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II. Etudes structurales et biochimiques de la protéine PaeM et de deux variants :

6. Mise en évidence d’une certaine cytotoxicité de la PaeM vis-à-vis d’E coli :

Alors que la ColM et ses homologues étaient connus jusqu’ici pour ne posséder qu’un spectre d’action restreint (Barreteau et al., 2009b; Chérier et al., 2016), nous avons mis en évidence de façon fortuite une cytotoxicité réelle de la PaeM vis-à-vis d’E. coli.

Confirmation de la cytotoxicité réelle de la PaeM :

En effet, lors de la réalisation d’un test permettant d’évaluer l’activité cytotoxique en milieu solide d’une préparation de ColM fraichement purifiée, la PaeM avait été déposée en parallèle en qualité de témoin négatif. Après une nuit d’incubation à 37°C, la cytotoxicité de la ColM purifiée vis-à- vis de la souche d’E. coli BW25113 testée a été confirmée, mais nous avons également observé, de façon totalement inattendue, une plage de lyse au niveau du point de dépôt de la PaeM (Figure 90).

Figure 90 : Evaluation de la cytotoxicité de la PaeM vis-à-vis d’une souche d’E. coli BW25113. 4 µL d’une solution de PaeM purifiée à 22 mg.mL-1, soit 88 µg (à gauche), et 4 µL d’une solution de ColM purifiée à 7,4 mg.mL-1 soit 30 µg (à droite), ont été déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113. Le tampon A (4 µL) a été déposé en qualité de témoin négatif. A : Schéma de dépôt ; B : Photographie de la boite à l’issue d’une nuit d’incubation à 37°C.

Un tel résultat n’avait jamais été observé auparavant au laboratoire : il avait simplement été démontré que la PaeM ne présentait aucune activité cytotoxique lorsque 4 µg étaient déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli (Barreteau et al., 2009b). Nous avons donc dans un premier temps pensé que l’inhibition de croissance observée au niveau du dépôt de la PaeM était la conséquence d’une contamination par la ColM lors de la réalisation de l’expérience. Ce test a été reproduit un certain nombre de fois et une inhibition de croissance a été observée à chaque fois avec la PaeM dans les conditions testées. Il est important de noter que la solution protéique de PaeM utilisée lors de ce test était fortement concentrée (22 mg.mL-1), car initialement destinée à la réalisation d’expériences de

cristallogenèse.

Afin d’éliminer tout soupçon d’une contamination de la solution de PaeM par la ColM, nous avons testé d’autres préparations protéiques, plus ou moins concentrées, par dépôt de 4 µL de chaque solution non diluée sur un tapis cellulaire. Le même phénomène a été observé pour chaque préparation de PaeM testée (Figure 91).

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Figure 91 : Evaluation de l’activité cytotoxique de différentes préparations de PaeM purifiées sur une souche d’E. coli (BW25113). 4 µL de chacune des solutions de PaeM purifiées non diluées ont été déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113. Les concentrations respectives des solutions de PaeM 07/2015, 04/2013, 03/2014, 06/2010 étaient de 22 mg.mL- 1, 8,9 mg.mL-1, 3,6 mg.mL-1 et 5 mg.mL-1. A : schéma de dépôt ; B : photographie de la boite après une nuit d’incubation à 37°C.

Ces derniers résultats ayant indiscutablement prouvé l’activité cytotoxique de la PaeM très concentrée, et disculpé une éventuelle contamination par la ColM, la quantité minimale de PaeM nécessaire pour observer l’effet lytique sur E. coli a été déterminée (Figure 92).

Figure 92 : Détermination de la quantité minimale de protéine PaeM nécessaire pour induire la lyse d’E. coli. Différentes quantités de protéines purifiées ont été déposées sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113. Les diamètres des plages de lyse ont respectivement été mesurés à 7,5 mm, 6,5 mm, 6 mm, 5 mm, et 4 mm de la concentration la plus élevée à la plus faible pour laquelle une lyse a été observée.

