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Partie 3 La vie dans les établissements d’enseignement

4. Droit d’inventaire

Les thèmes de mes recherches passées sont marqués par deux grandes périodes.

La première a plutôt été centrée sur la conception de dispositifs informationnels dans trois structures (Laboratoire d’ergonomie en territoire de Belfort, UMR Laboratoire Travail et Cognition à Toulouse 2, UMR Institut de Recherche en Informatique de Toulouse). La deuxième a porté sur la compréhension des métiers de l’enseignement, dès mon intégration dans l’enseignement supérieur agricole. La première puise ces références en psychologie et en ergonomie. La deuxième s’ancre dans le champ des sciences de l’éducation. Pour résumer les préoccupations de recherche, je peux dire que je me suis tout d’abord attachée à participer à la réduction des risques dans les dispositifs sociotechniques (conduite automobile, conduite de train, régulation de trains) par la conception de dispositifs d’aide (tableaux de bord, aides au travail de type consignes en cas d’incident). J’ai investigué les tensions entre prescripteurs, prescription, compréhension du prescrit et résolution des incidents, m’outillant du double concept de tâche comprise / tâche appropriée. Ce double concept est utile en situation de prescrit fort mais moins opérationnel pour la deuxième période. Je l’ai tout de même utilisé mais les situations empiriques d’enseignement/apprentissage ne se sont pas prêtées à son développement. Lors de la deuxième période, des situations de difficultés d’enseignants m’ont interpelée (enseignants en grandes difficultés rencontrés lors de mes déplacements en lycée professionnel) et amenée à concevoir un dispositif d’aide pour eux. J’ai alors été sensible à la relation enseignant/élèves décrite par des enseignants en souffrance : les élèves étaient décrits comme des objets par certains enseignants. Une rencontre avec les travaux de Dominique

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Cau-Bareille (2009) a été déterminante : je me suis alors attelée à rechercher des « traces » de déshumanisation dans la relation enseignant/élèves.

La recherche menée dans le cadre de la DEPP du ministère de l’Education Nationale (Veyrac & Blanc, 2014) s’est inscrite très clairement dans ce projet. Les résultats n’ont guère montré de nombreuses traces de déshumanisation. Probablement que l’effet « petite structure » des lycées professionnels de l’enseignement agricole public favorise les liens enseignants/élèves, contrairement à des environnements de travail plus grands et plus propices à la déshumanisation.

Toutefois, l’expérience de recueil de données menée auprès de plus de soixante enseignants, avec un protocole permettant de rapidement comprendre certains schèmes de la relation enseignant/élèves a attiré mon attention sur les conditions de travail, en particulier sur l’aménagement des horaires de travail. Plus précisément, j’ai pris conscience d’une grande variabilité de vécus d’enseignants en fonction du nombre d’heures d’enseignement avec une même classe. Certains enseignants exercent un nombre faible d’heures par classe par semaine : ils sont en interaction avec les élèves une heure toutes les semaines, voire moins (une heure tous les deux semaines). Ils semblent exercer un métier tout autre que leurs collègues qui travaillent presque au quotidien avec une même classe d’élèves (matière professionnelles par exemple). Ces conditions de travail impactent sur l’importance d’«avoir de la considération pour les élèves» : ce n’est pas la même activité qui doit être déployée pour atteindre un même niveau de considération. De leur côté, les élèves, nous l’avons montré, ont eux-mêmes des difficultés à se repérer parmi l’ensemble des disciplines de leur emploi du temps. Ceci m’incite à m’intéresser à l’organisation du travail des enseignants : les emplois du temps, la répartition des heures entre enseignants (parfois plusieurs enseignants pour une même discipline pour une classe donnée) est un objet de recherche qui me semble de grande importance pour l’enseignement secondaire. Il oriente par conséquent le projet de recherche vers le travail des personnes qui ont en charge l’organisation scolaire. Ce projet peut s’appuyer sur des écrits préliminaires qui abordent le travail des chefs d’établissements sous l’angle de son contexte prescriptif, ses difficultés et ses formes d’accompagnement.

Par ailleurs, les écrits en sciences de l’éducation me paraissent, pour ceux que j’ai publiés tout au moins, revêtir une dimension plus forte que celle de la seule « communication scientifique » envers les professionnels de l’éducation : une dimension de formation à destination des enseignants étant bien souvent sous-jacente. Pour le dire autrement, mes premiers écrits se situaient clairement à destination de lecteurs intéressés pour comprendre le fonctionnement cognitif de l’homme au travail (eg. Denis & Veyrac, 2002), puis de personnes préoccupées par l’amélioration des conditions de travail en tant qu’étudiant en ergonomie, ergonomes, chercheurs en ergonomie (eg. De Brito & Veyrac, 1997 ; Veyrac, 1998a), alors

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que les recherches en sciences de l’éducation ont un adressage plus vaste, et en eux-mêmes portent une dimension formative : ils sont susceptibles d’être lus par des professionnels de l’éducation. S’agissant des recherches sur les chefs d’établissement, l’adressage est probablement plus réduit, mais n’en est pas moins déterminants sur les situations (inspecteur, recteurs, formateur de chefs d’établissement, etc).

Le métier de chercheur en sciences de l’éducation qui s’intéresse à l’éducation formelle diffère de celui de chercheur en ergonomie. L’adressage des recherches diffère. Ces conditions de la recherche sont déterminantes, et j’ai eu l’impression d’une certaine façon de continuer de mener des recherches en sciences de l’éducation comme je l’avais appris en ergonomie : « produire des connaissances ». J’en mesure les limites : qui a le temps de lire ces « connaissances » ? Dans les faits, mes recherches sont principalement adressées aux enseignants en formation … mais ne les impliquent pas … la recherche sur les enseignants en difficulté était une recherche en ergonomie, qui était bien articulée à une demande sociale, mais dont les résultats ne peuvent être réellement publiés. Je mesure les limites de la portée des recherches de type « analyse du travail » lorsqu’elles sont pensées par des chercheurs seuls, qui bien que développant des concepts et une pensée intellectuelle originale, n’impactent guère les sujets. Mon « droit à l’inventaire » s’exerce donc là ; j’assume les recherches passées mais veux repositionner l’approche par des analyses du travail moins « pensées par les chercheurs seuls ». Les formes de productions que j’ai privilégiées (articles scientifiques, chapitre, ouvrage) me semble également devoir être repensées, ou tout au moins complétées.

Je m’assigne donc une revisite des approches méthodologiques qui ont été les miennes (partie 4) et une réflexion sur la production et la diffusion de la recherche (partie 5).

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