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1. INTRODUCTION

1.4. Intérêt des modèles animaux pour étudier les voies physiopathologiques de la DI

1.4.1. Modèle murin

1.4.1.1. Génome murin et outils utilisés pour la transgenèse

La première version de la séquence du génome murin a été publiée en 2002 et indiquait qu’il était possible d’aligner environ 50% du génome humain sur celui de la souris 232. La comparaison des séquences sensibles à la DNase I retrouve un degré de similitudes relativement important 233,234 ce qui indique une conservation entre ces 2 mammifères, mais des divergences sont aussi notées (chapitre 1.4.7).

Au cours des dernières décennies, de nombreuses techniques de manipulation génétique ont pu être utilisées pour appréhender la fonction des gènes responsables de maladies génétiques et en particulier de la DI in vivo.

- Au début des années 1980, la technique de micro-injection de vecteurs d’ADN exogène à des stades embryonnaires précoces ou dans des pronuclei post-fécondation permettait l’intégration dans le

58 génome murin de séquences cibles. L’injection de cellules souches embryonnaires modifiées à un stade embryonnaire très précoce conduisait à la création de chimères. Dans les 2 cas, le phénotype résultant était étudié et des analyses fonctionnelles pouvaient être menées.

- Dans les années 1990-2000, des technologies de mutagenèse dirigée ont ensuite été développées, améliorant le ciblage des régions d’intérêt.

La technologie du système bactériophage Cre/loxP a été très utilisée dans les modèles murins et consiste à croiser d’une part des souris exprimant la Cre recombinase (spontanément ou sous le contrôle d’activateurs exogènes comme le tamoxifène ou la doxycycline, ou endogènes par l’ajout de séquences régulatrices spécifiques d’un organe ou d’un type cellulaire choisi) avec d’autre part des souris contenant des sites loxP placés à un site ciblé du génome (en pratique au niveau d’un gène d’intérêt) et qui seront reconnus par la recombinase (figure 22) ; l’activation du système permet d’induire des délétions (knock-out), des inversions, des translocations ou l’introduction de séquences (knock-in) permettant ensuite d’étudier leurs conséquences (figure 23) 235.

Figure 22 : Procédure permettant d’insérer des sites loxP au niveau de régions cibles du génome qui sera reconnu par la Cre recombinase 235.

Figure 23 : Résultats obtenus après activité Cre recombinase selon l’orientation et la localisation des sites loxP insérés 235.

59 - La technologie CRISPR-Cas9 a été une révolution dans son potentiel d’applications à partir du début des années 2010 pour permettre de générer de façon encore plus simple des modèles animaux (figure 24) :

Figure 24 : Illustration de la technologie CRISPR-Cas9. a. Système CRISPR RNA (crRNA) contenant des séquences successives visant à cibler de l’ADN par complémentarité associées aux répétitions CRISPR, et séparé du tracrRNA (trans-activating CRISPR RNA) ; l’interaction de ces 2 ARN par la séquence CRISPR permet l’adressage à la Cas9 (CRISPR-associated protein 9). b. Design d’une séquence hybride combinant le crRNA (ARN guide) et le tracrRNA permettant d’améliorer la spécificité de la séquence à cibler par la Cas9 236.

Le complexe CRISPR-Cas9 cible une région d’ADN spécifique et génère une cassure double brin ; sa réparation se fait de façon variable par réparation homologue ou non homologue pouvant générer des délétions, duplications, inversions variables. Ce système, facile à utiliser, permet une augmentation du « débit » générant des mutants et une analyse ciblée du locus ciblé permet d’étudier le mécanisme de réparation mis en œuvre et l’effet mutationnel 237 puis il convient d’étudier le phénotype associé.

1.4.1.2. Application des modèles murins à la DI

Toutes ces technologies ont permis de créer de très nombreux modèles animaux pour comprendre la fonction des gènes et les conséquences associées à différents types de mutations. De nombreux tests ont été développés chez la souris pour étudier le profil comportemental et cognitif de façon reproductible :

60 - le test en champ ouvert (open field test) permet d’évaluer le niveau d’anxiété reflété par le comportement d’exploration d’une souris placée dans un environnement circulaire fermé, le temps passé en périphérie étant considéré comme proportionnel au niveau d’anxiété 238.

- l’inhibition pré-stimulation (pre-pulse inhibition) évalue les capacités d’apprentissage et de mémorisation en faisant précéder une stimulation surprenante et brutale par une faible stimulation, l’effet de surprise est censé s’atténuer avec le temps, indiquant que la souris a pu apprendre le lien entre le 1er et le 2nd événement 239.

- le labyrinthe de Morris (Morris maze test) est un des tests les plus utilisés pour étudier les capacités d’apprentissage de la reconnaissance spatiale : il consiste à évaluer dans une piscine la rapidité de localisation d’une plateforme cachée où la souris a pied et va donc avoir tendance à se placer pour limiter son temps de nage où des repères visuels ont été placés ; au fur et à mesure de la répétition de l’épreuve, la souris est censée retrouver la plateforme de plus en plus rapidement, la plasticité peut s’étudier en reproduisant plusieurs séries d’épreuves après avoir changé la plateforme ou les repères de place.

