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Mise en contexte : une stratégie de déploiement régie par la notion de « média global ».

II — L’économie de la voix numérique : champ concurrentiel élargi et altération artificielle.

B. ANALYSE DE L’OFFRE DES MÉDIAS FRANÇAIS PRÉSENTS SUR L’ENCEINTE CONNECTÉE AMAZON ECHO.

1. Mise en contexte : une stratégie de déploiement régie par la notion de « média global ».

Notre analyse du marché des enceintes connectées nous a permis de constater que l’implantation d’une technologie sur un territoire a une influence directe sur le déploiement d’une offre médiatique. Cela semble logique, puisque les médias se destinent à parler à un public suffisamment nombreux et qu’ils peuvent monétiser. L’absence d’une mesure d’audience instaurée et légitime complique la vente d’espace publicitaire à des annonceurs au sein des contenus médiatiques dédiés aux enceintes connectées. L’étude Global Radio de Médiamétrie, organisme officiel en charge des mesures d’audiences des médias en France, ne comprend pas les enceintes connectée dans sa mesure des écoutes digitales de la radio (à la fois le direct et le replay). Les catégories prises en compte et les publics qu’elles rassemblent sur la période janvier-mars 2018 sont les suivants : sur l’ensemble de l’écoute quotidienne du média, 12,2% (soit 6,6 millions de paires d’oreilles) est numérique, total au sein duquel le mobile arrive en tête (3,5 millions), suivie par l’ordinateur (1,7 million), la télévision (1,1 million), la tablette (505 000) et le baladeur (118 000)129. Parmi les méthodes pour insérer des annonceurs dans des contenus de médias sur les enceintes connectées — le sponsoring d’un programme, les écrans publicitaires classiques, et les contenus de marque —, celle de l’ « ad-switching », sorte de compromis entre les écrans publicitaires et la personnalisation permise par les algorithmes semble être la voie privilégiée. Cette technique, déjà utilisée en TV numérique, consiste à « substituer un spot publicitaire diffusé dans le flux en direct d’une chaîne par un autre spot sur un support numérique, ordinateur, smartphone ou tablette »130 pour en augmenter la couverture sur une cible commerciale. Elle ne peut trouver son efficience et sa vente à des annonceurs qu’en se fondant sur une mesure d’audience instituée, pour l’instant absente des contenus dédiés aux enceintes connectées. Nicolas Dot résume ainsi cette problématique :

Offre Média, « Les supports multimédias atteignent 12,2% du volume total d’écoute de la radio selon

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Médiamétrie », 18/05/2018. Disponible à l’adresse suivante : https://www.offremedia.com/les-supports-multimedias- atteignent-122-du-volume-total-decoute-de-la-radio-selon-mediametrie

Stratégies, Fraioli, B., « L’ad-switching à l’ère du médiaplanning », 20/04/2017. Disponible à l’adresse suivante :

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« Comment on monétise l'écoute via ces enceintes connectées ? Est ce qu'on choisit d'avoir un ad switching comme en TV sur le digital — avoir des publicités ciblées sur Internet, différentes de la publicité qui passe en télé — sur les enceintes ? C'est a priori ce vers quoi on se dirige, en tout cas pour des programmes comme les podcasts. Après, combien ça va représenter, à quel point va-t-on avoir accès la donnée ? En effet, on observe une cannibalisation par les GAFA, qui ont tendance à retenir les informations. Sans possibilité de mesurer de façon précise les audiences, un peu comme sur iTunes, la monétisation sera d'autant plus complexe. Il faut aussi que cet objet rentre dans les us et coutumes pour que la monétisation prenne de l’ampleur »131.

La présence d’un nombre conséquent de médias français sur les enceintes connectées ne relève dès lors pas d’un enjeu de monétisation ou d’enrichissement dans cet état embryonnaire du marché. Il s’agit davantage d’affirmer leur présence dès les balbutiements de cette technologie pour grandir avec elle, dans l’espoir d’un essor semblable à celui du marché américain. Cette volonté se conjugue d’un enjeu d’image, très vif dans le cas de la radio, de média ancré dans la modernité numérique qui anticipe les évolutions des usages. Lorsqu’un média s’introduit sur Google Home, Amazon Echo ou le Apple HomePod, il construit son identité auprès des publics (une communication Business to Customer) et des annonceurs qui assurent sa rentabilité (Business to

Business). Le média ne tire aucun gain financier de son association à l’enceinte connectée ; il

dépense de l’argent pour créer des contenus spécifiques de la même manière que le développement d’une application mobile suppose d’y allouer des ressources. Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien, déclarait ainsi qu’ « aujourd’hui, on ne se rémunère pas (…). Il faut à l’inverse dépenser de l’argent (« pas beaucoup ») pour être sur Amazon Echo »132. Le rajeunissement de l’audience du média radio passe, avant sa conquête de publics plus jeunes, par un travail de l’image des marques qui le composent :

