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Chapitre I. Problématique, question de recherche et revue de littérature

1.3 À la conjonction des différents savoirs utiles à la compréhension

1.3.5 Regards sur les technologies et la naissance

1.3.5.2 Les modèles autour de la naissance

orientent les approches et les interventions. Ces modèles ont d’abord été décrits par la sociologue américaine Barbara Katz Rothman (1991), dans les années 1950, comme étant le « medical model » et le « home birth model » ou « midwifery model ». Les caractéristiques du modèle médical sont basées sur l’idéologie d’une technologie marquée par les valeurs de l’efficience, la rationalité, l’organisation d’une pratique systématique et contrôlée où le corps est vu comme une machine. C’est une orientation vers la pathologie sur fond de société patriarcale. Pour l’auteure, le « contemporary midwifery model of birth » s’est développé en réaction à l’approche médicale, dans le mouvement de retour à la nature des années 60, du mouvement féministe et celui des droits de la personne. Ce modèle présente une approche holistique, centrée sur la femme, en opposition à l’approche technologique et patriarcale.

Par la suite, l’anthropologue Robbie Davis-Floyd (2003) a contribué à la compréhension de ces modèles qu’elle a nommés « the technocratic model of birth »12 et le « the holistic model of

birth »13. Davis-Floyd a choisi d’utiliser le terme « technocratique » au lieu du terme

« médical » parce qu’il référait, selon elle, à une perspective sociétale plus large (alors que la médecine ne saurait être réduite à un seul modèle). De la même manière, le terme « holistique »

12 Dans le modèle technocratique, le corps de la femme est considéré comme un objet. L’esprit et le corps sont séparés. La grossesse et la naissance sont perçues comme pathologiques. Les intérêts de la mère et du bébé peuvent être antagonistes, le bébé étant la finalité à protéger. Les connaissances scientifiques et la technologie sont valorisées. Le temps doit être géré (Davis-Floyd, 2003).

13 Le modèle holistique est centré sur la femme. On considère que le corps et l’esprit sont inséparables. La grossesse et la naissance sont des processus normaux et des évènements rattachés à la santé. La mère et le bébé sont des unités indissociables. La famille, l’environnement et le caractère relatif du temps sont au centre de cette perspective (Davis-Floyd, 2003).

a été employé pour désigner le modèle opposé au modèle technocratique, émergeant du mouvement plus large de la santé holistique. L’approche et les interventions diffèrent grandement d’un modèle à l’autre. Quelques années plus tard, cette auteure vient enrichir la conception du paradigme dominant au plan mondial, en ajoutant le « humanistic model »14

lequel se trouve au croisement des modèles technocratique et holistique. Le paradigme humaniste met l’accent sur la connexion corps-psyché. Le corps est vu comme un organisme et le patient comme le sujet d’une relation. L’influence des émotions de la femme est reconnue. Elle est traitée avec gentillesse et respect. L’information, la prise de décision et la responsabilité sont partagées avec le patient. Les soins sont offerts avec compassion. L’accent est mis sur la prévention de la maladie. Il y a une ouverture d’esprit à d’autres façons de faire, comme le choix des positions lors de l’accouchement ou la présence d’une doula15. On prend soin de favoriser

le contact mère-bébé après la naissance. L’humanisme fait contrepoids à la science et à la technologie. Le praticien tente de faire un équilibre entre les besoins individuels et ceux de l’institution. Toutefois, pour ce qui est de l’application du modèle humaniste à la naissance, Davis-Floyd (2003: 275) émet une certaine réserve :

Although the humanistic approach to birth does offer women some real alternatives, it represents not a full rejection but simply modification of the technocratic model of birth. Women who utilize the services of obstetricians who espouse this approach will still give birth in the hospital and thus will be subject to the same cultural forces as thoses women who go to the more conservative obstetricians.

Davis-Floyd et ses collaboratrices soulignent que le modèle humaniste a simplement humanisé la technomédecine : « a softer approach, which can be anything from a superficial overlay to profoundly alternative methods » (Davis-Floyd et al., 2009: 442).

D’autres typologies ont été utilisées pour décrire des modèles de pratiques autour de la naissance. Citons, par exemple, le « modèle social » que Marsden Wagner a développé pour contraster le « modèle médical » (Wagner, 1994 dans Davis-Floyd et al., 2009), le « modèle physiologique » des sages-femmes hollandaises qui mettent l’accent sur la compréhension et la

14 Le modèle humaniste relève d’une approche plus relationnelle, sensible et compatissante, orientée vers un partenariat (Davis-Floyd et al., 2009).

15 Le mot « doula » est utilisé pour désigner une accompagnante, soit une personne qui accompagne la femme lors de l’accouchement (DONA International, 2015).

facilitation du processus physiologique de la naissance16, ou encore l’approche « bioculturelle »

de l’anthropologue Brigitte Jordan (1993).

Dans le même ordre d’idées, le sociologue médical Edwin van Teijlingen (2005) décrit deux modèles d’accouchement, soit le médical et le social. Le modèle médical est fondé sur l’idée que, puisqu’il est impossible de connaître à l’avance les complications, l’accouchement normal nécessite un contrôle médical impliquant une surveillance qui permet d’intervenir dès les premiers signes de pathologie afin de garantir la sécurité. À l’opposé, le modèle social met l’accent sur le fait que, dans la pratique, la grossesse et l’accouchement sont, en principe et souvent, des processus physiologiques normaux et qu’il est possible de dépister les situations à risque de complications. Ainsi, dans le modèle médical, on ne peut définir qu’a posteriori la normalité de l’accouchement alors que le modèle social, à l’extrême, serait représenté par les freebirths17; la plupart des personnes se situant entre les deux (Ireland & van Teijlingen, 2013).

Même si on y réfère souvent de manière indistincte dans la littérature van Teijlingen (2005) insiste sur les trois niveaux de compréhension présents dans tout modèle d’accouchement ou de naissance : la pratique, l’idéologie et le niveau analytique. Cette mise en garde nous incite à réfléchir de manière critique à l’usage conceptuel des modèles autour de la naissance et à situer le niveau auquel ils s’adressent, de manière à faire un usage approprié de ces outils sociologiques pour analyser le monde social.

1.3.5.3 La logique du risque. La gestion des risques dans la vie quotidienne des femmes

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