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Un modèle éclaté pour rendre compte d’une certaine conception du sujet

Partie 2 Cheminement théorique pour approcher l’activité

3. Un modèle éclaté pour rendre compte d’une certaine conception du sujet

Bien des chercheurs s’évertuent à préciser leur conception du sujet. A contrario, d’autres chercheurs s’autorisent à utiliser plusieurs modèles. Par exemple, Reason (1993) recourt à des modèles de l’Homme au travail relativement divers pour éclairer les origines des « erreurs humaines » (modèles issus de la psychanalyse, la sociologie, la psychologie cognitive …). Il semble ainsi rejoindre François Daniellou (2016) dans un « pragmatisme » lié à l’urgence des situations à traiter. Ce dernier dénonce un déséquilibre entre l’énergie dépensée à formaliser des concepts et celle que la recherche consacre aux milieux de travail. J’entends que les urgences de situations de travail peuvent probablement s’exonérer à court terme de développements plus poussés des modèles de la conception du sujet, mais s’agissant de travail

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en éducation, les « différentes bribes de modèles » sur lesquels je crois m’appuyer me semblent mériter d’être précisés dans le cadre de cette note de synthèse.

Il ne s’agit pas ici de définir un modèle unifié de ce qu’est le sujet pour moi. Tout au contraire il s’agit de rendre compte du caractère non unifié – composé de « bribes de modèles plus ou moins disparates » – de mes conceptions du sujet, d’où la notion de « modèle éclaté ». Sans prétendre mener un exercice d’ontologie inachevé, il s’agit toutefois de rendre compte de ce qui m’apparait raisonnable de penser s’agissant de l’action et du sujet, en m’autorisant à mettre en évidence des hésitations, parfois des contradictions et incohérences, du modèle du sujet tel qu’il est en construction dans mon « entendement ».

- Le sujet est social, son action s’inscrit dans le rapport à l’Autre et dans des organisations. Le sujet (ou l’acteur) détermine en partie le système (organisation sociale) ET ce système détermine en retour ses actions. La reconnaissance construit son image de soi, elle impacte son action. Il envisage rarement d’être perçu par autrui comme différent de l’image qu’il a de lui-même ET cette dimension méta-perceptive nourrit ses relations (il recherche dans la relation à l’autre une certaine image de lui). Il est soumis à l’effet Hawthorne (ce qui peut rendre l’analyse de l’activité « ordinaire » difficile). Il n’a pas toujours accès à son activité ; des instruments peuvent l’y aider.

- Le sujet pense être responsable de son activité (ou pas) ET son activité est socio-historiquement déterminée.

Il pense déterminer ses actions, en être pleinement auteur, mais le biais d’attribution (tendance à l’attribution interne) l’amène à rationaliser ses actions (i.e. les rendre cohérentes a posteriori, de manière non consciente).

Le sujet est culturellement déterminé ET son rapport intime au déterminisme est culturellement déterminé.

- Le sujet utilise des mots pour se penser, les mots sont vecteurs de culture, il ne peut qu’imparfaitement s’affranchir de sa culture. Le langage peut l’aider à agir sur le monde, que ce monde soit sa propre pensée ou son environnement.

Sa pensée précède son action, y compris son action langagière ET son action, y compris son action langagière, précède sa pensée. Ainsi la pensée nourrit la production langagière du sujet ET les mots précèdent sa pensée (qui est nourrie par la production langagière).

- L’action modifie sa perception de son environnement et de lui-même, des schèmes (buts, sous-buts, invariants opératoires, théorèmes en actes, inférences) constituent le cœur du processus de conceptualisation et cette conceptualisation modifie en retour son environnement. Le sujet perçoit ce qui le préoccupe, la perception de son environnement peut s’apparenter à un test projectif. (Quand Paul parle de Pierre, l’analyste en apprend davantage sur Paul que sur Pierre).

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- L’artefact porte un potentiel de schèmes qui peuvent être accommodés par le sujet par instrumentalisation ET assimilés par le sujet par instrumentation (« A celui qui n’a qu’un marteau, tout problème apparait comme un clou »).

Le sujet ne perçoit pas tous les artefacts, il perçoit les artefacts par le langage et donc sa culture et donc Autrui. Quand il est perçu par le sujet (si le sujet reconnait dans l’artefact une catégorie du monde) l’artefact devient social (l’Autre est dans l’artefact).

- Au travail, le sujet se développe ET s’y épuise. Un ensemble d’artefacts aide ET contraint son activité de travail, notamment par une allocation des tâches (partie reléguée à l’artefact). - Le sujet a une rationalité limitée, avec une mémoire « menteuse ».

- La prise de conscience participe du développement ET l’apprentissage implicite existe. La prise de conscience s’apparente à l’auto-contrôle, mais pas à l’auto-régulation : le sujet peut « prendre conscience » sans envisager d’auto-régulation. De cet apprentissage, le sujet peut, bien que n’en ayant pas été conscient lors son apprentissage, et au moyen de technique relativement exigeantes (entretien d’explicitation), en prendre conscience.

- Le sujet transmet son éducation malgré lui, notamment par l’exemplarité. Il reçoit une éducation, malgré lui ; la conceptualisation l’en rend partiellement conscient. Il apprend des autres et des situations.

- En cas de rapprochement des domaines de vie (par exemple le sujet est marié avec son collègue) le sujet augmente la cohérence de significations entre les domaines de vie ET diminue ses marges de manœuvre. Les processus de rationalisation peuvent aider à maintenir un équilibre qui revêt une grande importance parce qu’il peut être fortement déstabilisé par l’absence de « ressources de sens » disponibles dans les autres domaines de vie peu investis. Un domaine de vie surinvesti évite les tensions entre domaines de vie ET amoindrit l’importance des autres sous-systèmes qui ne « font plus ressources » ni pour questionner les sens des autres domaines de vies, ni pour palier une difficulté.

En cas d’étanchéité entre les domaines de vie, le sujet est relativement libre de ses actes (pas de pression directe entre les domaines de vie, en cas de difficultés dans un domaine, les autres ne sont pas immédiatement impactés et peuvent constituer des ressources) alors qu’en cas de faible étanchéité des domaines de vie, par inter-signification des activités, il est sensible aux incompatibilités des valeurs liées à ses actions des différents domaines de vie. Un changement dans un domaine de vie peut provoquer un questionnement et des ajustements sur les autres domaines de vie.

- Le sujet a une activité de travail « polyphonique » : les actions portent la trace d’une inscription sociale, la trace de l’Autre ET l’activité est singulière. Le sujet s’aide des prescriptions pour situer son activité vis-à-vis de ses pairs ET s’en émancipe par sa singularité.

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