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M. Clair: Merci, M. le Président. Mes premières paroles sont pour remercier les associations syndicales des secteurs public et parapublic d'avoir accepté l'invitation de venir communiquer aux parlementaires leur point de vue sur le projet de loi 37 portant réforme du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic. Je pense qu'il était important que les parlementaires des deux côtés de la Chambre aient l'occasion, compte tenu de l'importance des enjeux précisément, de prendre en considération le point de vue exprimé ce matin par les associations patronales du secteur des affaires sociales et, cet après-midi, par les associations syndicales des secteurs public et parapublic. Comme chacun le sait, certaines rencontres ont eu lieu entre les représentants syndicaux et les représentants du gouvernement au cours des derniers mois.

Comme la réforme du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic ne concerne pas seulement le gouvernement, les associations patronales et les associations syndicales, mais l'ensemble de la collectivité, il m'est apparu important que, sur le plan démocratique, l'institution parlementaire qu'est la commission parlementaire se tienne pour que les points de vue des associations soient communiqués aux parlementaires et que ces derniers aient l'occasion d'échanger des points de vue avec les différents représentants. Si on a pu regretter, des deux côtés de la Chambre, que le regroupement des syndicats ne vienne pas au complet à la commission parlementaire sur l'avant-projet de loi, ce qui aurait sans doute été utile, à tout le moins nous sommes satisfaits de vous accueillir aujourd'hui.

Je voudrais dire maintenant, quant à la tenue de cette commission parlementaire, que dans les propos tenus, je pense, par M.

Laberge, on a rapporté que j'aurais indiqué que la tenue de cette commission ne changerait rien. Je tiens à préciser ceci:

Après avoir mené un processus de

consultation qui a duré presque deux ans, après avoir publié un document de consultation, après avoir publié un avant-projet de loi, à l'étape où nous sommes de déposer sur la table de l'Assemblée nationale un projet de l o i , vous comprendrez sûrement qu'un gouvernement responsable ne peut se mettre dans une situation du "je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire; savez-vous, je ne sais pas ce que j'en pense" de sorte que les orientations fondamentales qui sont contenues dans ce projet de loi sont, effectivement, du point de vue du gouvernement. Il restera à l'Assemblée nationale d'en débattre, à la commission parlementaire, aujourd'hui, et à la commission parlementaire lors de l'étude article par article de voir s'il y a des amendements à apporter. Mais je suis clair là-dessus, les orientations du gouvernement sont arrêtées.

Cependant, cela ne veut pas dire qu'il ne reste pas des choses substantielles qui puissent être modifiées dans le projet de loi.

J'en indique une, d'entrée de jeu. J'étais très heureux d'entendre, tantôt, M. Laberge nous dire qu'à certaines conditions, les syndicats des secteurs public et parapublic pourraient non seulement participer, mais même, je dirais, moralement soutenir la mise sur pied d'un Institut de recherche sur la rémunération. J'étais heureux parce que c'est là une évolution par rapport à ce qui avait été communiqué préalablement. Je cite simplement un passage à la page 12 du mémoire de la CSN qui avait été communiqué en commission parlementaire. On pouvait lire à ce sujet, concernant l'Institut de recherche sur la rémunération: II n'est pas nécessaire de créer un autre organisme dont la fonction serait d'étudier les comparaisons salariales et que soit inclus dans un régime de négociation un tel organisme. Pourquoi le gouvernement met-il tant d'insistance à le faire? Un peu plus loin - je cite toujours - Négocier à partir d'un rapport sur les comparaisons salariales biaise la négociation en prédéterminant les résultats.

Si les syndicats des secteurs public et parapublic sont d'accord pour que l'Institut de recherche sur la rémunération vienne baliser en quelque sorte la négociation, nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'il faudra que celui-ci ait le plus haut niveau de crédibilité possible. J'ai eu l'occasion de le dire privément; je le dis aujourd'hui publiquement. En ce qui concerne la composition de l'Institut de recherche sur la rémunération, dans la mesure où nous serions assurés d'une participation non seulement théorique, mais volontaire au sens le plus noble du terme de la part des associations syndicales à cet institut de recherche, nous n'aurions aucune objection à réduire à une personne plutôt qu'à trois les permanents, si

on veut en quelque sorte, ceux qui seraient nommés par l'Assemblée nationale, et effectivement réduire ainsi, ramener davantage en surface la dimension paritaire d'un tel institut de recherche.

