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La mobilité des salariés, une pratique bien intégrée à la gestion des ressources humaines des ressources humaines

Gestion des ressources humaines et mobilité : la mise à distance de la vie privée des salariés

1. La mobilité des salariés, une pratique bien intégrée à la gestion des ressources humaines des ressources humaines

La mise en mobilité des salariés prend aujourd’hui des allures d’évidence en matière de gestion des ressources humaines. La mobilité en tant que telle est valorisée dans les discours RH, et elle est largement associée au fait de « faire carrière ».

1.1. « La mobilité, c’est bien ! »

« La mobilité, c’est bien ! » : c’est le titre de l’édito du numéro dans lequel la revue

professionnelle Personnel, publiée par l’Association Nationale des DRH, a consacré un

dossier intitulé « Mobilité et parcours professionnel » en 2008176. Il en dit long sur le statut

de la mobilité dans les représentations et les discours de la gestion des ressources humaines. La mobilité interne sous toutes ses formes s’est progressivement imposée comme outil de gestion des ressources humaines dans les entreprises. Elle est notamment systématiquement valorisée par les responsables RH qui lui attribuent une valeur en soi.

a. La diffusion de la mobilité interne dans la gestion des ressources humaines C’est du développement des grandes entreprises et des groupes que sont nés des « marchés internes » dans lesquels circulent les salariés (Doeringer et Piore 1971). La gestion des ressources humaines par les qualifications, propre aux grandes organisations bureaucratiques du monde industriel, favorisait la mobilité interne verticale en associant la mobilité à la progression des salariés sur l’échelle des qualifications. Le développement des mobilités internes horizontales s’est fait à partir des années 1970 quand les logiques de gestion des ressources humaines par les compétences, et non par les qualifications, se sont diffusées. Comme l’écrit Segrestin (2004, p. 103), « le modèle de la compétence vient enfin bousculer les règles traditionnelles de gestion des parcours des individus dans l’entreprise […]. Les salariés sont incités à s’engager sur la voie de la polyaptitude, c’est-à-dire à évoluer dans des spécialités multiples. Logiquement, la mobilité horizontale se trouve ainsi encouragée, au gré de changements d’affectation mais plus encore du fait de règles plus ou moins codifiées de rotation des rôles dans les équipes ».

176 « Mobilité et parcours professionnel », dossier coordonné par Pierre Louart et Michel Parlier, Personnel,

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Cette logique de gestion des ressources humaines par les compétences a été en particulier incarnée par la GPEC, qui connut un grand succès au cours des années 1990 et 2000.

Encadré 3. La GPEC et l’introduction de la mobilité interne horizontale dans la gestion des ressources humaines

La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) est un ensemble de principes et d’outils ayant pour but d’aider les entreprises à ajuster leurs ressources humaines à leurs besoins, en anticipant leur évolution pour mieux l’accompagner. En 1990, Thierry en a proposé une définition toujours usitée :

« La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques et des plans d'action cohérents. [Elle vise] à réduire de façon anticipée, les écarts entre les besoins et les ressources humaines de l'entreprise (en terme d'effectifs et de compétences) en fonction d'un plan stratégique, ou au moins d'objectifs à moyen terme bien identifiés, [et implique] les salariés dans le cadre d'un projet d'évolution professionnelle » (Thierry 1990, p. 24).

La démarche GPEC s’articule autour de deux objets principaux : les métiers et les compétences. Elle consiste à identifier les métiers amenés à se développer ainsi que ceux dont il faut accompagner le recul voire la disparition. Elle repose sur des processus d’identification du stock de compétences des salariés de l’entreprise et d’accompagnement de leur développement et de leur évolution. La GPEC s’appuie sur un certain nombre d’outils caractéristiques, comme le recours aux bilans de compétence, la validation des acquis de l’expérience, ou encore l’élaboration de « cartes des métiers » (Parmentier 2008).

La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 a accéléré la diffusion de la GPEC en rendant obligatoire la négociation d’un accord dans les entreprises d’au moins 300 salariés et dans les groupes de dimension communautaire comportant au moins 150 salariés en France.

