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5 La partie analytique

5.2 Les dispositifs d’intéressement ou comment sceller les alliances ?

5.2.4 La mobilisation des services publics et organismes privés du tiers secteur

Enfin, le traducteur a pour mission d’intéresser les services publics ainsi que les organismes privés du troisième secteur dont l’objectif est la réinsertion socioprofessionnelle. Le coordinateur remarque que « s’il n’y a pas un intérêt, c’est-à-dire de sentir que ça aide au niveau de la réalisation de son boulot ou que ça valorise l’institution ou le service dans lequel je travaille, je ne vois pas pourquoi ils (les acteurs) viendraient dans le réseau. Il faut voir si ça a un effet sur leur pratique (coordinateur) ». Comment, dès lors, les intéresser et susciter l’intérêt ?

Il a agi différemment en fonction des organismes contactés mais également en fonction de la connaissance personnelle qu’il a de l’acteur. Par exemple, pour les fédérations, il lui a fallu seulement cinq minutes pour donner quelques explications par rapport au projet et ce, « entre deux réunions », pour obtenir une réponse positive. En ce qui concerne les entreprises, en l’occurrence les EFT et les EI, le traducteur a agi de la même manière que pour les fédérations du troisième secteur. Il a contacté

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les acteurs concernés : les directeurs et les responsables par téléphone ou « en face à face ». Il a rencontré certains de manière informelle lors d’une réunion, par exemple. Il leur a présenté le projet brièvement et a obtenu un accord assez rapidement, soit directement, soit après quelques jours de réflexion. L’intéressement est réussi à partir du moment où l’organisme contacté donne une réponse positive et désigne un de ses employés ou lui-même pour être la personne relais participant aux réunions.

Par contre, quand il a voulu établir une collaboration avec le Forem, il a dû présenter le projet devant la direction qui a rendu sa décision quelques semaines plus tard. Les choses ont pris une tournure tout à fait différente, plus « officielle », par rapport aux autres organismes et acteurs à convaincre. Les enjeux sont également différents car sans le Forem, le réseau ne peut s’extérioriser par l’interface de la maison de l’emploi. Bref, en son absence, il ne pouvait pas se développer. En tout cas, pas dans ce sens-là.

Le Forem est un organisme public, une institution administrative lourde, ce qui implique le respect de procédures lorsqu’une collaboration doit être établie avec lui. Il en est de même pour tous les services publics et les différentes communes de la sous-région que le coordinateur a dû mobiliser. Ce dernier s’est rendu personnellement sur place, éventuellement accompagné de quelques acteurs déjà mobilisés, afin de présenter le projet et de négocier la participation des futurs membres.

On peut voir que le processus d’intéressement est différent en fonction de l’acteur à intéresser. Le traducteur doit le savoir et s’adapter afin de mettre toutes les chances de son côté pour que l’intéressement réussisse. Toutes les démarches d’intéressement entreprises par le traducteur ont réussi car aucun acteur n’a refusé d’intégrer le réseau.

On peut se demander quels sont les arguments que le traducteur a utilisés ainsi que les dispositifs d’intéressement qui peuvent jouer en faveur de leur intégration. Un des arguments employés est la présence de subsides pour le développement du projet de chacun à travers une mise en partenariat. Le fait que le FSE lance son dernier appel pour l’octroi de subsides peut mettre la pression sur les acteurs, les faisant réagir dans l’urgence (cf. annexe 8 acteurs concernés par le FSE). Les acteurs ont l’occasion de développer un projet de grande ampleur, projet qu’ils ont en tête depuis longtemps. Le constat a été établi par rapport au fait qu’il manquait quelque chose (la coordination) dans la réalisation du DIISP.