- plusieurs tests ont été développés pour évaluer la sociabilité chez la souris pouvant reproduire les traits autistiques (isolés ou pouvant être combinés dans la DI).

a. Etude des protéines synaptiques

Par exemple, des modèles murins invalidant les neurexines et neuroligines au niveau des éléments pré et post-synaptiques ont été créés pour étudier les conséquences de la perte de fonction sur la régulation synaptique. Chez l’Homme, des études d’association ont pu montrer que la délétion hétérozygote du gène NRXN1 dans la région 2p16.3 représentait un facteur de risque aux troubles neurodéveloppementaux. Il existe 2 isoformes protéiques : NRXN1α (forme longue) et NRXN1β (forme courte). Les souris KO (knock-out) pour l’isoforme Nrxn1α avaient une diminution de l’intensité d’activation des synapses excitatrices, une diminution de l’apprentissage du test de pre-pulse inhibition, une augmentation du comportement de toilettage et une amélioration des capacités d’apprentissage moteur ; cette isoforme est probablement responsable de la régulation de la balance excitation-inhibition des synapses excitatrices et la diminution quantitative de protéine est associée à un comportement de type autistique 240.

L’étude d’un modèle murin de surexpression de NRXN1β dans les neurones glutamatergiques grâce à un promoteur spécifique a montré une augmentation du comportement de toilettage et une diminution des interactions sociales ce qui est évocateur de symptômes autistiques, ces symptômes étaient réversibles après diminution d’expression de l’isoforme 240.

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b. Modèle murin de syndrome de l’X fragile

Un modèle de souris KO Fmr1 a retrouvé des éléments cliniques et comportementaux proches de la maladie humaine (syndrome de l’X fragile) avec une hyperactivité, une anxiété augmentée, un déficit cognitif, et un trouble de discrimination entre une souris connue et une souris inconnue 241. Afin de préciser les conséquences de la perte d’expression du gène dans des cellules spécifiques, des modèles Cre/loxP ont été utilisés pour inactiver le gène dans différents types cellulaires comme les cellules de Purkinje du cervelet (entraînant chez les souris un déficit dans le conditionnement au clignement des yeux médié par le cervelet 242), ou dans les neurones corticaux et hippocampiques dans les 1ères semaines de vie responsable de modifications des dendrites (à type d’allongement des épines) et de l’expression de marqueurs synaptiques spécifiques à certaines régions cérébrales et une activation de la voie AKT‐mTOR (à noter qu’il n’était pas noté de changement comportemental dans ce modèle) 243.

Chez les mammifères, le gène FMR1 fait partie d’une petite famille de protéine qui inclut également

FXR1 et FXR2. Les 3 membres interagissent avec des ARN et contiennent des motifs habituellement

retrouvés dans d’autres protéines ayant des rôles similaires (comme les hnRNP - Heterogeneous nuclear ribonucleoproteins) dont 2 domaines KH et un domaine RGG. Ce groupe de protéine FMR1/FXR contient aussi un domaine d’interaction à l’ARNr 60S et un domaine qui permet l’homo et l’hétérodimérisation avec chacun des membres de la famille protéique.

Afin d’étudier le rôle de gènes homologues et des interactions possibles avec FMRP, plusieurs modèles de souris KO Fxr1 et Fxr2 ont été générés. Concernant les souris KO Fxr1, un des modèles retrouvait des souris ayant une amyotrophie et une espérance de vie fortement réduites faisant évoquer un rôle similaire de FMRP au niveau des cellules musculaires 244. Concernant les souris KO Fxr2, il n’a pas été identifié de différence structurelle par rapport aux contrôles mais des troubles du comportement avec hyperactivité majeure, diminution des capacités de pre-pulse inhibition et de localisation de la plateforme dans la piscine de Morris (water maze test) 245, ce qui indique un rôle au niveau du système nerveux central. Les souris double KO Fmr1 et Fxr2 avaient des altérations cognitives encore plus importantes, une perte des rythmes circadiens, une anxiété majeure, des troubles d’apprentissage et de mémorisation 246,247. Ces données sont donc en faveur de relation fonctionnelles entre FMRP et FXR2. Ces exemples montrent comment il est possible d’étudier des voies de signalisation et des interactions protéiques in vivo.

c. Modèle murin de syndrome de Rett

Le syndrome de Rett est dû à des variants pathogènes de MECP2 (Methyl-CpG-binding protein 2) et correspond à une régression des acquisitions dans les 1ers mois de vie avec déficit intellectuel, microcéphalie et TSA incluant des stéréotypies (chapitre 1.2.3.2). La protéine MECP2 est localisée au niveau du noyau cellulaire et se fixe à l’ADN méthylé 248 pour fonctionner comme répresseur

62 transcriptionnel. Le gène est fortement exprimé dans le cerveau post-natal et a un rôle majeur dans le développement du système nerveux central chez le mammifère. Un modèle murin produit par invalidation cerveau-spécifique du gène grâce au système Cre-loxP a permis de retrouver des éléments cliniques ressemblant au syndrome avec une régression apparaissant vers 5 semaines de vie et décès entre 6 et 12 semaines lorsque l’invalidation est programmée au stade embryonnaire. L’étude morphologique cérébrale a montré une diminution de la taille des neurones sans élément en faveur de neurodégénérescence chez les mutants. Lorsque l’invalidation du gène est programmée en période post-natale, on retrouve des effets similaires mais décalés dans le temps 249. Ces éléments montrent l’intérêt du modèle animal pour explorer le rôle d’un gène dans le déficit intellectuel, et dans cet exemple le rôle de MECP2, pour reproduire le phénotype de la maladie humaine pour servir de modèle au développement de projets thérapeutiques.