Cependant, compte tenu de la crédibilité que doit avoir cet institut, non seulement à l'égard des syndicats et du gouvernement, mais également à l'égard des parlementaires eux-mêmes, à l'égard de l'ensemble de la population, il nous apparaît, cependant, que la personne qui présiderait aux destinées de cet institut de recherche devrait être nommée par une majorité des deux tiers de l'Assemblée nationale. Je souligne en passant, ce qui est un fait connu, que la majorité ministérielle ne dispose pas, actuellement, d'une telle majorité des deux tiers.

Je pense, M. le Président, que ce soit sur cela ou que ce soit sur d'autres mécanismes, nous sommes toujours disposés à envisager des améliorations au projet de loi pour le rendre plus fonctionnel, mais non pas à remettre en cause les grands principes.

M. le Président, pourquoi une telle réforme en profondeur dans notre régime de négociation et qu'est-ce qui nous distance comme contenu, en termes de réforme du régime, de la position émise aujourd'hui?

Pourquoi une réforme du régime de négociation aussi en profondeur? Je vais essayer de vous le dire le plus simplement possible. C'est parce que c'est vrai, c'est un fait vérifiable que nous avons, au Québec, le régime de négociation, dans les secteurs public et parapublic, à peu près le plus libéral du monde occidental. Trouvez-moi un pays dans le monde où l'on combine en même temps le précompte syndical obligatoire, des dispositions antibriseurs de grève, le monopole syndical, la faculté de négocier en front commun, la capacité de déclencher des grèves générales illimitées et autres caractéristiques qu'on pourrait continuer d'énumérer.

Je dis aux représentants des syndicats des secteurs public et parapublic, malgré qu'on ait eu "le plus beau régime de négociation" - entre guillemets - toujours est-il qu'à de nombreuses reprises, la solution aux problèmes posés en matière de relations du travail ne s'est pas trouvée à l'interne des règles du jeu dont on s'était doté auparavant, mais, au contraire, l'immense majorité des problèmes s'est réglée dans la salle d'à côté par les parlementaires, en dehors du système de négociation tel qu'il avait été perçu, tel qu'il avait été mis en place au départ.

Est-ce que c'est cela qu'on veut au Québec, avoir un régime de négociation théorique qui ne fonctionne pas, négociation après négociation, et de faire en sorte que ce soient les parlementaires de l'autre côté de l'Assemblée nationale qui viennent, en

quelque sorte, dessaisir les parties des règles du jeu et venir, effectivement, régler par des lois les problèmes qui se posent dans les relations du travail? Est-ce que cela a du bon sens qu'on se soit rendu jusqu'à légiférer - je rejoins M. Charbonneau là-dessus - des milliers de pages de documents, de contenu sur les conventions collectives de l'autre côté, alors qu'à peu près personne, je le dis avec certitude, ni de votre côté, ni du nôtre, n'avait lu au complet la même personne -l'ensemble de ces documents?

Je pense que ce qui nous distance en termes de réforme du régime de négociation, c'est cela, essayer de trouver moyen de faire en sorte que les solutions aux problèmes qui se posent en matière de relations du travail dans les secteurs public et parapublic, que cela se trouve à l'intérieur du régime et non pas continuellement à l'extérieur du régime, en dehors du régime de négociation par l'adoption de lois répétitives. Je pense que ce n'est que cela qui nous distance. Je reconnais - M. Laberge l'a dit tantôt - que nous avons, de part et d'autre, déployé beaucoup d'efforts pour se rapprocher quant à des améliorations, je dirais à portée limitée, au régime de négociation, qu'il s'agisse sur le plan de la médiation, "the cooling off period", de toutes une série de mesures.

Ce qui nous a séparés, M. le Président, c'est cela, la conception que, en ce qui nous concerne, nous reconnaissons. Nous reconnaissons qu'il y a des modifications majeures, qu'il y aurait un rééquilibrage des droits et des obligations de chacune des parties si le régime de négociation, qui est proposé dans le projet de loi, est mis en marche. Mais nous pensons que c'est la condition à laquelle le régime pourra produire des résultats et non pas toujours déboucher sur des lois spéciales.

Je voudrais, par ailleurs, relever ce qui m'apparaît être, effectivement, maintenant, le coeur de l'argumentation des centrales syndicales, je pense que certains l'ont dit, en ce qui concerne "le droit de négocier" -entre guillemets - ce qui serait, en quelque sorte, nié par le projet de loi. Là-dessus, je le dis tout de suite en passant, je n'ai aucune hésitation à aller défendre, devant les instances internationales appropriées, le contenu de ce projet de loi, parce que j ' a i la conviction profonde que même après la réforme, notre régime demeurera l'un des plus libéraux, l'un des plus démocratiques qui soit à la face du monde entier. Je ne suis pas gêné de le défendre.

