1.4 Méthodes d’observation
1.4.2 Mesures de l’îlot de chaleur urbain atmosphérique
La mesure de température d’air en milieu urbain s’effectue généralement en
plaçant des capteurs au sein de la couche limite atmosphérique étudiée, à savoir soit
la couche limite de canopée urbaine, soit la couche limite urbaine. Elle enregistre
les effets cumulés de trois composantes différentes [Lowry, 1977]. La première
composante correspond au climat général dans lequel la ville est située. La seconde
composante est la composante dite géographique, qui correspond aux effets des
éléments géographiques significatifs situés à proximité de la ville (comme par exemple
une chaîne de montagne ou un littoral) et de la topographie. Enfin, la troisième
composante est la composante dite urbaine, qui fait référence aux modifications
climatiques induites par la présence de bâti.
Cette approche in situ présente de nombreux avantages. Elle permet une mesure
directe, précise et instantanée des grandeurs physiques. Classiquement, les grandeurs
physiques étudiées sont la température d’air, l’hygrométrie, les vitesse et direction du
vent ainsi que plusieurs des flux présents dans l’équation énergétique d’une surface
urbaine [Grimmond et al., 2010b]. L’approche in situ est utilisée pour répondre à
plusieurs types de problématiques, comme caractérisation de l’ICU ou la validation
d’un modèle climatique urbain. Selon la méthode employée, elle peut fournir une
information détaillée dans le temps et l’espace.
Au sein de cette approche in situ, il est possible de distinguer les campagnes dites
"fixes" – consistant à positionner des stations météorologiques dans l’agglomération
étudiée puis à enregistrer les variables climatiques - des campagnes dites "mobiles" –
à savoir le parcours d’un trajet urbain à pied ou en utilisant un moyen de transport
[Arnfield, 2003].
Estimation de la zone d’influence des capteurs
La zone d’influence des capteurs, autrement appelée zone source ou footprint, se
définit comme l’échantillon spatial que "voit" le capteur. En d’autres termes, c’est la
zone dont les propriétés thermiques sont apportées au capteur via transport turbulent
[Stewart, 2011]. Elle varie au court du temps, et dépend – entre autres – de la hauteur de
mesure, de la rugosité de surface, de la stabilité atmosphérique, du flux ou de la variable
climatique mesurée (figure 1.7). Du fait de la grande complexité et hétérogénéité de
l’environnement urbain, les footprints sont particulièrement difficiles à déterminer au
sein de la couche limite de canopée urbaine (cf. [Vesala et al., 2008] pour une revue
bibliographique sur cette problématique).
Il est néanmoins possible d’estimer la surface de ces zones sources via différents
types de modèles (appelés footprint models, cf. [Kljunet al., 2002] [Kljun et al., 2004]
❋✐❣✉r❡ ✶✳✼ ✿ ■❧❧✉str❛t✐♦♥ ❞✉ ❝♦♥❝❡♣t ❞❡ ③♦♥❡ s♦✉r❝❡ ❡♥ ♠✐❧✐❡✉ ✉r❜❛✐♥ ❬❙t❡✇❛rt✱ ✷✵✶✶❪✳
[Schmid, 2002]) ou via l’utilisation de lois empiriques. Cette dernière approche suggère
que la taille d’une zone source n’excède généralement pas quelques centaines de mètres
de rayon pour des mesures de température d’air à 2 mètres de hauteur [Stewart et Oke,
2012]. Elle peut présenter un rayon de 100 mètres en zone densément bâtie et un rayon
de 200 mètres en zone ouverte [Stewartet al., 2013].
Mesures fixes dans la couche limite de canopée urbaine
L’exploitation des données provenant de stations fixes est une méthode largement
utilisée dans le domaine de l’étude de l’ICU [Gartland, 2008]. De nombreuses
campagnes de mesures fixes ont été mises en œuvre (table 1.6), étudiant les phénomènes
physiques de l’échelle microclimatique à l’échelle mésoclimatique. Il s’avère que la
plupart de ces campagnes ne se focalisent pas uniquement sur la température d’air
dans la canopée urbaine. Elles intègrent d’autres problématiques, comme l’étude de la
dispersion des polluants atmosphériques ou l’analyse du profil vertical de température
d’air au sein de la couche limite urbaine [Mestayer et al., 2005] [Masson et al., 2008]
[Salamancaet al., 2011].
