• Aucun résultat trouvé

Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

Nous proposons dans les articles précédents d’utiliser un modèle de solution solide unique pour les phengites et les argiles dioctaédriques alumineuses. Les argiles contenant une part importante d’eau interfoliaire, et étant des précurseurs à la cristallisation des phengites, il est logique de se poser la question de l’hydratation de ces dernières. Notre modèle de solution solide prévoit que les phengites puissent être hydratées dans la limite imposée par leurs lacunes en cation interfoliaire. Il est en effet supposé que les molécules d’eau libre soient incorporées dans les phengites en position de la lacune interfoliaire. Les phengites ont généralement un contenu en lacunes interfoliaires faible, et de ce fait ne peuvent pas incorporer beaucoup d’eau libre selon ce modèle, à la différence des smectites dont le gonflement permet une augmentation du nombre de positions interfoliaires.

Il a de plus été noté précédemment que la technique de la thermobarométrie par équilibres locaux chlorites - phengites connaît un artefact, l’apparition d’équilibres à très haute pression et basse températures en cas d’omission de l’hydratation possible des lacunes interfoliaires. Cet artefact, déjà été identifié (par exemple par Vidal et al. (2006)), est relié aux réactions qui impliquent la pyrophyllite. Il survient lorsque le contenu apparent en pyrophyllite des phengites est élevé.

Une analyse critique de cet artefact a tout d’abord conduit ces auteurs à suggérer la présence significative d’argiles dans les phengites analysées, toutes tardives. Un mélange smectites + phengites a une composition déficitaire en somme octaédrique. En interprétant cette composition comme un mélange de pyrophyllite (déshydratée) et pôles purs des phengites, on calcule une proportion importante de pyrophyllite, l’activité thermodynamique de ce pôle est donc très élevée. Les équilibres chlorites - phengites indicateurs des conditions de P (c’est à dire les équilibres dont la pente dans le diagramme P-T est faible) impliquent les céladonites et la pyrophyllite du côté des hautes P. Une augmentation de l’activité de pyrophyllite entraîne donc le déplacement de l’équilibre vers les HP. Les P calculées avec des micas fortement lacunaires sont donc toujours élevées. Prendre en compte l’hydratation des lacunes conduit à baisser très rapidement l’activité de pyrophyllite. Ces mêmes auteurs ont ensuite procédé à l’analyse in-situ par diffraction de rayons X des minéraux incriminés : la présence de smectites dans l’échantillon n’a pas été décelée. L’intercalation d’argiles

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

conduisant à la pollution de la mesure microsonde n’est donc pas responsable de l’apparition de cet artefact.

L’hypothèse de l’hydratation de ces phengites lacunaires doit alors être envisagée. Nous proposons dans le présent chapitre de tenter une mesure de l’état d’hydratation de phengites métamorphiques tardives, déformées, par absorbance de rayons infrarouges. Nous espérons être capable de mesurer de l’eau libre dans une phengite et trouver une relation inverse entre état d’hydratation et contenu interfoliaire. Pour des raisons techniques liées à la préparation de l’échantillon, nous n’avons pas pu travailler sur l’échantillon de Sambagawa étudié par Vidal et al. (2006). Nous avons sélectionné un échantillon provenant des Schistes Lustrés, unité alpine très étudiée. L’échantillon comporte de nombreuses phengites, clivées et déformées, et l’unité des Schistes Lustrés contient des phengites très lacunaires de HP-BT (Agard et al., 1999). Ces analyses ont été brièvement présentées dans l’article #2.

1. Technique d’analyse

La spectroscopie infrarouge est un outil efficace pour déterminer l’environnement local des cations dans les minéraux. Cet outil permet entre autres d’identifier la présence d’eau dans un échantillon géologique. La technique que nous avons utilisée consiste en la mesure de l’absorbance d’un échantillon dans une gamme de longueur d’onde du spectre infrarouge. L’échantillon est traversé par le faisceau infrarouge et en absorbe une partie ; le spectre récolté est fonction de la composition à l’échelle moléculaire de l’échantillon que le faisceau a traversé. La présence de groupement hydroxyles est facile à identifier, et l’on peut différencier eau structurale, eau libre et eau interfoliaire, du moins dans les micas et les argiles (Besson et Drits, 1997a et 1997b).

La microscopie infrarouge a pour principe de combiner l’utilisation d’un microscope et d’un spectromètre IR. Cela permet de visualiser l’échantillon afin de sélectionner les zones à analyser facilement et de procéder à son analyse cartographique. Un spectre est acquis pour chacun des pixels, ce qui permet la représentation cartographique des absorbances IR.

La mesure de l’absorbance IR requiert de travailler en transmission, sans traverser de verre (pour ne pas rajouter d’élément absorbant) ni de colle (qui contiennent des liaisons OH). Pour ces raisons, nous avons collé un sucre de roche d’environ 1 mm d’épaisseur sur une lame mince de verre percée pour laisser le faisceau traverser. Nous avons donné une géométrie très

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

rencontrer des phengites. L’échantillon a ensuite été patiemment poli afin d’obtenir l’épaisseur minimale au dessus de la tranchée sans pour autant que les joints de grains ne se désolidarisent et que l’échantillon ne se brise. Une dizaine de tests ont été effectués, il n’a pas

été possible de réduire l’échantillon en dessous d’une épaisseur de 55-60 µm sans en détruire

la cohésion. Cette épaisseur est trop importante pour pouvoir quantifier correctement la mesure, mais ne perturbe pas l’analyse qualitative.

