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Chapitre V. Mobilité en tandem – perspectives

2. Mobilité ionique et dynamique conformationnelle

Mon expérience (encore récente) de la spectrométrie de mobilité ionique en tandem m’a conduit à m’intéresser aux échelles de temps en jeu dans la mise en évidence de changements de conformation. Nous avons évoqué plus haut (Chapitre III.2.2) l’influence de la dynamique d’interconversion sur les profils de mobilité. La sensibilité de la mesure de mobilité à la dynamique conformationnelle n’a pourtant été que peu étudiée. Je discuterai ici le type de mesures qui peuvent être envisagées dans le cadre d’expériences en tandem.

Quelques études ont été réalisées dans lesquelles la spectrométrie de mobilité ionique était utilisée pour sonder la dynamique de changements de conformations. La manière la plus simple, qui s’applique à des transformations dont les temps

caractéristiques sont supérieurs à la dizaine de minutes, consiste à enregistrer des spectres à intervalle de temps régulier. Dans ce cas l’évolution du système au cours de l’analyse peut être négligée. Pour des phénomènes impliquant une interconversion très rapide (à l’échelle de la mesure) entre différentes structures, il est généralement admis que la mobilité ionique est à peu près aveugle aux différentes structures en jeu.82 En effet, les ions subissant un grand nombre de transitions structurales au cours de l’analyse, leurs temps de dérive individuels sont en moyenne identiques chaque ion ayant passé la même proportion de ce temps dans chacun des états conformationnels en jeu. Il en résulte une distribution de temps d’arrivées ne comportant qu’un seul pic centré sur la valeur moyenne résultant de l’équilibre entre les différentes populations en jeu. Pour un système bistable, l’évolution de ce temps moyen avec la température peut être interprétée en termes de constante d’équilibre, donnant accès aux variations d’enthalpie et d’entropie lors de la transition entre les deux états.83 Enfin, dans le cas des phénomènes se déroulant à des échelles de temps intermédiaires de l’ordre de la milliseconde à quelques secondes, d’autres stratégies peuvent être envisagées, comme le piégeage des ions pour une durée variable avant l’analyse en mobilité. Dans ce cas c’est la dynamique de changements de conformation en phase gazeuse qui peut être analysée. Cette méthode a été appliquée au suivi de la relaxation conformationnelle de l’Ubiquitine après désolvatation avec de temps de piégeage allant jusqu’à une trentaine de secondes.41

Selon les conditions de la mesure (si la durée de l’analyse n’est pas négligeable devant les temps considérés), l’évolution de la structure des molécules dans le tube de mobilité doit être prise en compte. Le groupe de Jarrold a proposé un modèle simple permettant de décrire l’influence sur la forme du profil de mobilité de la transition entre deux structures au cours de l’analyse.21 A partir de ce modèle des vitesses de transition ont pu être déterminées pour des changements de structure dans des agrégats de sels,21 puis pour le dépliement de peptides.84,85 Le traitement des données de mobilité repose dans ces études sur une modélisation du profil de temps d’arrivée prenant en compte la possibilité de transition d’un état A à un état B dans le tube de mobilité. Ce traitement n’est cependant valable que dans la limite où la probabilité de transition inverse reste négligeable sur la durée de l’analyse.

Dans le cas contraire il n’existe pas à ma connaissance de modèle permettant de simuler l’effet de l’interconversion sur le profil de mobilité. Dans le cas général, il est difficile d’analyser en termes d’interconversion l’observation de pics larges ou déformés dans une distribution de temps d’arrivée, à moins de pouvoir modifier la température d’analyse ou changer significativement la vitesse des ions dans le tube.21

La réalisation de mesures de mobilité ionique en tandem apporte dans ce cas des éléments de réponse. La possibilité de sélectionner les ions sur une gamme de temps d’arrivée restreinte permet de mettre en évidence la stabilité sur la durée de l’analyse des structures sélectionnées,86 ou au contraire une interconversion spontanée suffisamment rapide pour conduire à une distribution de populations d’ions de mobilité distincte.[3] Dans ce dernier cas, le modèle simple de la ref. 21, n’est en

général pas suffisant pour reproduire les distributions de temps d’arrivées observées car il ne prend pas en compte la possibilité d’interconversion rapide. Dans ce contexte il n’est donc pas possible d’extraire des données cinétiques de ces distributions.

En m’inspirant de la théorie de la chomatographie,87 j’ai tenté d’obtenir une description plus générale de l’effet de l’interconversion sur les distributions de temps d’arrivée. Comme montré dans l’Annexe C. , il est possible d’obtenir une expression analytique du profil résultant de deux isomères en interconversion, quel que soit les constantes de vitesse pour les réactions de conversion de l’un vers l’autre. L’expression finale permet de simuler une distribution de temps d’arrivée au prix (modéré) d’une convolution numérique.

Un point intéressant est que la plupart des paramètres intervenant dans ce calcul sont connus expérimentalement. Seuls les constantes de vitesse et éventuellement les temps d’arrivée des deux isomères restent indéterminés. Il est donc envisageable d’utiliser le présent modèle dans une procédure d’ajustement à des données expérimentales pour en déduire les paramètres en question.