Nom Publications Villes concernées
Multi-city Urban
Hydrometeorological
Database (MUHD)
[Piringeret al., 2002],
[Grimmond et Oke, 2002]
7 villes nord américaines
Basle Urban Boundary
Layer Experiment
(BUBBLE)
[Fisheret al., 2005],
[Rotachet al., 2005]
Bâle
Expérience sur site pour
contraindre les modèles
de pollution
atmosphérique et de
transport d’émissions
(ESCOMPTE)
[Mestayeret al., 2005] Marseille
Canopy and Aerosol
Particles Interactions in
TOulouse Urban Layer
(CAPITOUL)
[Massonet al., 2008] Toulouse
Dual-use European
Security IR Experiment
(DESIREX)
[Salamancaet al., 2011] Madrid
❚❛❜❧❡ ✶✳✻ ✿ ❘é❝❡♥t❡s ❝❛♠♣❛❣♥❡s ❞❡ ♠❡s✉r❡ ✜①❡s ❡♥ ❝❧✐♠❛t♦❧♦❣✐❡ ✉r❜❛✐♥❡✳
Cette approche fixe utilise deux ou plusieurs stations positionnées dans
l’agglomé-ration étudiée, dont au moins une en milieu urbain et une en milieu rural. Installées de
façon permanente, les stations météorologiques fournissent une information sur le cycle
journalier de l’ICU, mais également sur les évolutions hebdomadaires, saisonnières et
pluriannuelles.
Il existe principalement trois approches différentes pour l’utilisation de données
issues de stations météorologiques fixes [Gartland, 2008] :
– La première vise à comparer uniquement deux stations, l’une en milieu urbain,
l’autre en milieu rural. Dans ce cas, la station urbaine doit être placée de façon
à être représentative de l’environnement urbain en matière de morphologie des
bâtiments, occupation du sol, matériaux urbains présents et chaleur anthropique
émise. La station rurale doit être représentative de l’ensemble de la périphérie de
la ville.
– Une seconde approche consiste à étudier un réseau de plusieurs stations
réparties dans l’agglomération afin d’obtenir une information spatiale concernant
la température d’air. Par extrapolation spatiale entre les différentes stations,
Échelles locale et microclimatique
- Vue aérienne à l’échelle 1 :5000
- Représentation de la ligne d’horizon
- Photos prises dans les directions des
points cardinaux
Échelle mésoclimatique
- Vue aérienne à l’échelle 1 :50000
- Position relative du site de mesure par
rapport à la zone urbaine (centre ville ou
périphérie)
- Orographie de la ville en générale et du
site de mesure en particulier
Échelle macroclimatique
- Coordonnées de l’agglomération
(lati-tude et longi(lati-tude)
- Position relative de l’agglomération
par rapport aux éléments géographiques
majeurs (littoral, chaîne de montagne,
plateau)
- Type de climat de l’agglomération
❚❛❜❧❡ ✶✳✼ ✿ ❊♥s❡♠❜❧❡ ❞❡ ♠ét❛❞♦♥♥é❡s r❡❝♦♠♠❛♥❞é❡s ♣♦✉r ✉♥ s✐t❡ ❞❡ ♠❡s✉r❡ ❬❖❦❡✱ ✷✵✵✹❪✱ ❬❖❦❡✱
✷✵✵✻❪✳
il est possible de placer des isothermes et d’obtenir une carte thermique de
l’agglomération.
– La troisième approche examine l’historique des données climatiques sur une ou
plusieurs stations afin d’analyser l’évolution temporelle de la température d’air
sur plusieurs mois ou plusieurs années. Cette démarche permet notamment
d’in-terroger la relation entre l’évolution de l’amplitude de l’ICU et le développement
de l’urbanisation.
Le nombre de stations disponibles étant fini, l’approche par mesures fixes fournit
une information en quelques points précis de la ville. Ainsi, cette approche n’offre
pas d’information détaillée concernant la distribution spatiale de la température d’air
dans l’agglomération. Par ailleurs, le réseau de stations étant établi a priori, il est
nécessaire de placer les stations de façon pertinente selon les objectifs de la campagne
d’étude. D’un point de vue pratique, il est souvent complexe d’implanter des stations
météorologiques en milieu urbain. Ainsi, Oke propose certaines recommandations afin
d’adapter les méthodes de mesures météorologiques classiques au contexte particulier
de la mesure dans l’environnement urbain [Oke, 2004] [Oke, 2006]. L’idée est d’effectuer
les mesures dans un site homogène du point de vue climatique et représentatif du
climat local.