Il est apparu que 14 µg de protéine purifiée étaient requis pour provoquer une inhibition de croissance. En deçà de cette quantité, plus aucune inhibition de croissance n’était observée. Cette quantité est 35 000 fois supérieure à la quantité minimale de ColM nécessaire pour induire la lyse d’E. coli, puisqu’il a précédemment été montré au laboratoire que seulement 0,4 ng de ColM permettait d’observer une plage de lyse sur un tapis cellulaire d’E. coli (Barreteau et al., 2010).

Afin de confirmer que l’effet observé était bien la conséquence de l’activité enzymatique de la PaeM, le mutant ponctuel inactif D241A, a également été testé en quantité importante (62 µg) et dans les mêmes conditions que précédemment, sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113 (Figure 93).

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Figure 93 : Evaluation de l’activité cytotoxique de la PaeM D241A sur une souche d’E. coli BW25113. Des volumes de 4 µL de solutions de PaeM (88 µg), PaeM D241A (62 µg) et ColM (30 µg) ont été déposés sur un tapis cellulaire de BW25113. A : Schéma de dépôt des protéines ; B : Photographie de la boite après une nuit d’incubation à 37°C.

Aucune inhibition de croissance n’a été observée suite à ce dépôt, confirmant ainsi que le phénomène observé était bien la conséquence de l’activité enzymatique de la PaeM.

Dépendance de la cytotoxicité de la PaeM vis-à-vis de partenaires protéiques :

Vis-à-vis des sytèmes de réception, de translocation et de maturation :

Par la suite, nous avons cherché à savoir si, pour exercer son activité létale sur E. coli, la PaeM interagissait avec les mêmes partenaires que la ColM. La capacité de la PaeM à inhiber la croissance des souches d’E. coli BW25113 ΔfhuA, BW25113 ΔtonB et BW25113 ΔfkpA a donc été testée. Comme le montre la figure 94, aucune de ces trois souches n’a montré de sensibilité à la PaeM, dans les conditions testées.

Figure 94 : Dépendance de la cytotoxicité de la PaeM sur E. coli vis-à-vis des protéines FhuA, TonB et FkpA. Des volumes de 4 µL de solutions de PaeM (88 µg) et de ColM (30 µg) ont été déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113 (B), BW25113 ΔfhuA (C), BW25113 ΔtonB (D) et BW25113 ΔfkpA (E). A : Schéma de dépôt des protéines PaeM et ColM ainsi que du tampon A (témoin négatif) pour chacune des conditions testées.

172 Le spectre d’action très restreint de la ColM est la conséquence de la très grande spécificité des interactions protéine-protéine mises en jeu lors des étapes de liaison au récepteur de membrane externe puis de translocation au sein du périplasme. La PaeM semblerait donc emprunter une voie d’accès au périplasme identique à celle empruntée par la ColM, puisqu’elle apparait également dépendante des protéines FhuA et TonB. De plus, la présence de FkpA semble également requise, ce qui suggère une maturation potentielle de la PaeM par cette chaperonne. Comme mentionné précédemment (cf Introduction V.2.), la PaeM présente une très forte homologie structurale avec la ColM, non seulement au niveau de leurs domaines catalytiques respectifs, mais également au niveau de leurs domaines centraux impliqués dans la liaison au récepteur de membrane externe. Bien que ces derniers présentent une identité de séquence de seulement 11 %, ils sont tous deux composés de quatre hélices α et ont une organisation plutôt globulaire. Par ailleurs, la superposition des structures de ces deux domaines centraux sur 61 Cα présente un RMSD de 2,3 Å. Leur seule différence concerne principalement les orientations relatives des hélices α1 et α2. Cette forte homologie structurale pourrait donc être à l’origine d’une interaction entre la PaeM et le récepteur FhuA, même si cette dernière est certainement beaucoup plus faible que celle qui s’établit entre la ColM et FhuA. L’hélice α1 ayant d’ailleurs été identifiée comme essentielle à l’interaction de la ColM avec son récepteur (Helbig et al., 2012), son orientation différente dans la structure de la PaeM pourrait être responsable d’une moindre affinité. Cependant, le fait d’avoir déposé une quantité très importante de PaeM a sans doute « forcé » son interaction avec FhuA, permettant ainsi son entrée au sein de la cellule et l’inhibition de croissance observée.

