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5. Analyse

5.2. Migration et environnement

Arrêtons-nous sur l’analyse du facteur environnemental dans la prise de décision de migrer. Trouve-t-on un lien entre la migration vers Port-au-Prince et l’environnement ? La question de recherche pour cette partie est la suivante :

Quel rôle joue le facteur environnemental dans la migration vers Port-au-Prince ?

L’hypothèse suggère que les dégradations environnementales intensifient la migration vers la ville à cause de ses conséquences sur la vie des communautés rurales.

L’objectif de cette hypothèse est de pondérer le poids des changements environnementaux sur les migrations à destination de Port-au-Prince. En effet, Haïti connaît plusieurs problèmes environnementaux qui peuvent aboutir à une décision de migrer. Le but final étant de quantifier, par rapport aux autres facteurs explicatifs, quelle est l’importance de ceux liés aux changements environnementaux.

Tous les phénomènes environnementaux présents à Haïti ont été catalogués et analysés au travers des entretiens effectués, notamment dans l’Artibonite, zone agricole très importante du pays. Le but est de saisir l’incidence de ces phénomènes environnementaux sur la migration.

5.2.1. Les cyclones, pluies torrentielles et inondations

Nous avons mentionné dans la partie théorique que les catastrophes soudaines et extrêmes peuvent entraîner de fortes migrations mais qui restent temporaires. A Haïti, cela peut se vérifier pour le cas du tremblement de terre par exemple. Un flux migratoire a été observé directement après le tremblement de terre de 2010. Quelques mois après, une vague de migration est arrivée à Port-au-Prince. Cet évènement est toutefois ponctuel, il se traduit par une migration temporaire. Qu’en est-il lors de problèmes répétitifs comme les pluies torrentielles dans certaines parties du pays ?

«Chaque fois qu’il pleut, tout est inondé et les cultures détruites mais ce qui est le plus dur c’est qu’en Haïti, on alterne entre périodes de sécheresse avec de fortes chaleurs et les périodes fortes de pluies»

(Filius Beloni, 33 ans, enseignant)

Dans les provinces, la situation est délicate mais de véritables inondations sont rares alors qu’à Port-au-Prince les pluies torrentielles sont dévastatrices.

«Quand il pleut, personne peut sortir de chez eux parce que si tu sors ben tu peux mourir. Piétonville surtout parce que c’est sur une colline et quand il pleut l’eau elle glisse vers en bas et elle prend tout avec elle. Les débris, la terre et ça peut aller jusqu’aux coulées de boue.

Une fois une à emporter un mur [en taule] de ma maison» (Joëlle17, 43 ans, domestique).

Malgré les difficultés destructives, il semble que ce soit véritablement en province que les phénomènes climatiques soudains déclenchent un facteur explicatif de la migration. Les personnes interrogées vivant à Port-au-Prince précisent pouvoir pallier à ces difficultés. En effet, même s’ils ne peuvent pas aller travailler quelques jours à cause de la pluie cela ne se répercute pas sur leur niveau de vie.

Le tremblement de terre de 2010 a provoqué une vague de migration soudaine vers les provinces mais quelques mois après, les personnes sont revenues dans la capitale.

«J’ai décidé de revenir à Port-au-Prince parce que j’avais rien à faire à Jeremie et tout va se reconstruire donc je me suis dit que je devrais juste aller dans un camp quelques temps avant de retrouver ma maison» (Maya, 31 ans, sans emploi)

La terrible catastrophe n’a pas suffi à susciter un déclic pour donner l’envie de migrer. Une explication possible se trouve dans la religion. Les Haïtiens étant un peuple extrêmement religieux, pour beaucoup, cet épisode se justifiait par un test de Dieu. Donc les habitants ne pouvaient pas partir ailleurs. L’aspect spirituel se retrouve moins dans les facteurs économiques ou socioculturels comme l’explique Desmond :

«Pour moi la Nature c’est Dieu donc si j’ai des problèmes avec l’environnement c’est que j’ai fait quelque chose de mal ou alors Dieu essaie de m’expliquer quelque chose. Je ne peux donc pas partir à cause de la Nature parce que chaque problème est un message et je dois vivre dans les conditions choisies pour moi» (Desmond, 34 ans, chauffeur de tap-tap)

Donc, les phénomènes climatiques soudains ne sont pas explicatifs dans la prise de décision de migrer car des solutions sont trouvées pour pallier aux difficultés du moment.

