• Aucun résultat trouvé

La migration du paon et du phénix dans la sphère funéraire vers l’édifice de culte chrétien

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 180-200)

(I

er

siècle av. J.-C – IV

e

siècle apr. J.-C.)

181

Chapitre IV. Le paon sur un seuil entre la vie et la mort dans la baie de Naples et à Rome (Ier siècle av. J.-C. - IVe siècle apr. J.-C.)

Dans le présent chapitre, nous proposons de prolonger nos réflexions sur la dimension eschatologique du paon qui, rappelons-le, est mis en image sur des couronnes funéraires en Étrurie dès le Ve siècle av. J.-C. C’est à travers quelques témoignages figurés issus de la baie de Naples et de Rome, entre le Ier siècle av. J.-C. et le IIe siècle apr. J.-C., que nous allons poursuivre notre étude du paon, considéré notamment comme un psychopompe. La mise en relation de l’oiseau avec Hermès, guide des âmes, ainsi qu’avec la divinisation de l’impératrice sera envisagée. L’analyse de l’emplacement des paons adossés sur l’une des fresques de la villa de Poppée à Oplontis (Ier siècle av. J.-C.) sera mise en perspective, afin de mettre en exergue la composition d’un témoignage majeur. L’enseigne de la caupona d’Euxinus à Pompéi (Ier siècle) est la première figuration connue du phénix en contexte latin, ainsi que la plus ancienne combinaison visuelle paon/phénix. Le fait que ces fresques aient été placées au seuil de l’édifice et que les paons soient affrontés, sont des points qui retiendront notre attention. Dans un deuxième temps, nous mettrons en parallèle plusieurs exemples, dans lesquels le ou les paon(s) est/sont associé(s) à des éléments du répertoire dionysiaque. Notre propos sera principalement basé sur des documents issus de contextes funéraires romains, datés entre le Ier siècle av. J.-C.

et le IVe siècle. L’intégration du paon au discours visuel du mausolée de Constance à Rome nous permettra d’observer les enjeux de la réappropriation du répertoire dionysiaque, dans un complexe architectural à la fois cultuel et funéraire. Nous aborderons enfin plusieurs témoignages du thème ambigu du « Bon pasteur », afin de mener une série de réflexions sur l’introduction du paon dans l’iconographie paléochrétienne.

I. Un médiateur entre terre et ciel. Rome et la baie de Naples (Ier siècle av.

J.-C.-IIe siècle apr. J.-C.)

Le paon dans une « image de mémoire » à Oplontis (Ier siècle av. J.-C.)

Dans la péninsule italique, le paon a été peint dès le milieu du Ier siècle av. J.-C. Dans la villa dite de Poppée ou Poppaea Sabina (30-65) à Oplontis, l’oiseau a été mis en image à

182

plusieurs reprises612. Nos réflexions vont se concentrer sur deux fresques situées dans l’oecus 15 et dans le caldarium 8, deux pièces distribuées autour d’un portique dans la partie occidentale de l’édifice. Sur la paroi orientale du salon (oecus 15), un couple de paons semble faire partie d’une série d’objets porteurs de sens pour le propriétaire de la villa, Marcus Pupius Piso fils selon G. Sauron613. Les oiseaux sont intégrés dans une architecture peinte en trompe-l’œil dans laquelle le regard du spectateur accède grâce à une façade tétrastyle. Quatre colonnes corinthiennes reposent sur deux podiums sur lesquels sont disposées deux branches de laurier près de deux oiseaux, l’un noir et l’autre blanc. Les parois du vestibule sont rythmées dans la partie supérieure par une série de clipei dorés rangés sur une corniche, et dans la partie inférieure, par des baies qui donnent sur des jardins. Les pilastres entre les baies sont ornés de bucranes et reliés par une guirlande dorée pendante qui répond aux clipei de la partie supérieure

612 Sur les fresques d’Oplontis, voir A.DE FRANCISCIS, Die Pompejanischen Wandmalereien in der Villa von Oplontis, Recklinghausen, Aurel Bongers, 1975, p. 15-16 ; La peinture de Pompéi : Témoignages de l'art romain dans la zone ensevelie par Vésuve en 79 apr. J.-C., J. et M.-N. PASTUREAU (trad. fr.), Paris, Hazan, 1993, rééd.