« C'est une course à l'innovation, une volonté d'être les premiers à adopter un service le plus innovant possible. En dehors de cet aspect innovant, porteur en termes d'image pour les médias, c'est aussi un enjeu de rajeunissement et de diversification de l'audience qui est particulièrement important dans un écosystème médiatique qui n'a de cesse d'être chamboulé et perturbé par de nouveaux acteurs, toujours plus compétitifs. Pour mettre l'accent sur la radio, elle

Entretien avec Nicolas Dot, chef de produit marketing au groupe radio RTL, mené par Clément Mellouet.Annexe 10,

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pp.178-184.

Numerama, Turcan, M., « Comment Amazon Echo s’appuie sur les médias pour conquérir les Français »,

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06/06/2018. Disponible à l’adresse suivante : https://www.numerama.com/tech/380039-comment-amazon-echo- sappuie-sur-les-medias-pour-conquerir-les-francais.html

joue sur cet effet d'annonce. Ce n'est pas pour rien que chaque média proclame être le premier présent sur Amazon Echo, sur Google Home »133.

Les médias classiques — adjectif rassemblant de manière arbitraire la radio, la télévision et la presse, qui existaient avant et se remédient sur le numérique — s’insèrent dans une logique de média global, qui mélange image ancrée dans l’innovation et capacité à s’exprimer sur une multitude de supports. Cette stratégie suppose d’être capable de construire une ligne éditoriale assujettie à une double tension, entre la capacité à la conserver sur des supports distincts (le renvoi à une marque ancrée sur un support d’origine, en lien avec ses savoir-faire sources de sa valeur ajoutée) et de créer des contenus modernes en ce que leur expression apparaît comme naturelle sur le nouveau support. Mathieu Gallet, ancien président du groupe public Radio France, définit cet enjeu dans une note publiée sur le site du think-tank Terra Nova le 5 novembre 2017 :

« Les médias classiques doivent évoluer pour agréger l’ensemble des usages et permettre une expérience plurielle à des utilisateurs qui accèdent à leurs contenus par de multiples canaux : le média global, c’est la mise à disposition de tous les programmes ou émissions sous toutes les formes possibles, en direct comme en différé, programmés ou à la demande, à l’écrit, en photo, en son, en vidéo, sur tous les réseaux et en particulier les réseaux numériques. Ainsi, le contenu fourni (information, fiction, documentaire, humour, réflexion...) est retravaillé pour être proposé sous toutes ses facettes médiatiques : enrichi, réfléchi, renforcé, et plus attrayant pour toutes les catégories de public »134.

La radio d’information en continu franceinfo, citée plus loin dans la note, illustre cette volonté de déploiement et de signification du média d’origine. La radio, fondée en 1987, a ajouté à ses canaux d’expression un site web, une application et une chaîne de télévision. Le partage de programmes entre sa chaîne TV et sa radio — notamment les flashes info, ou la diffusion simultanée d’une partie de la matinale sur les deux supports — et leur reprise sur Internet fait circuler une image de marque ancrée dans la radio dans divers canaux d’expression. Cette stratégie de média global répond à un enjeu de diversification de l’audience et d’image, les deux ayant une influence réciproque. Pour

Entretien avec Nicolas Dot, chef de produit marketing au groupe radio RTL, mené par Clément Mellouet.Annexe 10,

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pp.178-184.

Terra Nova, Gallet, M., « Transformation numérique, synergies agiles, responsabilité démocratique : trois enjeux pour

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les médias publics », 05/11/2017. Disponible à l’adresse suivante : http://tnova.fr/notes/transformation-numerique- synergies-agiles-responsabilite-democratique-trois-enjeux-pour-les-medias-publics

exemple, franceinfo a ancré son image dans la modernité numérique en s’associant à la société de production de vidéos d’information pour les réseaux sociaux Brut en mars 2017135.

La stratégie de média global que nous venons de décrire permet d’interpréter les positionnements des médias français proposant du contenu sur les enceintes connectées. Nous pensons que la radio a dans ce contexte une opportunité à saisir, car son identité est issue du travail du matériau vocal (c’est son savoir-faire), sans pour l’instant que nous soyons capables de qualifier la manière dont elle se saisit de cet enjeu. Une analyse détaillée de l’offre des médias français sur Amazon Echo — ici choisi à valeur d’exemple — devrait permettre de comprendre le positionnement de la radio sur ce support.

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