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Pour expliquer la migration, il nous semble primordial de passer par la mobilité internationale des individus. La consubstantialité de la migration et de la mobilité internationale est nécessaire pour expliquer la nature des mouvements mondiaux et différencier entre tous les types de circulations sur la planète.

On ne peut pas nier que depuis les réflexions classiques en géographie, la mobilité internationale est consacrée essentiellement à l'étude de l'individu émigré. Doit-on qualifier cet individu de migrant international ou le considérer comme immigrant dans un lieu précis ? Cette perception de la migration peut susciter des réflexions citriques, voire péjoratives ou le contraire. Parmi les chercheurs qui notent l’aspect négatif de ce genre de mouvement, Michel Serres dit que les mouvements des individus créent des problèmes sociaux ou engendrent une gêne sociale comme la différence : «je n'invente rien qui ne soit déjà dans Homère ou l'Exode, je parle aussi de ceux que je vois tous les jours, devant moi, sur le trottoir. Diaspora. Marins grecs sans le sou, irlandais affamés, italiens dépenaillés, familles juives pourchassées, boat-people désespérés courant de Paris à Vladivostok et Valparaíso. Romanichels, ils habitent le passage. Combien d'errants sur la terre, par rapport au nombre d'habitants? De ces deux populations, laquelle fait vraiment l'histoire?»(Serres, 2011)

D'autres chercheurs considèrent que la migration internationale est le fruit des inégalités entre le sud et le nord, «le moteur du processus de l'émigration semble se trouver dans les conditions de vie précaire de migrants majoritairement membres de milieux populaires de leurs pays d'origine» (Bréant, 2015).

Si on prend l’histoire récente, dans les années soixante, on a vu une importante mobilité internationale des classes populaires vers les pays développés, ces derniers allant chercher une main d’œuvre pas chère dans les pays plus pauvres, main d’œuvre souvent non qualifiée et qui se contentait de conditions de vie précaires. En ce qui concerne l’Europe, c’était, pourrait-on dire, une migration du sud vers le nord.

Au vingt et unième siècle, la réalité a bien évolué. Même s’il y a toujours le déplacement « sud – nord » de personnes peu qualifiées en quête d’une meilleure existence, mais qui ne sont plus forcément recrutées par les pays riches, on assiste à la migration « sud – nord » de cadres, d’étudiants, de personnes formées et hautement qualifiées. De même, voit-on des migrations économiques « de même latitude » comme celle des pays de l’ancienne Europe de l’Est vers l’Ouest, ou des migrations « sud – sud » en Afrique d’un pays en développement vers un autre, ou celle de pays asiatiques vers les pays du Golfe Persique.

A ce point de la réflexion, pour ne pas tomber dans la critique ou le jugement sur la migration, nous allons focaliser la question de la migration comme la qualité des mouvements d'individus internationaux.

La migration en tant que telle est une entrée intéressante pour observer et analyser les mobilités internationales des individus et leurs changements.

De nombreux chercheurs se sont penchés sur cette question et ont apporté plusieurs définitions à la migration. Dans un article publié en 2003, Georgia Ceriani-Sebregondi explique qu'il a eu beaucoup de critiques sur les concepts de 'l'émigré' et de 'l'immigré' ce qui met la question sous une forme trop statique ; elle propose de changer ces concepts par ceux de 'champs migratoires' ou de 'le territoire circulatoire' pour délimiter spatialement cette mobilité .(Ceriani-Sebregondi, 2003)

D'autres chercheurs ont adopté la définition des Nations Unies du migrant international : «un ‘migrant’

s’entend de toute personne qui, quittant son lieu de résidence habituelle, franchit ou a franchi une frontière internationale ou se déplace ou s’est déplacée à l’intérieur d’un État, quels que soient : 1) le statut juridique de la personne ; 2) le caractère, volontaire ou involontaire, du déplacement ; 3) les causes du déplacement ; ou 4) la durée du séjour» (« Migrations », 2018)

Le concept de migrant auprès des Nations Unies est qualifié par la mise en valeur de la mobilité de chaque individu qui quitte son lieu d'origine sans distinction et qui a passé une frontière internationale.

Ainsi, cette définition adopte un point de vue totalement géographique évitant de distinguer entre la migration à l'intérieur des nations et à l'extérieur.

Mais comme l’expliquent Véronique Ancey Carad et Gérard Azoulay, le concept de 'migrant' ne doit pas être confondu avec celui de 'l'étranger' qui est fondé sur un critère juridique : «l'étranger celui qui ne possède pas la nationalité du pays où il réside, qualité d'ailleurs soumise à évolution selon les politiques nationales d'accès à la nationalité». (Azoulay et al., 2013)

Selon Michel Agier l'étranger «s'il a déjà droit d'entrée et de séjour, s'il est attendu et reçu sans que rien de lui reste hors d'attente ni hors d'accueil, alors il n'est plus l'étranger». (Agier, 2018) Si on rapporte ces paroles au 'migrant légal', ce dernier n'est plus un étranger dans son pays d'accueil !