1999 ; Pompéi, A.MATHIEU (dir.) Paris, Gründ, 2004 [éd. orig. Pompei. Storia, vita e arte della città sepolta, M.

RANIERI PANETTA (dir.), White Star, 2004] ; E. W. LEACH, The Social Life of Painting in Ancient Rome and on the Bay of Naples, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

613 Fiche E 209-1. Sur la villa de Poppée découverte en 1964, voir notamment M. PROSPERI, « Poppea Sabina a Oplontis », La Provincia di Napoli, 4, n°1-2, 1982, p. 56-59 ; id., « Poppea Sabina », dans Frammenti storici di Torre Annunziata (Oplontis), Naples, Peninsula, 1986, p. 19-28 ; La villa d'Oplontis : la demeure de Poppée, A.

et M.BRESSON-LUCAS (trad. fr), Arles, Actes Sud, 2000 [éd. orig. P. G. GUZZO et L. FERGOLA, Oplontis, la villa di Poppea, Milan, F. Motta, 2000] et plus récemment Oplontis: Villa A (“Of Poppaea”) at Torre Annunziata, Volume 1. The Ancient Setting and Modern Rediscovery, J. R. CLARKE et N. K. MUNTASSER (éd.),New York, ALCS E-Book, 2014 http://quod.lib.umich.edu/cgi/t/text/text-idx?c=acls;idno=heb90048.0001.001

Figure 8. Paroi orientale de l’oecus 15 de la villa de Poppée à Oplontis (v. 45 av. J.-C.).

183

de la paroi. L’entrée de l’espace sacré est annoncée par un second écran architecturé centré sur une ouverture au sommet cintré. Le regard du spectateur pourrait « entrer » dans l’espace en arrière-plan par une porte aux battants entrouverts, mais le passage est obstrué par plusieurs objets. Une torchère en bronze éteinte appuyée contre des pierres empilées et un bucrane sont posés au centre de l’allée.

Adossés à la porte et perchés sur un muret, deux paons se tiennent près de masques de théâtre devant un rideau noir abaissé qui laisse entrevoir une cour à portiques.

À gauche, le paon regarde en arrière, tandis que son pendant semble contempler le masque de théâtre. Au-dessus des masques, des paysages paisibles sont représentés sur des pinakes posés sur une corniche.

L’espace clos parsemé d’arbustes est encadré d’un péristyle avec un portique à deux niveaux. Au centre de la cour et dans l’axe de l’entrée se dresse un haut trépied avec une cortina ("rideau") godronnée au rebord orné de gemmes. L’objet est posé sur une demi-colonne et sommé de trois étoiles. L’arc de l’entrée et le cintre de la partie supérieure du rideau abaissé – qui peut également être appelé cortina – couronnent le trépied présenté comme l’élément central de la composition et l’aboutissement du parcours visuel614.

Au-delà du jeu opéré entre l’architecture illusionniste et la perspective « réelle », la composition peinte ne peut être résumée à un simple décor en trompe-l’œil et à des effets d’optique615. Plusieurs chercheurs ont pensé que le templum évoquait un sanctuaire dédié à Apollon à cause du trépied, mais, comme le souligne G. Sauron, l’absence d’autel réfute cette