Maintenant, quand on s'appelle Coalition pour le droit de négocier et qu'on laisse entendre que les modifications apportées viendraient nier ce droit, j'aimerais... Je pense qu'au Québec, on ne vit pas sur une planète isolée, mais on doit se comparer, occasionnellement, par rapport à ce qui se

passe ailleurs. Je voudrais citer, M. le Président, en ce qui concerne le concept du droit de négocier - on y a fait référence dans les documents des syndicats du secteur public - un document qui a été préparé par MM. Jean-Claude Cadieux et Jean Bernier, en ce qui concerne une étude comparative des régimes de négociation ailleurs dans le monde, pas dans des pays totalitaires, dans les pays d'Europe de l'Ouest, dont certains ont un niveau de vie plus élevé que le nôtre et des traditions qui ressemblent aux nôtres, jusqu'à un certain point. Je cite parce que cela représente, substantiellement, ce que je pense: Au Québec, la détermination des conditions de travail passe normalement par la négociation de conventions collectives.

"Négocier" - entre guillemets - et négocier des conventions collectives sont, au Québec, synonymes. Il s'agit, pour les parties, de discuter les termes d'une entente. Une fois l'accord intervenu et signé, la convention lie les parties pour la durée qui s'y trouve stipulée. Le gouvernement est donc obligé, comme n'importe quel employeur du secteur privé, de se plier aux règles du processus contractuel.

Ce système de règles est désigné souvent par les expressions: libre négociation, négociation de bonne f o i , négociation d'égal à égal. Il implique pour les deux parties une série d'obligations.

Premièrement, l'obligation de ne pas se dérober à son devoir de négocier. Le gouvernement n'a pas le choix de négocier ou non. Il est juridiquement obligé de le faire.

Deuxièmement, l'obligation de ne pas imposer à l'autre partie contractante des conditions préalables à la négociation. Par exemple, des conditions quant à la durée de la négociation.

Troisièmement, l'obligation de ne rien exclure du champ de la négociation sans l'accord de l'autre partie. À l'exception de quelques points précis stipulés dans la loi, tout est négociable.

Quatrièmement, l'obligation de consi-dérer chaque proposition de l'autre partie.

Non seulement tout est négociable, mais tout doit être négocié. Chaque terme de l'accord doit être discuté si l'autre partie l'exige.

Enfin, l'obligation de respecter tous les termes de l'accord une fois qu'il a été conclu.

Il est arrivé à certaines occasions que le gouvernement du Québec, en cas d'impasse dans les négociations ou de grève dans te secteur public, suspende le processus de négociation et fasse appel au pouvoir législatif pour décréter les conditions de travail des employés de l'État. Ce faisant, le gouvernement se soustrayait du cadre juridique habituel et se plaçait dans le cadre de l'appareil législatif "exceptionnellement"

-entre guillemets - et - encore une fois, entre guillemets - "au nom du bien commun"

en situation d'autorité vis-à-vis des syndicats.

Cette situation considérée exceptionnelle du point de vue québécois s'apparente au fonctionnement normal des pays visités, la demi-douzaine des pays les plus démocratiques et avec le plus haut niveau de vie de l'Europe de l'Ouest, que ce soit l'Allemagne, la Belgique, la Suède, l'Italie, la France, l'Angleterre. Aucun des gouverne-ments des pays en cause n'est tenu juridiquement, pour déterminer les conditions de travail de l'ensemble des employés du secteur public, d'entrer avec leurs représentants syndicaux dans une relation contractuelle. Les conditions de travail sont déterminées par le gouvernement, soit par voie réglementaire, soit par voie législative.

Ces conditions de travail ne sont donc pas, du point de vue juridique, le résultat de la volonté mutuelle des parties, mais le produit d'une décision souveraine de l'État.

Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucune forme de discussion entre les représentants des syndicats et les représentants des gouvernements concernés préalablement à la détermination des conditions de travail, mais

"négocier" - entre guillemets - dans les pays européens ne signifie pas automatiquement négocier des conventions collectives et les gouvernements n'entrant pas avec les syndicats dans une relation contractuelle ne sont pas obligés de s'astreindre à l'ensemble des obligations que suppose, pour la conclusion d'un contrat, une négociation dite d'égal à égal.

En France, des négociations annuelles désignées par l'expression "rendez-vous salariaux" ont lieu au plus haut niveau entre les représentants du gouvernement et les représentants des grandes centrales syndicales. Elles portent essentiellement sur des questions reliées au salaire: augmentation de traitement, pensions, heures de travail.

