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2.1.2 Esthétique et concordance physique

2.2. La greffe en images : apparition et développement

2.2.2. Le Miracle de la jambe noire

Le Miracle de la jambe noire joue un rôle de premier ordre dans notre travail. Dès lors, il convient de lui consacrer une attention accrue, à même de déterminer aussi bien ses origines que l’importance des saints anargyres dans la formation des « images de la greffe » au Moyen Âge et à la Renaissance. En raison de leur culte important dans toute la chrétienté, et des innombrables manifestations artistiques liées à ce dernier, Côme et Damien font certainement partie des saints les plus étudiés par la recherche académique. Depuis plusieurs années, nombre de spécialistes en histoire de l’art se sont penchés sur ces deux figures majeures de l’imaginaire occidental,

apportant des réponses diverses aux questions suscitées par les nombreuses

spécificités de leurs représentations. En 1958, Marie-Louise David-Danel réalisa un des premiers ouvrages majeurs consacré à l’iconographie des deux saints médecins, une référence toujours d’actualité pour qui cherche à cerner le contexte général de leur dévotion en Occident140. Pierre Julien et François Ledermann, dès 1968, publièrent plusieurs études consacrées à l’iconographie de Côme et Damien, traitant

principalement de leur lien avec la médecine et les croyances populaires141.

Récemment, le parcours des deux jumeaux entre Byzance et l’Europe fit l’objet d’une parution, Cosma e Damiano dall'Oriente a Firenze142, mais, pour une mise à jour complète sur les contributions des chercheurs au thème des deux saints, il convient de consulter la thèse déposée en 2007 par Jillian Harrold à l’Université de Warwick :

140 M.-L. David-Danel, Iconographie des Saints médecins Côme et Damien, Lille, 1958

141 Les références de ces auteurs que nous utiliserons principalement sont : P. Julien, F. Ledermann (éd.), Saint Côme et saint Damien : culte et iconographie, actes du colloque (Mendrisio, 29-30 septembre 1985), Zürich, 1985 et, avec la contribution de Alain Touwaide, P. Julien, F. Ledermann et A. Touwaide, Cosma e Damiano : dal culto popolare alla protezione di chirurghi, medici e farmacisti. Aspetti e immagini, traduit du français par M. Mantegazza, Milan, 1993

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Saintly Doctors : The Early Iconography of SS. Cosmas and Damian in Italy 143. A cette liste s’ajouteront, au fur et à mesure de notre analyse, d’autres monographies ou articles abordant l’iconographie des deux saints dans le cadre d’une thématique précise. Pour l’instant, mentionnons déjà ceux ayant trait spécifiquement à la

transplantation légendaire dans une approche historico-artistique. Outre le travail de Judith-Danielle Jacquet, l’évènement occupe ainsi une grande place dans l’étude de David Ripoll « Copies conformes ? », insérée dans l’ouvrage collectif Des jumeaux et

des autres144, ou encore dans certains chapitres du deuxième volume de L'image du

noir dans l'art occidental. Des premiers siècles chrétiens aux "grandes découvertes"

par Jean Devisse et Michel Mollat145. Mentionnons également le livre de Kees W. Zimmerman, qui, sous le titre évocateur de One leg in the grave. The Miracle of the

transplantation of the Black Leg by the saints Cosmas and Damian, traite

spécifiquement des représentations de l’opération miraculeuse146. Cette liste, non exhaustive, sera complétée par d’autres références bibliographiques qui, traitées en temps voulu, permettront de mettre en évidence certains aspects liés aux rôles des divers protagonistes du Miracle de la jambe noire. Pour l’instant, sur la base des ouvrages cités, penchons-nous sur la vie, la fortune hagiographique et l’intervention spectaculaire des deux saints médecins.

Nés d’une mère chrétienne, Théodote, Côme et Damien, frères jumeaux, vécurent à Egée147 en Cilicie (Asie Mineure). Issus d’une famille riche et ayant été formés aux arts de la médecine, ils s’illustrèrent en soignant un grand nombre de personnes avec l’aide du Saint Esprit. Arrêtés par le proconsul Lysias et refusant d’abjurer leur foi, ils furent jugés et condamnés à la torture. Tout à tour noyés, brûlés, écartelés, crucifiés, lapidés et criblés de flèches, ils furent épargnés par la grâce divine, retournant même les flammes et les projectiles sur leurs bourreaux. Devant l’échec de ces persécutions, Lysias les fit finalement décapiter avec leurs trois jeunes

