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1.3 Techniques d'analyse : microscopies de champ proche

1.3.1 Microscopie à eet tunnel

L'eet tunnel est un phénomène purement quantique, reposant sur la dualité onde-particule. An d'en illustrer le principe, nous prendrons l'exemple d'un électron, décrit par une fonction d'onde ψ, confronté à une barrière de potentiel rectangulaire et unidmensionnelle. Une répré- sentation de ce système est donnée par la gure 1.6.

Fig. 1.6 Barrière tunnel unidimensionnelle.

1.3 Techniques d'analyse : microscopies de champ proche 21 barrière V0, sera rééchi ou absorbé, mais ne pourra en aucun cas traverser. En mécanique quantique en revanche, l'électron est assimilé à une fonction d'onde vériant l'équation de Schrödinger :

−~2 2m

∂2ψ

∂z2 + V (z)ψ = Eψ (1.1)

La résolution de l'équation de Schrödinger dans les diérents domaines montre qu'il existe une probabilité de présence non nulle de l'autre coté de la barrière. On peut alors calculer un coecient de transmission, qui correspond à la probabilité de transition tunnel de l'électron. Dans le cas d'une barrière épaisse (Kd  1), on obtient :

T ≈ 4E(V0− E)

V02 exp(−2Kd) (1.2)

où K = √2m(V0−E)

~ est le facteur d'atténuation de la barrière.

C'est la décroissance exponentielle de la transmittivité des électrons, en fonction de l'épais- seur de la barrière tunnel, qui a inspiré à Binnig et Rohrer l'idée du microscope à eet tunnel (en anglais Scanning Tunneling Microscopy (STM)). Leur objectif fût d'exploiter l'extraor- dinaire sensibilité verticale de ce phénomène(7), pour concevoir un instrument possédant une résolution spatiale hors du commun. Ils y parvinrent en 1981, en enregistrant les premieres courbes It(z), démontrant la dépendance exponentielle du courant tunnel à la largeur de bar- rière [34].

L'eet tunnel avait pu être observé de manière expérimentale bien avant l'invention du STM. Il a notamment été invoqué dès 1928, pour expliquer l'ionisation des atomes d'hydro- gène dans un champ électrique intense [35], le phénomène d'émission par eet de champ [36], ou encore la radioactivité [37]. À partir de 1962, il a été massivement utilisé dans le cadre des jonctions Josephson [38], dans lesquelles, les paires d'électrons de Cooper, transitent à travers une ne couche d'oxide, séparant deux métaux supraconducteurs.

L'originalité de Binnig et Rohrer, récompensée en 1986 par un prix Nobel, a été de sortir de la géométrie statique jusqu'alors de mise, pour considérer une barrière tunnel de dimension ajustable. Dans le modèle originel, par exemple, c'est la pointe qui, mobile, peut être approchée à quelques Angströms de la surface que l'on souhaite étudier. L'espace séparant les deux électrodes, constitue la barrière tunnel. Il pourra s'agir, selon l'environnement de travail, de vide, d'un gaz, ou encore d'un solvant. Le positionnement de la pointe avec une précision picométrique est une véritable prouesse technique. Il est rendu possible par l'utilisation de céramiques piezo-électriques, pilotées par une électronique de contrôle an de maintenir une distance pointe-échantillon constante. Un système d'amortissement des vibrations doit de plus être utilisé pour éviter toute perturbation mécanique.

