L'alinéa 11e) se lit comme suit:
«Tout inculpé a le droit: ... e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en liberté assortie d'un cautionnement raisonnable».
Cette disposition se retrouve à peu près dans les mêmes termes à l'alinéa 2f) de
la Déclaration canadienne des droits qui interdit de priver «une personne accusée d'un
acte criminel (...) sans juste cause du droit à un cautionnement raisonnable». Le
paragraphe 9(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit de
son côté: « La détention des personnes qui attendent de passer en jugement ne doit
pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties
assurant la comparution de l'intéressé à l'audience, à tous les autres actes de la
procédure et, le cas échéant, pour l'exécution du jugement ».
L’alinéa 11e) pose une double exigence: la détention ne peut être ordonnée que
moyennant juste cause et le cautionnement doit être raisonnable. Voyons ce qui en est
de la conformité à ces deux exigences d'abord des textes législatifs mêmes, ensuite de
l'application qui peut en être faite par le juge, après quoi nous tenterons de déterminer
qui sont les bénéficiaires de la protection de l’alinéa 11e).
Vu la libéralisation de la procédure de cautionnement en 1971707, et même si
cette réforme fut quelque peu tempérée en 1976708, les articles du Code criminel
(articles 515 à 523) qui instituent ce qu’on appelle la mise en liberté provisoire par voie
707 Loi sur la réforme du cautionnement, S.C. 1970-71-72, c. 37.
judiciaire709 paraissent poser à première vue assez peu de problèmes par rapport à
l'alinéa 11e). Ils consacrent en effet le principe de la libération avant procès, et il
appartient à la poursuite de convaincre le juge que l'incarcération s'impose.
Certes ce fardeau de preuve est renversé dans certains cas (alinéa 515(6)); et
vu que la Cour suprême a établi, dans R. c. Pearson710, que le droit à la mise en liberté
provisoire garanti par l’alinéa 11e) découlait de la présomption d’innocence et qu’il
bénéficiait à toute personne non encore reconnue coupable, ce renversement doit être
justifié et il faut lui trouver une juste cause au sens de cet article711. La loi, a-t-on
précisé, ne peut le prévoir que pour des cas bien déterminés et tels que la détention —
sous réserve pour le détenu d’en établir l’absence de fondement — est nécessaire au
bon fonctionnement du système de mise en liberté provisoire lui-même712. On a jugé
que ces exigences étaient satisfaites dans le cas des personnes accusées de trafic de
stupéfiants puisque cette activité s’inscrit dans des réseaux qui jouissent d’importants
moyens financiers et où l’accusé aura plus qu’ailleurs la possibilité de fuir et de se
soustraire à la justice713. L’alinéa 515(6)d) du Code criminel fut donc jugé valide.
Le renversement du fardeau de la preuve que l’alinéa 515(6)a) prévoit dans le
cas de la personne accusée d’un acte criminel qu’elle aurait commis alors qu’elle était
en liberté provisoire en rapport avec un autre acte criminel fut lui aussi jugé conforme à
l’alinéa 11e) dans R. c. Morales714. Cet arrêt a établi qu’il y a juste cause à priver de
cette liberté, au nom de la sécurité du public, une personne quand il est très probable
qu’elle commettra une infraction715. Dès lors on a eu peu de peine à montrer qu’il y
avait aussi juste cause à exiger de la personne dont on a des motifs raisonnables et
709 Sur l’ensemble de la question, voir en particulier G.T. Trotter, The Law of Bail in Canada, 2e éd.,
Toronto, Carswell, 1999.
710 Supra, note 594.
711 Id., p. 693. Ce lien qu’établit le juge en chef Lamer entre la présomption
d’innocence et l’alinéa 11e) fait l’objet d’une claire réserve de la part du juge Gonthier (p. 702 et 703).
712 Ibid.
713 Id., p. 694 à 699. Notons sur ce point la dissidence des juges La Forest et
McLachlin pour qui le fait de renverser le fardeau de la preuve dans le cas de toutes les personnes accusées de trafic de stupéfiants viole l’alinéa 11e) et n’est pas sauvegardé par l’article premier. Selon eux, le raisonnement du juge en chef ne vaut que pour le grand trafiquant et pas pour le petit revendeur; au surplus, il sera très difficile pour ce dernier de prouver qu’il ne fait pas partie d’un réseau et d’obtenir sa mise en liberté.
