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CHAPITRE 3 Matériau, échantillons et méthodes

3.3 Méthodes de caractérisation

3.3.4 Mesures de la charge d’espace - Méthode de l’Onde Thermique

3.3.4.1 Principe de mesure en court-circuit

La méthode de l’onde thermique (MOT) [TOUREILLE1987, TOUREILLE1990] consiste à mesurer un courant capacitif après l’application d’un échelon de température positif ou négatif sur l’une des faces d’un échantillon (figure 3.15). Ce courant est généré dans un circuit externe suite à la variation des charges d’influence présentes aux électrodes.

Figure 3.15 : Principe de la méthode de l’onde thermique :

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En effet, l’application de l’excitation thermique va entraîner une diffusion du flux thermique dans le volume de l’isolant. Cette diffusion va conduire à une dilatation ou une contraction non-uniforme du matériau (modifiant ainsi légèrement la position de la charge d’espace par rapport aux électrodes) et à une variation locale de sa permittivité, ce qui va créer une redistribution des charges d’influence au niveau des électrodes. Cette méthode permet d’établir, à partir du courant mesuré, la distribution de la charge d’espace dans l’épaisseur de l’isolant. Elle présente l’avantage d’être adaptée aux échantillons à la fois minces et épais, tant en configuration plane qu’en géométrie cylindrique.

Considérons une plaque isolante d’épaisseur 𝑑 et de surface 𝑆, munie d’électrodes connectées en court-circuit à la température 𝑇0. La plaque est supposée de longueur infinie (d ≪ √S ) et le matériau homogène, c’est-à-dire que le champ électrique y est considéré constant dans un plan parallèle aux électrodes. Soit une charge 𝑄𝑖 présente dans l’échantillon à la profondeur 𝑥𝑖. Ce plan chargé induit des charges d’influence 𝑄1 et 𝑄2 sur les électrodes, car le système échantillon/électrode/fil est en équilibre électrostatique (figure 3.15.a). Les expressions de ces charges d’influence sont obtenues à l’aide de :

La condition de court-circuit :

∫ 𝐸(𝑥)𝑑𝑥 = 0

𝑑

0

(3.10)

 La loi de la conservation de la charge électrique :

𝑄1+ 𝑄2+ 𝑄𝑖= 0 (3.11)

 La conservation du déplacement électrique aux interfaces électrode/diélectrique :

𝑑𝑖𝑣𝑠(𝜀𝐸⃗⃗) = 𝑄/𝑆 (3.12)

D’où les expressions ci-après des charges d’influence : 𝑄1= −𝑑 − 𝑥𝑖

𝑑 𝑄𝑖 (3.13)

𝑄2= −𝑥𝑖

𝑑𝑄𝑖 (3.14)

En appliquant un échelon de température 𝛥𝑇 sur l’une des faces de l’échantillon, le front thermique 𝛥𝑇(𝑥, 𝑡) = 𝑇(𝑥, 𝑡) − 𝑇0 va diffuser dans l’échantillon et générer des variations locales de permittivité et d’abscisses (dilatation ou contraction) qui s’écrivent (au premier ordre) :

𝜀 = 𝜀𝑇0(1 + 𝛼𝜀∆𝑇) (3.15)

𝑑𝑥 = 𝑑𝑥0(1 + 𝛼𝑑∆𝑇) (3.16)

où 𝛼𝜀 et 𝛼𝑑 sont respectivement le coefficient de variation de la permittivité et le coefficient de dilatation :

𝛼𝜀=1 𝜀 𝑑𝜀 𝑑𝑇 𝛼𝑑= 1 𝑥 𝑑𝑥 𝑑𝑇

En effet, la température a un double impact dans l’échantillon : d’une part, elle entraîne une dilatation ou une contraction du matériau, qui rend les abscisses dépendantes de la température, et d’autre part, la permittivité est dépendante de la température locale.