2.1. Résultats préliminaires et validation du modèle

Les courbes présentées sur la Figure V-2 ont été obtenues pour un dimère d’azobenzène cyclique (préparé sous sa forme Z1, Cf. Schéma V-1) complexé avec un ion argent.* Nous avons observé cette espèce en mode positif sous forme mono-chargée (m/z 667.1). Le profil de mobilité correspondant (Figure V-2.a) montre deux pics clairement résolus que nous noterons A et B (en raison de leurs temps d’arrivée). La largeur de ces pics correspond à celle attendue en fonction de la résolution de notre appareil, cependant la forme du profil entre les pics ne redescend pas à la ligne de base. On peut penser que cela correspond à une ou des populations minoritaires de mobilité intermédiaire, ou bien à la signature d’une interconversion pendant l’analyse.

Schéma V-1 : Différents isomères de l’azobenzène cyclique utilisé dans l’étude présentée.88

Lorsqu’on sélectionne un des deux pics à l’issue du premier tube de mobilité et qu’on enregistre le profil correspondant on obtient la courbe de la Figure V-2.b sur laquelle le plateau aux temps courts indique qu’une petite proportion des ions sélectionnés a

* Cette étude préliminaire a été réalisée en collaboration avec S. Poyer et J.-Y. Salpin du LAMBE à Evry.

spontanément adopté une conformation plus compacte. Si on augmente le délai entre la sélection et l’injection des ions dans le second tube en piégeant ceux-ci dans l’entonnoir à ions intermédiaire, on peut remarquer une évolution des profils mesurés (Figure V-2.c et d). Plus précisément, la population des ions A augmente progressivement jusqu’à une stabilisation au bout d’un temps de piégeage de l’ordre de la centaine de millisecondes. Si l’on réalise l’expérience inverse (sélection de A) on observe le même type de phénomène avec la même constante de temps.

Figure V-2 : Distributions de temps d’arrivée obtenues pour le dimère Z1monochargé dans 4 Torr d’hélium à 297 K avec une tension de 450 V sur le tube de mobilité (points noirs). La distribution sans sélection d’un isomère est représentée en (a). Les distributions situées sur les autres panneaux, ont été obtenues après sélection du pic B pour différentes durées de piégeage avant l’injection dans le second tube. Les courbes rouges représentent un ajustement réalisé à l’aide du modèle présenté en Annexe C.

Cela indique d’une part que les temps caractéristiques d’interconversion ente A et B sont de l’ordre de quelques dizaines de millisecondes, et que cela est vrai pour les deux sens de réaction. Comme montré dans 21, l’obtention de constantes de vitesse à partir de ces observations nécessite la prise en compte de l’interconversion au cours de la mesure de mobilité car les échelles de temps sont du même ordre. En revanche le modèle de la réf. 21 n’est pas applicable ici car la possibilité de multiples cycles de conversion entre A et B n’est pas négligeable. Nous avons donc utilisé le modèle stochastique décrit en Annexe C. pour simuler les profils mesurés. Un ajustement a ainsi été réalisé sur l’ensemble des profils obtenus à la fois après sélection de A et après sélection de B et aux différents temps considérés (de 4 ms à 100 ms) en ne considérant que deux paramètres libres : les constantes de vitesses pour les réactions de conversion de B vers A (𝑘BA) et de A vers B (𝑘AB). Le résultat de cet ajustement global est tracé en trait continu pour les données présentées sur la Figure V-2. Le bon accord avec l’ensemble des courbes expérimentales nous a permis d’extraire des valeurs pour les constantes de vitesse. On trouve 𝑘BA=18,2 s-1 et 𝑘AB=14,3 s-1.*

2.2. Variation de la température

Le même type de mesures a été réalisé en modifiant légèrement la température de l’enceinte des tubes de mobilité. Nous ne disposons pour l’instant que de mesures à 287 K et à 312 K, mais l’extension de la gamme de mesures vers de plus hautes températures, ainsi que pour des valeurs intermédiaires est a priori envisageable. L’intérêt de ces mesures est de pouvoir déterminer (ou tout du mois estimer) la loi de variation des constantes de vitesses en fonction de la température. Si on se place dans l’approximation que celles-ci suivent une loi d’Arrhenius, 𝑘BA et 𝑘AB peuvent s’écrire sous la forme :

𝑘 = 𝑘0𝑒−ℰ𝑘B𝑎𝑇 V.1

où 𝑘0 est une constante. En traçant le logarithme de 𝑘 en fonction de l’inverse de 𝑘B𝑇 on peut donc en principe déterminer l’énergie d’activation ℰ𝑎 pour la réaction d’interconversion. A partir des 3 points expérimentaux dont nous disposons, nous avons pu estimer une valeur de l’ordre de 0,4 eV.

L’intérêt de ce type de traitement est en premier lieu de donner accès à des constantes de vitesses pour des réactions d’isomérisation dont les temps caractéristiques sont comparables à la durée d’une mesure (en pratique de la milliseconde à quelques centaines de millisecondes). La prise en compte de la dynamique d’interconversion présente d’autre part un intérêt dans l’interprétation des spectres de mobilité ionique, en particulier en ce qui concerne l’attribution des différents pics observés à différentes familles de structures. Le champ d’application

* L’ajusement présenté ici étant « manuel », je n’ose indiquer des barres d’erreur pour ces valeurs. L’idée n’est ici que de présenter le principe de la mesure à travers des résultats préliminaires.

du modèle présenté ici ne se limite d’ailleurs pas aux seules expériences en tube de dérive et pourrait en particulier être appliquée à l’interprétation des données obtenues à l’aide d’instruments commerciaux de type Synapt.

Nous avons d’autre part le projet d’étendre ce type de mesures de dynamique à des changements de conformation photo-induits grâce à la configuration particulière de notre dispositif expérimental. Une des pistes envisagées est d’utiliser la mobilité comme une observable supplémentaire dans le cadre d’expériences de type pompe-sonde.