Formellement on a bien saisi que la migration est un domaine complexe. On ne peut alors dire également que la migration est une forme de mobilité internationale qu'avec la précision conceptuelle d'articuler la migration internationale à la mobilité internationale. Il faut savoir que dans le domaine classique de la géographie, selon le modèle quantitatif de l'OIM (Organisation Internationale pour les Migrations), voir tableaux 1 et 2, on mesure la migration par la différence entre le nombre des personnes qui entrent (immigrants) et celles qui sortent (immigrés) d’un pays. Il s’agit d’un modèle quantitatif absolu qu'on explique par les nombres qui matérialisent la réalité de cette mobilité internationale.

Population immigrée (en milliers) 247 585,7 Population immigrée en (%) 3,4

Population totale (en milliers) 7 383 008,8

Tableau 7 : Nombre d'immigrés internationaux en 2017

Source : ONU 2017 et INED

Effectif (en milliers) Taux pour 1000

Solde migratoire 41,0 0,0

Solde naturel 84 217,7 11,4

Accroissement total 84 258,7 11,4

Tableau 8 : Le flux migratoire international en 2010 – 2017

Source : ONU 2017 et INED

Un géographe qui matérialise les données en cartographie a besoin de se situer plus vers le quantitatif.

Jacques Lévy a fait bouger l’habitude d'aborder la mobilité migratoire par le solde migratoire (la migration nette c'est la différence des entrées moins les sorties) vers l'utilisation d'une autre variable qui réunit la migration avec la société, c'est le taux de migration totale (voir carte 1) : « il s'agit de la somme des immigrant et des émigrants d'un pays rapportée à la population du pays». On est alors passé de la différence à l'addition des flux ; Lévy considère que «le nombre de migrants est un nombre de 'mouvements', évaluant l'ampleur du phénomène migratoire» (Lévy, 2008b). Il faut insister sur cette précision ; Jacques Lévy a bien expliqué les subtilités de la mobilité internationale, à savoir que la mobilité migratoire mondiale ne récapitule pas à elle seule la mobilité internationale : « considérant que les migrations internationales ne résumaient pas à elles seules la mobilité à l'échelle mondiale, il est apparu utile de figurer en perspective de cette première information un indicateur d'un degré d'accueil du Monde. Le nombre d'arrivées des touristes par État (voir carte 1), s'il est affecté de biais statistiques importants, donne néanmoins une indication intéressante car il rend compte d'une composante essentielle de la mobilité planétaire-le tourisme. » (Lévy, 2008b).

Carte 3 : le monde de la mobilité

Source : Jacques Lévy (Lévy, 2008b, p. 90)

Après que durant plusieurs années les géographes ont expliqué le migrant uniquement avec un regard quantitatif, on l’explique aujourd’hui autrement. Alors faut-il porter un regard qualitatif plutôt que quantitatif ? Lorsqu'on rajoute d'autres concepts géographiques ou sociogéographiques liés à ce concept pour mieux l'expliquer, mieux l'identifier ou mieux le juger, il se trouve des chercheurs qui ont considéré que la migration et l'habiter sont deux concepts antinomiques : «la notion d'habiter, qui, pendant longtemps a incarné la sédentarité par excellence, l'enracinement dans un lieu, pourrait alors paraitre particulièrement inadaptée à notre questionnement. En effet, cette conception de l'habiter, en fait réduit à la simple résidence, l'apparenterait à une pratique géographique sans mobilité, qui s'opposerait dans ce sens à la circulation et qui serait donc inopérante en ce qui concerne la réalité migratoire » (Ceriani-Sebregondi, 2003). En allant plus loin, ces chercheurs ont modifié leur avis et ont adopté la réflexion de Jacques Lévy et Michel Lussault qui donne une réalité plus dynamique et intègre la mobilité comme la sédentarité à la notion de l'habiter, la mobilité et la sédentarité étant deux concepts mutuels de celui de la migration.

C'est le travail du géographe de lier le concept de la migration à d'autres concepts pour le rendre dynamique et non statique, et de regarder cette réalité sous tous ses angles. En effet, tout le processus lié à l'individu est un état complexe qu'il faut expliquer avec tous les mouvements possibles dans

l'espace. On considère ainsi la migration comme une forme de la mobilité internationale. Pour le géographe, ce qui est fixe ce sont les lieux ; par les lieux on peut cerner l'individu mobile et caractériser sa forme de mobilité internationale ou nationale.

Mais l'état de la question est ici de rentrer plus dans les détails de la mobilité internationale et comprendre la réalité des lieux internationaux afin de mieux cerner les circulations des individus. Est ce que la perception des frontières permettra de mieux expliquer la mondialisation de la mobilité planétaire ?

2.3 - Mobilité internationale et la question des frontières,

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