5.2.2. La déforestation

La déforestation est le problème le plus grave à Haïti. Elle entraîne des multiples autres conséquences alarmantes. Cette désastreuse situation est, en partie, créée par la pauvreté de la population. Comme la plupart des personnes sont au chômage, il faut trouver de quoi se nourrir. Une solution s’impose, couper du bois pour premièrement cuire la nourriture et ensuite pour le vendre à des menuisiers.

Ce phénomène est induit par l’homme afin d’essayer de survivre à la pauvreté dans laquelle il vit. En coupant des arbres, les Haïtiens créent d’autres difficultés qui les rendront encore plus pauvres.

«Mon cousin qui étudie ça m’a expliqué une fois ce que ça faisait de couper des arbres et là je me suis dit qu’on était vraiment bêtes parce qu’on se tire une balle dans le pied. Tous les problèmes climatiques, ils sont amplifiés par nos actions» (Jean, 22 ans, commerçant)

«Parce qu’on coupe des arbres, il fait plus chaud et quand il pleut, il y a souvent des éboulements qui font que tout ce qu’on avait planté part et il reste rien»

Beaucoup de personnes migrent à cause des détériorations dues à la déforestation. Ce déséquilibre de la nature péjore principalement l'économie entraînant un moindre rendement des récoltes donc un salaire inexistant.

«Je sais que j’ai migré à cause qu’il y a plus d’arbres même si c’est déguisé. Pour bien planter et que ça pousse, il faut une nature en pleine forme et quand il y a pas d’arbres ça va pas» (Pierre, 65 ans, agriculteur)

On ne peut donc pas établir que la déforestation est un facteur en soi qui pousse les individus à migrer, mais il joue un rôle non négligeable sur certains facteurs économiques.

5.2.3. L’érosion

L’érosion est un phénomène relativement lent mais visible aussi bien sur les sols agricoles que dans les zones côtières. Le véritable problème est que l’érosion est irréversible. Donc, une grande partie des terres agricoles haïtiennes sont devenues incultivables.

«C’est très difficile d’être agriculteur maintenant parce que les terres sont très pauvres en minéraux et on n’a plus de rendement quand on plante. On plante mais rien ne pousse parce que la terre est trop pauvre et ça c’est à cause de l’érosion» (Monsieur Sylvain, 48 ans, technicien agricole)

Ce phénomène d’érosion influence la migration, mais il est surtout lié aux facteurs économiques. L’érosion diminue les revenus des agriculteurs. En conséquence, si les agriculteurs veulent pallier à ce manque, il faut envisager la migration vers des zones plus favorables.

«Je suis agriculteur et menuisier et comme dans l’Artibonite je n’arrivais plus rien à faire pousser j’ai décidé de partir à Port-au-Prince pour tenter ma chance dans un métier qui n’est pas contrôlé par la Nature» (Richard18, 56 ans, menuisier)

Tout comme la déforestation, l’érosion a un impact indirect sur le mode de vie des personnes. En définitive, ces problèmes n’affectent pas directement les hommes comme le ferait un cyclone. L’érosion agit sur la terre qui est une source de revenus et de nourriture pour les Haïtiens. On peut dire qu’il y a un impact sur la décision de migrer, mais au travers des facteurs économiques qui sont affectés.

5.2.4. La perception des changements environnementaux

Il est important de savoir comment les personnes interrogées perçoivent les changements environnementaux à Haïti. Nous essaierons de pondérer ceux-ci pour préciser s’ils ont eu ou non une incidence sur la décision de migrer.

Le problème le plus visible est sans aucun doute la déforestation. La totalité des personnes interrogées ont mentionné ce danger comme le plus grave.

«Ce n’est pas bon à cause de la déforestation, les arbres sont détruits et il y a beaucoup de problèmes dans la nature. Des fois on a plus de pluie pendant 1 an et après quand il pleut comme il y a plus d’arbre c’est la catastrophe» (Audeline, 21 ans, enseignante)

«Les gens quand ils n’ont pas de travail ben ils coupent du bois pour après aller le revendre mais personne replante des arbres donc on va avoir un problème» (Filius Beloni, 33 ans, enseignant)

Que ce soit à Port-au-Prince ou dans les provinces, le problème des inondations et des pluies torrentielles est très régulièrement mentionné. En effet, la trop grande quantité d’eau peut avoir des conséquences graves sur la vie des personnes. L’eau, à cause du manque d’arbres, n’a plus aucun obstacle. Elle emporte tout sur son passage en laissant derrière elle d’importants dégâts.