143 J. Harrold, Saintly Doctors : The Early Iconography of SS. Cosmas and Damian in Italy, Université de Warwick, Department of History of Art, [En ligne], http://wrap.warwick.ac.uk/38150/ (document téléchargé le 10 octobre 2011)

144 D. Ripoll, « Copies conformes ? Réflexions sur la figuration de jumeaux imaginaires en Occident », in C. Savary, C. Gros (éd.), Des jumeaux et des autres, Genève, 1995, pp. 83-102

145 J. Devisse, M. Mollat, L'image du noir dans l'art occidental. Des premiers siècles chrétiens aux "grandes découvertes", Fribourg / Paris, 1979, vol. 2, pp 74-76. et pp. 204-208

146K. W. Zimmerman, One leg in the grave. The Miracle of the transplantation of the Black Leg by the

saints Cosmas and Damian, Maarssen, 1998 147 De nos jours le port d’Ayas en Turquie

68 frères Antime, Léonce et Euprépius. Leur martyre eut lieu en 287, sous le règne de Dioclétien. Ils sont fêtés le vingt-six septembre par l’Église romaine148. Les reliques des deux saints furent amenées à Cyr en Syrie. Rapidement, une dévotion importante se développa autour de ces dernières, et leur renommée gagna l’ensemble du Proche- Orient chrétien : au quatrième siècle déjà, des églises sont consacrées aux deux saints à Jérusalem et en Egypte. Au sixième siècle, l’empereur Justinien, après avoir

construit une église consacrée aux saints anargyres à Constantinople, y fit transférer leurs vestiges corporels. Celui-ci attribua également sa guérison d’une grave maladie à l’intercession des jumeaux. Les médecins ayant renoncé à le soigner, il aurait eu une vision des deux frères qui l’auraient guéri miraculeusement. L’épisode est relaté par Procope de Césarée au chapitre six du premier livre du De Aedificiis, lequel précise également la transformation de l’ancien sanctuaire des deux saints en un splendide édifice149. Rapidement, les vertus curatrices attribuées à l’intercession de Côme et Damien attirèrent de nombreux pèlerins, contribuant ainsi à diffuser leur notoriété en Occident150.

Sur la base des sources grecques et latines à sa disposition, Jacques de Voragine mentionne trois miracles post-mortem dus à l’intervention des saints

médecins : le cas d’un paysan qui, torturé par un serpent ayant pénétré dans son corps, se trouva délivré de celui-ci par Côme et Damien, celui d’une femme qui, abusée par le diable, ne dut son salut qu’à l’intervention des deux jumeaux et, finalement, celui de la « jambe noire »151. Cependant, la Légende dorée n’offre ici qu’un faible aperçu du vaste répertoire de miracles attribués aux saints anargyres, certainement considérés durant le Moyen Âge comme le « remède » divin le plus sûr aux maux du corps. Il est fort probable que la vénération des deux martyrs d’Egée se substitua, en partie, au culte de Castor et Pollux. En effet, les deux couples de jumeaux, comme on le verra

148 Pour la vie et le martyre de Côme et Damien, faits également relatés par Jacques de Voragine (J. de Voragine, op. cit., 1967, vol. 2, pp. 227-229), voir : M.-L. David-Danel, op. cit., pp. 15-22, L. Deubner, Kosmas und Damian : Texte und Einleitung, Aalen, 1980, pp. 218-224, ainsi que l’entrée « Cosmas und Damian » dans : B. Steimer, Th. Wetzstein (sous la dir. de), Herders Lexikon der Heiligen, Freiburg im Breisgau, 2011, pp. 74-75

149 Pour le passage en question, voir l’édition de la « Loeb Classical Library » : Procopius, Buildings, traduction anglaise par H. B. Dewing, Cambridge (Massachusetts) : Harvard University Press, 1940, p. 63

150 Sur le développement du culte paléochrétien de Côme et Damien, voir le chapitre de Ludwig Deubner « Die Anfänge des Kultes » : L. Deubner, op. cit., pp. 38-85

151 J. de Voragine, op. cit., 1967, vol. 2, pp. 228-229. Dans l’analyse des représentations associées au récit hagiographique de Côme et Damien, nous reviendrons sur le premier miracle, figuré parfois avec celui de la transplantation, ainsi que sur d’autres éléments narratifs présents dans la Légende dorée.

