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Mesure du travail des enfants et difficultés conceptuelles

CHAPITRE III : ARBITRAGE ENTRE EDUCATION ET TRAVAIL DES ENFANTS

2. Mesure du travail des enfants et difficultés conceptuelles

La mesure du travail des enfants est loin d’être un exercice qui fait consensus. L’absence d’un cadre méthodologique commun aboutit à l’impossibilité de créer un indicateur homogène acceptable et utilisable par tous. Le plus souvent, les auteurs orientent leur choix méthodologique dans le sens de la question étudiée. Néanmoins, dans cette étude nous essayons de partir du cadre conceptuel adoptés par des organismes internationaux qui, pour la plupart, luttent activement contre certaines formes de travail des enfants. En effet, le concept "travail des enfants" est un concept très marqué par des considérations juridiques et légales51. Les normes internationales tentent à définir celui-ci à travers ses conséquences et préjudices d’ordre mental, physique, social et même moral. Le tableau 3.1 suivant présente les différents concepts et définition adoptés dans certaines grandes enquêtes internationales.

51

Références faites aux Convention des droits de l’enfant (CRC) des Nations Unies (1989) ; Conventions n°138

Tableau 3.1 : Concepts et définition du travail des enfants dans les enquêtes internationales

Enquête Organisation Concepts Définitions

-Statistical Information and Monitoring Programme on Child Labour (SIMPOC) Organisation internationale du travail (OIT)

Travail des enfants

Tout enfant, âgé de 5 à 17 ans, étant économiquement occupé en

dessous de l’âge minimum d’admission à l’emploi, ou exerçant

l'une des pires formes de travail des enfants. Sont exclus de cette définition les enfants dans des travaux légers autorisés et les enfants exerçant des activités non économiques

Enfants exerçant des activités productives

Tout enfant, âgé de 5 à 17 ans, qui exerce une des activités relevant du domaine de la production générale telles que définies par le Système de comptabilité nationale (SCN). Les enfants exerçant des activités productives se répartissent alors entre ceux exerçant des activités économiques et et ceux exerçant des activités non économiques.

Travail dangereux

Tout enfant, âgé de 5 à 17 ans, qui exerce l'une des activités suivantes : (a) Exposition à des sévices physiques,

psychologiques, ou sexuels (b) activité exercée sous terre, sous

l’eau, à des hauteurs dangereuses, ou dans des espaces confinés, (c) activité exercée à l’aide de machines, d’équipements, d’outils

dangereux et de lourdes charges, (d) activité exercée dans un environnement malsain, soumis à des substances dangereuses ou des conditions de température, de bruit ou de vibrations préjudiciables à la santé, (e) activité nécessitant de longues heures de travail, de travailler la nuit, ou de travailler dans

d’autres conditions particulièrement difficiles.

-Multiple Indicator Cluster Surveys (MICS) -Demographic and Health surveys (DHS)

Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF)

Travail des enfants

Pourcentage d'enfants de 5 à 14 ans impliqués dans des activités économiques la semaine précédant l'enquête. Un enfant est considéré comme impliqué dans des activités économiques si : (a) il a entre 5 et 11 ans et a effectué au moins une heure de travail économique ou 28 heures de travail économique la semaine précédant l'enquête.

(b) il a entre 12 et 14 ans et a effectué au moins 14 heures de travail économique ou 28 heures de travail économique la semaine précédant l'enquête.

-Living Standards Measurement Study (LSMS) Banque mondiale Enfants économiquement actifs

5-14 ans : au moins une heure de travail économique dans la semaine de référence.

Source : Auteur, adapté de Boutin (2012)

Nous partons du cadre défini par l’OIT qui fait référence aux activités « productives » et en y intégrant quelques nécessaires ajustements. D’abord on considère comme productif, tout enfant, âgé de 5 à 17 ans, exerçant des activités qui relèvent du domaine de production délimité par le système de comptabilité nationale (SCN93). Cette notion de travail productif autorise une répartition de la notion du travail entre une composante dite « économique » et une composante « non économique ». La différence entre les activités économiques et non économiques se trouve résumée sur la figure 3.1 suivante.