Lorsque la pointe et la surface entrent en interaction tunnel, l'écart entre leurs travaux de sortie donne naissance à un courant d'électrons. Au bout d'un moment, cependant, le système atteint un état d'équilibre, dans lequel les niveaux de Fermi de part et d'autre de la barrière, sont alignés. Une tension de polarisation Vg appliquée entre les deux électrodes, disymétrise (7)une augmentation de l'épaisseur de barrière de 1 Å, induit une variation d'un ordre de grandeur sur le

à nouveau la jonction et établit un courant tunnel permanent. Une première estimation de ce courant avait été donnée par Simmons en 1963, pour un système unidimensionnel, considérant des électrodes planes [39] :

It∝ Vgexp(−2Kd) (1.3)

On retrouve la dépendance exponentielle du courant tunnel à l'épaisseur de barrière, soit ici la distance pointe échantillon. À partir de cette expression deux modes topographiques sont envisageables :

 un mode courant constant (gure 1.7(a)), dans lequel, comme son nom l'indique, le niveau de courant est maintenu constant, grâce à une boucle de régulation. D'après la relation It(z), cela revient à conserver une distance pointe-surface invariante. Le déplace- ment vertical de la pointe retrace alors le prol topographique de la surface. An que la dilatation des céramiques piezoélectriques soit dèle au relief, il est nécessaire d'utiliser de faibles vitesses de balayage, permettant à la régulation de se faire correctement.  un mode hauteur constante, dans lequel la pointe détecte, lors du balayage, les varia-

tions du courant tunnel It fonctions de l'évolution du relief (gure 1.7(b)). La boucle de régulation est alors inactive et le tracé du courant donne une image de la surface. Contrairement au mode courant constant, toutes les vitesses sont permises : la boucle de régulation étant ouverte, son temps de réponse ne constitue plus un facteur limitant. Cependant, l'absence de régulation augmente le risque de crash  de la pointe dans la surface. Les problèmes de dérive thermique notamment, rendent l'utilisation de ce mode délicate à température ambiante.

Les images présentées dans ce mémoire ont été acquises en mode courant constant, qui est de loin le plus répandu.

Fig. 1.7 Modes topographiques du STM. (a) Mode courant constant. (b) Mode hau- teur constante.

Le modèle utilisé par Simmons pour le calcul du courant tunnel est assez éloigné de la réalité du STM. La géométrie unidimensionnelle du problème, d'une part, est inadaptée. D'autre part, un comportement d'électrons libres est supposé dans les électrodes, sans tenir compte de la

1.3 Techniques d'analyse : microscopies de champ proche 23 densité d'états du matériau. Ce dernier point peut se révéler particulièrement critique dans le cas d'une surface semiconductrice.

Terso et Hamann ont, les premiers, donné une expression du courant tunnel, tenant compte du caractère tridimensionnel de la jonction STM [40, 41]. En s'appuyant sur le formalisme de Bardeen, et en considérant pour la pointe de symétrie sphérique, une orbitale s, ils ont aboutit à une expression du courant tunnel :

It∝ Vgexp(−2KR)Dp(EF)ρs(r0, EF) (1.4) où Vg est la tension de polarisation appliquée, R le rayon de courbure de la pointe, r0 son centre de courbure, Dp(EF) la densité d'états électroniques de la pointe au niveau de Fermi et ρs(r0, EF) la densité d'états de la surface au niveau de Fermi, évaluée en r0. La dépen- dance exponentielle à la distance pointe-échantillon est toujours présente : on la retrouve en développant ρs(r0, EF). L'inuence des densités d'états locales de la pointe et de l'échantillon sur le courant tunnel est de plus mise en évidence. Une image STM, renferme donc, outre les données topographiques, une information sur les états électroniques des électrodes. Cela rend son interprétation très délicate, car il souvent dicile de séparer ces deux contributions.

L'expression 1.4 est limitée aux basses températures et aux valeurs de tension de polari- sation faibles : kbT  |e|Vg V0. Elle peut être généralisée, quelle que soit Vg, à :

I ∝ Z EF

EF−eVg

Dp(E + eVg)ρs(r0, E)T (E, Vg)dE (1.5) T (E, Vg) étant le facteur de transmission de la barrière.

En faisant varier la tension de polarisation Vg on peut donc sélectionner les états électro- niques de la surface qui contribuent au courant tunnel. Dans une première approximation, on considérera que la dérivée dI/dV reète la densité d'états de la surface et que sa détermination permet donc d'accéder aux propriétés électroniques intrinsèques du matériau étudié.

