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A.3 Variables

A.3.3 Paramètres

4.2 Le cadre d’analyse conceptuel

4.2 Le cadre d’analyse conceptuel

4.2.1 Les déterminants «traditionnels» du crime

Comme nous l’avons déjà précisé dans les chapitres précédents (cf. notamment le chapitre 1), la théorie économique du crime, initiée par Becker (1968) et Ehrlich (1973), considère que les criminels, au même titre que les autres individus, sont supposés maximiser leur utilité espérée et réagir à des incitations. Le crime est vu comme la conséquence d’une allocation rationnelle du temps entre les activités légales et illégales. En d’autres termes, chaque agent compare ses revenus espérés dans les secteurs légaux et illégaux et «devient» un criminel si le revenu illégal est plus important (que le revenu légal). Ce choix est largement influencé par la dissuasion ou, plus précisément, par la probabilité d’arrestation et la lourdeur de la sanction. Une part importante de la littérature s’est par conséquent attachée à étudier les effets de la dissuasion2.

Cette littérature a également tenté d’identifier les variables considérées comme des déterminants «traditionnels» de la criminalité, même si leur effet est encore indéfini. C’est le cas notamment du niveau de revenu moyen. Un revenu moyen élevé traduit l’existence d’opportunités sur le marché du travail légal et devrait donc s’accompagner de peu d’atteintes à la propriété. Toutefois, les opportunités pour les criminels augmentent également avec le revenu moyen puisqu’il y a plus de biens à voler. Des arguments similaires s’appliquent au taux de croissance du revenu tant et si bien que l’effet final de ces deux variables sur la criminalité est indéterminé. Une autre hypothèse, avancée récemment par Neumayer (2005), concerne l’effet des inégalités de revenu sur la criminalité. Les atteintes à la propriété peuvent être vues comme une tentative des plus pauvres de réduire l’écart entre leur propre revenu et

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celui des plus riches. De plus, les inégalités de revenu réduisent le coût d’opportunités du crime, au moins pour les plus pauvres. Enfin, la privation relative induite par les inégalités génère de la frustration et accroît la violence (cf. notamment les chapitre 1 et 2). Par conséquent, on attend un effet positif des inégalités sur la criminalité. Cet effet n’est cependant pas significatif dans la plupart des études empiriques, notamment celles utilisant des données macroéconomiques. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce résultat, notamment un manque de données d’inégalités pour un grand nombre de pays et un manque de variation temporelle suffisante pour la variable utilisée (généralement l’indice de Gini).

Le modèle théorique de Becker (1968) ne semble en outre pas bien adapté à l’explication de crimes violents commis sans aucune considération économique. Il est en effet peu probable qu’un individu effectue une analyse rationnelle avant de commettre une agression ou un meutre, sauf évidemment si ceux-ci sont liés à une atteinte à la propriété (un cambriolage par exemple). Des fondements théoriques supplémentaires sont donc nécessaires pour expliquer ce type de crime. Neumayer (2003) distingue trois théories expliquant la violence. Tout d’abord, la théorie de la modernisation suggère que le processus de modernisation dans un pays donné accroît la violence parce que les mécanismes de contrôle social pré-existants sont détruits, en partie à cause de l’urbanisation : le processus mène à une aliénation des individus (particulièrement ceux qui ont été incapables de s’adapter à la nouvelle société) et à une situation d’anomie (absence de normes) qui peut conduire à une augmentation de la violence. La théorie dite des «opportunités» (ou des occasions) avance quant à elle que la criminalité augmente si les occasions de crime s’accroissent : ces occasions peuvent être pécuniaires aussi bien que sociales ou démographiques, ce qui justifie notamment que le taux d’urbanisation ou la part des jeunes dans la population soient considérées comme des variables «pro-crime». La troisième théorie citée par

Chapitre 4 Section 4.2. Le cadre d’analyse conceptuel

Neumayer (2003) est culturelle : la criminalité varie selon les différences culturelles entre pays (ou entre différents groupes d’un même pays). Dans ce qui suit, cette classification sera utilisée pour analyser l’impact de l’instabilité sur la criminalité.