714 Supra, note 553.
probables de croire qu’elle a déjà commis une infraction qu’elle établisse que sa
détention n’est pas justifiée716.
Vu les deux arrêts de la Cour suprême qui viennent d’être évoqués717, il ne
semble pas que les autres cas où, conformément aux alinéas 515(6)b) et c), le détenu
doit établir le caractère injustifié de sa détention, à savoir lorsqu’il ne réside pas au
Canada718 et lorsqu’il est accusé de s’être soustrait, alors qu’il était en liberté provisoire,
à la justice ou d’avoir violé les conditions de sa mise en liberté, fassent problème par
rapport à l’alinéa 11e). Ne fait probablement pas problème non plus le fait que dans le
cas de quelques infractions graves, dont le meurtre et la piraterie, seul un juge d’une
cour supérieure puisse décider de la mise en liberté provisoire de l’accusé, ce dernier
ayant le fardeau d’établir que sa détention n’est pas justifiée (article 522)719.
Mais la protection offerte par l’alinéa 11e) n’est pas purement illusoire. Il a, par
exemple, servi à invalider «l’intérêt public» comme motif de détention prévu à l’alinéa
515(10)b) du Code. Toujours dans R. c. Morales, la majorité de la Cour suprême a en
effet été d’avis que ces «termes vagues et imprécis»720 ne pouvaient donner prise à un
débat judiciaire réel quant au caractère justifié de la détention provisoire et que même
s’il s’agissait en l’occurrence d’un défaut affectant un critère de détention et non la
définition d’une infraction, la théorie de l’imprécision était applicable721. Une détention
ordonnée sur la base de ce motif serait donc une détention sans juste cause.
716 Id., p. 743 à 747.
717 Voir l’analyse qu’en fait G.T. Trotter, «Pearson and Morales: Distilling the Right to Bail», (1993)
17 C.R. (4th) 150.
718 Comme on le verra plus loin, un critère basé sur la résidence à l’intérieur du Canada peut
faire problème par rapport à l’article 6 de la Charte, mais cet article n’a aucunement trait à la résidence hors du Canada. Un critère de résidence n’est pas non plus, sauf circonstances très particulières, contraire à l’article 15 de la Charte. Voir: Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, p. 1044.
719 Dans R. c. Pugsley, (1982) 2 C.C.C. (3d) 266 (C.A.N.-É.), ce renversement du
fardeau de la preuve dans le cas d’une accusation de meurtre fut jugé contraire à l’alinéa 11e). Mais cet arrêt ne fut pas suivi. Voir entre autres R. c. Bray, (1983) 2 C.C.C. (3d) 325 (C.A. Ont.) et R. c. Sanchez, (1999) 136 C.C.C. (3d) 31 (C.A. N.-É.).
720 Supra., note 553, p. 726.
721 Id., p. 726 à 735. Sur la question de la validité du critère de l’intérêt public, les
Subséquemment à cette invalidation, le Code criminel fut modifié aux fins
d’ajouter, comme motifs de détention, «une autre juste cause et, sans préjudice de ce
qui précède», la nécessité de préserver la confiance du public dans l’administration de
la justice (alinéa 515(10)c))722. Montrant qu’elle avait de la suite dans les idées, la Cour
suprême, dans R. c. Hall723, fut unanimement d’avis que «une autre juste cause»
comme motif de détention était inconstitutionnelle et contraire à l’alinéa 11e), les mots
«sans préjudice de ce qui précède» l’étant évidemment aussi parce qu’indissociables
des mots précédents. Il est plus surprenant que, dans ce même arrêt, la Cour, à une
faible majorité il est vrai, ait jugé valide ce nouveau motif de détention qu’est la
nécessité de «ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice».
Comme un auteur l’a fait remarquer724, on aurait pu penser, suite aux arrêts Pearson725
et Morales726, que l’objectif de s’assurer la présence de l’accusé à son procès et celui
d’assurer la sécurité du public étaient les deux seules justes causes d’un refus de
cautionnement.
