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Comme nous l’avion brièvement mentionné en introduction, tous les sites archéologiques traités ici présentent deux caractéristiques communes :

- Ils témoignent tous d’une exploitation de minerais sulfurés dès le Chalcolithique ou l’Age du Bronze Ancien, c'est-à-dire beaucoup plus tôt que ce qui était supposé jusqu’à il y a peu.

- Les procédés semblent ne faire intervenir aucune étape de grillage dans une structure séparée. Or, nous avons montré (paragraphe II) que quasiment tous les procédés connus, de la protohistoire à nos jours, font intervenir le grillage et la fusion dans deux réacteurs différents. La seule exception vient des procédés Flash, dont les conditions sont extrêmement différentes.

Malgré ces deux points communs, quelques divergences apparaissent sur ces différents sites (nature du minerai traité, du réacteur pyrométallurgique, etc.).

Le site de Saint-Véran, en particulier, se détache des autres, car l’aspect global des scories semble témoigner d’une maîtrise beaucoup plus grande des procédés.

Reprenons point par point les caractéristiques des procédés afin de déterminer le dénominateur commun de tous ces sites, et poser des hypothèses de départ du procédé.

IV.1) Nature du minerai

Chalcopyrite (CuFeS2) à Al-Claus, tétrahedrite (Cu12As4S13) avec ou sans chalcopyrite à La

Capitelle, bornite (Cu5FeS4) à St-Véran : le point commun entre tous ces sites est qu’il s’agit d’un

sulfure de cuivre polymétallique. Dans notre modèle, nous choisirons la chalcopyrite, qui est, de manière générale, le minerai le plus fréquemment rencontré.

La présence de minéralisations secondaires, du type minerai de cuivre oxydé ou carbonaté, n’a été confirmée avec certitude sur aucun des sites, et a même été réfutée à Saint-Véran.

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Dans notre modèle, nous partirons d’une chalcopyrite pure, exempte de minéralisation secondaire. L’encaissant, et donc le fondant utilisé, sera le quartz (SiO2).

IV.2) Nature et forme du réacteur

Comme nous l’avons dit, l’hypothèse de départ, qui constitue le cœur de la problématique, est que le procédé ne fait intervenir qu’un seul réacteur.

Il est difficile de statuer sur sa nature exacte : vase-fours à Al-Claus, foyers à La Capitelle, plusieurs types sur les sites du Trentin, etc. La seule caractéristique importante d'une telle structure est que le minerai est mélangé au combustible. Ainsi, la température et les conditions d’oxydo-réduction sont toutes deux contrôlées par la ventilation de ce dernier, et sont par conséquent dépendantes l’une de l’autre.

Lorsque l’on augmente le débit d’air, on accélère la combustion du charbon selon la réaction :

C+O2 = CO2 [13]

Cette réaction est exothermique (enthalpie libre ΔG0(1200 °C)= -93905 cal) et conduit à la fois à

une augmentation de la température età une diminution de la pression partielle d’oxygène dans le système.

Dans notre modèle, la totalité des étapes pyrométallurgiques ont lieu sans interruption dans un seul réacteur, chauffé de l’intérieur par ajout de combustible et ventilation. Pour simplifier les simulations expérimentales, nous adopterons le modèle de vase-four d’Al-Claus.

IV.3) Nature du combustible

La nature du combustible est très peu discutée dans le contexte de la métallurgie au Chalcolithique/Bronze Ancien. Il est en général admis qu’il s’agit de charbon de bois, mais sans preuve formelle. L’influence de la nature du combustible sur l’atmosphère a déjà été discutée, notamment les différences entre l’usage de charbon ou de biomasse [Redher, 1999]. Il a été démontré que la nature du combustible peut influer sur la température adiabatique (i.e. température maximale atteinte par les flammes en négligeant les pertes de chaleur liées aux parois du four, à l’humidité, etc.), mais très peu sur les conditions d’oxydoréduction.

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En première approximation, ces différences peuvent être négligées, et dans notre modèle, nous partirons de charbon de bois.

IV.4) La ventilation

Les procédés protohistoriques de métallurgie extractive du cuivre peuvent faire intervenir une ventilation naturelle ou artificielle.