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Ces variations d’abscisses et de permittivité avec la température vont entraîner des modifications des charges d’influence (figure 3.15.b), qui s’expriment par :

𝑄1(𝑡) = −𝑄𝑖𝑥𝑑𝜀(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥 𝑖0𝑑𝜀(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥 (3.17) 𝑄2(𝑡) = −𝑄𝑖0𝑥𝑖𝜀(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥0𝑑𝜀(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥 (3.18) En posant 𝛼 = 𝛼𝑑− 𝛼𝜀 = −1 𝐶 𝑑𝐶

𝑑𝑇 et avec les relations décrites précédemment, on obtient l’expression de 𝑄2(𝑡) [CERNOMORCENCO2008] : 𝑄2(𝑡) = −𝑄𝑖𝑥𝑖 𝑑[1 + 𝛼 𝑥𝑖∫ 𝛥𝑇(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥 𝑥𝑖 0𝛼 𝑑∫ 𝛥𝑇(𝑥, 𝑡)𝑑𝑥 𝑑 0 ] (3.19)

Le courant mesuré dans le circuit externe, appelé courant d’onde thermique (ou courant MOT), est dû à la variation des charges d’influence :

𝐼𝑀𝑂𝑇(𝑡) = −𝑑𝑄2(𝑡)

𝑑𝑡 (3.20)

En généralisant la charge 𝑄𝑖 à une densité volumique de charge 𝜌, le terme 𝑄𝑖 peut être remplacé par l’expression 𝑄𝑖 = 𝑆 ∫ 𝜌0𝑑 𝑐(𝑥)𝑑𝑥, avec 𝜌𝑐(𝑥) = 𝜀𝑑𝐸(𝑥)

𝑑𝑥 la densité volumique de charge à l’abscisse 𝑥 dans une couche plane d’épaisseur 𝑑𝑥.

Par intégration sur toute l’épaisseur de l’échantillon isolant, le courant total dans le circuit s’exprime par [CERNOMORCENCO2008] : 𝐼𝑀𝑂𝑇(𝑡) = −𝛼𝐶 ∫ 𝐸(𝑥)𝜕∆𝑇(𝑥, 𝑡) 𝜕𝑡 𝑑𝑥 𝑑 0 (3.21)

où 𝐶 est la capacité électrique de l’échantillon avant l’excitation thermique.

Le courant d’onde thermique peut être mesuré à l’aide d’un amplificateur de courant. Son amplitude dépend de la quantité et de la distribution de charge stockée dans l’échantillon, mais aussi des paramètres physiques du matériau. En pratique, la valeur du courant varie de quelques picoAmpères à quelques microAmpères (dans le cas de capacités élevée comme celles des câbles avec des longueurs importantes).

Connaissant à chaque instant la valeur du courant et de la distribution spatiale de la température, les valeurs de la charge et sa répartition peuvent être déterminées par traitement mathématique [CHERIFI1992, NOTINGHER2001, NOTINGHER2009].

Du point de vue expérimental, l’échelon thermique est créé soit par la circulation d’un liquide froid (ou chaud) dans un radiateur sur lequel est posé l’échantillon à tester (figure 3.16), soit par la génération d’un courant dans une des électrodes (cas des câbles chauffés par effet Joule).

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Figure 3.16 : Dispositif expérimental de la MOT en géométrie plane [MARTINEZ2010]

3.3.4.2 Mesure sous champ électrique appliqué continu

Pour les mesures sous haute tension continue, le dispositif de base de la MOT présente deux principaux inconvénients : l’amplificateur de courant ne doit pas être en contact avec la source haute tension et le courant d’onde thermique est susceptible d’être masqué par les courants de conduction et de polarisation pouvant survenir pendant l’application de la tension. Une solution à ces problèmes est l’utilisation d’un échantillon de « compensation », de mêmes dimensions et donc de même valeur de capacité que l’échantillon à tester, placé en opposition par rapport à ce dernier [MARTINEZ2010].

Le dispositif de mesure est alors constitué de l’échantillon de compensation, dont un côté est connecté à l’amplificateur de courant et l’autre à l’échantillon de mesure par l’intermédiaire d’une électrode, créant ainsi un double condensateur, en série avec l’échantillon de mesure placé sur le diffuseur thermique. Le potentiel est appliqué sur l’électrode centrale et l’échelon de température sur l’autre côté de l’échantillon à tester.