Bien entendu, dans les cas, analysés plus haut, où le Code criminel prévoit un
renversement du fardeau de la preuve, il appartiendra à l’accusé de montrer que sa
détention n’est pas justifiée par les motifs prévus à l’alinéa 515(10)727 alors qu’en règle
générale c’est à la poursuite qu’il revient d’établir qu’une détention s’impose eu égard à
ces motifs. Toujours au sujet du renversement du fardeau de la preuve, on notera que
la Loi antiterroriste728 a ajouté au Code criminel d’autres cas où pareil renversement est
opéré (sous-alinéas iii, iv et v de l’alinéa 515(6)a). Vu la nature des accusations visées,
il est possible que l’on juge que cet ajout ne fait pas problème par rapport à l’alinéa
11e) de la Charte, bien qu’il ne soit pas évident ces nouveaux renversements soient
nécessaires au bon fonctionnement du système de mise en liberté provisoire, comme
722 Voir le commentaire prophétique de L.P. Strezos, «Section 515(10)c) of the Criminal Code :
Resurrecting the Unconstitutional Denial of Bail», (1998) 11 C.R. (5th) 43.
723 [2002] 3 R.C.S. 309.
724 L.P. Strezos, supra, note 722, p. 43.
725 Supra, note 594.
726 Supra, note 553.
727 Voir sur ce point R. c. Rondeau, [1996] R.J.Q. 1155 (C.A.) où il s’agissait d’une accusation de
meurtre et où l’on fait une intéressante analyse du facteur de dangerosité.
l’a exigé l’arrêt Pearson. Un auteur a même estimé qu’il serait difficile pour l’inculpé de
montrer que les motifs de l’alinéa 515(10) du Code criminel ne justifient pas sa
détention729. S’il ne s’agit que d’une détention dans le cadre d’un processus
d’investigation, la Loi antiterroriste revient au droit commun et exige que la poursuite la
justifie, en insérant au Code criminel (alinéa 83.3(7)) une série de motifs quasiment
identiques à ceux de l’alinéa 515(10) de celui-ci. On notera que la personne mise sous
garde dans le cadre de ce processus n’est pas une personne inculpée et qu’il serait
difficile de prétendre qu’elle puisse prendre bénéfice de l’alinéa 11e). Comme nous le
suggérons précédemment, à la fin de notre étude de l’article 9 de la Charte, c’est celui-
ci qu’elle pourrait le plus utilement invoquer.
Comme on l’a vu, l’exigence de la juste cause de l’alinéa 11e) implique qu’un
débat judiciaire réel se tienne sur le caractère justifié de la détention. On peut soutenir
qu’elle implique aussi que la décision prise ne soit pas finale et définitive, la liberté
même de l’individu en étant l’enjeu. Mais le Code criminel établit à ce sujet une
procédure fort satisfaisante: il prévoit en effet que cette décision peut faire l’objet, non
seulement d’un recours en révision (article 520 et alinéa 522(4)) mais même d’une
modification en cours d’instance (alinéa 523(2)), ce qui fait que le cautionnement n’est
pas une question qui ne peut se discuter qu’une seule fois et une fois pour toutes730. La
possibilité d’ajourner l’enquête sur la mise en liberté pour au plus trois jours francs
(article 516 et alinéa 520(4)) n’a rien d’excessif, non plus que l’interdiction de répéter
une demande avant l’expiration de 30 jours (alinéa 520(8)). On peut se demander
cependant si l’interdiction d’interroger ou de contre-interroger le prévenu, lors de
729 G.T. Trotter, «The Anti-Terrorism Bill and Preventative Restraints on Liberty», dans The Security
of Freedom: Essays on Canada Anti-Terrorism Bill, supra, note 191, p. 244-245. Cette prévision est peut-être d’autant plus juste que la lutte au terrorisme se fait souvent sur la base du profil racial et ethnique du suspect et que certains motifs de détention, par exemple «ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice», peuvent se prêter à justifier des détentions sur la base de ces profils. Voir sur la question du profilage racial, S. CHOUDHRY, «Protecting Equality in the Face of Terror : Ethnic and Racial Profiling and s. 15 of the Charter», dans l’ouvrage cité au début de la présente note, p. 367.
