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2.3 Le cadre économétrique

2.3.1 Le modèle

Fajnzylber et al. (2002) et Lederman et al. (2002) suggèrent que le niveau de développement, les inégalités de revenu et le changement dans les conditions écono-miques constituent les déterminants fondamentaux du taux de criminalité violente. Nous mesurons ces trois éléments respectivement par le revenu moyen de la mu-nicipalité, le coefficient de Gini de distribution des revenus (intra-municipalité et non pas inter-municipalités) ainsi que le taux de croissance du revenu entre 1991 (année du précédent recensement et donc dernière année pour laquelle une mesure du revenu municipal est disponible) et 2000. Nous introduisons également une série de variables démographiques et sociologiques connues pour influencer le niveau de criminalité. Glaeser et Sacerdote (1999) suggèrent qu’il y a plus de crimes commis en ville du fait que les gains espérés sont plus élevés et la probabilité d’arrestation plus faible qu’ailleurs (car le nombre de policiers par habitant est plus faible en ville et les possibilités de se cacher sont plus importantes), ce qui est en fait lié à une densité de population plus importante en ville qu’ailleurs. Le taux d’urbanisation est introduit dans les estimations afin de contrôler pour cet effet. De plus, il est désormais établi que la violence est essentiellement le fait de jeunes hommes. Nous introduisons la part de la population municipale des hommes entre 15 et 24 ans afin de contrôler pour ce fait stylisé. Les sociologues et criminologues ont également

montré que le crime est fortement corrélé (positivement) avec l’instabilité familiale et en particulier avec la part des ménages dirigés par des femmes seules4. Enfin, le nombre de policiers militaires par habitant (équivalent des gendarmes) est introduit comme variable de dissuasion.

Les variables d’éducation

Plusieurs séries de variables d’éducation sont utilisées et introduites alternative-ment. La première est le nombre moyen d’années d’études de la population adulte, censé mesurer le niveau de capital humain présent dans chaque municipalité. La se-conde est le taux d’alphabétisation, qui est un indicateur du résultat de la politique d’éducation de base. La troisième série de variables d’éducation introduite dans les régressions est constituée des parts de la population adulte avec respectivement un niveau d’éducation primaire, secondaire et supérieure. Ces parts sont introduites simultanément dans les régressions afin de différencier l’effet de l’éducation en fonc-tion de ses différentes composantes, notamment pour tenter de déterminer l’effet de l’éducation sur les crimes violents contre la propriété (puisque, d’après le modèle théorique, l’effet est indéterminé). Enfin, la quatrième variable introduite dans les estimations est un indice de Gini de l’éducation, construit en utilisant la méthode proposée par Thomas et al. (2000) :

GiniE = 1 µ ! n X i=2 i−1 X j=1 pi|yi− yj| pj (2.1) avec :

– µ, le nombre moyen d’années d’études, µ =Pni=1yipi

– pi et pj sont les proportions de la population avec un niveau d’éducation i et j

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– yi et yj sont le nombre d’années d’éducation correspondant aux niveaux i et j – n est le nombre de niveaux ; ici, n = 17 (un niveau correspond à une année d’éducation), ce qui permet d’obtenir un indice plus précis qu’avec la décom-position classique entre les trois niveaux d’éducation (primaire, secondaire, supérieur).

La concentration spatiale du crime

La concentration du crime est un phénomène dorénavant bien documenté (Zenou 2003) et peut avoir plusieurs sources : la présence d’interactions sociales, le rôle de la police locale et la distance aux emplois.

La prise en compte des interactions sociales. Le concept d’interactions

so-ciales a connu un renouveau dans le courant des années 1990, essentiellement dans le domaine de l’économie de l’urbanisme, avec l’objectif, comme le rappelle Akerlof (1997), de dépasser le modèle traditionnel de comportement individuel. L’hypothèse sous-jacente est le fait que les individus ne font pas leurs choix indépendamment, leurs décisions sont également la conséquence de l’influence de leur environnement social (famille, amis, voisins, groupes religieux et/ou ethniques, etc.). En d’autres termes, ces interactions sociales peuvent conduire les individus à un comportement collectif, même sans mécanisme formel de coordination : les décisions individuelles et l’environnement sont désormais endogènes. D’après Borjas (1995) et Akerlof (1997), les interactions sociales augmentent avec la proximité sociale, essentiellement due à l’appartenance à un même groupe ethnique et/ou au voisinage. Durlauf (1994) et Borjas (1995) considèrent également la transmission intergénérationnelle de capital humain et la stratification des revenus. Les interactions sociales sont alors considé-rées comme un vecteur de diffusion de valeurs et de connaissances.

