• Aucun résultat trouvé

3. Rôles du système kisspeptine

4.1. Modèle de l’anguille

4.1.1. Intérêt biologique de l’anguille

Figure 7 : Cycle biologique de l’anguille.

a. Le cycle de vie de l’anguille européenne

L’anguille européenne, Anguilla anguilla, est un actinoptérygien, téléostéen, élopomorphe, anguilliforme, anguillidé. C’est une espèce catadrome qui présente un développement indirect avec un stade larvaire dit leptocéphale, caractéristique des élopomorphes (Figure7). Les populations de cette espèce se répartissent le long des côtes et dans les hydrosystèmes européens et nord africains (Figure 8).

La ponte a lieu dans une région encore inconnue de la mer des Sargasses. Après l’éclosion, les larves, au stade leptocéphale, sont emportées par les grands courants océaniques jusqu’au talus continental (Kettle and Haines, 2006; Power and McCleave, 1983;

Schmidt, 1922). Cette migration de près de 6000 km est estimée durer de plusieurs mois à plus d’une année (Arai et al., 2000; Lecomte-Finiger, 1992).

Figure 8 : Aire de répartition de l’anguille européenne (Anguilla anguilla).

(Adam, 1997)

Une fois arrivées sur le plateau continental, les larves subissent une première métamorphose, dite larvaire, et deviennent des civelles transparentes (pour revue : Otake, 2003) (Figure 7). Ces civelles vont coloniser les eaux continentales douces ou saumâtres où elles vont peu à peu se développer et se pigmenter pour prendre le nom d’anguillettes. C’est à ce stade que va avoir lieu la différenciation sexuelle (Colombo et al., 1984).

Par la suite, les anguillettes vont se développer en anguilles jaunes, toujours à un stade juvénile (Figure 7). Cette période du cycle de vie de l’anguille correspond à une phase de croissance somatique et d’accumulation de réserves énergétiques en vue de la maturation sexuelle et de la migration vers la zone de frai océanique. C’est également à partir de ce stade que l’on peut observer un léger dimorphisme sexuel chez cette espèce. En effet, les femelles vont croitre durant sept à vingt ans et atteindre une taille supérieure à celle des mâles pour qui la croissance peut prendre de trois à dix ans.

La phase de croissance continentale se termine par une seconde métamorphose, appelée l’argenture (Figure 7). Cette métamorphose se traduit par de nombreux changements d’ordre morphologique (livrée argentée, augmentation du diamètre oculaire…), physiologique (développement des cellules à chlorure au niveau des branchies, épaississement de la vessie natatoire…) et comportemental (migration, entrée en jeûne et grégarisation) (pour revue : (Rousseau et al., 2011). Ces changements vont permettre de préparer les anguilles, non

seulement à affronter les différentes conditions environnementales rencontrées au cours de leur migration océanique (salinité, obscurité, hautes pressions) (Sébert et al., 2009) mais également les préparer à leur maturation sexuelle. A la différence de la métamorphose de la larve leptocéphale en civelle qui est sous le contrôle des hormones thyroïdiennes comme chez les amphibiens, les travaux réalisés au sein de notre équipe ont montré que l’argenture est principalement contrôlée par l’axe gonadotrope. L’argenture marque ainsi le début de la puberté chez l’anguille (Aroua et al., 2005). Au stade argenté, les anguilles femelles possèdent des ovocytes qui sont, selon les individus, en vitellogénèse dite « endogène » (stade « oil dropplet ») ou en début de vitellogénèse dite « exogène » (début d’incorporation de vitellogénine) (Aroua et al., 2005). A ce stade, le taux circulant de vitellogénine devient détectable (Aroua et al., 2005). Chez la majorité des mâles, les testicules contiennent des gonies, et chez certains quelque spermatocytes (pour revue : Dufour et al., 2003). L’argenture s’accompagne également d’une augmentation du taux plasmatique des stéroïdes sexuels chez les deux sexes (Aroua et al., 2005; Sbaihi et al., 2001). Le rapport gonadosomatique est de 1 à 2% chez les femelles et inférieur à 1% chez les mâles, des valeurs très inférieures à celles atteintes chez les anguilles après maturation expérimentale (de l’ordre de 40% chez les femelles et 10% chez les mâles). Tant que la migration océanique n’a pas lieu, les anguilles restent bloquées à ce stade pré-pubertaire (Figure 7). Jusqu’à maintenant, aucune anguille européenne mature n’a pu être observée dans son milieu naturel.

