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Modèles de traitement des expressions idiomatiques

II.1 Traitement des expressions idiomatiques

II.1.1 Modèles de traitement des expressions idiomatiques

Deux types de modèles psycholinguistiques ont été proposés pour expliquer les processus cognitifs impliqués dans le traitement des expressions idiomatiques12 : modèles compositionnels et modèles non compositionnels. Les premiers travaux expérimentaux sur les expressions idiomatiques ont donné des modèles non compositionnels. Ces derniers considèrent les expressions idiomatiques comme des entités auxquelles le sujet aurait accès en mémoire sans que leur signification soit calculée. Les hypothèses non compositionnelles se résument dans trois modèles : le modèle de la liste d’idiomes (Bobrow & Bell, 1973), le modèle de représentation lexicale (Swinney & Cutler, 1979) et le modèle d’accès direct (Gibbs, 1980).

Bobrow & Bell (1973) conçoivent que tout individu construit en mémoire une liste d’idiomes distincte de son lexique mental. Selon Bobrow & Bell (1973), les processus de récupération de l’acception idiomatique sont activés dès la rencontre du premier mot de l’idiome. L’accès à l’acception idiomatique, qui est stockée dans le lexique mental, est plus rapide que celui lié à l’acception littérale qui requiert une composition de la signification des mots qui constituent l’idiome.

Le modèle de représentation lexicale de Swinney & Cutler (1976) propose aussi que les idiomes soient stockés sous la forme de « mots longs » au sein du lexique mental. Puisque l’expression est stockée en mémoire sous forme d’un mot simple, le sujet accède directement et plus rapidement à la signification idiomatique qu’à la signification littérale. Cette dernière suppose une activité de décomposition des significations de plusieurs mots. Swinney & Cutler (1976) confirment que les participants mettent moins de temps pour juger les expressions idiomatiques que les non idiomatiques.

Le troisième modèle, non compositionnel, est celui d’accès direct de Gibbs (1980). D’après ce modèle, les expressions idiomatiques sont comprises directement, c'est-à-dire avant la construction d’une interprétation littérale. Gibbs, Nayak & Cutting (1989) ont aussi montré que les expressions idiomatiques sont accédées directement dans le lexique mental comme les mots simples qui sont listés dans un dictionnaire. D’après ces modèles non

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Une revue plus détaillée de ces modèles est présentée dans Brassard, Somesfalean & Toussaint (1988) ; Marquer (1994) ; Hilbert & Swinney (1999) ; Titonne & Connine (1999) ; Pariollaud, Denhière & Verstiggel (2002) ; Havrila (2009).

compositionnels, puisque l’expression est activée en mémoire, le travail est plus rapide que celui qui consiste à calculer le sens au fur et à mesure que les mots sont entendus. Selon leur point de vue, un idiome est enregistré en tant que mot. L’expression est donc activée en entier dès le premier mot. Les modèles compositionnels postulent que l’accès aux expressions idiomatiques est lié à une analyse des éléments qui composent le langage. Cacciari & Tabossi (1988) ont proposé l’hypothèse configurationnelle qui est l’hypothèse alternative aux modèles non compositionnels. Il s’agit d’une réponse au modèle de représentation lexicale et à l’hypothèse d’accès direct de Gibbs (1980). Ce modèle compositionnel appelé « modèle de la clé » montre qu’il existe dans la mémoire des individus des unités complexes ou des configurations familières des mots : certaines expressions idiomatiques, d’autres non. Dans ce modèle, les expressions idiomatiques ne constituent pas des entrées séparées dans le lexique mental mais sont associées à des « configurations particulières de mots ». Ces configurations, apprises, peuvent être définies comme des fragments hautement intégrés du réseau des connaissances en mémoire.

Cacciari & Tabossi (1988) ont étudié les expressions idiomatiques dans trois expériences avec la technique d’amorçage intermodal. Les résultats de leurs expériences montrent que le traitement, peut être d’abord, exclusivement littéral et que l’interprétation idiomatique requiert un certain temps. Le traitement idiomatique s’opérerait à partir des mêmes représentations lexicales que le traitement littéral. Il supposerait seulement que soit reconnue la configuration. Il n’y aurait donc qu’un seul traitement des énoncés idiomatiques : un traitement d’abord littéral jusqu’à ce que l’apparition de la « clé » conduise à privilégier le traitement idiomatique. Cependant, le moment où le sujet peut reconnaître une configuration n’est pas fixe, il peut varier d’une expression à l’autre et correspond à la clé idiomatique. La place de la « clé idiomatique » ou le « point d’unicité » varie non seulement d’une expression à l’autre, ce qui permet notamment de rendre compte des effets de prédictibilité. Mais ce point peut être modifié pour une même expression en fonction des contraintes contextuelles. Les significations littérales, liées aux éléments constitutifs de ces configurations, seraient toujours activées dès que le sujet possède suffisamment d’indices pour reconnaître une configuration. Cette configuration serait alors activée comme telle.

L’expérience menée par Brassard et al., (1988) justifie aussi l’hypothèse de la présence d’un point de reconnaissance à partir duquel le temps de lecture diminue. Cette expérience (Brassard et al., 1988) réalisée auprès de 50 étudiants universitaires, dont la langue maternelle est le français, porte sur un corpus formé d’un ensemble d’expressions idiomatiques de quatre

mots, utilisées régulièrement dans la langue française. Ces expressions ont été choisies en fonction de leur aptitude à être interprétées aussi bien dans un sens littéral que dans un sens figuré comme se salir les mains, tomber à l’eau. L’expérience, réalisée avec la technique d’auto-présentation segmentée, a permis d’obtenir une mesure de temps de lecture de chaque mot. Leurs résultats montrent que la deuxième moitié de l’expression est lue plus rapidement que la partie avant le point de reconnaissance ; ce qui confirme leur hypothèse de départ. L’hypothèse de Brassard et al. (1988) propose une activation du sens littéral, l’existence d’un point de reconnaissance et une activation du sens figuré par la suite puisque les expressions idiomatiques « sont enregistrées comme des unités et activées comme des mots » (Brassard et al., 1988, p. 11).

La différence entre les modèles compositionnels et non compositionnels provient ainsi du mode de traitement et de la place des représentations des expressions idiomatiques dans le lexique mental. Les travaux expérimentaux récents (cf. Titonne & Connine, 1994) ont repris ces différentes hypothèses et ont aussi étudié l’effet des facteurs supposés influencer leur traitement. Une synthèse de ces résultats sera présentée dans ce qui suit.