Figure 3.1 : Classification des activités des enfants

Sources : OIT (2008)

L’avantage cette définition est double. D’une part, elle autorise la distinction entre deux types d’activités qui ne répondent pas nécessairement à la même logique dans les décisions et les choix des ménages. Par exemple dans les activités économiques (travaux agropastoraux au sein ou non du ménage, travail informel dans une entreprise au sein ou non du ménage, les petits commerces ou travail salarié), la participation des enfants permet de dégager des revenus directs ou indirects pour le ménage. Quant aux travaux dits non-économiques, bien qu’ils ne génèrent pas directement de revenus pour le ménage, ils occupent une place centrale dans la vie du ménage et les omettre conduirait à une forte sous-estimation de la participation des enfants aux travaux. Les activités non-économiques comme les tâches ménagères, si elles sont confiées aux enfants, peuvent, par exemple, permettre aux adultes d’aller sur le marché du travail et dégager des revenus. Donc, choisir d’affecter du travail domestique à un enfant peut procéder d’une logique économique de la part du ménage.

D’autre part, le choix de la classe d’âge de 5-17 ans permet un élargissement de l’échantillon couvrant à la fois les enfants en âge de scolarisation primaire et secondaire.

Nous considérons donc qu’un enfant participe aux activités productives s’il exerce soit une activité économique, soit une activité non économique ou les deux à la fois. Cependant, c’est la mesure de cette variable de participation qui est sujette à divergence. Par exemple certaines études considèrent le nombre d’heures pour analyser le travail des enfants, tandis que d’autres utilisent une variable binaire oui-non traduisant simplement le fait de participer (voir exemples ci-dessous, tableau 3.2)

Tableau 3.2 : Exemples de mesure du travail de l’enfant et du niveau de vie du ménage

Auteur Echantillon Enfant Mesure du travail Proxy de la pauvreté

Dumas (2012) Madagascar 6-13ans Nbre d'heures économiques sur les 12 derniers mois

Indice de la richesse à partir des biens durables

Levison (2010)

Malawi

(2004) 5-14ans

Nbre d'heures /jour (activités domestiques incluses)

Dépenses par tête et surface des terres par tête

Lachaud (2008)

Madagascar

(2005) 6-17ans

Participation aux activités économiques (oui/non)

Revenu des adultes par tête, sans la contribution des enfants

Cogneau et Jewad (2008)

Côte d'Ivoire (1986-88 et 1993)

9-15ans Participation aux activités économiques (oui/non)

Dépenses par tête (valeurs constantes de 1988) Beegle, Deheija et Gatti (2006) Tanzanie, (1991- 1994) 7-15ans

Nbre total d'heures (activités

domestiques incluses) Liste des biens des ménages

Ray (2003) Ghana (1988-1989)

10-14ans

Nbre total d'heures de travail activités économiques

Ligne de pauvreté (50% de la médiane de la distribution des revenus des adultes)

Levison, Moe, et Knaul (2001) Mexique (1996) 12-17ans

Participation aux activités (activités domestiques inclues et exclues) (oui/non)

Liste des biens et actifs Canagarajah

et Coulombe (1997)

Ghana

(1987-1996) 7-14ans

Participation aux activités

économiques (oui/non) Dépenses par tête Source : auteur.

Dans cette étude, nous utilisons essentiellement des variables binaires en prenant un seuil de participation de 1h/jour. Nous considérons ainsi qu’un enfant est actif si son temps de travail est supérieur à une 1h/jour. Ce choix méthodologique, bien que pouvant être sujet à discussion, est celui qui nous apparait le plus pertinent notamment par rapport aux "seuils juridiques" généralement adoptés par les organismes internationaux dans la lutte contre le travail des enfants. L’inconvénient pour nous d’utiliser ici les seuils juridiques c’est qu’ils aboutissant à confondre le concept du travail des enfants dans sa généralité au concept de travail illégal. En effet, l’OIT ne définit aucun critère à partir duquel on considère qu’un enfant "travaille". En revanche dans les enquêtes LSMS de la Banque Mondiale, on considère qu’un enfant est économiquement actif s’il exerce une durée minimale de 1 h/semaine. Quant

au statut de participation aux travaux non-économiques, certains rapports comme UCW(2010) suggèrent (sans que cela soit une norme) d’intégrer ces activités dans les mesures du travail à partir de 28 heures par semaine soit 4 heures par jour (voir UCW, 2010, p.11). Tous ces raisonnements, laissent place quelque peu à l’arbitraire dans le choix de la construction de la variable de participation au travail.