614 Sur la question de la perspective dans les décors dits « du deuxième style » voir H. G. BEYEN, Die pompejanische Wanddekoration vom zweiten bis zum vierten Stil, I, La Haye, M. Nijhoff, 1938 ; J. ENGEMANN, Architekturdarstellungen des frühen zweiten Stils, Heidelberg, Kerle, 1967 ; R. A. TIBOUT, « Aedificiorum Figurae. Untersuchungen zu den Architekturdarstellungen des frühen zweiten Stils », Dutch Monographs on Ancient History and Archaeology, VII, 1989, p. 359-360. Sur la polémique autour du « deuxième style pompéien », voir en particulier G. SAURON, « Une polémique qui dure : ‘le deuxième style pompéien’ », Topoi, 5-1, 1995, p. 249-267, et plus récemment A. LOISELEUR DES LONGCHAMPS, Les pinacothèques fictives dans la peinture murale romaine au Ier siècle av. J.-C. à Rome et en Campanie, thèse de doctorat en Histoire et Archéologie des Mondes Anciens sous la direction d’Agnès Rouveret, université de Paris X, 2014.

615 La pièce est ouverte au nord sur un atrium et au sud sur un péristyle encadrant un jardin. Les deux fenêtres percées de part et d’autre de la porte centrale du salon devaient permettre au propriétaire d’admirer cet effet de perspective redoublé par la composition peinte. Voir A. BARBET, La peinture murale romaine : les styles décoratifs pompéiens, Paris, Picard, 1985, p. 473-483.

Figure 9. Détail du paon gauche de la paroi orientale de l’oecus 15.

184

hypothèse616. Le chercheur envisage plutôt le décor comme une « image de mémoire » destinée à honorer le souvenir d’un défunt de la famille du propriétaire. Basée sur les techniques de l’artificiosa memoria des orateurs, la composition réunirait les objets les plus représentatifs de la vie d’un haut dignitaire de la société romaine, probablement l’un des légats de Pompée (106-48 av. J.-C.), Marcus Pupius Piso (114-47 av. J.-C.)617. Questeur du consul Lucius Cornelius Scipio en 83 av. J.-C., puis consul en 61 av. J.-C, M. Pupius Piso serait commémoré dans cette fresque commandée par son fils, préteur en 44 av. J.-C. G. Sauron parvient à cette conclusion par déduction. Tout d’abord, il voit dans les rameaux de laurier une évocation du triomphe du consul en Espagne en 69 av. J.-C. Les pinakes représenteraient quant à eux des paysages

« pacifiés » après une guerre menée en 67 av. J.-C contre les pirates618. Dans cette optique, la cour à portiques évoquerait le complexe pompéien du Champ de Mars dédié en 55 av. J.-C.

dont le parc est assimilé aux Champs Élysées.

En ce qui concerne le couple de paons, G. Sauron les interprète comme « un clin d’œil » aux oiseaux élevés par le consul Piso sur l’île de Planasia selon Varron (116-27 av. J.-C.), un autre proche de Pompée619. La longue présence en Asie du consul et ses rapports étroits avec l’île de Samos confirment cette hypothèse, mais la position des oiseaux dans le décor révèle, selon nous, une autre facette de l’animal. Placés à mi-chemin entre intérieur et extérieur, entre espace profane et lieu sacré, les paons s’imposent comme des médiateurs entre la terre et le

616 Voir G.-C. PICARD, « Origine et signification des fresques architectoniques romano-campaniennes dites de second style », Revue Archéologique, n°2, 1977, p. 231-252, en part. p. 247 ; E. SIMON, « Apollo in Rom », Jahrbuch des Deutschen Archaeologischen Instituts (JDAI), 93, 1978, p. 217-218 ; A. et M. DE VOS, Pompei, Ercolano, Stabia, Rome, Laterza, 1982, p. 252 ; P. ZANKER, Augustus und die Macht der Bilder, Münich, C. H.

Beck, 1987, p. 265-266 ; G. SAURON, « La révolution iconographique du ‘deuxième style’ », MEFRA, 113-2, 2001, p. 769-786, p. 777 ;id., « Une polémique qui dure : ‘le deuxième style pompéien’ », art. cit., p. 264. R.

Panetta pense à une vue en perspective du sanctuaire de Delphes, alors que d’autres spécialistes voient une allusion à la dédicace par Auguste de trépieds en or au sanctuaire d’Apollon Palatin en 28 av. J.-C. mais cette dernière hypothèse ne correspond pas aux datations proposées pour cette fresque. Cf. Pompei. Storia, vita e arte della città sepolta, M. RANIERI PANETTA (dir.), s.l, White Star, 2004, p. 29.