730 Notons que le juge siégeant en révision peut examiner tous les aspects du
dossier et n’est pas limité à n’intervenir que s’il y a faits nouveaux ou erreur de droit. Voir: R. c. Dellacio, (1987) 3 W.C.B. (2d) 373 (C.S. Qué.). Notons aussi que le fait pour la poursuite d’avoir procédé par voie de certiorari plutôt que par le recours prévu au Code criminel a entraîné des délais qui lui furent reprochés. Voir R. c. Vilotta, (2002) 163 C.C.C. (3d) 507 (C.S. Ont.), où le fait que la Couronne n’ait pas été entendue n’a pas entraîné la révocation de l’ordonnance de mise en liberté. Dans R. c. Lee, (1982) 69 C.C.C. (2d) 190 (C.S. C.-B.), l’on suggère l’existence d’un recours en révision fondé directement sur l’article 24 de la Charte, dans un contexte où le recours en révision du Code criminel n’était pas utilisable. Mais voir R. c. Morphet, (1986) 17 W.C.B. 203 (C.S.C.-B.) où l’on considère que cette position est incompatible avec le principe selon lequel la Charte ne crée pas de recours nouveau, principe établi dans Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863. Nous revenons sur cette question à la fin de la présente étude.
l’enquête sur la mise en liberté provisoire, au sujet de l’infraction dont il est inculpé
(alinéa 518(1)b)) n’est pas contraire au principe d’une défense pleine et entière731,
encore que cette interdiction soit dans beaucoup de cas favorable à l’accusé.
La mise en liberté, quand elle est ordonnée, peut, aux termes de l’alinéa 11e),
être assortie d’un cautionnement raisonnable. Qu’est-ce à dire? Précisons d’abord que
le mot «cautionnement» n’a pas que le sens populaire de sommes d’argent en garantie
mais vise toutes les conditions posées à la liberté provisoire732: promesse, engagement
de payer avec ou sans caution, dépôt d’argent, obligation de demeurer dans une
juridiction territoriale donnée, de se présenter à une autorité à certains moments, de
signaler ses changements d’adresse, de déposer son passeport, de s’abstenir d’entrer
en contact avec certaines personnes et autres conditions raisonnables (alinéas 515(2)
et (4))733. Ce ne sont pas ces conditions en elles-mêmes qui peuvent faire le plus
problème par rapport à l’alinéa 11e) mais plutôt, comme on le verra, celles que le juge
choisit d’imposer à une personne en particulier. Signalons cependant que l’obligation
de demeurer dans une juridiction territoriale donnée, non déraisonnable en elle-même,
porte atteinte, dans le cas d’un citoyen canadien et d’un résident permanent au
Canada, au «droit de se déplacer dans tout le pays» que garantit l’alinéa 6(2)a) de la
Charte et il faudra démontrer qu’il s’agit d’une atteinte sauvegardée par l’article premier de celle-ci734. Encore que moins directement, y porte peut-être aussi atteinte
l’interdiction de rencontrer certaines personnes735; et l’obligation de dépôt imposée au 731 R. c. Millar, (1983) 7 C.C.C. (3d) 286 (C.S. Qué.), où l’on a décidé que cette
interdiction était contraire à l’article 7 de la Charte.
732 R. c. Pearson, supra, note 594, p. 690.
733 La Loi antiterroriste, supra, note 262 a modifié le Code criminel de façon à rendre applicables aux
mises en liberté qu’elle prévoit les conditions suivantes, que le Code d’ailleurs prévoyait déjà : pour la mise en liberté dans le cadre d’une investigation, l’engagement de ne pas troubler la paix (alinéa 83.3(8)) et de ne pas posséder de matériel offensif (alinéa 83.3(10)), et pour la mise en liberté dans le cadre d’une poursuite, l’engagement de ne pas posséder ce dernier type de matériel (alinéa 515(4.1)) et de ne pas communiquer avec certaines personnes ou d’aller dans certains lieux (alinéa 515(4.2)).
734 Certes le paragraphe 6(2) fut interprété comme garantissant la mobilité
interprovinciale et non intraprovinciale. Voir Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357. Mais l’obligation de demeurer dans une juridiction territoriale à l’intérieur d’une province enfreint l’une et l’autre puisqu’on n’en peut sortir pour aller ailleurs dans cette province et a fortiori dans une autre. Notons que dans Regina c. Murphy, (1987) 3 W.C.B. (2d) 282 (B.R. N.- B.), l’interdiction faite à une personne en liberté conditionnelle de venir dans la ville où elle résidait avant son incarcération et où son ex-conjointe résidait toujours fut jugée contraire à l’article 6 et non sauvegardée par l’article premier. Les restrictions à la liberté de circulation, notamment celles imposées dans le cadre de procédures criminelles, font aussi problème par rapport à «la liberté» garantie par l’article 7 de la Charte. Voir par exemple: R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761.
