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Chapitre 1 : Prismes d’accrétions : exemple de

1. LA CINEMATIQUE D'UNE CHAÎNE DE

1.2. Modèle du prisme critique

Lors de sa comparaison de coupes de piedmonts à travers différents orogènes, Chapple remarque certaines similarité (Chapple, 1978): (i)une allure générale de la chaîne en forme de prisme s’effilant vers l’extérieure de celle-ci ; (ii) un niveau de décollement dont la vergence est dirigée vers l’intérieur de la chaîne, au-dessous duquel aucune déformation n’est observée ; (iii) au-dessus du décollement, un fort raccourcissement.

Dès lors, Chapple, ainsi que d’autres (Dahlen, 1990; Davis et al., 1983; Davis, 1978; Davis and Suppe, 1980), assimilent la mécanique des prismes développés aux frontières de plaques convergentes, à un prisme d’accrétion développé au front d’un bulldozer : le bulldozer racle une épaisseur h de sédiments sur un plan incliné d’un angle β. Un prisme d’allure triangulaire avec une pente de surface se développe, au-dessous duquel aucune déformation n’a lieu (voir Figure 1 - 3).

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Figure 1 - 3 : Formation d’un prisme d’accrétion au front d’un bulldozer (modifié d’après Dahlen, 1990). Le bulldozer racle une épaisseur h de sédiment qui recouvre une surface inclinée d’un angle β. Glissant sur un niveau de décollement, un prisme triangulaire se forme avec une pente de surface α. Si h et β demeurent constants, un état d’équilibre dynamique est atteint et l’ouverture α+β reste constante. Le prisme croît alors de façon auto-similaire.

De cette comparaison émerge la théorie du prisme critique(Chapple, 1978; Dahlen, 1984; Dahlen et al., 1984; Davis et al., 1983)montrant que le prisme se développe jusqu’à un état stationnaire durant lequel il conserve une ouverture constante de valeur α+β (avec α la pente en surface du prisme et β la pente à la base du prisme). Cette ouverture, appelée biseau critique (critical taper), reste donc constante si les propriétés mécaniques restent constantes. La théorie du prisme critique repose sur le fait que le matériau du prisme est partout dans un régime de contrainte proche de la rupture. Les variations du flux entrant sont accommodées par une déformation frontale, ainsi qu’interne, permettant la conservation de la pente critique.

1.2.1. Rhéologie du prisme

La rhéologie des matériaux de la croûte supérieure continentale (i.e. croûte granodioritique et roches sédimentaires) peut être en première approximation considérée comme obéissant à la loi de comportement frictionnel définie par Coulomb au XVIIIème siècle sur des avalanches de sable (Byerlee, 1978; Coulomb, 1773). Selon cette loi, un matériau solide (ou sableux) peut emmagasiner des contraintes sans rompre tant que celles-ci ne dépassent pas un certain seuil. Cette définition de la rupture, appelée critère de Mohr-Coulomb, s’écrit :

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𝜏𝜏𝑟𝑟 = 𝐶𝐶0+ µ. 𝜎𝜎𝑛𝑛 Equation 1 - 1

Elle relie la contrainte cisaillante à la rupture τr [M.L-1.T-2] à la contrainte normale σn [M.L-1.T-2]via la cohésion C0 [M.L-1.T-2] et le coefficient de friction interne μ du matériau [sans dimension]. Par définition, μ = tan Ф avec Ф l’angle de friction interne. L’expression μ.σn est souvent nommée «terme frictionnel ».

1.2.2. Evolution du prisme

Le prisme de Coulomb se déforme jusqu’à ce qu’il atteigne un angle critique. Une chaîne en biseau critique qui se propage vers le front en accrétant de la matière, se déforme de manière interne pour accommoder l’ajout de matière et maintenir un angle critique constant (Davis et al., 1983).Un tel prisme s’épaissit avec la déformation progressive, et il se propage de la butée rigide vers l’avant pays. La « butée rigide » est généralement formée par un arc volcanique ou une partie interne plus épaisse de la chaîne.

A partir d’un bilan des forces (Dahlen, 1990; Davis et al., 1983; Lallemand, 1999), il est possible d’évaluer la géométrie du prisme critique en calculant la valeur du biseau critique α+β. Celle-ci dépend uniquement des valeurs des paramètres physiques caractérisant le matériau et le niveau de décollement basal. Ces paramètres sont les coefficients de friction (μ et μb) et les paramètres de pression de fluide (λ et λb) ; l’indice « b » caractérisant le décollement basal.