De même, l’activité cytotoxique de la PaeM vis-à-vis d’E. coli serait dépendante de la protéine TonB. Si la PaeM suit le même mécanisme d’import que la ColM, elle établit probablement une interaction avec la protéine TonB, qui lui fournirait alors l’énergie nécessaire à sa translocation à travers la membrane externe. Cette interaction nécessite cependant la présence d’une TonB box dans

la séquence de la PaeM. Pourtant, l’utilisation du serveur Prosite

(http://prosite.expasy.org/scanprosite/) n’a pas permis d’identifier de motif consensus de ce genre

chez la PaeM. Dans ce cas, les caractéristiques structurales sont peut-être plus importantes que la séquence. La structure du complexe formé entre le récepteur FhuA et le domaine C-terminal de TonB a permis de mettre en évidence que la TonB box de FhuA se structurait en un brin β qui intègre le feuillet β présent au sein de la protéine TonB (Figure 45) (Pawelek et al., 2006). Il est possible d’imaginer que le domaine N-terminal de la PaeM se structure également en un brin β au contact de TonB, bien qu’aucune séquence similaire à la TonB box n’ait été identifiée dans ce domaine. Par ailleurs, lors de la liaison de la ColM sur FhuA, une première interaction s’établit entre TonB et FhuA pour permettre la sortie partielle ou complète du « plug » hors du tonneau β et permettre ainsi l’ouverture du pore. Dans un mutant tonB, cette ouverture n’a plus lieu et la ColM ne peut donc plus pénétrer dans la cellule cible. Par conséquent, dans le cas où la PaeM n’interagirait pas directement avec la protéine TonB lors de la translocation à travers la membrane externe, la délétion du gène tonB empêcherait simplement l’ouverture du pore du récepteur FhuA, inhibant par la même occasion l’import de la PaeM, et conduisant ainsi à une absence d’inhibition de croissance.

Enfin, il a été constaté que la PaeM ne présentait aucune cytotoxicité vis-à-vis d’une souche d’E. coli n’exprimant pas la chaperonne FkpA. Son activité serait donc dépendante de cette dernière, tout comme l’est celle de la ColM. A l’heure actuelle, aucune donnée de la littérature ne fait état d’un processus de maturation nécessaire à l’activité de la PaeM sur une souche sensible de Pseudomonas. Il n’est cependant pas exclu qu’un tel processus de maturation soit requis. En plus de son activité

173 chaperonne, la protéine FkpA présente une activité de type peptidylprolyl cis-trans isomérase. Au sein de la ColM, il est supposé que la liaison 175Phe-Pro176 soit la cible potentielle de cette activité isomérase

(Hullmann et al., 2008). Ce résidu proline n’est cependant pas conservé au sein de la PaeM (Figure 51), et il est donc possible que seule l’activité chaperonne de FkpA soit nécessaire à l’activité cytotoxique de la PaeM sur E. coli.

Vis-à-vis de la protéine d’immunité :

Une souche sensible à la ColM peut y devenir résistante si elle exprime la protéine d’immunité associée, la Cmi. Afin d’évaluer la capacité de cette dernière à protéger contre les effets toxiques de la PaeM, une souche d’E. coli DH5α a été transformée par le plasmide pMLD232 permettant l’expression de la Cmi au sein de son périplasme à un niveau basal et sans induction. La PaeM a ensuite été testée selon les mêmes conditions que précédemment sur un tapis cellulaire de cette souche d’E. coli exprimant ou non la Cmi. Comme le montre la figure 95, il est apparu que la Cmi était capable de protéger une souche sensible contre les effets de la PaeM.

Figure 95 : Inhibition de l’activité cytotoxique de la PaeM par la protéine Cmi. Des volumes de 4 µL de solutions de PaeM (88 µg) et de ColM (30 µg) ont été déposés sur un tapis bactérien de la souche d’E. coli DH5α transformée (C) ou non (B) par le plasmide pMLD232 permettant l’expression de la Cmi. Le panel A correspond au schéma de dépôt des protéines PaeM et ColM dans les deux conditions testées.