L’appel à projets du FSE peut être considéré comme un dispositif d’intéressement, contribuant au rassemblement de tous les acteurs du (futur) réseau dans une démarche d’intérêt commun [Kuty, 2008, 14]. Il est intéressant de noter que cet appels à projet a été également identifié comme le point de passage obligé, point définissant les premières étapes de la constitution du réseau. Le FSE continue à être un dispositif d’intéressement jusqu’à l’obtention de sa réponse quant à la perception ou non de subsides. Dans quelle mesure la réponse du FSE ne dévoilera-t-elle pas les intérêts réels des acteurs ? Si le projet d’un des acteurs est refusé par le FSE, l’acteur concerné restera-t-il dans le

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réseau ou pas ? Le quitter signifierait qu’il a intégré le réseau uniquement pour obtenir les subsides. Par contre, s’il reste même sans pouvoir réaliser le projet de l’organisme qu’il a rentré au FSE, il montre que le réseau et le travail en partenariat l’intéressent au-delà de l’aspect financier. Peut-on considérer à ce stade-là que l’intéressement est réussi, c’est-à-dire à partir du moment où l’acteur reste dans le réseau peu importe l’obtention ou non de subsides pour son projet « personnel » ? Si l’intéressement est réussi, il confirme la validité de la problématisation qui, dans le cas contraire, se trouve réfutée [Callon 1986, 188]. Y a-t-il d’autres éléments qui peuvent constituer des dispositifs d’intéressement sur lesquels le traducteur peut se baser pour attirer les acteurs afin qu’ils intègrent le réseau ?

Tout comme pour les demandeurs d’emploi, certaines des interfaces du réseau peuvent être des dispositifs d’intéressement. Cependant, les raisons ne sont pas les mêmes. Les acteurs provenant de services publics ou d’organismes privés peuvent voir au travers de la future maison de l’emploi un lieu où ils pourront se faire connaître. Chacun pourra y présenter son organisme ainsi que les formations que celui-ci propose. Ce lieu peut être intéressant mais dans quelle mesure n’instaurera-t-il pas une forme de concurrence entre les organismes ? L’éventuelle concurrence peut être atténuée par le fait que les organismes ont chacun leur site internet, leur documentation et des séances d’information qu’ils sont libres d’organiser. Même s’ils sont en réseau, ils gardent leur caractère autonome. De plus, l’Europe insiste sur la collaboration et la coordination des actions entre les organismes et non sur la concurrence entre ceux-ci.

Un dernier élément est important à analyser. Lorsque les acteurs intéressés par le réseau ont participé aux premières réunions de coordination, ils ont remarqué l’absence de la régie de quartier. Cette relation s’est établie par l’intermédiaire d’autres acteurs. On retrouve ainsi le triangle de l’intéressement [Callon, 1986, 186] par lequel un acteur A (le coordinateur) peut se connecter à un acteur C (la régie de quartier) par l’intermédiaire de l’acteur B (l’OISP). C’est grâce à cette relation élémentaire [Callon, 1986, 186], en l’occurrence l’OISP, qu’un lien social se met en forme et tend à se consolider. Le traducteur a pu créer une alliance avec la régie de quartier et poursuivre son processus d’intéressement. Ce triangle de l’intéressement peut également servir à interrompre des alliances. Il n’a pas été utilisé à cet effet dans ce cadre-ci car comme la problématique est complexe, un grand nombre d’acteurs doivent être présents.

Puisqu’on se situe dans la logique de réseau face à un traducteur qui suit un processus d’intéressement, les acteurs ont le choix de participer ou non au projet et donc, de se laisser enrôler s’ils sont intéressés. Cependant, à partir du moment où le processus d’intéressement est accompagné d’injonctions et que l’acteur ne sent plus qu’il a le libre choix de participer, dans quelle mesure ce type de comportement ne relève-t-il pas plutôt de la logique pyramidale ? Seul un subordonné est en mesure de recevoir des ordres ou des impositions. Certains acteurs provenant des organisations dont le coordinateur est délégué dans le conseil d’administration sont dans une position délicate car ils sentent qu’ils n’ont pas toujours le choix de leur action. Le cumul des casquettes peut mener à des

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situations malaisées dans le sens où les acteurs éprouvent des difficultés à se situer entre logique pyramidale et logique en réseau.

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