735 On fut d’avis contraire dans Re Bryntwick and National Parole Board, (1986) 32
prévenu ne résidant pas dans la province ou dans un rayon de deux cents kilomètres
du lieu où il est sous garde (alinéa 515(2)e)) fait problème par rapport à l’alinéa 6(2)a)
dans la mesure où ce dernier garantit aussi le droit pour le citoyen et le résident
permanent «d’établir leur résidence dans toute province» et où l’on choisit la résidence
du détenu comme un facteur qui lui est défavorable736. Le recours à l’article premier
sera, ici encore, probablement requis. Notons enfin que la nécessité de l’accord de la
poursuite pour que le prévenu soit dispensé de fournir caution (alinéa 515(2)d)) fut
jugée contraire à l’alinéa 11e)737.
L’alinéa 11e) peut être invoqué non seulement pour contester ou interpréter un
texte de loi, mais aussi pour contester le déroulement d’une procédure ou une
ordonnance spécifique concernant un individu en particulier. C’est donc aussi et même
surtout sur le plan du traitement des cas particuliers qu’on peut se trouver en présence
d’une détention sans juste cause ou d’un cautionnement déraisonnable. Ainsi on a
estimé qu’il était contraire à l’alinéa 11e) de refuser la mise en liberté provisoire à un
individu n’ayant pas d’antécédent judiciaire, dont on n’avait pas raison de croire qu’il ne
se présenterait pas à son procès et au seul motif que la poursuite avait une forte
preuve contre lui738. Par contre, le fait que la poursuite n’ait pas à prouver hors de tout
doute le caractère justifié de la détention de l’accusé mais qu’elle n’ait qu’à satisfaire à
la norme de la balance des probabilités ne fut pas jugé contraire à cet article739. Cela se
comprend car la détention avant procès n’est qu’une mesure provisoire qui n’entraîne
pas une stigmatisation comparable à la détention résultant d’une condamnation. Son
but premier étant de protéger la société et de favoriser la bonne administration de la
justice plutôt que de punir, dissuader ou réhabiliter, un allégement du fardeau de la
preuve au profit de la poursuite paraît donc quelque chose d’acceptable. Dans ce
même esprit, on a décidé qu’une enquête sur la mise en liberté provisoire devait être
assez expéditive et qu’il y avait lieu par conséquent d’assouplir lors d’une telle enquête
736 Contra: Crothers c. Simpson Sears Ltd., [1988] 4 W.W.R. 673 (C.A. Alta);
Lapierre c. Barrette, [1988] R.J.Q. 2374 (C.A. Qué.). Rappelons que le critère de résidence n’est pas, sauf circonstances bien particulières, contraire à l’article 15 de la Charte: supra, note 718.
737 R. c. Saunders, (2002) 159 C.C.C. (3d) 558 (C.S. C.-B.).
738 R. c. Dellacio, supra, note 730.
les règles gouvernant la recevabilité des preuves740. On a aussi décidé qu’il n’est pas
essentiel que l’accusé comprenne parfaitement le déroulement de la procédure741. Mais
imposer à un accusé des conditions de mise en liberté qu’il lui est de toute évidence
impossible de remplir peut aisément devenir un cautionnement déraisonnable742.
Il reste à déterminer à qui exactement bénéficie la protection de l’alinéa 11e).
Selon la jurisprudence dominante, la personne condamnée qui en appelle de sa
condamnation ou de sa sentence n’est plus, à la différence de celle pour qui, après sa
condamnation, un nouveau procès fut ordonné et qui est en attente de celui-ci743, un
inculpé au sens de cet article et ne peut invoquer ce dernier pour contester les normes
de mise en liberté provisoire pendant l’appel qu’établit l’article 679 du Code criminel744.
Il est compréhensible qu’au chapitre de la mise en liberté provisoire la personne
condamnée n’ait pas toutes les protections qu’a celle qui ne l’est pas, d’autant plus que
la Cour suprême, à la majorité, a lié la mise en liberté provisoire à la présomption
d’innocence745. Cela dit, si un critère comme celui de l’intérêt public n’est pas
acceptable, comme on l’a vu, comme critère de détention sous l’alinéa 11e) en ce qu’il
ne donne pas prise à un débat judiciaire valable à ce sujet, on peut prétendre que ce