Au-delà des débats sur l’impact réel du « management des compétences » (Segrestin 2004, pp.97-127), de la critique sociologique qui en a été faite (Dugué 1994) ou encore des questionnements sur la pertinence même de la GPEC (Pichault 2006), la gestion des ressources humaines par les compétences a largement contribué à faire intégrer la mobilité dans les politiques de gestion des ressources humaines, notamment avec l’inscription explicite de la mobilité géographique dans l’objet des négociations collectives autour de la

GPEC177. Ces négociations ont entre autres contribué à la diffusion des « chartes mobilité »

aujourd’hui monnaie courante dans les grandes entreprises178. Signes les plus visibles de la

diffusion de la mobilité interne comme outil de gestion des ressources humaines, ces

177 On peut aussi mentionner l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du

marché du travail, qui consacre un article à la mobilité (Fabre et al. 2008).

chartes suivent quelques lignes directrices communes : elles rappellent les bienfaits attendus du développement de la mobilité interne, tant pour l’entreprise que pour le salarié ; elles insistent sur la nécessité pour les salariés d’être « acteurs » et « responsables » de leur mobilité ; enfin, elles explicitent les conditions d’accès au marché interne (ancienneté, type de contrat…) et les modalités concrètes de mobilité (accès aux offres de postes, procédure à suivre, dispositifs d’aide et d’accompagnement…).

Si elle se diffuse dans la gestion des ressources humaines des grandes entreprises, la mobilité interne n’en est pas pour autant une notion claire et stabilisée. Parmi les nombreuses définitions qui en sont données, on peut identifier deux formes de mobilité interne : verticale et horizontale. La mobilité verticale correspond à un mouvement dans la hiérarchie de l’entreprise, par exemple quand un salarié obtient le statut de cadre ou est

promu à un poste de manager ou de cadre dirigeant179. La mobilité horizontale peut être

géographique180 ou fonctionnelle (changement de poste ou de métier). Une mobilité interne

peut être à la fois verticale et horizontale. Certains auteurs représentent par exemple l’espace des mobilités internes en trois dimensions, sous la forme d’un cône : plus les salariés montent dans la hiérarchie de l’entreprise, le long de l’axe vertical, et plus l’espace des fonctions possibles, représenté par la surface d’un cercle, se resserre. La taille de l’entreprise, son organisation plus ou moins hiérarchique ou encore le degré de spécialisation professionnelle de ses filières de promotion sont autant de facteurs qui contribuent à définir un ensemble de combinaisons entre mobilités horizontales et verticales spécifique à chaque entreprise.

Comme l’écrivent Notais et Perret (2012, p.122), « la mobilité interne suscite un réel engouement de la part des gestionnaires des ressources humaines ». La littérature en gestion ne manque pas d’énoncer les effets positifs de la mobilité pour les organisations. Par

exemple, Cadin et al. (2012, pp. 457-458) en identifient cinq :

- « la mobilité contribue au développement d’un brassage culturel »,

- « elle oblige les salariés à sortir d’une routine professionnelle qui risque de

devenir sclérosante » ;

- « elle constitue une importante source de motivation individuelle » ;

179 La mobilité verticale descendante est rarement évoquée, et assimilée à une mesure disciplinaire. La mobilité verticale est toujours présentée comme une promotion.

180 La mobilité interne horizontale géographique concerne d’abord les changements d’établissement, les

« mutation ». On pourrait cependant élargir la notion : la lecture spatiale de la mobilité que proposent Notais et Perret (2012, p.130) invite à prendre en considération tous les changements de lieu de travail, y compris au sein d’un même site.

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- « elle contribue, en visant le meilleur ajustement possible des ressources aux

besoins, à optimiser l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise » ;

- « elle favorise enfin la collaboration entre les différents services et permet la

diffusion des techniques de gestion et de contrôle ».

Ces effets font consensus et se retrouvent dans la plupart des manuels et des ouvrages spécialisés en gestion des ressources humaines. Ils sont parfois complétés, comme par exemple par le « renforcement du sentiment d’appartenance » et la « fidélisation » des

salariés (Campoy et al. 2011, p. 133).

