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A. L’ACCOMPAGNEMENT DE LA FONCTION MANAGERIALE

2. La mise en dynamique de l’organisation

Face à une pratique managériale ancrée, la mise en dynamique de la ligne managériale donnera lieu dans un premier temps à une action visant à expliciter le sens de l’évolution envisagée et dans un second temps à clarifier le positionnement des managers dans l’organisation envisagée.

a) L’appropriation des éléments de contexte

Lors de l’élaboration du plan d’accompagnement des managers pour déployer une organisation plus coopérante et plus transversale, la direction des ressources humaines portera une attention particulière au sens attaché à cette évolution. Contrairement à une idée répandue, les jeunes générations ne sont pas les seules à exiger du sens dans leurs actions et leur engagement. En effet, « ce sont tous les citoyens et travailleurs qui attendent désormais eux aussi une nouvelle

vision et un sens à leur travail et leur mode de vie » (Loisel et Vivier 2020, 351). Il conviendra

donc de mettre en exergue l’ensemble des facteurs internes et externes justifiant cette évolution organisationnelle et de se détacher des effets de « mode organisationnelle » qui ne reposeraient pas sur une approche raisonnée des éventuelles évolutions des organisations. Cette étape sera d’autant plus importante que l’organisation concernée se situerait dans un secteur d’activité jusqu’alors protégé des soubresauts résultant d’une concurrence accrue, d’un environnement réglementaire ou politique évolutif par exemple. Dans de telles configurations, l’adaptation des modèles organisationnels et managériaux sont peu fréquents et nécessitent donc un accompagnement renforcé pour en faciliter l’appropriation dans un premier temps et la diffusion dans un second temps.

Force est de constater qu’à l’occasion des entretiens réalisés pour cette étude, cette étape préalable d’explication des buts recherchés par ce type d’organisation n’a été que peu évoquée par les professionnels des ressources humaines alors que certains consultants ont bien souligné que ces pratiques de coopération transversale ne pouvaient prospérer que dans l’hypothèse où les acteurs de l’organisation y trouvaient un intérêt propre. Or comment est-il possible de trouver son intérêt dans une démarche si l’on n’en perçoit pas le sens et que la première perception de cette évolution est une potentielle remise en cause de sa place dans l’entreprise ? Pour répondre à cette problématique, la direction des ressources humaines devra s’assurer que l’ensemble des éléments permettant l’appropriation des raisons justifiant cette évolution sont bien diffusées et comprises au niveau des managers qui pourront ainsi les retransmettre au niveau de leurs équipes respectives sans risque de dénaturation. Cette démarche pourra prendre

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la forme de séminaires avec la direction de l’entreprise en vue d’expliquer les orientations retenues mais aussi la forme de diffusions d’analyses plus opérationnelles ou stratégiques permettant aux différents managers de disposer d’éléments plus objectifs justifiant l’évolution des pratiques de l’organisation. Pour illustrer, nous pouvons retenir la possibilité d’interventions des directions marketing permettant d’appréhender les évolutions du marché et le positionnement de l’entreprise face à ses concurrents. Dans le même ordre d’idées des directions techniques peuvent aussi faire un état du portefeuille produits ou des technologies maîtrisées en vue de souligner les besoins de renouvellement, d’innovation… Autant de points qui permettront d’expliquer à tous les niveaux de l’entreprise que la mise en mouvement est nécessaire à une adaptation dans un monde VUCA.

Des groupes importants dans le secteur de l’industrie de la défense ont intégré cette démarche pour accompagner leur transformation. Lors de la négociation d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la direction et les partenaires sociaux d’un groupe industriel important avaient élaboré un dispositif permettant de fournir à l’ensemble des acteurs de l’entreprise des clefs de lecture de la transformation envisagée. Dans ce cas particulier, la ligne managériale était dotée d’importantes ressources permettant d’une part, de s’approprier les raisons de la transformation (rupture technologique et évolution du modèle économique pour répondre à la concurrence) et d’autre part, d’expliquer et d’accompagner la transformation envisagée au plus près des équipes. Les équipes de la direction des ressources humaines constituaient des éléments importants dans la démarche. Cela prenait corps non seulement lors de la construction du dispositif avec les partenaires sociaux mais aussi dans l’animation de la communication auprès des équipes par le manager et enfin par l’accompagnement des collaborateurs à la suite de ces annonces d’évolution organisationnelle. En synthèse, la DRH était donc concepteur du dispositif mais aussi soutien des managers dans son déploiement.