Ici nous tentons de fixer le seuil d’activité en partant de la notion de « Travail non

qualifié de dangereux » selon la convention n°138 de l’OIT. Cette convention définit deux grandes catégories de travail de l’enfant. La première catégorie dite travaux non dangereux représente tous les travaux dont la durée d’exécution est inférieure à 43 heures par semaine mais qui ne peuvent pas par nature rentrer dans la catégorie des pires formes de travail. Alors que la seconde catégorie (les pires formes) représente aussi bien tous les travaux dont la durée est supérieure à 43 heures par semaine et tout travail pouvant par nature être qualifié de pire (exploitation, etc…). La figure ci-dessous illustre cette classification.

Figure 3.2 : Les différents concepts du travail des enfants

La catégorie des travaux non-dangereux est constituée de trois principaux sous-groupes :

formes de travail exclues ; travaux légers ; autres formes de travail non dangereux. Les deux

premiers sous-groupes représentent tous les travaux dont la durée est inférieure à 14 heures par semaine (soit 2 heures par jour). Ces deux sous-catégories restent donc autorisées pour tous les enfants de plus de 12 ans mais c’est uniquement la première sous-catégorie qui est tolérée pour les enfants de moins de 11 ans. Ce qui veut donc dire que même les travaux dits « légers » sont interdits pour ces enfants de moins de 11 ans.

La convention n°138 définit les travaux légers comme « des activités relevant de la

production économique, ne dépassent pas 14 heures hebdomadaires et exclut du champ du travail des enfants à condition que ceux-ci: a) ne soient pas susceptibles de porter préjudice à leur santé ou à leur développement; et b) ne soient pas de nature à porter préjudice à leur assiduité scolaire, à leur participation à des programmes d’orientation ou de formation professionnelles approuvés par l’autorité compétente ou à leur aptitude à bénéficier de l’instruction reçue » (OIT,2008).

La zone bleue sur cette figure 3.2 correspond à tous les types de travaux d’enfants à combattre tandis que la zone en violet représente les formes tolérées de travail. Cependant, nous faisons toutefois attention à ne pas confondre « travail toléré » et « absence de travail ». C'est-à-dire que même si le travail des enfants de 15-17 ans est toléré dans la limite de 43heures par semaine (environ 6 heures par jour), cela ne signifie pas pour autant qu’un enfant qui travaille même 1 heure par jour ne peut pas être considéré comme travailleur. Par conséquent, les seuils juridiques ne sont pas des seuils à partir desquels on considère qu’un enfant travaille, mais plutôt des seuils indiquant à partir de quel niveau le travail de l’enfant est considéré comme illégal donc à combattre. En effet partant du principe que tout travail au-delà de ces seuils devrait être aboli car considéré comme préjudiciable pour l’enfant, mais le caractère préjudiciable d’un type de travail n’est pas seulement déterminé en fonction de sa durée d’exécution, il est aussi fonction de sa nature propre et des conditions dans lesquelles ce travail est effectué. Par exemple, le seuil légal de 14 heures par semaine (2 heures par jour) n’est valable que si l’enfant a entre 12 et 14 ans, que l’activité menée est de nature économique et que cette activité n’est pas définie hors du champ des formes exclues de travail

et des travaux légers. Le cas échéant, les conditions de travail doivent être conformes aux

règlementations définies (voir OIT, 2008). Par contre, aucune forme ou durée de travail n’est tolérée pour les enfants de 5-11ans à l’exception des travaux dits exclus qui sont

égal à zéro. Au final, la définition de l’OIT permet de déterminer quel(le) type (durée) de travail est autorisé(e) ou non et pour quelle catégorie d’enfant mais elle ne fixe aucun seuil à partir duquel on considère qu’un enfant travaille (variable binaire de participation).

Dans cette étude, même si nous considérons d’emblée que les activités que nous avons recensées ne font pas partie de la catégorie des pires formes de travail52, nous ne pouvons pas fixer nos seuils en fonction des seuils légaux pour plusieurs raisons. D’une part, il ne s’agit pas pour nous d’analyser la relation entre le travail "illégal" et la scolarisation des enfants ; puisque fixer nos seuils à partir des seuils légaux revient à considérer qu’un enfant travaille si son temps de travail dépasse le seuil légal. Un tel indicateur n’est pertinent que dans l’optique d’une mesure de l’incidence du travail illégal des enfants, ce qui est assez éloigné de notre problématique. Nous nous intéressons au phénomène du travail des enfants dans sa généralité.