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Mismatch : quelles en sont les implications pour le bien-être et le comportement ? comportement ?

Manipulation de la norme collective

7.2. Mismatch : quelles en sont les implications pour le bien-être et le comportement ? comportement ?

Concernant le premier objectif portant sur les implications psychologiques du décalage entre les attitudes personnelles et la norme collective, l’une de nos hypothèses principales était que le décalage entre ce que les individus pensent et ce qu’ils perçoivent de ce que les autres pensent aurait des conséquences psychologiques négatives pour les individus. Cette hypothèse a été confirmée à travers deux études, l’une d’entre elles étant expérimentale (Étude 7), indiquant le caractère suffisamment robuste des effets observés. Ainsi, ces résultats ont des

implications très importantes pour la compréhension des conséquences destructives liées à la diminution de la réalité partagée (Echterhoff, Higgins, & Levine, 2009) ainsi que des différences de genre en termes de santé mentale.

Les recherches précédentes montrent que le fait de ne pas partager les traits psychologiques avec des individus de sa culture a des conséquences psychologiques délétères (Bleidorn et al., 2016 ; Fulmer et al., 2010). Notre recherche va dans le sens de cette hypothèse en précisant en plus qu’une simple interaction avec des individus dont une personne ne partage pas le point de vue semble être suffisante pour perturber l’état psychologique de cette dernière. Il en découle qu’il est nécessaire et très important de prendre en compte les influences du contexte social lorsque nous examinons le bien-être psychologique. En d’autres termes, comme le niveau élevé de bien-être subjective représente l’une des conditions nécessaires du fonctionnement harmonieux d’une société (Diener, Oishi, & Lucas, 2009), la considération du phénomène de décalage dans l’explication des variations de bien-être s’avère donc être nécessaire.

Le deuxième objectif de cette thèse qui porte sur les implications comportementales du décalage entre les attitudes personnelles et la norme perçue a été testé à travers quatre études en ayant une approche à la fois quantitative (Études 2, 3, 4, 6 et 7) et qualitative (Étude 5).

Comme nous l’avons évoqué précédemment, les individus confrontés à un désaccord personnel avec la norme majoritaire risquent de se retrouver face à un choix entre deux stratégies comportementales. Ils peuvent abandonner leur attitude et se conformer ainsi à la norme, la stratégie qui semble être la plus évidente et « classique » que les individus peuvent adopter. Comme Moscovici le soulignait à plusieurs reprises, avant les années 1970 les recherches en psychologie sociale ont été marquées par un très fort « biais de conformisme ».

Effectivement, le phénomène de conformisme peut être observé dans certaines de nos études. Les individus semblent se conformer à la norme malgré leur désaccord avec celle-ci et

ceci pour diverses raisons. L’une des raisons principales réside dans la recherche de certitude dans un monde complexe : se conformer à la majorité nous permet d’en réduire la complexité et l’ambiguïté. Par exemple, dans l’étude 6 nous avons pu trouver une confirmation de ce pattern. Il a été mis en évidence que les Européens ayant perçu la norme majoritaire en Europe comme étant différente de leur attitude n’ont pas osé l’exprimer, se conformant ainsi à la norme hostile envers les immigrants et les réfugiées. En matière d’immigration, les médias et les réseaux sociaux fournissent des informations ambiguës, ce qui peut influencer la formation d’une opinion personnelle ; ce fait pouvant probablement expliquer les patterns de conformité à la norme perçue à ce sujet. Un tel résultat fait écho à la théorie de la spirale du silence développée dans le domaine de la communication par Noelle-Neumann (1977). Cette théorie postule que lorsque les individus pensent détenir une opinion minoritaire, ne l’exprimeront pas par peur d’être rejeté de leur groupe. Néanmoins, une méta-analyse de 17 études menée par Glynn, Hayes et Shanahan (1997) montre une corrélation significative, cependant, très faible (r = .054), entre la perception de support pour son opinion et la capacité d’exprimer celle-ci. Ainsi, un tel résultat met en question la robustesse du phénomène de la spirale du silence (voir aussi Hornsey et al., 2003 ; Louis et al., 2010). De plus, nous observons une persistance continue de minorités vocales et robustes qui parviennent à changer la norme. Ainsi, la théorie de la spirale du silence de Noelle-Neumann ne semble pas considérer les conditions qui favorisent l’expression d’une opinion minoritaire et considérée comme étant dissidente malgré les risques qui y sont associés. Nos résultats pris ensemble démontrent néanmoins que le conformisme n’est pas la seule stratégie comportementale qui résulte du décalage entre les attitudes et la norme collective en fournissant en plus des pistes d’explication sur les conditions dans lesquelles un anticonformisme peut se produire.