69 par la suite, partagent la faculté de guérir leurs fidèles en rêve152. A Rome, dans la zone des forums impériaux, le premier édifice consacré à Côme et Damien occupe, entre autres, l’emplacement du temple dédié à Romulus. Encore une fois, ils s’associent donc à la vénération antérieure de deux figures caractérisées par leur gémellité, mais ce n’est pas tout : dans les siècles qui suivirent, on attribua même la tutelle de la structure antique à Castor et Pollux, bouclant ainsi la boucle du renvoi identitaire entre les différents couples153. L’église en question est la basilique des Saints-Côme-et-Damien (Santi Cosma e Damiano), érigée en 527 par le pape Félix IV, avec l’aval d’Amalasuntha, la fille de Théodoric alors régente du royaume ostrogoth. Cet édifice, certainement le premier d’Occident dédié spécifiquement aux deux frères, vit le jour après que le pape eut reçu des reliques des saints médecins en provenance d’Orient154. L’édifice romain des deux saints nous intéresse particulièrement : non seulement il conserve l’une des plus anciennes représentations de Côme et Damien, mais il s’agit également du lieu où, selon Jacques de Voragine, se déroula le Miracle de la jambe noire. Par ailleurs, son emplacement, l’ancien Forum de la Paix, ne fut pas choisi au hasard : il correspond à l’endroit où les médecins publics, à la période

impériale, proposaient leurs services. Suite aux réaménagements baroques, la plupart des éléments paléochrétiens furent cachés ou détruits, à l’exception de la grande mosaïque absidale (Fig. 17). Celle-ci, malgré quelques modifications ultérieures, présente encore son iconographie d’origine montrant une apparition eschatologique du Christ sur des nuages, accompagné par saint Pierre et saint Paul introduisant les deux saints anargyres auprès de leur maître et saint Théodore et le pape Félix dans les angles. Côme et Damien tiennent les deux leur couronne de martyr, signe de leur grâce et tribut offert au Christ. L’un des deux porte également une bourse de médecin à son flanc, référence discrète mais significative à ses activités médicales155. L’église romaine fut le point de départ d’une longue série d’édifices consacrés aux saints

152 L. Deubner, op. cit., pp. 55-56

153 Le temple de Romulus fut dédié à la fin du troisième siècle au fils de Maxence, mais, plus tard, on le rattacha à son homonyme plus célèbre : le fondateur de Rome. A ce propos, voir : M.-L. David-Danel, op. cit., pp. 58-59 et L. Deubner, op. cit., pp. 71-72

154 Ibidem et E. Giannarelli, « I cristiani, la medicina, Cosma e Damiano », in E. Giannarelli (éd.), op. cit., pp. 31-32

155 Ibidem et J. Harrold, op. cit., pp. 88-92. La grande mosaïque est datée soit du 6ème siècle, période de la fondation de l’église, soit du 7ème siècle. A ce propos, voir en particulier la contribution de Jillian Harrold.

70 médecins en Occident. Rapidement, leurs reliques prolifèrent et sont citées en Sicile, à Venise, à Bologne, mais aussi en France, en Allemagne, en Belgique et en Espagne156.

Si le Moyen Âge connut son lot de peintures murales, de miniatures et d’objets d’orfèvrerie dédiés aux deux saints, le véritable essor de leur représentation artistique eut lieu cependant à Florence, à la Renaissance. Vers le milieu du 15ème siècle, la capitale toscane compte un nombre considérable d’œuvres dédiées à Côme et Damien. Cette prolifération artistique ne surprend pas : les Médicis, alors au pouvoir, faisaient remonter l’origine de leur nom à l’activité de médecins ou de commerçants de

médicaments de leurs ancêtres157. Ainsi, les sphères de leur emblème héraldique ont parfois étaient considérées comme des pilules curatives ou, plus vraisemblablement, assimilées à des pièces de monnaies liées à leurs activités lucratives. Rapidement, la puissante caste choisit Côme et Damien, avec Laurent, comme saints patrons. Deux raisons conditionnèrent certainement ce choix. Premièrement, il résulte logiquement d’une association étymologique avec le nom de famille de ses représentants. En second lieu, il ne fait aucun doute que les Médicis cherchèrent ainsi à se présenter comme les plus à même de « soigner » les problèmes de leurs sujets. Le promoteur initial du culte et des représentations des saints anargyres à Florence fut Giovanni di Bicci dei Medici, lequel, de 1421 à 1428, confia à Filippo Brunelleschi la rénovation de l’église familiale, San Lorenzo, comprenant la construction de l’Ancienne Sacristie et de la chapelle adjacente dédiée à Côme et à Damien158. Au sein de la sacristie, lieu de culte mais aussi petit sépulcre des Médicis, Donatello réalisa vers 1430 des statues en terre cuite polychrome figurant les deux jumeaux (Fig. 18). Vêtus à l’antique, ils tiennent leurs attributs iconographiques traditionnels : l’un un livre et l’autre une pince et une sacoche de médecins. Le successeur de Giovanni, Côme159, le futur « pater patriae » de Florence, continua la propagande visuelle des deux saints,