617 G. Sauron explique qu’il s’agit d’une référence à un ancien procédé mnémotechnique décrit par les théoriciens de l’art oratoire contemporains de la réalisation de la fresque, vers 45 av. J.-C, plus précisément Cicéron (De oratore II, 351-354) et l’auteur anonyme de la Rhétorique à Herennius (III, 16-24). L’ars memoriae antique a donné naissance à différentes techniques de mémorisation telles que « le palais imaginaire » (G. SAURON, « La révolution iconographique du ‘deuxième style’ », art. cit., p. 777). Sur la question de l’ars memoriae, voir M.

CARRUTHERS, Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, F. DURAND -BOGAERT (trad. fr), Paris, Gallimard, 2002 [éd. orig. The Craft of Thought. Meditation, Rhetoric and the Making of Images (400-1200), Cambridge, Cambridge University Press, 1998].

618 G. SAURON, « Un interlocuteur du ‘De finibus’ à Oplontis (Torre Annunziata). M. Pupius Piso », Revue des études latines, 73, 1995, p. 92-114, p. 105.

619 VARRON, Économie rurale, livre III, C. GUIRAUD (trad.), Paris, Belles Lettres, 1997, chap. 6, 1-2. Sur le consul Piso, voir F. MÜNZER, Römische Adelsparteien und Adelsfamilien, Stuttgart, J.-B. Metzler, 1920, p. 334 ; J. CLARKE, The House of Roman Italy (100 B.C.-A.D. 250). Ritual, Space and Decoration, Berkeley/Los Angeles/Oxford, University of California Press, 1991, p. 116, fig. 44.

185

ciel620. En observant les objets auxquels il est associé, l’animal renforce la dimension triomphale du décor et participe à la lecture eschatologique de la composition. Les oiseaux au premier plan pourraient être les âmes des propriétaires de la villa – autrement dit du commanditaire de la fresque et de son épouse – prisonnières de leurs enveloppes charnelles621. Les lauriers d’une gloire terrestre éphèmère constitueraient donc la première étape d’un parcours spirituel initiatique menant à l’apothéose de M. Pupius Piso. Après avoir franchi l’épreuve de la mort comme le rappellent la torche éteinte et le bucrane, l’âme du défunt semble avoir été assez méritante pour être véhiculée vers les cieux par le paon622. Dans le décor, la divinisation du consul est signifiée par la présence d’une troisième étoile entre la constellation des Gémeaux. Fils de Léda et de Zeus, ces derniers forment un couple fraternel à mi-chemin entre l’humain et le divin. Le choix des Dioscures ferait référence à un passage du Traité sur les signes du zodiaque du savant pythagoricien Publius Nigidius Figulus (98-45 av. J.-C.). Le texte précise que les deux frères méritent les honneurs célestes parce qu’ils ont libéré la mer des pirates623. En plaçant le « domicile céleste » – selon l’expression cicéronienne – de son père au centre de la constellation des Gémeaux, le fils de M. Pupius Piso suivrait les écrits de Cicéron (106 av. J.-C.-43 av. J.-C.) sur le destin de l’âme pure et valeureuse624. Dès lors, les trois étoiles situées au sommet du trépied confirment l’interprétation de la cour à portiques comme un reflet des Champs Élysées625.

Ainsi, le couple de paons redouble la signification de la porte entrouverte donnant sur le royaume des cieux, bien que G. Sauron privilégie l’aspect anecdotique de l’animal par rapport

620 En prolongeant les réflexions de G.-C. Picard autour de la porte dans les décors du « deuxième style ». (G.-C.

PICARD, « Origine et signification des fresques…», art. cit., p. 245).