Dans l’hypothèse d’un prisme d’accrétion non cohésif (Davis et al., 1983 ; Dahlen et al.,1984) et pour des angles de surface et de base suffisamment petits (pour que les approximations des petits angles sin α~ α et sin β ~β soient valables), la valeur de l’angle critique du biseau α+β est entièrement définie analytiquement à partir des coefficients de friction (μ et μb), densités (ρ et ρeau) et paramètres de pression de fluide (λ et λb) supposés constants dans le prisme.

𝛼𝛼 + 𝛽𝛽 = (1−𝜆𝜆𝑏𝑏)×µ𝑏𝑏+ (1−𝜌𝜌 𝑒𝑒𝑒𝑒𝑒𝑒𝜌𝜌 )×𝛽𝛽

�1−𝜌𝜌 𝑒𝑒𝑒𝑒𝑒𝑒𝜌𝜌 �+ (1−𝜆𝜆)×𝐾𝐾 Equation 1 -2

K est une grandeur sans dimension qui dépend entre autres de µ, définie par (Davis et al, 1983) : 𝐾𝐾 =𝐻𝐻21𝑑𝑑𝑑𝑑

𝑠𝑠𝑠𝑠𝑛𝑛 ∅.𝑐𝑐𝑐𝑐𝑠𝑠 2𝜓𝜓 (𝑑𝑑)−1

𝐻𝐻

0 Equation 1 -3

avec H [L] l’épaisseur locale du prisme, Ø l’angle de friction interne du prisme et ψ (z) l’angle entre la contrainte principale, σ1 et l’axe des x à la profondeur z.

Quelques observations simples peuvent être déduites des équations 1 - 2 et 1 - 3, en particulier :

Si le coefficient de friction du matériau μ augmente (augmentation de Ø), alors le biseau critique diminue (en effet, K augmente lorsque Ø augmente).

Si le coefficient de friction basale μb augmente, alors l’angle du biseau critique α+β augmente (K indépendant de μb).

Si le prisme est subaérien ρeau = 0 (ou pour un prisme composé de sable sec, comme dans beaucoup de modèles expérimentaux, λ =0). L’expression du biseau critique se simplifie et devient :

𝛼𝛼 + 𝛽𝛽 =µ𝑏𝑏+𝛽𝛽

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Cette relation est vérifiée expérimentalement avec succès pour un sable standard sec (Davis et al., 1983).

Il est possible d’établir l’orientation des contraintes principales au sein du prisme pour différents angles de biseau critique. En d’autres termes, cette relation prédit le régime tectonique du prisme (extension ou compression) quelle que soit sa géométrie. C’est ainsi que l’on peut définir « les domaines de stabilité » des prismes d’accrétion (Dahlen, 1984; Lallemand et al., 1994).

1.2.3. Les processus de formation du prisme

Dans les prismes d’accrétion, il existe plusieurs mécanismes de déformation, en fonction de la géométrie et de la cinématique de la subduction continentale (chevauchement, plissement, sous-placage, duplex) ainsi que de la profondeur (variations de pression / température). Dans le cadre de ce travail, nous nous intéresserons à la partie supérieure de la croûte continentale, c'est-à-dire les 10 – 15 premiers kilomètres. Dans cette partie de la croûte continentale, les processus de déformation liés à la croûte inférieure –fluage, cisaillement ductile- ne sont pas considérés, des mécanismes tels que la rupture fragile dominent (Brace and Kohlstedt, 1980)

Dans les prismes d’accrétion observés aux piedmonts de chaînes, les déformations majoritairement observées sont les plis et les failles. Les plis résultent du flambage de la couverture sédimentaire d’avant-pays et les failles résultent de la fracturation permettent d’accommoder des déplacements d’ampleur très variées, du km à quelques cm. Ces deux modes de déformation sont étroitement liés et leurs relations géométriques et cinématiques sont étudiées depuis longtemps (Dahlstrom, 1969; Rich, 1934). L’incrément de déplacement de chacun de ces modes de déformation s’effectue généralement au cours des séismes ou par glissement asismique (creeping).

1.2.3.1. Plissement

Le plissement s’observe sur plusieurs ordres de grandeur : depuis l’échelle centimétrique de l’échantillon jusqu’à l’échelle plurikilométrique de la croûte supérieure. A l’échelle de la croûte supérieure, il représente souvent un stade précoce de la déformation qui précède la rupture fragile (formation de failles). Dans les prismes d’accrétion, le plissement est essentiellement lié à la propagation de la déformation vers l’avant-pays. Il déforme les sédiments d’avant pays accumulés suite à l’érosion des reliefs. L’orientation des plans axiaux des plis est généralement parallèle à la direction principale de la chaîne. On peut distinguer différents types de plis, en fonction de leur relation avec les failles. Pour le détail de leur classement, voir Burbank et Anderson, (2001).