«Quand il pleut fort moi je ne peux pas sortir de chez moi parce que comme je suis sur un versant de la montagne, si je sors je me fais prendre par l’eau et je peux mourir.» (Marquise, 45 ans, commerçante)

De nombreux changements climatiques sont perceptibles à Haïti. Ils sont pour la plupart reliés les uns aux autres. Lors, de l’entretien avec un agronome, celui-ci résume de manière complète le problème d’environnement à Haïti.

«Alors, on est tous d’accord pour dire qu’à Haïti, la déforestation c’est le plus grave. A cause de la déforestation, il y a l’érosion des sols parce que, quand il pleut, il n’y a pas de barrières pour retenir l’eau qui érode le sol. Cette érosion rend l’agriculture très compliquée, car le sol est en mauvais état et l’eau ne s’infiltre pas dans le sol et donc rien ne pousse. La déforestation engendre aussi une hausse des températures parce que les arbres, ça aide à garder la fraîcheur. Il fait donc plus chaud et selon les périodes, il ne pleut pas et donc, il est impossible de cultiver des plantes. A cause de tout ça, notre terre

est plus fragile et donc quand il y a des tremblements de terre, des cyclones ou fortes pluies, ça donne des catastrophes parce qu’il n’y a pas d’arbre pour protéger le sol, les maisons. Le problème de tout c’est la déforestation et donc l’homme» (entretien avec Pierre19, 50 ans, agronome)

D’autres perturbations climatiques existent, comme par exemple, la montée de la mer, mais elles n’ont pas été abordées dans cette étude. Une seule personne nous a fait part de son inquiétude quant à l’érosion des zones côtières, mais il ressort que la déforestation est vraiment le principal problème.

Les dégradations environnementales sont très connues. Elles influencent la vie des individus mais les personnes interrogées font très rarement le lien entre les dégradations environnementales et leur volonté de migrer. Il en ressort que les problèmes économiques sont toujours mentionnés en priorité mais que très peu de personnes font un lien entre leurs difficultés économiques et l’environnement. Le facteur économique revient donc toujours comme le plus influent.

«J’ai dû partir parce que j’avais plus d’argent et tu comprends je plantais du maïs, du riz mais rien ne poussait alors pour pas mourir de faim, je suis venu à Port-au-Prince»

A.T : «Tu n’avais pas d’argent à cause des problèmes environnementaux ?»

«Non j’avais des problèmes d’argent parce que je ne pouvais pas planter, ça poussait pas» (Michel, 28 ans, agriculteur)

Cet exemple n’est pas isolé dans mes entretiens, car 23 personnes sur 30 n’ont pas fait de lien entre certaines difficultés rencontrées et l’environnement. Les personnes ayant fait le lien étaient toutes allées à l’Université ou avaient des parents agriculteurs. L’éducation permet-elle non seulement de percevoir les problèmes environnementaux mais également de comprendre leurs conséquences ? Cette étude ne peut pas répondre à cette question mais l’acquisition de connaissances scientifiques empiriques ou scolaires facilite forcément la compréhension et la sensibilisation aux phénomènes environnementaux.

5.2.5. Bilan

Notre but est de savoir si les dégradations environnementales sont un facteur important dans la décision de migrer. Il en ressort qu’uniquement sept personnes ont mentionné les problèmes environnementaux comme cause première de la migration. Selon les entretiens, on peut établir que pour cinq de ces sept personnes, les problèmes environnementaux ne sont pas le seul facteur explicatif car il y a des facteurs économiques directement liés aux environnementaux. Uniquement deux personnes ont véritablement migré à Port-au-Prince à

cause d’un cyclone qui a emporté leurs maisons et tué toute leur famille. De manière générale, nous pouvons constater que les facteurs environnementaux et économiques sont interdépendants. Les conséquences de l’environnement sur les récoltes entraînent des incidences négatives sur le revenu. C’est véritablement l’impact de l’environnement sur les facteurs économiques qui suscite les migrations à destination de Port-au-Prince. Les facteurs environnementaux seuls ne suffisent pas à provoquer la migration.