621 Sur les rapports entre l’espace imaginaire (Bildraum) et l’espace réel (Realraum), voir H. DRERUP, « Bildraum und Realraum in der römischen Architektur », Mitteilungen des deutschen archäologischen Instituts. Römische Abteilung, 66, 1959, p. 147-174.

622 Dans les Géorgiques (IV, 472) de Virgile, les morts sont ceux qui sont privés de lumière (G. SAURON, La peinture allégorique à Pompéi : le regard de Cicéron, Paris, Picard, 2007, p. 104). Les pierres empilées et le bucrane pourraient évoquer les constellations zodiacales du Scorpion et du Taureau. Le décor peut ainsi être interprété comme une « porte céleste ». Cf. G. SAURON, Quis deum ? L’expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome à la fin de la République et au début du Principat, Paris, De Boccard, 1994, p. 455, 473.

623 « Castorem et Pollucem Tyndaridas Geminorum honore decoratos, quod ii principes dicantur mare tutum <a>

praedonibus maleficiisque pacatum reddidisse », cité dans A. SWOBODA, P. Nigidii Figuli operum reliquiae, Amsterdam, A. Hakkert, 1964, frag. 91.

624 « Quamvis copiose haec diceremus, si res postularet, quam multa, quam varia, quanta spectacula animus in locis caelestibus esset habiturus », « In caelum quasi in domicilium suum pervenire », CICÉRON,Tusculanes, tome I, livres I-II, G. FOHLEN et C. RAMBAUX (éd.), J. HUMBERT (trad.), Paris, Belles Lettres, 1997, I, 21, 24, d’après PLATON (Timée, 44b), repris dans G. SAURON, « La révolution iconographique du ‘deuxième style’ », art. cit., p. 776, 780. Cicéron possédait une ville à pompéi et a donc certainement vu cette fresque chez le fils du consul Piso.

625 Loc. cit. G. Sauron cite une monnaie émise en 65 av. J.-C. par L. Manlius Torquatus qui reprend le même schéma. Il s’appuie sur un passage des Amours (II, 16, 13-14) d’Ovide pour justifier son interprétation.

186

aux autres éléments du décor. La référence aux oiseaux insulaires du consul Piso ne peut être exclue, mais il est difficile d’écarter la dimension symbolique du paon seulement évoquée par le chercheur. La connotation astrale des plumes ocellées selon Ovide et le rapport établi entre le paon, l’immortalité et le cycle des saisons correspondent au discours visuel de la fresque626. L’animal étant présenté dans le décor comme un psychopompe, il est possible que l’épisode de l’apparition du simulacrum d’Homère dans les Annales de Quintus Ennius ait été connu du commanditaire, M. Pupius Piso fils627. La fresque centrée sur la question du devenir de l’âme après la mort révèle les conceptions eschatologiques du propriétaire de la villa, probablement familiarisé avec la philosophie platonicienne et pythagoricienne, voire orphique. Cette piste apporte par là-même un éclairage complémentaire au décor. La façade en frons scenae, les masques et le rideau abaissé évoqueraient à la fois l’univers du théâtre et le « rôle » de l’homme dans la vie selon une métaphore cynique bien connue628. La mise en abîme ne contredit pas l’interprétation eschatologique du décor et en renforce même le sens en mettant en scène l’apothéose du consul. Les masques déposés sur la corniche démontée feraient alors allusion à l’enveloppe corporelle, à la corruptibilité de la chair et au côté éphémère de la vie terrestre629. Ces derniers pourraient également renvoyer à la dimension dionysiaque du paon. La divinité et l’animal ont en commun d’être associés au triomphe sur le temps et sur la mort et d’incarner des médiateurs entre l’humain et le divin630.

Par conséquent, le paon s’intègre dans un ensemble d’éléments signifiants qui dialoguent et composent un véritable discours visuel destiné à représenter les principales étapes de la divinisation du consul. Néanmoins, seuls les proches de la gens des Pupii Pisones devaient saisir le sens de cet « acte de piété filiale ». Un autre niveau de lecture peut être envisagé si l’on ne cherche pas à relier les objets à des événements précis et/ou aux actes d’un individu. À travers ce point de vue, les lauriers évoqueraient le triomphe éphémère et les oiseaux sur le

626 « Iunonis volucrem, quae cauda sidera portat », OVIDE, Métamorphoses, XV, 385, cité dans G. SAURON, Quis deum ?, op. cit., p. 454.

