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Modèles animaux de douleurs chroniques

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La douleur est une expérience complexe et fortement subjective chez l’humain. Cette vaste dimension cognitive est difficile à produire et à évaluer de manière reproductible et finement quantifiable chez l’animal. Chez l’animal, la douleur est résumée comme ‘une expérience

sensorielle aversive, qui évoque dans la conscience de l’animal, le danger ou la menace de l’intégrité de ses tissus’ (Molony and Kent 1997). Il a donc été nécessaire d’identifier et

d’analyser des aspects comportementaux, plus ou moins intégrés, ou des aspects physiologiques, plus proches de la nociception, pour obtenir des index objectifs et mesurables d’un comportement spontané douloureux (Carstens and Moberg 2000).

· Signes physiologiques : dilatation de pupilles, changements de la fréquence cardiaque, respiratoire et de la température corporelle, pilo-érection, etc.

· Signes comportementaux associés à la douleur : animal sur ses gardes, vocalisations, mutilation, prostration, position anormale, perte de l’appétit, diminution du toilettage, de l’activité locomotrice et d’exploration, etc.

Ces paramètres ne sont pas toujours faciles à observer et à mesurer. Par conséquent, des tests mesurent des réponses pathophysiologiques évoquées par des stimuli pour différentes modalités sensorielles, telles que nociceptive, mais aussi mécanique, thermique ou chimique. Parmi les paramètres mesurés on trouve la latence pour obtenir une réponse, le seuil pour déclencher une réponse ou le nombre de comportements évoqués (léchage des pattes, etc.).

3.2.-Modèles animaux

Ils peuvent être induits chez l’animal sain par lésion chirurgicale, injection de substances pharmacologiques dont les procédures doivent être précises, fiables et reproductibles. Le recours aux primates est inenvisageable et toute autre solution doit être envisagée. Ils peuvent aussi être créés par modification génétique de type transgénèse ou recombinaison homologue dans les espèces où cela est possible.

3.2.1.-Modèles de douleur neuropathique

Une grande partie de modèles de douleur neuropathique ciblent le nerf sciatique chez le rongeur. La plupart de modèles se basent sur des lésions partielles, car elles sont plus fréquentes que les lésions complètes chez l’humain. Parmi ces lésions partielles on trouve des constrictions, des ligatures et des sections du nerf sciatique (fig.32).

· Constriction chronique (CCI : chronic constriction injury) : c’est une ligature lâche du nerf sciatique (Bennett and Xie 1988). Elle produit une modification des réponses évoquées: hyperalgésie thermique et mécanique, signes d’allodynie tactile et au froid dans la patte ipsilatérale. Ces symptômes transitoires se développent dès la première semaine après la chirurgie, avec des réponses maximales pendant la deuxième semaine. Les symptômes disparaissent au bout de 8 semaines (Bennett and Xie 1988). Anatomiquement, la ligature lâche entraîne une perte des fibres myélinisées Aβ et des fibres C non-myélinisées (Gabay and Tal 2004), mais il est difficile de contrôler le nombre, la proportion et le type de fibres affectées dans ce modèle. D’ailleurs, des douleurs spontanées ainsi que des automutilations peuvent être observées (Bennett and Xie 1988).

· Ligature des nerfs spinaux (SNL : spinal nerve ligation) : le modèle consiste à lier de façon étroite les nerfs spinaux L5 et L6 avant le plexus lombosacré. Ce modèle provoque une allodynie tactile et une hyperalgésie thermique dans la patte ipsilatérale, dès la première semaine et qui peut durer plusieurs mois (Kim and Chung 1992). Par contre, un pourcentage d’animaux peut ne pas développer de changements de perception douloureuse évoquée (Xu, Kontinen et al. 1999, De Felice, Sanoja et al. 2011).

· Spared nerve injury (SNI) : le modèle consiste en une transsection de deux des trois branches du nerf sciatique, la tibiale et péronéale commune, en épargnant la branche surale (Decosterd and Woolf 2000). Cette déafférentation partielle provoque la désensibilisation des territoires innervés par ces branches tibiale et péronéale. A l’inverse, la partie latérale de la patte ipsilatérale (normalement innervée par la branche surale) et, d’une façon moins importante, sa partie médiale (innervée par le nerf saphène) développent une hyperalgésie et des allodynies mécanique et thermique. Les changements de sensibilité apparaissent le jour de la chirurgie et atteignent des valeurs maximales après deux semaines. Ces douleurs persistent et sont encore présentes 6 mois après la chirurgie (Smith, O'Hara et al. 2013).

Figue 32. Modèles de douleur neuropathique. (A). Schéma montrant les différents modèles

neuropathiques. Le modèle SNI (Spared Nerve Injury) est produit par la section des branches tibiale et péronéale du sciatique ; le modèle CCI (Chronic Constriction Injury) par la constriction du nerf sciatique, et le modèle SNL (Spinal Nerve Ligature) par la ligature des racines pré-ganglionnaires L5 et L6. (B). Répartition des prises en charge des territoires cutanés plantaires par les différentes branches du nerf sciatique chez la souris. Suite au modèle de SNI, la surface innervée par les branches tibiale et péronéale sont désensibilisées et la partie innervée par la branche surale (rouge) et le nerf saphène (saumon) développent une hypersensibilité. (C). Projections des subdivisions du nerf sciatique dans la corne dorsale de la moelle épinière. D’après (Shields, Eckert et al. 2003). (D). Diminution des seuils de nociception mécanique après SNI. D’après (Decosterd and Woolf 2000). (E). Enregistrements in vitro de la propagation des potentiels d’action déclenchés par la stimulation mécanique (5-200mN) de mécanorécepteurs Aδ (AM) localisés dans la région surale d’une préparation peau-nerf. Les réponses évoquées sont potentialisées chez les souris SNI par comparaison avec les témoins et les animaux sham. D’après (Smith, O'Hara et al. 2013).

3.3.- Limites de modèles animaux

Une des limites les plus importantes reste l’évaluation de la douleur, comme des aspects tels que l’intensité et le type de douleur. Dans la plupart des cas, l’analyse de la douleur se réalise avec des stimulations évoquées et le caractère spontané de la douleur est rarement exploré.

Ainsi, les aspects émotionnels et cognitifs restent souvent sous-évalués (Mogil 2009). D’autre part, pour des raisons éthiques, la durée des études est souvent réduite à quelques semaines, ce qui empêche l’analyse à long terme de douleurs chroniques. Ceci n’est pas le cas chez l’humain, qui est souvent confronté aux douleurs chroniques pendant plusieurs années.

Les limites de ces modèles freinent la découverte de nouveaux traitements contre la douleur chronique. Beaucoup d’études ont montré des effets analgésiques chez l’animal, mais pas chez l’humain (Mao 2012). Une des solutions est l’utilisation de modèles plus proches de maladies ou causes de douleurs chroniques chez l’humain. Parmi ces modèles, on trouve l’injection d’agents anti-cancéreux qui provoquent des neuropathies, tels que l’oxalyplatine.

De manière plus générale, on pourrait préférer intensifier la recherche dans le sens d’analyses plus fonctionnelles (fMRI pour l’activité cérébrale par exemple), ou à une échelle encore plus moléculaire chez l’humain. Ce phénotypage serait donc associé au comportement, à l’histoire, et aux traitements en cours chez chaque patient.

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