Si cette démarche est ambitieuse, elle ne pourra être soutenue que par des acteurs disposant des outils de compréhension du contexte et de la trajectoire suivie mais aussi sécurisés sur leur devenir au terme de la transformation. C’est pourquoi, en parallèle de cet aspect de l’accompagnement, la DRH doit travailler à clarifier le rôle et le positionnement du management.

b) L’affirmation du rôle du manager

Les évolutions organisationnelles conduisent fréquemment à un déplacement des zones de pouvoir ou d’influence et certains acteurs pourraient, faute de prise en compte de cette dimension, s’opposer à la mise en place de cette nouvelle dynamique de crainte de voir leur rôle amoindri (Autissier et Moutot 2016, 119). Ainsi, le responsable hiérarchique d’une équipe pourrait vivre comme une remise en cause de son positionnement le fait que certains de ses collaborateurs contribuent directement à un projet et se trouvent de fait sous l’autorité fonctionnelle d’un directeur de projet. De même, la coopération transverse pourra conduire à ce que des salariés d’une unité organisationnelle puissent développer des réseaux au sein de l’entreprise qui seront totalement inconnus du gestionnaire hiérarchique, captant ainsi des informations dont ce dernier ne serait pas détenteur. Compte tenu de l’importance de la gestion de l’information dans la fonction managériale (Mintzberg 2011, 40), cette situation pourrait être source de tensions. Il convient donc pour la direction des ressources humaines d’accompagner les managers dans cette transition à la fois organisationnelle et culturelle.

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Sur le plan méthodologique, il apparaît clairement que la seule analyse des organigrammes ne peut suffire à une compréhension exhaustive des jeux de pouvoirs dans une organisation donnée. En effet, seule la structure apparaît dans ce type de représentation mais elle ne fait en rien état de l’organisation qui se révèle par l’analyse stratégique de cet ensemble (Crozier et Friedberg 1977; Dupuy 2011). Des outils d’analyse tels que les sociogrammes pourront se trouver mobilisés en vue d’identifier les relations entre les différents individus permettant ainsi d’y définir avec précision la sphère d’influence du manager mais aussi, les interactions qu’il aura à gérer, les ressources dont il dispose. Cette approche permettra d’identifier pour l’ensemble des gestionnaires de l’organisation, ceux dont le pouvoir, la zone d’influence ou même le positionnement dans une organisation seraient affectés.

La mise en œuvre d’un changement organisationnel de cette nature peut aussi conduire à ce que les managers considèrent leur position menacée et à ce qu’ils adoptent une posture défensive liée à un sentiment d’insécurité. Cette perception de la menace peut résulter de la perte d’appartenance à un groupe ou bien de toute ou partie des responsabilités antérieures (Ghadiri 2014, 38). Cette mise en cause identitaire résultant de la perte de zones de pouvoir pourra de surcroît, si elle n’est pas accompagnée correctement, conduire à une détérioration de la confiance organisationnelle dont les managers peuvent faire preuve (Frimouse et Peretti 2014, 84).

De ce constat, il conviendra d’élaborer des plans d’action permettant leur accompagnement de manière à ce que leur nouveau positionnement ne soit pas perçu comme un déclassement et que leur comportement n’entrave pas la mise en place de cette nouvelle organisation orientée vers la coopération transversale. Outre l’impact collectif que cela pourrait avoir dans la mise en œuvre des nouvelles organisations, il convient de ne pas négliger non plus l’impact individuel de telles situations potentiellement génératrices de risques psychosociaux.

Les plans d’action destinés à accompagner cette évolution seront de différentes natures selon les situations et impliqueront pleinement le positionnement de la fonction ressources humaines comme acteur central de la transformation. Dans tous les cas, une étude d’impact de la transformation sera effectuée visant à mesurer pour l’ensemble des managers les évolutions de périmètre induites par ce changement, la perte d’influence ou de ressources que cela pourrait avoir. Une fois ce diagnostic effectué, le rôle du manager devra être rappelé en soulignant son rôle déterminant dans la conduite de la transformation, les moyens dont il dispose et sa sphère d’influence. Lors de l’élaboration de ces plans d’actions, la direction des ressources humaines pourrait aussi avoir à accompagner un repositionnement de certains collaborateurs qui ne souhaiteraient ou ne pourraient participer à ce nouveau projet. Ce repositionnement pourra prendre la forme de formations, de mobilités internes. Dans certains cas, des départs de l’organisation pourront être envisagés dès lors que les compétences ou appétences des managers concernés s’avèreraient trop éloignées du modèle organisationnel retenu. Sur ce point particulier un consultant interviewé a souligné l’importance du rôle joué par les ressources humaines en indiquant que : « Les opérationnels qui savent adapter les modes projet ou le

business model se débrouillent seuls mais ils ont besoin de l’aide la RH pour fixer un nouveau cadre de travail car ils sentent bien que les cadres anciens sont trop contraignants et qu’ils ne peuvent les lever unilatéralement. Ils sentent bien aussi que pour renouveler les managers, ils ne peuvent pas faire ça juste dans leur coin. Ils ont besoin de quelqu’un sur qui s’appuyer. Sur ces deux sujets là, je sens vraiment une impulsion très forte des RH » (E11).

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Si cette démarche est conduite à son terme, le manager dispose alors du sens et des bénéfices attendus de la transformation engagée et il disposera aussi d’une vision claire de sa place dans l’organisation future. A défaut d’opérer cette clarification, d’importants dysfonctionnements pourront apparaître dans l’organisation, notamment dûs à la superposition de deux modèles organisationnels (Larose et Corriveau 2009, 18).

Passé ces étapes cruciales, la direction des ressources humaines pourra se consacrer à un autre chantier important pour l’enracinement de la coopération transversale. Il s’agira d’accompagner le type de management qui devra nécessairement évoluer dans ce nouveau contexte.

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