4.2.2 L’effet de l’instabilité macroéconomique

D’après la théorie de la modernisation, on peut supposer que la propension des individus à la violence augmente dans un environnement économique et social chan-geant, d’abord parce que les mécanismes de contrôle social sont moins efficaces mais aussi parce que les individus dans l’incapacité de s’adapter deviennent frus-trés. L’instabilité macroéconomique peut alors influencer la criminalité par ce biais : l’instabilité fausse les anticipations, spécialement si elle provient de chocs macroé-conomiques. Si un pays bénéficie de perspectives économiques favorables, les agents orientent leurs anticipations à la hausse. Si un choc négatif intervient, les individus devront renoncer à leurs aspirations. Non seulement les anticipations sont rendues plus difficiles, générant de la déception, mais de plus, comme les besoins nouvelle-ment créés ne peuvent pas être satisfaits, la frustration s’accroît et se traduit plus fréquemment par des actes violents.

L’instabilité réduit le coût d’opportunité des crimes contre la propriété en ré-duisant les opportunités dans le secteur légal. Le salaire qu’un criminel aurait pu gagner s’il avait travaillé au lieu de commettre un crime devient incertain en période d’instabilité, rendant les activités illégales relativement moins risquées que dans une situation sans instabilité. Cet argument est assez proche de celui utilisé pour lier le chômage à la criminalité : les opportunités sur le marché du travail légal étant réduites, les activités illégales deviennent plus attractives, notamment si elles de-viennent régulières (crime organisé par exemple), permettant au criminel de lisser son revenu et sa consommation. De ce point de vue, le crime peut être vu comme

une forme de diversification des activités dans le but de se protéger contre des chocs climatiques ou de prix. Même si les occasions pour les criminels sont également plus incertaines, il semble raisonnable de supposer que l’instabilité macroéconomique ac-croît le nombre d’atteintes à la propriété.

D’une certaine façon, l’instabilité peut également accroître le nombre d’homi-cides, qui peuvent être vus comme un moyen «efficace» de réallouer les ressources après un choc. Une étude de Miguel (2005) portant sur la Tanzanie rurale a mon-tré que les meutres de femmes agées augmentent après des précipitations extrêmes (un choc de revenu négatif conduisant à une pénurie alimentaire), la justification apportée à ces meurtres étant que les femmes étaient des sorcières. Dans une autre étude, Miguel et al. (2004) trouvent que les chocs de revenu (instrumentés par les variations de précipitations) accroissent la violence en Afrique en augmentant la probabilité de guerre civile.

Il convient enfin de ne pas oublier l’effet indirect de l’instabilité sur la criminalité via le taux de croissance. De nombreux travaux ont estimé l’impact de l’instabilité des exportations (ou de toute autre source exogène d’instabilité) ou de la volatilité de la croissance sur la croissance moyenne dans les pays en développement (cf. notamment Ramey et Ramey 1995, Guillaumont, Guillaumont Jeanneney, et Brun 1999, Hnatkovska et Loayza 2004, Guillaumont 2005). L’instabilité, en générant du risque, accroît l’épargne de précaution. Si la croissance moyenne (et par-là même le niveau de revenu) a un effet négatif sur la criminalité, ce qui est souvent supposé, alors l’instabilité, en réduisant la croissance moyenne, accroît aussi indirectement la criminalité. Cet effet est déjà pris en compte dans les régressions présentées ici puisque tant le niveau de revenu moyen par habitant que le taux de croissance sont introduits comme variables de contrôle. L’analyse qui suit se focalise donc sur les effets directs de l’instabilité, c’est-à-dire ceux qui ne passent ni par le niveau ni par