Concernant le premier cas, des réacteurs à vent ont déjà été mentionnés pour la métallurgie extractive du cuivre [Tylecote, 1987]. Citons par exemple les sites de Chrysokamino (Crète), ou de Feinan (Jordanie) où ont été retrouvés des fragments de réacteur en céramique perforés datant de l’Age du Bronze Ancien. Des simulations expérimentales en conditions réelles ont montré que ces perforations permettent d’atteindre des températures de 1200 °C (Figure 31) [Pryce, 2007]. Et les travaux expérimentaux des procédés de Feinan ont permis de réduire des minerais oxydés en

cuivre dans un feu de charbon sans ventilation artificielle (i.e. T°=1200 °C, pO2= 10-6 atm)

[Kölschbach et al., 2000]. Le modèle du réacteur est illustré Figure 30.

Dans notre cas, la découverte de fragments de tuyères sur certains sites étudiés permet d’écarter d’emblée l’hypothèse d’une ventilation naturelle.

Il reste alors deux questions :

Quelle est la position des tuyères ? (Etaient-elles pointées par au-dessus ou par en-dessous ?)

L’absence de tuyères montrant des traces de chauffe importantes favorise l’hypothèse d’une ventilation par le dessus du creuset : en effet, il a été prouvé, aussi bien par les fouilles archéologiques que par des simulations expérimentales en conditions protohistoriques, que cette configuration, au contraire d’une ventilation par le fond, permet d’éviter la corrosion de la tuyère [Bourgarit, 2007].

Quel est le système de ventilation utilisé : à bouche (« Blowpipes »), ou à soufflets (« Bellows ») ? Cette question a été tranchée dans d’autres contextes archéologiques, où les sites

révèlent des indices directs de la technique employée. Citons la découverte de soufflets à pots sur les sites protohistoriques de la vallée de Timna, en Egypte.

Mais dans notre cas, comme dans de nombreux autres, les seuls outils de ventilation retrouvés sont des fragments de tuyères, souvent en faible quantité et de très petite taille. Malgré ce problème récurent de manque de témoins archéologiques, plusieurs arguments sont possibles pour

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déterminer si ces tuyères ont été employées pour un système de ventilation à bouche (« blowpipes »), à soufflet à main ou à pied (« bellows »).

Le point de départ de ces arguments est l’observation suivante : le débit d’air maximal insufflé par une respiration humaine est beaucoup moins important que par un soufflet (environ 100L/min contre 1000 L/min au maximum). La ventilation par soufflet permet donc d’atteindre des températures plus élevées (1600 °C contre 1200 °C) et une quantité de chaleur 70 fois plus importante [Redher, 1994].

Partant de cela, les témoins archéologiques présentent deux caractéristiques qui permettent de formuler des hypothèses sur le système de ventilation utilisé [Redher, 1994].

- La taille des réacteurs : A partir des calculs de débits de gaz, il a été déduit que

plusieurs soufflets à bouche sont nécessaires pour alimenter un réacteur de petite taille, tandis que seuls les soufflets à main ou à pied pouvaient alimenter les réacteurs de grande taille [Redher, 1994];

- Le diamètre interne des tuyères : Ils sont supposés être moins importants lorsque la

tuyère surmonte un système de ventilation à bouche. Dans notre cas, il existe très peu d’indices de la taille des réacteurs.

En revanche, la découverte, sur les sites chalcolithiques des Alpes italiennes (Romagnano Tof de la Val, Montesei Di Serso, Millan) et de Saint-Véran, de tuyères de diamètre interne très petit (Ø=2-3mm), favorise l’hypothèse d’une ventilation par bouche.

Malgré cette hypothèse, nous avons utilisé pour plus de commodité, lors des simulations expérimentales en conditions protohistoriques, un soufflet à main (Figure 32).

Dans notre modèle, nous nous baserons donc sur une ventilation artificielle apportée par une tuyère pointée sur le dessus du lit de charbon.

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Figure 30: (à gauche) Reconstitution d’un réacteur à ventilation naturelle à base semi-circulaire, pour des simulations expérimentales des procédés de métallurgie de l’âge du Bronze Ancien, sur le site de Fenan9

(Jordanie).

Figure 31: (à droite) : Reconstitution d'un réacteur en céramique perforée utilisé sur le site de Chrysokamino (Age du Bronze Ancien, Crète), d'après [Pryce, 2007].

Figure 32 : Reconstitution d’un système de ventilation artificielle : deux tuyères surmontent des soufflets à main. Ce dispositif a été utilisé pour nos simulations expérimentales de procédés pyrométallurgiques en

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