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Chapitre I. Problématique, question de recherche et revue de littérature

1.3 À la conjonction des différents savoirs utiles à la compréhension

1.3.1 Les définitions de l’accouchement

L’anthropologie nous montre une grande variété de compréhension et de définitions de l’accouchement selon les cultures (Jordan, 1993). La définition culturelle dominante et l’expérience de l’accouchement en Amérique du Nord, sont largement reconnues pour être médicales et technologiques à la fois dans la philosophie et la pratique (Young, 2009).

Pour les sociologues, parler d’accouchement « normal » implique un jugement de valeur (Ireland & van Teijlingen, 2013). Le terme « normal » peut aussi être interprété comme ce qui est communément expérimenté (Tully & Ball, 2013). Il n’y a pas de consensus international sur la définition de « l’accouchement normal » (White & Schouten, 2013) et le concept peut signifier différentes choses (Davis-Floyd, 2008 dans ibid). Selon White et Schouten (2013),

l’accouchement normal serait un accouchement sans intervention ni ingérence médicale ou technologique dans le processus physiologique qui ne peut émerger que suivant certaines approches de la grossesse et du début du travail. Devant la montée de la technologie, le besoin de définir l’accouchement normal s’est fait sentir et certaines organisations dans différents pays ont proposé des déclarations qui décrivent ce qu’est une naissance normale6. La déclaration de

l’OMS (1997) concerne uniquement les accouchements à faible risque et considère que pour intervenir dans le processus naturel, il faut une raison valable :

Nous définissons une grossesse normale comme une grossesse [accouchement] dont le déclenchement est spontané, le risque est faible dès le début et tout au long du travail et de l'accouchement. L'enfant nait spontanément en position céphalique du sommet entre les 37e et 42e semaines de gestation. Après la naissance, la mère et le nouveau-né

se portent bien. […] Dans le cas d'une naissance normale, il faut une raison valable pour intervenir dans le processus naturel. (OMS, 1997 : 4-5)

Dans le contexte canadien, la société des gynécologues-obstétriciens du Canada (SOGC), organisme considéré comme la référence sur le plan obstétrical, a émis une déclaration de principes commune7 sur l’accouchement normal, en 2008 :

A normal birth is spontaneous in onset, is low-risk at the start of labour and remains so throughout labour and birth. The infant is born spontaneously in vertex position between 37 and 42+0 completed weeks of pregnancy. Normal birth includes the opportunity for skin–skin holding and breastfeeding in the first hour after the birth. A normal birth does not preclude possible complications such as postpartum hemorrhage, perineal trauma and repair, and admission to the neonatal intensive care unit.

Normal birth may also include evidence-based intervention in appropriate circumstances to facilitate labour progress and normal vaginal delivery; for example: augmentation of labour, artificial rupture of the membranes if it is not part of medical induction of labour, pharmacologic pain relief (nitrous oxide, opioids and/or epidural), managed third stage of labour, non-pharmacologic pain relief, intermittent fetal auscultation.

A normal birth does not include: elective induction of labour prior to 41+0 weeks, spinal analgesia, general anaesthetic, forceps or vacuum assistance, caesarean section, routine episiotomy, continuous electronic fetal monitoring for low risk birth, fetal malpresentation. (SOGC, 2008 : 1163-1164)

6 Le Maternity Care Working Party du Royaume-Uni, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC), le Collège des sages-femmes de la Nouvelle-Zélande, l’Association canadienne des sages-femmes (ACSF).

7 Déclaration conjointe des groupes suivants : The Association of Women’s Health, Obstetric and Neonatal Nurses of Canada (AWHONN Canada), the Canadian Association of Midwives (CAM), the College of Family Physicians of Canada (CFPC), and the Society of Rural Physicians of Canada (SRPC).

La SOGC décrit différemment l’accouchement selon le niveau et le type d’appui fourni pendant la naissance du bébé. Elle décrit trois types d’accouchements : l’accouchement naturel (supervision par un professionnel mais sans assistance médicale), l’accouchement normal (certaines interventions sont pratiquées) et l’accouchement assisté (avec interventions : forceps, ventouse, césarienne). On remarquera que cette définition présente l’accouchement comme un évènement qui peut être géré médicalement par des interventions, telles l’accélération du travail, la rupture artificielle des membranes, etc. Contrairement au Royaume-Uni, la déclaration canadienne inclut la péridurale dans l’accouchement normal. Cette distinction fait dire à Young (2009) qu’il s’agit peut-être d’une question de disponibilité de la péridurale ou du reflet de l’augmentation de la prévalence de la péridurale et de l’acceptation de cette méthode de gestion de la douleur en Amérique du Nord. Mettre l’accent sur la normalité, en étant inclusif pour les interventions, peut aussi contribuer à justifier le contrôle médical sur l’accouchement.