Ce cycle catadrome est commun aux 18 espèces d’anguilles décrites à ce jour (Minegishi et al., 2005). Cependant, le stade d’avancement de la puberté au moment du départ en mer peut varier d’une espèce à l’autre. En effet, l’anguille japonaise, Anguilla japonica, subit un blocage pré-pubertaire moins fort que l’anguille européenne.

b. Maturation expérimentale de l’anguille

Un certain nombre d’études a cherché à reproduire en laboratoire les facteurs environnementaux qui pourraient influer sur la maturation sexuelle au cours de la migration et/ou à l’approche de la zone de frai (Palstra and van den Thillart, 2010; Sébert et al., 2007). Bien que ces études aient montré une influence de la pression hydrostatique (Sébert et al., 2007), de la nage (Palstra and van den Thillart, 2010; van Ginneken et al., 2007) etc, aucune d’entre elles n’a pour le moment permis d’obtenir des individus complètement matures.

En revanche, très tôt, des expériences ont tenté d’identifier les facteurs internes intervenant dans le processus de maturation. Les premiers travaux rendant compte d’une stimulation de la gamétogénèse chez l’anguille européenne ont été menés dans notre

laboratoire sous la direction de Maurice Fontaine en 1936. Lors de ces expériences, après injection d’extraits d’urine de femmes enceintes à des anguilles mâles, la stimulation de spermatogénèse complète et l’émission de sperme ont été observées (Fontaine, 1936). Presque trente ans plus tard, le même groupe a réussi à induire, chez la femelle, la première maturation gonadique par injection d’extraits hypophysaires de carpe (Fontaine et al., 1964). Ces expériences ont donc suggéré que le blocage en pré-puberté des anguilles argentées n’était pas dû à un manque de sensibilité des gonades vis-à-vis des gonadotropines mais probablement à une déficience en gonadotropines circulantes. La mise au point de dosage radioimmunologiques de la LH (Dufour et al., 1983) et d’analyses par PCR quantitatives en temps réel de l’expression de la LHβ et de la FSHβ (Aroua et al., 2007) ont confirmé la faible expression de ces hormones chez les anguilles pré-pubères.

Figure 9 : Photos d’anguilles matures. (A) femelle (en haut) et mâle (en bas) en cours de maturation

expérimentale ; (B) dissection d’une anguille mâle après maturation expérimentale, les testicules sont particulièrement développés ; (C) dissection d’une anguille femelle après maturation expérimentale, les ovaires occupent la majeure partie de la cavité corporelle.

Les expériences réalisées, par la suite dans notre équipe (Figure 9), se sont intéressées au rôle du contrôle cérébral dans cette déficience. Ces études ont notamment révélé que seul un double traitement avec un agoniste de GnRH et un anti-dopaminergique (le pimozide,

antagoniste des récepteurs de type D2) a pu stimuler la synthèse et la libération de LH, induisant ainsi la vitellogénèse (Dufour et al., 1988; Vidal et al., 2004). Il semblerait donc que l’arrêt de la maturation sexuelle des anguilles en pré-puberté résulte d’un double blocage cérébral dû à un manque de stimulation par la GnRH et une inhibition par la DA. Il s’agit de la plus forte inhibition dopaminergique décrite chez un téléostéen.

L’identification d’acteurs de l’axe cerveau-hypophyse-gonade, agissant en amont du double contrôle GnRH/DA, pourrait permettre de développer de nouvelles techniques de maturations expérimentales. Ces avancées permettraient d’améliorer la qualité des gamètes produites par les géniteurs, ce qui représente à l’heure actuelle l’un des facteurs limitants du processus de reproduction de l’anguille européenne en milieu contrôlé.

Figure 10 : Classification phylogénétique des téléostéens. Le groupe des élopomorphes dont fait

partie l’anguille européenne et indiqué en rouge (selon Lecointre et Le Guyader, 2001, éd. Belin).

4.1.2. Intérêt phylogénétique des élopomorphes

Les élopomorphes, dont font partie les différentes espèces d’anguilles, forment un des groupes monophylétiques situés à la base de la classification des téléostéens (Figure 10). Du fait de cette position particulière, certains caractères, ou mécanismes physiologiques, mis en évidence chez l’anguille seraient susceptibles de refléter un état ancestral chez les téléostéens. C’est pourquoi, en plus de l’intérêt physiologique dû à son cycle de vie atypique, l’anguille présente un intérêt dans la compréhension de l’évolution des mécanismes liés aux grandes fonctions telles que la reproduction.

Documents relatifs