commissionnant nombre des tableaux d’autels toscans du quattrocento représentant

156 Pour la diffusion du culte de Côme et Damien, voir : E. Giannarelli, op. cit., p. 53 et P. Julien, F. Ledermann et A. Touwaide, op. cit., 1993, pp. 13-27 ainsi que la carte présente au début de l’ouvrage des trois auteurs

157 « Médecins », en italien, se dit « medici », voir : L. Sebregondi, « Cosma e Damiano. Santi medici e medicei », in E. Giannarelli (éd.), op. cit., p. 78

158 Pour la fonction et le programme iconographique de cet édifice, voir : ibid. pp. 78-79, R. J. Crum, « Donatello’s « Ascension of St. John the Evangelist » and the Old Sacristy as Sepulchre », in Artibus et Historiae, 16(32) (1995), pp. 141-161, ainsi que M.-L. David-Danel, op. cit., pp. 71-80

159 Le choix de ce prénom se réfère évidemment à l’un des deux saints anargyres. L’autre, Damien, eut moins de succès en raison du décès prématuré du frère jumeau de Côme qui s’appelait ainsi :

71 Côme et Damien. Sur la prédelle de certaines de ces prestigieuses commandes, le Miracle de la jambe noire connaîtra son premier développement significatif.

Ce n’est qu’au cinquième siècle que les textes chrétiens mentionnent l’existence des deux jumeaux médecins. Le premier auteur à en parler, en 432, fut Théodoret, évêque de Cyr où se trouvaient alors les tombeaux des deux saints et leur premier lieu de culte. C’est d’ailleurs de ce dernier dont traite le représentant de l’autorité religieuse locale, en indiquant que ses adversaires auraient tenté d’incendier « la basilique des athlètes du Christ Côme et Damien »160. L’Église paléochrétienne recensa trois couples de martyrs portant les noms de Côme et Damien : un d’origine asiatique, un d’origine romaine et un d’origine arabe. Cette tripartition

hagiographique, déroutante pour qui cherche l’identité première des deux frères, est due à la croissance rapide de la dévotion aux saints médecins à l’époque

paléochrétienne. Cette dernière provoqua la naissance spontanée de récits qui, parfois, concordent entre eux mais, plus fréquemment, divergent sur les origines et les faits attribués aux deux jumeaux. Pour qui s’intéresse à la réception de leur récits

hagiographiques dans le Moyen Âge latin, La « Passio arabica » est certainement la plus importante. En effet, c’est elle qui, plus tardivement, sera la source principale du culte consacré aux deux saints et du développement de leur iconographie. En effet, celle-ci, avec l’ajout d’éléments empruntés aux deux autres versions, définit la façon dont la vie des deux saints sera narrée en Occident, sans la distinction présente dans les sources antérieures. La majeure partie des miracles attribués aux saints anargyres, dans les textes grecs et latins anciens, ont pour dénominateur commun la guérison, racontée fréquemment comme un acte médical. Dès lors, il ne fait aucun doute que le Miracle de la jambe noire, dans les passages que nous allons étudier à présent, s’inscrit dans une continuité propre au métier terrestre et aux interventions post- mortem de Côme et Damien161.