Le mécanisme d’action mis en jeu par la Cmi pour immuniser une souche d’E. coli contre la ColM est encore inconnu. Il a cependant été supposé qu’une interaction directe entre la Cmi et la ColM était à l’origine de l’inhibition de l’activité de cette dernière (Usón et al., 2012). Les protéines PaeM et ColM présentant une forte homologie structurale, il est possible que la Cmi puisse interagir avec la PaeM suite à la reconnaissance d’un motif structural commun à ces deux protéines. L’inhibition de l’activité de la PaeM par la Cmi est un résultat d’autant plus surprenant que la protéine d’immunité associée à la PaeM, PmiA, présente une topologie complètement différente à celle de la Cmi. En Effet, la PmiA est constituée a priori de 4 segments transmembranaires (Ghequire et al., 2017a), alors que la Cmi possède un domaine périplasmique rattaché à la membrane par le biais d’une ancre transmembranaire (Figure 55) (Gérard et al., 2011; Usón et al., 2012).

A ce jour, aucune interaction forte n’a pu être mise en évidence entre la ColM et la Cmi (Usón et al., 2012). Le fait que cette dernière protège également E. coli contre les effets de la PaeM pose donc question quant à son mode d’action. Il est possible d’imaginer qu’elle n’entre pas en interaction directe avec la colicine mais qu’elle soit localisée dans la membrane interne à proximité du lipide II, rendant ce dernier inaccessible aux protéines ColM et PaeM tout en permettant aux PBPs d’exercer leur activité de polymérisation du peptidoglycane.

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Recherche d’une cytotoxicité identique de la part des autres homologues de la

ColM :

Pour vérifier si les autres homologues issus de Pseudomonas spp. ou P. carotovorum, produits et purifiés au laboratoire (Barreteau et al., 2009b) étaient également capables d’induire la lyse d’E. coli, 50 µg de PflM purifiée, 60 µg de PsyM purifiée et 55 µg de PcaM1 purifiée ont été déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113. Après une nuit d’incubation à 37°C, aucune plage de lyse n’a été observée dans les conditions testées au niveau des zones de dépôt de ces différentes enzymes (Figure 96).

Figure 96 : Evaluation de l’activité cytotoxique des protéines PflM, PsyM et PcaM1 sur une souche d’E. coli BW25113. Des volumes de 4 µL de solutions purifiées de PaeM (88 µg), PflM (50 µg), PsyM (60 µg), PcaM1 (55 µg) ou ColM (30 µg) ont été déposés sur un tapis cellulaire d’E. coli BW25113. A : Schéma de dépôt des protéines ; B : Photographie de la boite après une nuit d’incubation à 37°C.

Ces derniers résultats ont permis de montrer que cette cytotoxicité exercée par la PaeM vis-à- vis d’E. coli était spécifique et intrinsèque à cette dernière puisque les autres homologues testés n’ont présenté aucune cytotoxicité, et ce même à forte dose. Les structures tridimensionnelles des protéines PsyM et PcaM2 (cette dernière présentant 58 % d’identité de séquence avec la PcaM1) ont été résolues et présentent des différences structurales plus marquées avec la ColM que celles retrouvées pour la PaeM (Grinter et al., 2012b, 2014). L’innocuité observée vis-à-vis d’E. coli de la part de ces protéines pourrait donc être la conséquence de ces différences structurales.

Cependant, ces seuls résultats ne permettent pas d’affirmer que l’innocuité des protéines PsyM et PflM, autres homologues issus de Pseudomonas, vis-à-vis d’E. coli ne soit uniquement la conséquence d’un défaut d’importation de ces protéines au sein du périplasme. En effet, ces deux protéines présentent une activité spécifique de dégradation du lipide II in vitro bien plus faible que celle de la PaeM (respectivement 1,07 et 0,017 nmol.min-1.mg-1 contre 13 nmol.min-1.mg-1). Il est donc

possible qu’une petite fraction de ces protéines ait pénétré au sein du périplasme des cellules d’E. coli, sans être en mesure d’induire une inhibition de croissance à cause de leur trop faible activité.

C’est la première fois qu’une activité croisée, selon le mode d’action naturel en trois étapes, a été démontrée pour cette famille d’enzymes.

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