Villes concernées Publications Méthode d’acquisition
Tokyo [Saitohet al., 1996] 3 voitures
Göteborg [Eliasson, 1996]
[Svensson, 2004]
1 voiture
Singapour [Goh et Chang, 1999] 1 voiture
Lodz [Klysik et Fortuniak, 1999] 5 voitures
Tel Aviv [Saaroniet al., 2000] 4 voitures
Szeged et Debrecen,
Hongrie
[Ungeret al., 2001] [Unger
et al., 2010]
1 voiture
Aix-la-Chapelle [Buttstädtet al., 2010] Réseau de bus
Leipzig [Schwarzet al., 2012] 1 piéton
Utrecht [Brandsma et Wolters,
2012]
1 vélo
Rotterdam [Heusinkveldet al., 2014] 2 vélos
❚❛❜❧❡ ✶✳✽ ✿ ❙é❧❡❝t✐♦♥ ❞✬ét✉❞❡s ✐♠♣❧✐q✉❛♥t ❧❛ ♠❡s✉r❡ ♠♦❜✐❧❡ ❡♥ ❝❧✐♠❛t♦❧♦❣✐❡ ✉r❜❛✐♥❡✳
La zone source des sites de mesure se doit d’être homogène et représentative
de l’échelle locale – en matière de hauteur moyenne des bâtiments, densité bâtie,
occupation des sols, matériaux. Il s’agit également de réaliser la mesure à une hauteur
et dans une configuration adéquates en s’isolant les phénomènes physiques ponctuels
(par exemple courant d’air ou ombre portée). En émettant l’hypothèse que le brassage
d’air vertical du aux turbulences autour des obstacles urbains est suffisant pour obtenir
une valeur moyenne pour la température d’air, celle-ci peut être mesurée entre 1,25
et 2 mètres de hauteur [Oke, 2004]. Il est essentiel d’éviter de placer les stations hors
de la couche limite de canopée urbaine (par exemple sur les toits), et d’effectuer les
mesures sur un site possédant un Rapport d’aspect représentatif de l’environnement
urbain à l’échelle locale. Il est également recommandé de créer un historique du site
de mesure ou du parcours, afin de pouvoir identifier les changements que celui-ci
pourrait connaître durant la période de mesure, ainsi que de recueillir les métadonnées
indiquées dans la table 1.7.
Mesures mobiles dans la couche limite de canopée urbaine
La mesure mobile de variables climatiques s’est développée en parallèle des
approches de mesures fixes [Gartland, 2008]. Le principe est d’établir puis d’effectuer
un itinéraire à l’intérieur et aux abords d’une agglomération. Ces mesures mobiles sont
réalisées à pied ou en utilisant un moyen de transport individuel (comme par exemple
un vélo ou une voiture) ou collectif (comme par exemple un bus ou un tramway) (table
1.8).
La mesure mobile peut être pratiquée à tout moment, et peut atteindre une haute
densité spatiale en termes de points de mesure. Elle permet ainsi d’étudier la variation
de température d’air dans la couche limite de canopée urbaine à l’échelle de quelques
dizaines de mètres. La quasi totalité des rues de l’agglomération peuvent théoriquement
être parcourues, il est donc possible d’avoir accès à une très grande partie de la zone
urbanisée. De plus, cette approche présente un coût plus modeste que l’approche par
mesures fixes.
En utilisant un seul véhicule ou capteur, la mesure mobile ne permet pas de mesurer
les variables climatiques de façon synchrone à différents points de l’agglomération.
Ainsi, la température d’air régionale peut varier de quelques degrés entre le début et
la fin du trajet. Afin de pallier ce problème, les données provenant de mesures mobiles
sont ajustées temporellement sur la base d’une température de référence relevée au
moment du début et de la fin du trajet. Il est également possible d’utiliser plusieurs
véhicules ou capteurs, cependant cela augmente le coût de la campagne de mesure et
demande de mobiliser une plus grande équipe d’opérateurs. Dans le cas de l’utilisation
d’un véhicule motorisé, les capteurs de température sont placés loin des sources de
chaleur de celui-ci.
La mesure mobile s’effectue dans une rue, de fait les zones non accessibles par
le moyen de transport choisi ne sont automatiquement pas étudiées (par exemple les
cœurs d’îlot). De plus, celle-ci se pratique systématiquement au dessus d’une surface
imperméable, ce qui dans certains cas n’est pas représentatif du milieu à l’échelle locale
(par exemple les zones non urbanisées).
Dans le document
Caractérisation des îlots de chaleur urbain par zonage climatique et mesures mobiles : Cas de Nancy.
(Page 68-74)