160 Dans l’Epistula ad Anatolium. Pour plus d’informations sur la correspondance épistolaire attribuée à cet évêque du 5ème siècle, voir : E. Giannarelli, op. cit., pp. 29-30

161 L’évolution des textes hagiographique de Côme et Damien, des trois passions aux miracles successifs, est recensée par les Acta Sanctorum. Voir, en particulier, les quatre premiers chapitres consacrés aux origines du culte : « De SS. Cosma, Damiano, Anthimo, Leontio et Euprepio MM. », in Acta Sanctorum Septembris, 1760 (= 1970), vol. 7, pp. 428-441. Sur ce point, ainsi que la description de la façon dont se manifestaient les saints anargyres à leurs premiers dévots, voir également : L. Deubner, op. cit., p. 38 et pp. 43-44, E. Giannarelli, op. cit., pp. 32-44 ainsi que J. Harrold, op. cit., pp. 36-52

72 Le récit de la transplantation que les artistes eurent pour tâche de figurer, sous l’œil attentif des théologiens, est certainement celui de la Légende dorée cité en introduction à ce travail162. Le succès de cet ouvrage, qui constituait au Moyen Âge tardif la source première des scènes religieuses ayant pour sujet les actes des saints, n’est plus à démontrer. Néanmoins, d’autres sources, antérieures et postérieures, méritent également d’être prises en considération. Ludwig Deubner et Judith-Danielle Jacquet indiquent qu’une autre greffe miraculeuse des saints anargyres aurait eu lieu en Grèce. Dans celle-ci, cependant, les deux auteurs précisent que les jumeaux sont bien vivants, et que l’ordre d’amputer la jambe leur est donné par l’archange Raphaël163. Le récit en question ne se trouve que dans un manuscrit conservé à la Biblioteca Vallicelliana à Rome, lequel, bien que daté du 15ème siècle, retranscrit certainement des évènements beaucoup plus anciens164. Douglas B. Price et Neil J. Twombly, dans The Phantom Limb Phenomenon, doutent du fait que le miracle se réfère à une action bienveillante des deux frères survenue lors de leurs activités terrestres. Selon eux, l’utilisation du temps présent a pour but de vivifier la narration, tandis que la guérison, rêvée, se rapporte à une intervention post-mortem165. Nous sommes d’accord avec cette observation qui, par ailleurs, définit certainement l’ouvrage comme la référence la plus ancienne au Miracle de la jambe noire. Cette dernière hypothèse pourrait être corroborée par l’abondance des détails insérés dans le récit, lesquels, vraisemblablement, furent omis dans les versions futures. De plus, la structure narrative est quasi identique dans ce passage et celui de la Légende dorée. Le texte, présenté par Douglas B. Price et Neil J. Twombly, est le suivant :

162 Cf. Introduction. Le texte latin de l’édition de Theodor Graesse est le suivant : « Felix papa attavus sancti Gregorii in honore sanctorum Cosmae et Damiani nobilem ecclesiam Romae construxit. In hac ecclesia quidam vir sanctis martiribus serviebat, cui cancer unum crus totum consumserat. Et ecce dormiente illo sancti Cosmas et Damianus devoto suo apparuerunt unguenta et ferramenta secum portantes ; quorum unus alteri dixit : ubi carnes accipiemus, ut abscisa carne putrida locum vacuum repleamus ? Tunc ait alter : in cimiterio sancti Petri ad vincula hodie Aethiops recens sepultus est, de illo autem affer, ut huic suppleamus. Et ecce ad cimiterium properavit et coxam Mauri attulit,

praecidentesque coxam infirmi loco ejus coxam Mauri inseruerunt et plagam diligenter ungentes coxam infirmi ad corpus Mauri mortui detulerunt. Evigilans autem cum se sine dolore sensisset, manum ad coxam apposuit et nil laesionis invenit, apponensque candelam cum in crure nil mali videret, cogitabat, an non ipse, qui erat, sed alius alter esset. Rediens autem ad se prae gaudio de lectulo prosiliit et quid in somnis viderat et qualiter sanatus fuerat, omnibus enarravit. Qui conciti ad tumulum Mauri miserunt et coxam Mauri praecisam et coxam praedicti viri loco illius in tumulo positam repererunt. », J. de Voragine, op. cit., 1850, p. 639

163 L. Deubner, op. cit., pp. 72-73 et J.-D. Jacquet, op. cit., p. 35 164 Vallicellianus F 16, Miracle 48 : ibidem

73 « Miracle des saints et glorieux anargyres Côme et Damien. Le récit

bienveillant des sages et glorieux docteurs, qui soignent tous, surpasse toutes louanges possibles et tous talents. Car, invisiblement, ils donnent à tous de la force, ayant eux- mêmes reçu cette faveur du Très-Haut, et me donnent aussi en conséquence de la force pour cette histoire. Ces glorieux anargyres Côme et Damien vivaient dans la région de Nicomédie, traitant médicalement tout le monde au nom du Père, du Fils et