Un spectre dI/dV peut être obtenu en faisant l'acquisition d'une courbe I(V ), puis en dérivant celle-ci de manière numérique. Pour cela, la pointe est positionnée au-dessus de la zone que l'on souhaite sonder, et s'y stabilise pour satisfaire la consigne de régulation topo- graphique (It,Vg). La boucle de régulation est ensuite désactivée, et une rampe de tension est appliquée à la pointe, durant laquelle sa hauteur reste constante. La variation du courant tun- nel en fonction de la tension de polarisation est enregistrée, puis l'asservissement est ré-engagé.

Il est aussi possible d'acquérir directement le spectre dI

dV(V ). En eet, en appliquant une modulation ∆Vg = V∆cos ωt de faible amplitude (V∆ Vg) à la tension de polarisation Vg, on génére une uctuation sur courant tunnel :

I(V ) = I(Vg+ ∆Vg) (1.6) = I(Vg) + ∂I(V ) ∂V V∆cos ωt + 1 2 ∂2I(V ) ∂V2 V 2 ∆cos2ωt + . . . (1.7) En démodulant le courant tunnel à la fréquence ω à l'aide d'une détection synchrone, on

obtient un signal proportionnel à la conductance diérentielle dI

dV et donc à la densité d'états. D'un point de vue pratique, on réalise, dans un permier temps, une image topographique, an de repérer les éléments de la surface dont on souhaite sonder les propriétés électroniques. La pointe est ensuite positionnée en ces points pour faire l'acquisition des spectres. À tempéra- ture ambiante cependant, les eets de dérive thermique rendent ce positionnement incertain et il devient alors dicile d'établir une corrélation able entre les caractéristiques topographiques et spectroscopiques. Le mode CITS (Current Imaging Tunneling Spectroscopy), dans lequel ces données sont acquises simultanément, permet de pallier à ce problème. Comme l'illustre la gure 1.8(a), une grille spectroscopique est dénie, sur l'image topographique. Lors du ba- layage, une courbe I(V ) (et éventuellement dI

dV(V )si une détection synchrone est utilisée) sera enregistrée, chaque fois que la pointe atteindra un noeud de cette grille. Outre une meilleure corrélation entre les détails structurels et spectroscopiques, les informations fournies par ces mesures ont un caractère statistique qui fait défaut aux spectres acquis de manière ponctuelle. Si l'on s'intéresse à présent à une énergie spécique, il est possible, à partir des valeurs It lues sur les courbes I(V ) pour la tension de polarisation correspondante, de reconstruire une image de courant. Un exemple en est donné, pour Vg =−1, 25 V, aux gures 1.8(b) et 1.8(c). L'étude de telle images, en vis-à-vis de la topographie, est particulièrement utile pour recher- cher l'inuence de conformations locales, sur les propriétés électroniques des matériaux.

Enn, il est généralement utile de normaliser les spectres obtenus, an de s'aranchir de leur dépendance à la tension de polarisation Vg et à la distance pointe-échantillon. Particuliè- rement, dans le cas où les propriétés électroniques de la surface étudiée sont inhomogènes, la distance pointe-échantillon varie selon la zone sondée(8), rendant la comparaison des spectres acquis en ces diérents points peu able. Feenstra et al. ont proposé de remédier à cela en normalisant les courbes dI/dV par le ratio I/V [42]. Le problème de divergence qui apparait dans le gap des matériaux semi-conducteurs, où It et dI/dV sont nuls, peut être résolu en remplaçant, le ratio I/V par p(I/V )2+ c2 [43]. c est une constante faible, qui doit être né- gligeable devant I/V aux valeurs de tension de polarisation élevées, an de ne pas perturber l'allure de la courbe. À Vg petit, elle doit cependant être susament grande pour empêcher la divergence du signal. Cette méthode a été employée dans la normalisation de nos courbes dI/dV an de réduire le niveau de bruit dans le gap, une valeur c = 10−3 ayant été choisie.