Ce processus de diffusion s’applique également au phénomène criminel. Zenou (2003), à l’aide d’un simple modèle à deux individus (étendu ensuite à n individus), montre que les interactions sociales (entendues ici comme le fait qu’un individu imite l’autre au lieu de prendre ses décisions indépendamment) n’accroîssent pas l’espé-rance du nombre de crimes mais accroîssent sa variance. Ce type de modèle explique la variation spatiale qui caractérise la criminalité : les interactions sociales amplifient l’effet du crime et peuvent générer, si elles sont localisées, des «points chauds» dans certains quartiers d’une même ville. Cohen et Tita (1999) considèrent quant à eux deux types de diffusion du crime. Le premier, la diffusion par contagion, fait réfé-rence au processus d’extension des maladies et sous-entend un contact direct entre le premier criminel et les suivants (la construction d’un gang suit typiquement ce pro-cessus). La contagion elle-même suit deux modes ; la diffusion dite de relocalisation suggère que les criminels se déplacent d’un point à autre, le premier n’étant plus un lieu de crime. A l’opposé, dans le cas d’une diffusion d’expansion, les deux points sont des «centres criminels». Le second type de diffusion du crime est hierarchique. Au contraire de la contagion, cela ne suppose pas un contact direct entre criminels mais plutôt l’existence d’innovations spontanées ou de processus d’imitation.

Empiriquement, Glaeser et al. (1996) expliquent la forte variance de la crimi-nalité dans le temps et dans l’espace par des différences d’interactions sociales. Ils trouvent à l’aide d’une méthode de décomposition que le rôle joué par les interac-tions sociales dans l’explication des différences locales de taux de criminalité aux Etats-Unis est élevé pour la délinquance (vols à l’étalage, petits vols sans violence), modéré pour les crimes sérieux (vols violents, cambriolages) et négligeable pour les meurtres et les viols. Ce résultat suggère que le mécanisme d’apprentissage par le contact (“learning by seeing”) est pertinent pour expliquer les crimes économiques mais pas la violence «pure», ce qui semble plutôt conforme à l’intuition.

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Le rôle de la police locale. L’hypothèse sous-jacente est ici le fait que la

pro-babilité d’arrestation n’est pas exogène au niveau local mais dépend au contraire du nombre de crimes commis. Deux approches ont été développées. Dans la pre-mière, Sah (1991) considère un modèle où la décision d’un individu de commettre un crime dépend de sa probabilité de sanction perçue (qui est endogène) et non pas de la véritable probabilité. La probabilité perçue dépend de l’environnement de l’individu, et en particulier de la véritable probabilité de sanction des autres cri-minels. Puisque le nombre d’arrestations par la police est limité, plus les criminels sont nombreux, moindre sera la probabilité de sanction (véritable et perçue). Ce modèle permet notamment de prendre en compte l’inertie spatiale et temporelle qui caractérise les taux de criminalité. La seconde approche fut développé par Freeman et al. (1996). Les auteurs s’interrogent sur les déterminants de la localisation spa-tiale des criminels et développent un modèle théorique dans lequel chaque criminel génère une externalité positive pour les autres en réduisant la probabilité d’arresta-tion, à dépense policière constante. Par conséquent, les criminels ont tout intérêt à se «regrouper» puisque les rendements du crime sont plus élevés dans les zones où le nombre de criminels est plus important. Cet effet est malgré tout contrebalancé par le fait que les opportunités pour chaque criminel baissent avec leur nombre ; la décision de commettre un crime dans un quartier précis résulte donc d’un arbitrage entre la probabilité d’arrestation et le butin potentiel.

La distance aux emplois. Afin d’expliquer pourquoi, aux Etats-Unis

notam-ment, les noirs commettent plus de crimes que les blancs, Verdier et Zenou (2004) développent un modèle dans lequel la criminalité dépend de la distance des crimi-nels au marché de l’emploi. Le modèle est fondé sur le principe de la discrimination statistique sur le marché de l’emploi : les firmes paient chaque travailleur en

fonc-tion de la productivité moyenne de son groupe. Ex ante, les blancs et les noirs sont identiques mais il est supposé que tous les travailleurs pensent que les noirs sont plus criminels que les blancs ; par conséquent, les noirs vont d’eux-mêmes s’éloigner du marché du fait de leur moindre capacité à payer pour des logements proches du marché, cette moindre capacité provenant elle-même d’un salaire anticipé moindre (du fait de la discrimination statistique sur le marché du travail). Les noirs vont donc s’installer loin des emplois, l’écart réel entre les salaires des blancs et des noirs va encore s’accroître car ces derniers seront plus fatigués, auront des coûts de transport plus élevés et seront donc moins productifs. Finalement, leurs moindres opportunités sur le marché du travail légal conduisent les noirs à commettre effectivement plus de crimes que les blancs. Le modèle permet donc de mettre en évidence l’existence de croyances auto-réalisatrices concernant les crimes et les criminels et permet éga-lement d’avancer une explication supplémentaire à la concentration spatiale de la criminalité.