Certains outils sont aujourd’hui largement répandus dans les entreprises pour faciliter le déclenchement et le suivi des mobilités, y compris donc des mobilités géographiques. La plupart des grandes entreprises, suivant les préconisations tirées de la GPEC, ont mis en place des « bourses de l’emploi » accessibles directement aux salariés sous la forme d’un espace dédié sur leur site intranet. Ces bourses de l’emploi sont censées favoriser les candidatures des salariés, suivant l’hypothèse communément admise selon laquelle une meilleure information sur les opportunités de mobilité a un effet positif sur la disposition

des salariés à être mobiles (Noe et al. 1988 ; Mignonac 2001). Dans le cadre des chartes de

mobilité, quelques principes généraux se dégagent, comme par exemple le respect de l’anonymat des candidatures et leur examen par la hiérarchie demandeuse ou par les services RH avant que le responsable hiérarchique actuel du salarié soit prévenu, ou encore la publication des postes disponibles sur le marché interne avant de chercher à recruter. Certains auteurs prennent la précaution de préciser que la mobilité n’est pas une fin en soi,

mais « un instrument de gestion permettant de résoudre certaines contraintes » (Cadin et al.

2012, p. 473). Mais elle s’appuie sur un appareil normatif particulièrement fort et congruent avec les injonctions présentées en introduction. La mobilité interne est donc particulièrement propice à devenir une « norme d’idéal » (Dujarier 2012a, p. 193) au fort pouvoir prescriptif, au principe d’une « doxa managériale » (Schmidt et Robert-Demontrond 2012, p. 108) échappant à tout regard critique. Cette tendance est particulièrement problématique quand il est question de mobilité géographique. Car les typologies des mobilités soit ne laissent aucune place à la mobilité géographique, soit en

font une forme de mobilité parmi d’autres181. Presque inexistante dans les manuels de

181 Voir par exemple Dany et Livian (2002), qui décomposent la mobilité en deux types (externe et interne), et

la mobilité interne en cinq types parmi lesquels on trouve la mobilité géographique internationale et la mobilité géographique « nationale ».

gestion des ressources humaines, la mobilité géographique occupe aussi une place très marginale dans la littérature en gestion.

b. Un outil de gestion des ressources humaines valorisé dans le discours des responsables RH

Les responsables RH enquêtés s’accordent à présenter la mobilité géographique comme contribuant à faire circuler les savoir-faire et les compétences, et à créer des externalités

positives182 dans l’organisation. L’idée de « brassage culturel » apparaît aussi souvent. La

mobilité permettrait par exemple de « faire circuler le patrimoine génétique de l’entreprise » [RRH7]. L’intérêt de la mobilité géographique est surtout mis en avant dans les grands groupes composés d’unités régionales qui peuvent être très autonomes, par exemple si elles ont été intégrées récemment au groupe. La circulation physique des individus jouerait alors un rôle essentiel pour contribuer à intégrer les différentes unités au groupe :

« On a connu plusieurs fusions ces dernières années, le secteur est en plein bouleversement. Quand on fusionne, il faut créer des passerelles, et pour ça le mieux ça reste d’envoyer les collaborateurs voir comment ça se passe chez les autres. On reçoit d’un coup tout un portefeuille de savoir-faire, de compétences accumulées, et bon on a quand même envie de les faire circuler » [RRH1].

En parallèle de la généralisation de solutions techniques facilitant grandement la communication à distance, la co-présence joue toujours un rôle essentiel dans la

transmission des connaissances et des savoir-faire183. Elle permet aussi de prévenir

l’émergence des conflits ou de faciliter leur résolution :

« Ça permet le développement d’une culture commune. Grâce à la mobilité, les problèmes se résolvent tous seuls, les personnes se comprennent. Dans beaucoup de cas, il faut une mobilité géographique. L’objectif, c’est le brassage. Aujourd’hui il y a Skype, il y a les mails, mais si vous ne connaissez pas pour de vrai la personne, un mail ça peut très vite déraper ! » [RRH1].

La mise en proximité géographique de certains salariés par la mobilité est présentée ici comme un moyen de prévenir les conflits ou de les résoudre « par le bas ». Cet argument

182 Ou, pour le dire en langage indigène, des « synergies ».