La mesure sous champ appliqué est alors réalisée en deux étapes :

 La phase de conditionnement : le potentiel est appliqué sur l’électrode centrale et l’amplificateur de courant est court-circuité (fig. 3.17.a). Ainsi, les deux échantillons forment un système de deux condensateurs identiques placés en parallèle.

La phase de mesure : la source de tension est déconnectée. Le courant d’onde thermique est obtenu en excitant thermiquement, via le diffuseur thermique, l’échantillon à étudier (fig. 3.17.b).

Figure 3.17 : Méthode de l’onde thermique sous champ appliqué [TOUREILLE2009]

Le courant mesuré dans le circuit externe est donné par la relation [MARTINEZ2010] :

𝐼𝑀𝑂𝑇(𝑡) = −𝛼𝐶2∫ 𝐸(𝑥)𝜕∆𝑇(𝑥, 𝑡)

𝜕𝑡 𝑑𝑥

𝑑

0

(3.22)

avec 𝐶2 la capacité de 2 condensateurs identiques en série vue par l’amplificateur de courant : 𝐶2 = 𝐶/2.  Haute Tension Electrode de mesure Diffuseur thermique Echantillon de compensation Echantillon de mesure

(a) application de la haute tension

pA Echantillon de compensation Electrode de mesure Diffuseur thermique I (t) T T Echantillon de mesure (b) mesure du signal

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En supposant un échantillon de mesure vierge (sans charge d’espace), auquel on applique un faible champ, le champ électrique dans l’échantillon peut être considéré comme constant : 𝐸 = 𝑉/𝑑. Dans ce cas, le signal mesuré devient proportionnel à la tension appliquée 𝑉 et peut être utilisé comme courant d’étalonnage pour le traitement mathématique du signal mesuré :

𝐼𝑀𝑂𝑇(𝑡) = −𝛼𝐶2𝑉 𝑑 𝜕∆𝑇(𝑥, 𝑡) 𝜕𝑡 𝑑𝑥 𝑑 0 (3.23)

Si l’échantillon contient déjà des charges d’espace responsables d’un champ interne résiduel 𝐸𝑟(𝑥), et si un champ électrique externe est appliqué au matériau (𝐸𝑒 = 𝑉/𝑑 ne modifiant pas la distribution de la charge d’espace), le champ total dans l’échantillon devient 𝐸(𝑥) = 𝐸𝑟(𝑥) + 𝐸𝑒. L’équation (3.23) peut alors être écrite sous la forme :

𝐼𝑀𝑂𝑇(𝑡) = −𝛼𝐶2∫[ 𝐸𝑟(𝑥) + 𝐸𝑒]𝜕∆𝑇(𝑥, 𝑡) 𝜕𝑡 𝑑𝑥 𝑑 0 = 𝐼0(𝑡) − 𝛼𝐶2𝑉 𝑑 𝜕∆𝑇(𝑥, 𝑡) 𝜕𝑡 𝑑𝑥 𝑑 0 = 𝐼0(𝑡)+𝐼𝑓(𝑡) (3.24)

où 𝐼0(𝑡) est le courant dû à la charge d’espace résiduelle et 𝐼𝑓(𝑡) le courant dû au champ électrique externe appliqué.

Le principe de mesure décrit ci-avant sur des échantillons de type plaques peut également être appliqué aux dispositifs cylindriques [AGNEL2001]. Cela fera l’objet d’une section du Chapitre 4.

Il est à noter que, si elle est utilisée dans une gamme de température proche de la température ambiante, cette technique présente l’avantage d’être non destructive, car elle ne modifie pas la structure du matériau et n’engendre pas de processus de décharge ou de dépolarisation (et donc ne modifie pas l’état électrique de l’échantillon pendant la mesure). Ceci permet de suivre l’évolution de la charge d’espace en fonction de différents paramètres (contrainte électrique, durée de mise sous contrainte, contrainte thermique, …).