627 Supra, chap. III, III. C. G. Sauron cite ce passage déterminant des Annales d’Ennius (SKUTSCH, frag. 9), mais ne cherche pas à le relier au décor ; par ailleurs, il pense que le templum encadré d’un portique sans toit du cubiculum M de la villa « de P. Fannius Synistor » à Boscoreale est une référence aux caeli caerula templa de Quintus Ennius (frag. 48), suggérant par là-même que le poète était connu dans la baie de Naples et présent dans l’esprit des Romains de cette génération (G. SAURON, Quis deum ?, op. cit., n. 123, p. 454 ; id., « La révolution iconographique du ‘deuxième style’ », art. cit., p. 775-776).

628 G. SAURON, La peinture allégorique à Pompéi, op. cit., chap. III, « La vie est un théâtre », p. 45-66.

629 Id., Quis deum ?, op. cit., p. 454 ; les masques de théâtre pourraient également faire allusion à l’activité littéraire du consul, mais cette hypothèse est difficile à étayer selon lui.

630 Supra, chap. III, III. B. Notons que l’oiseau est également mis en scène à la fin du IIe siècle dans une pièce cultuelle de la « Maison du paon » (salle 18) d’El Jem en Tunisie. Sur ces mosaïques de pavement, l’oiseau flanqué de deux putti dadophores déploie sa queue en roue au centre d’un espace semi-circulaire cerné d’un velum dont les plis sont surmontés de plumes de paons. Cf. Fiche G 286.

187

podium les âmes prisonnières du monde terrestre et d’un corps synonyme de carcan631. Les guirlandes pourraient faire référence à la Vénus « Victrix » de Varron, c’est-à-dire à la

« lieuse » des éléments du cosmos, et les clipei, aux sphères célestes632. Après l’épreuve de la mort dissociant l’esprit de l’enveloppe charnelle, l’âme immortelle, si elle est assez méritante, peut être véhiculée par le paon vers sa « demeure céleste » et ainsi rejoindre les dieux. Les pinakes dans la partie supérieure de la façade seraient les miroirs de paysages idylliques, et la cour à portiques un reflet des Champs Élysées composés à partir d’éléments architecturaux tirés du quotidien633. Le rideau opaque abaissé « dévoilerait la vérité »634 et rappellerait les tissus qui recouvraient les cistai abritant les objets sacrés dans les cultes à mystères. Ainsi, le paon s’avère être un élément essentiel d’un parcours spirituel et initiatique dont les étapes élèvent progressivement l’esprit et le guident vers le royaume des cieux et vers le divin. L’oiseau fait l’intermédiaire entre la vie et la mort, entre le corps et l’esprit et participe à la médiation entre terre et ciel635. Le décor a dû être réalisé par des peintres scénographes, mais avoir été conçu par un aristocrate romain familiarisé avec la philosophie platonicienne et pythagoricienne, voire avec des courants mystiques orphiques. Les proches de la gens des Pupii Pisones, notamment Cicéron, déchiffraient probablement toutes les références à la vie du consul Piso et devaient apprécier cet acte de piété filiale636. Au-delà du cercle familial, la culture des aristocrates romains au Ier siècle av. J.-C. devait fournir les outils intellectuels nécessaires à la compréhension générale d’un décor à la portée universelle. Un double niveau de lecture peut également être envisagé dans le décor peint de la paroi principale du caldarium 8 [Figure 10].

Les fresques ont été commandées par M. Crassus Frugi, consul en 14 av. J.-C., pour honorer la

Les fresques ont été commandées par M. Crassus Frugi, consul en 14 av. J.-C., pour honorer la

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 180-200)

Documents relatifs