Tout d’abord, notre étude auprès des Européens fournit un premier élément de réponse potentielle à cette question. En effet, il a été montré que les individus fortement identifiés aux valeurs importantes pour eux mais qui vont au contraire de la norme (perçue) majoritaire dans

leur groupe, s’opposent à cette dernière dans une plus grande mesure que ceux qui ne se sentent pas fortement identifiés à leurs valeurs. Ainsi, un décalage entre les attitudes et la norme collective a incité les Européens fortement identifiés aux valeurs européennes de tolérance et de bienveillance envers autrui (Schlenker, 2013) à exprimer leur opinion malgré qu’elle soit différente de la norme dans une plus grande mesure que ceux qui y sont faiblement identifiés. De même, en interrogeant les attitudes des Australiens sur diverses problématiques sociales d’actualité et manipulant le support social de celle-ci, les recherches de Hornsey et ses collaborateurs (2003 ; 2007) démontrent que les individus percevant une forte base morale sous-jacente à leur attitude s’opposent plus facilement à la norme majoritaire. Il en découle que lorsque les valeurs personnelles ou la moralité sont en jeu, les individus ne vont pas forcément se conformer à la norme. Bien au contraire, ils semblent avoir tendance à prôner leur propre norme en s’opposant à la norme prédominante. Ainsi, l’une des premières explications d’expression de la dissidence qui se dégage de ces travaux de thèse réside dans la volonté de défendre ses valeurs personnelles et morales (voir aussi Hornsey et al., 2003 ; 2007).

De plus, nos études quantitatives et qualitatives auprès des agriculteurs et futurs agriculteurs permettent de fournir une autre explication de la dissidence en représentant ainsi une originalité théorique de cette thèse.

Comme nous l’avons vu, l’anticonformisme peut exister au sein d’un groupe au même titre que le conformisme (Jetten & Hornsey, 2014). Cependant, un comportement anticonformiste implique certains risques sociaux tels que l’exclusion sociale ou la ridiculisation de soi. Quelles sont alors les autres conditions nécessaires pour que l’individu exprime son attitude de manière comportementale malgré les risques sociaux associés avec la dissidence ?

Comme le disait Moscovici, «… il n’est pas moins surprenant de se rendre compte de ce que, malgré une répression minutieuse, malgré les énormes pressions qui s’exercent en vue d’attendre à l’uniformité de la pensée, du gout et du comportement, non seulement les individus

et les groupes sont capables de leur résister, mais de plus, ils arrivent à créer les nouvelles façons de percevoir le monde, de s’habiller, de vivre, des idées neuves en politique, en philosophie ou dans des arts, et à amener d’autres personnes à les accepter. La lutte entre les forces de conformité et les forces d’innovation ne perd jamais son attrait et reste décisive pour les unes comme pour les autres » (Moscovici, 1979, p. 10).

Dans le cadre de cette thèse, nous avons donc proposé une autre explication de la dissidence, l’explication n’ayant pas été largement étudiée auparavant. En effet, nous avons proposé que les individus prônent une contre-norme éventuellement dans le but de changer la norme majoritaire. Cette hypothèse étant testée dans un contexte dans lequel une norme est en train de surgir.

7.2.1. Dissidence à l’origine du changement social

La théorie de la spirale du silence, au même titre que l’approche conformiste initiée par les travaux princeps d’Asch (1956) et Sherif (1936) ne sont pas conçues pour expliquer comment une nouvelle norme surgit. En effet, si les individus se conforment « aveuglement » à la majorité en ayant peur d’exprimer leur opinion considérée comme déviante, la norme aurait moins de chance d’être changée puisqu’une opinion alternative ne sera pas exprimée. Comment arrive-t-on à un changement social si la réponse principale des individus est de se conformer à la norme majoritaire ? Au regard de ce débat, un décalage entre les attitudes et la norme perçue a été proposé comme étant l’un des mécanismes sous-jacents au changement normatif. Autrement dit, dans le cas de désaccord avec la norme majoritaire, les individus se comporteront conformément à leur attitude, en s’opposant ainsi à la norme, lorsqu’ils perçoivent qu’ils peuvent la changer. Afin de tester cette hypothèse, dans le cadre de cette thèse, nous avons étudié le processus de changement social sur l’exemple d’un domaine particulier dans lequel une nouvelle norme est en train de surgir. Nous avons notamment interrogé les facteurs psychologiques et sociaux qui sont à la base de l’intention des producteurs européens