Comme le budget national est généralement voté, lorsque interviennent ces discussions, celles-ci ont surtout pour objet le mode de répartition d'une masse préétablie. Ces discussions qui durent généralement cinq à six semaines aboutissent à des relevés de conclusions qui reçoivent ou non l'assentiment des syndicats. Même dûment signé par les parties, ce type d'accord n'engage pas légalement le gouvernement qui est libre d'y donner suite ou non et qui souvent, semble-t-il, ne respecte pas intégralement l'accord ou encore tarde à y donner suite. On pourrait parler de l'Italie.

On pourrait parler de l'Allemagne de l'Ouest.

On pourrait parler de l'Angleterre et de la Belgique. L'immense majorité des pays visités n'entre pas dans une relation contractuelle avec ses syndicats.

La réforme proposée ne vient pas changer cette règle traditionnelle par

laquelle le gouvernement du Québec entre en relation contractuelle avec les syndicats des secteurs public et parapublic. La proposition vient simplement permettre aux parties de tenter de faire en sorte que, plutôt que de s'affronter pour une période de trois ans à l'avance sur la base de prévisions économiques qui ont comme principale caractéristique par les années qui passent de ne pas se matérialiser, de se piéger mutuellement en conservant le droit à la négociation au sens traditionnel au Québec, donc avec droit de grève sur la rémunération globale, sur le normatif lourd avec droit de grève, mais en fixant les salaires et l'échelle de salaire pour seulement une année à la fois, nous tentons, en quelque sorte, de conserver ce qu'il nous apparaît souhaitable de conserver dans la relation contractuelle que nous avons avec les syndicats des secteurs public et parapublic, mais aussi de tirer avantage de l'expérience d'autres pays démocratiques. Jamais je n'accepterai, quant à moi, l'affirmation que la façon dont nous nous proposons de procéder est antidémo-cratique, parce qu'elle est, au contraire, conforme et même inférieure en termes de pouvoirs du législateur et de l'exécutif, largement inférieure à ce qui se passe dans la plupart des pays démocratiques.

(18 h 45)

Je voudrais maintenant aborder rapidement, M. le Président, la question de l'évolution de la rémunération dans les secteurs public et parapublic. La théorie de la locomotive, comme on l'a appelée, pouvait prévaloir et non seulement prévaloir, mais donner des résultats positifs en termes d'enrichissement collectif, non seulement des employés du secteur public, mais également de ceux du secteur privé jusqu'au moment où un certain nombre d'événements se sont produits. D'une part, tout le monde reconnaît que les employés du secteur public avaient un rattrapage à faire pendant un bon nombre d'années en termes de rémunération par rapport à ceux du secteur privé. Tel n'est plus le cas aujourd'hui, sauf quelques exceptions qui continueront de pouvoir être corrigées année après année, tant par les mécanismes de l'institut de recherche que par les mécanismes de la négociation avec droit de grève une fois aux trois ans.

Mais globalement, personne ne peut contredire le fait que la rémunération dans le secteur public est maintenant rendue à un niveau même avantageusement encore comparable avec ce qui se fait dans le secteur privé.

Deuxièmement, pendant une bonne période de temps aussi, le gouvernement du Québec disposait d'un espace fiscal inoccupé de sorte qu'on pouvait effectivement augmenter les taxes et les impôts pour financer les augmentations de salaire, les augmentations de rémunération dans les

secteurs public et parapublic sans que cela ne vienne compromettre le caractère concurrentiel de l'économie québécoise. Il est évident aussi qu'il y avait une capacité pour le gouvernement d'augmenter les emprunts puisqu'on sait tous qu'au début des années soixante, le recours aux emprunts était très limité. Aujourd'hui, en 1985, alors que nous avons le niveau de taxation que nous connaissons, le niveau de déficit que nous connaissons, le niveau de rémunération dans le secteur public par rapport au secteur privé que nous connaissons, qui peut défendre l'illusion que par l'exercice d'un rapport de forces brutal dans le secteur public, on pourra créer la richesse collective?

J'aimerais qu'on me l'explique, M. le Président, parce qu'à l'heure où notre développement des services publics est globalement à peu près à maturité, alors qu'on a eu recours à peu près au maximum à notre pouvoir d'emprunt, à notre pouvoir de taxer, cela n'est rien d'autre qu'une illusion que de penser qu'en s'affrontant, on va pouvoir générer la richesse collective dans le secteur public et avoir un effet d'entraînement positif dans le secteur privé.

M. Charbonneau parlait tantôt des générations futures. Si on le fait en augmentant le déficit, ce n'est pas l'accroissement de la richesse collective qu'on fait pour les jeunes qui s'en viennent.

M. Charbonneau parlait tantôt des générations futures. Si on le fait en augmentant le déficit, ce n'est pas l'accroissement de la richesse collective qu'on fait pour les jeunes qui s'en viennent.

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