1.2.3.2. Failles et chevauchements

Les failles correspondent à la localisation de la rupture dans les roches. En fonction du régime de contrainte, différents types de failles peuvent apparaître : failles inverses (thrust faults), failles normales (normal faults) et failles décrochantes (strike-slip faults). En contexte de convergence, et particulièrement dans les prismes d’accrétion, les failles sont inverses. On les appelle aussi chevauchements. Tout comme les plis, ces structures sont quasiment parallèles à la direction principale de la chaîne de montagnes, donnant lieu à l’appellation « fold an thrust belts ». En coupe,

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les failles ont une géométrie imbriquée où chaque faille constituant le prisme vient le plus souvent s’enraciner au niveau du décollement principal. Leur pendage n’est pas toujours constant car elles peuvent posséder des portions parallèles à la stratification des couches (les « plats ») et des portions sécantes(les rampes).L’apparition des chevauchements se fait depuis les zones internes de la chaîne jusqu’aux parties frontales. Ainsi, on parle souvent de séquence « normale » de propagation de la déformation lorsque le déplacement a lieu sur les chevauchements les plus au front de la chaîne. A l’inverse, un épisode de séquence inverse (ou hors séquence)caractérise une propagation rétrograde (vers l’arrière) des chevauchements. En l’absence de processus de surface, l’activité des chevauchements s’effectue très souvent selon une séquence prograde : les chevauchements les plus frontaux sont les plus actifs (ils accommodent la majorité du raccourcissement) alors que les anciens chevauchements sont quasiment inactifs (voir Figure 1 - 4).

Figure 1 - 4 : en haut schéma d’un prisme avec les chevauchements numérotés par ordre d’apparition. En bas : graphique présentant le raccourcissement accommodé par chaque chevauchement lors d’une activité en séquence (l’activité des chevauchements internes cesse à l’apparition d’un nouveau chevauchement au front) et hors séquence (Dans ce cas les chevauchements les plus internes ont une activité importante malgré l’émergence de nouveaux chevauchements au front).

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Lorsqu’on intègre l’érosion dans les modèles de prismes, on en modifie sa dynamique (Dahlen, 1988; Dahlen and Barr, 1989; Dahlen and Suppe, 1988). En enlevant continuellement de la matière à sa surface, l’érosion joue un rôle fondamental sur la mécanique du prisme, induisant une déformation continue de celui-ci pour maintenir l’état critique. En état stationnaire, le flux de matière entrant (dû à la tectonique) est compensé par le flux de matière sortant (en partie lié à l’érosion). Dans ce cas, la largeur du prisme est aussi contrôlée par les volumes de flux entrant et sortant, et non pas seulement par les propriétés frictionnelles des matériaux. Dans le cas d’un état stable sans variation de flux, on peut établir des modèles cinématiques simples du flux de matière à l’intérieur du prisme permettant de comprendre sa dynamique, telle que les trajectoires et les temps de résidence des roches (Figure 1 - 5).

Figure 1 - 5 : Erosion et modèle de prisme critique. A) Prisme critique ayant atteint un état d’équilibre dynamique entre le flux entrant et le flux sortant (d’après Dahlen, 1990). B) Modélisation des trajectoires des roches au sein du prisme de Taiwan (d’après Dahlen & Suppe, 1988). Considérant un flux en entrée de 500 km2/Ma, un taux d’érosion de 2,9 km/Ma, une largeur de prisme égale à 87 km, les trajectoires des roches dessinent des courbes dont la longueur dépend de la profondeur de l’échantillon. En moyenne, une roche typique réside 2 à 3 Ma dans le prisme. C) Explication de l’effet de l’érosion sur la dynamique des prismes d’accrétion critique grâce au diagramme des domaines de stabilité (d’après Leturmy et al., 2000).

L’érosion diminue la pente de surface du prisme d’accrétion, et modifie sa stabilité en le faisant passer d’un domaine stable à un domaine sous-critique. De même, la sédimentation en pied de prisme d’accrétion diminue la pente de surface et le conduit dans le domaine sous-critique. Le prisme se déforme alors dans les zones internes et s’épaissit afin de retrouver sa pente d’équilibre (Leturmy et al., 2000).

Le modèle de prisme critique a donné lieu à de très nombreuses adaptations numériques (e.g. Beaumont et al., 1996) à travers le développement de différents algorithmes (e.g.Barr and Dahlen, 1989; Chalaron and Mugnier, 1993; Chalaron et al., 1996; Willett et al., 1993).

1.3. Contrôles de la répartition des mouvements: hors