique de l'occlusion et de l'articulation temporo-mandibulaire ainsi que sur les efforts
masticatoires.107-111 D'autres ont cherché à étudier l'influence du dispositif utilisé.114-116
Comme nous l'avons vu lors du chapitre I, de nombreux auteurs ont cherché, dès les années soixante, à établir le lien existant entre l'environnement mécanique du tissu mésenchymateux
et la différenciation des tissus.87,98-105 Même si tous ces travaux n'ont pas porté sur la
distraction ostéogénique, il est néanmoins intéressant de les étudier car les phénomènes biologiques déclenchés lors de ce processus sont les mêmes que lors de tout autre phénomène
de guérison osseuse. Quelques décennies après les premiers travaux de Pauwels,98 Carter et
al.87,99 proposèrent en 1998 le premier véritable modèle de mécano-régulation.
Celui-ci, considérant un comportement élastique pour le cal, corrèle la différenciation tissulaire avec l'histoire des contraintes et des déformations, en particulier avec une combinaison de la première déformation principale et de la pression hydrostatique. Ses règles
sont présentées sur la figure II-1. Selon la composition du stimulus, on formera un des
différents types de tissu potentiellement produit au sein du mésenchyme : tissu fibreux, cartilage ou os. On note également que la différenciation est bornée : au-delà des frontières visibles sur la figure, le tissu n'évolue pas.
Ce modèle a en particulier été utilisé pour la simulation de la différenciation tissulaire dans les
cas de métaplasie fibro-cartilagineuse117 ainsi que lors de la formation des pseudarthroses,118
de la guérison des fractures87,101 et de la distraction ostéogénique.119 En 2003, Loboa et al.120
ont fait évolué ce modèle en supposant un comportement poro-élastique pour le cal et en remplaçant l'histoire de la pression hydrostatique par celle de la pression fluide dans la définition du stimulus. Dans la suite de ces travaux, Morgan et al.121 ont étudié la prise en compte de la dilatation volumique dans la définition du stimulus.
Fig. II-1 : Mécano-régulation de la différenciation des tissus selon Carter et al.87
En 1997, Prendergast et al.103 proposèrent un modèle de mécano-régulation où le régénérat est
supposé être un matériau poro-élastique et où le stimulus régulant la différenciation est fonction de la déformation de cisaillement et de la vitesse fluide. Les règles de ce modèle sont illustrées par la figure II-2.
Fig. II-2 : Mécano-régulation de la différenciation des tissus selon Prendergast et al.122
On remarque immédiatement qu'en plus de la nouvelle définition des stimuli, ce modèle apporte la dépendance au temps. C'est actuellement le plus diffusé. Il fut notamment utilisé
pour prédire l'évolution des tissus osseux en formation lors de la guérison de fracture,122,123
aux interfaces os-implant,124,125 durant la réparation de defects ostéochondraux,126 dans les
chambres biologiques,127,128 dans les cas d'ostéotomie mandibulaire129 ainsi que lors de la
distraction ostéogénique.130-132
L'étude détaillée de l'ensemble de ces travaux nous apprend que ces deux modèles permettent
de simuler des champs de différenciation réalistes. Cependant, les travaux d'Isaksson et al.133
ont mis en évidence la supériorité de l'approche de Prendergast et al.,122 notamment dans des
defects osseux soumis à du cisaillement ou à de la compression. Par ailleurs, de nombreux autres modèles ont été proposés mais ne seront pas présentés ici en raison de leurs résultats incertains. Une bibliographie exhaustive de ces modèles peut être trouvée dans la revue de Doblaré et al.14
En plus de la différenciation, les plus élaborés de ces modèles tiennent compte d'autres phénomènes biologiques tels que la diffusion, la prolifération et l'apoptose des cellules. C'est le cas par exemple de l'étude de Kelly et Prendergast sur la guérison des defects
ostéochondraux.126 Le diagramme de l'algorithme qu'ils ont utilisé lors de cette étude par
éléments finis est représenté sur la figure II-3.
Leur hypothèse concernant la dispersion est que les cellules tendent à atteindre une densité homogène dans le cal et migrent donc vers des zones de densité plus faible. La concentration cellulaire est calculée grâce à une loi de diffusion (loi de Fick). De plus, ils considèrent les phénomènes de mitose et d'apoptose des cellules en faisant varier le nombre de cellule selon des stimuli mécaniques liés à ces phénomènes. Le cal est supposé poro-élastique et les règles
de différenciation sont celles représentées sur la figure II-2. Les propriétés effectives sont
calculées à l'aide d'une loi des mélanges où les propriétés de chaque tissu sont pondérées par le nombre de cellules de phénotype correspondant.
Comme nous l'avons vu, les modèles présentés ci-dessus permettent de modéliser assez finement la biologie de la guérison et donc de simuler l'évolution de la microstructure des régénérats osseux de manière réaliste. Cependant, ils présentent une carence majeure pour la simulation de la distraction ostéogénique. Ils sont en effet tous basés sur des lois de comportement de type élastique et ne peuvent donc pas reproduire la déformation irréversible du cal de distraction lors de son allongement.
Pour contourner cette difficulté, les auteurs simulent la distraction119,121,130-132 soit en
travaillant sur un cycle de distraction unique soit en prenant comme configuration initiale d'un nouveau cycle la configuration déformée du cycle précédent. Ceci leur permet de simuler artificiellement la croissance du cal de distraction mais pas la relaxation observée au cours d'un cycle.134-137
Le comportement à l'échelle mésoscopique du régénérat osseux n'est donc pas correctement décrit par ces modèles puisqu'ils ne permettent de reproduire ni sa déformation permanente, ni sa viscosité. Dans ce contexte, le but de la suite de ce chapitre sera de développer un modèle d'évolution du régénérat osseux tenant compte à la fois de l'évolution de sa microstructure et de son comportement mésoscopique spécifique.