Bien que l’Association canadienne des sages-femmes (ACSF) ait participé conjointement à la définition de la SOGC, l’organisation a émis son propre énoncé de principe en 2010 sur La Pratique sage-femme et l’accouchement normal. Pour l’ACSF :

La confiance envers le processus normal de l’accouchement fait partie intégrante de la philosophie et de la pratique des sages-femmes, du langage qu’elles utilisent et des soins qu’elles offrent aux femmes. La formation des sages-femmes inclut l’acquisition d’habiletés et de pratiques cliniques spécifiques favorisant la progression normale du travail, et un accouchement spontané par la femme sans les médicaments et les interventions couramment utilisés. Pour les sages-femmes, le concept de normalité est fondé sur la physiologie du travail et sur la capacité des femmes à mettre elles-mêmes un enfant au monde. (ACSF, 2010 : 1)

L’ACSF se démarque ainsi en renforçant la confiance dans le processus normal de l’accouchement et l’importance des pratiques permettant de faciliter la progression du travail en évitant la médication et les interventions.

L’Ordre des sages-femmes du Québec (OSFQ) et le Regroupement Les sages-femmes du Québec (RSFQ) partagent une vision commune. Ainsi « La pratique des sages-femmes est basée sur le respect de la grossesse et de l’accouchement comme processus physiologiques normaux,

porteurs d’une signification profonde dans la vie des femmes. […] Leur pratique se base sur la prévention et inclut un usage judicieux de la technologie » 8.

Kennedy (2015) a aussi travaillé à établir un consensus sur l’accouchement normal physiologique pour les États-Unis : « A normal physiologic labor and birth is one that is powered by the innate human capacity of the woman and fetus » (Kennedy, 2015 : 143).

Par ailleurs, le terme « accouchement naturel » est apparu dans les années 1930, à la suite de la diffusion d’une méthode d’accouchement par l’obstétricien britannique Dick-Read, proposant que la femme, avec une certaine préparation, est capable d’accoucher sans intervention extérieure (Dick-Read, 1933). L’appellation « accouchement naturel » est utilisée de différentes manières dans la littérature, allant d’un accouchement à l’hôpital sans médication à un accouchement sans aucune intervention (Mansfield, 2008). Clausen (2014) mentionne d’ailleurs que l’usage du mot « naturel » est devenu ambigu. Davis-Floyd (2003) utilise ce terme dans sa définition la plus stricte. Elle emploie le terme holistique pour décrire l’approche et les pratiques alternatives utilisées, la femme demeurant au centre de cet évènement. À l’opposé, Cosans (2004) définit comme « accouchement naturel » toute approche médicale qui fait l’effort d’incorporer ou de travailler avec les processus corporels internes. À cela s’ajoutent les appellations d’accouchement physiologique ou accouchement instinctif, pour nommer un accouchement dont le processus biologique n’est pas perturbé par des interventions de nature médicale ou environnementale (Mansfield, 2008). Enfin, la terminologie « accouchement non assisté » ou freebirth réfère à un accouchement sans assistance professionnelle spécialisée, avec ou sans suivi pré et postnatal (St-Amant, 2014).

Des recherches montrent également que les femmes différencient l’accouchement naturel d’un accouchement avec péridurale (Davis-Floyd, 2003; Dillaway & Brubaker, 2006, 2008). Certaines femmes définiraient aussi la naissance naturelle en incluant l’accouchement vaginal (avec péridurale ou avec interventions), par opposition à la naissance par césarienne (Brubaker & Dillaway, 2008). Dans notre étude, il sera intéressant de voir comment, de leur point de vue,

8 Le RSFQ est l’association professionnelle des sages-femmes. La citation est extraite de La philosophie qui a été adoptée par le RSFQ en 1997, et entérinée par l’OSFQ en 2002.

les Québécoises définissent l’accouchement. Mais penchons-nous d’abord sur les études québécoises et canadiennes.

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