Nous avons procédé aux mesures à l’E.S.R.F. (European Synchrotron Radiation Facility), sur la ligne ID21 (www.esrf.fr/UsersAndScience/Experiments/Imaging/ID21, Susini et al. 2007), avec V. De Andrade. Le faisceau issu du rayonnement synchrotron est polychromatique. Sa luminosité très élevée permet de réduire sa dimension jusqu’à la limite de diffraction (quelques microns pour les infrarouges). La cartographie dans le spectre

infrarouge (de 1500 à 5000 cm-1) a été réalisée avec un microscope Nicolet Continumm

couplé à un spectromètre Nexus. Une image de 33 x 117 spectres a été obtenue, sur une zone

de 580 x 210 µm. La taille du faisceau était fixée à 5x5 µm2.

La même phengite a été analysée à la microsonde électronique au LMTG à Toulouse. Une cartographie des éléments alcalins a été effectuée en conditions d’analyse ponctuelle. Une image a été assemblée par la superposition de profils.

Quelques analyses semi-quantitatives au Microscope Electronique à Balayage (réalisées à l’E.S.R.F.) ont également été réalisées.

Figure 1 : Spectre d’absorbance cumulée sur toute la zone d’étude. Trois bandes de vibration ont été repérées et identifiées, elles correspondent aux bandes illustrées en Figure 2.

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

2. Résultats

Les analyses microsonde et MEB ont permis de déterminer que la phengite a une

composition moyenne Na<0.02K0.83Fe2+0.12Mg0.36Al1.93Si3.6O10(OH)2. La phengite analysée est

donc plutôt riche en lacunes interfoliaires (son contenu en pyrophyllite, calculé selon le modèle de Parra et al. 2000, est égal à 16% environ). Elle présente des variations limitées en cations interfoliaires, dont la somme est comprise entre 0.80 et 0.87.

La Figure 1 présente le spectre d’absorbance obtenu, cumulé sur toute la zone d’étude. Nous avons représenté trois bandes de vibration qui correspondent aux constituants d’intérêt. Ces bandes de vibration ont été sélectionnées pour image au mieux les différentes phases (Figure 2). La calcite est présente dans l’échantillon, elle a été représentée en Figure 2 par la

bande de vibration dont le pic se situe à 2516 cm-1. Cette bande est décrite par Pokrovsky et

al. (2000) comme due à la combinaison de modes de vibrations internes et réticulaires.

Les phengites sont représentées en Figure 1 et Figure 2 par la large bande de vibration

centrée sur 3600 cm-1. Cette bande correspond à la vibration d’étirement des groupements

hydroxyles liés aux cations en position octaédrique (Besson et Drits 1997, Madejová 2003, Zviagina et al. 2004).

Madejová (2003) a observé un épaulement dans le spectre aux alentours de 3250 cm-1

attribué à l’eau venue hydrater les cations, c’est à dire former des liaisons hydrogènes avec eux. La même bande a été calculée par dynamique moléculaire par Gordillo et al. (2002) ; elle a également été observée par Besson et Drits (1997) et Zviagina et al. (2004), accompagnée

d’un épaulement vers 3420 cm-1 moins visible sur notre échantillon. Madejová (2003) a noté

que le chauffage de l’échantillon à 50°C pouvait déplacer la bande à 3250 cm-1 vers les plus

hauts nombres d’onde.

Les autres bandes de vibration observables en Figure 1 ne montrent pas la présence de phases insoupçonnées. Elles n’ont pas été utilisées pour la représentation car elles se superposent plus ou moins les unes aux autres et compliquent la visualisation.

Les trois bandes de vibration sélectionnées permettent de différencier clairement la calcite des phengites (Figure 2). On voit également en Figure 2 F) que l’échantillon contient de l’eau liée aux cations par des liaisons hydrogènes. Cette eau est clairement associée aux phengites. Il est très important de noter que l’eau n’est pas associée aux joints de grains, mais qu’elle se trouve en quantités variables au sein même des phengites.

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

La cartographie en éléments alcalins est présentée en Figure 2 C). Il y apparaît que la phengite n’a pas une teneur homogène en alcalins (soit, en cations interfoliaires). Les variations les plus importantes observées en Figure 2 C) sont reliées aux joints de grains, mais on voit des variations fines au sein de la phengite. Il existe plusieurs zones (au milieu à droite

et en bas à gauche) de la phengite où Na2O et K2O sont moins présents, ainsi qu’une

variabilité à l’échelle de quelques pixels.

Pour faciliter la comparaison entre la carte de teneur en éléments alcalins et d’absorbance IR dans la gamme de vibration de l’eau, nous avons tenté de normaliser l’image de l’eau par celle de la phengite. Cela permet de vérifier si le contenu en eau est constant au sein de la phengite en s’affranchissant des irrégularités d’épaisseur. Le résultat de la normalisation (qui consiste en une simple division d’une image par l’autre) montre bien des variations, comme illustré en Figure 2 G). Quatre zones apparaissent spécialement riches en eau. La comparaison avec l’image optique de l’échantillon permet d’affirmer que ces zones ne sont pas reliées aux joints des grains. Sur la Figure 2, les joints de grains apparaissent au contraire plutôt pauvres en eau.

En dépit de nos attentes, il n’apparaît pas de corrélation évidente entre éléments alcalins et teneur en eau de la phengite. Trois zones riches en eau ont été mesurées à la microsonde. Sur ces trois zones, deux d’entre elles apparaissent plutôt riches en alcalins, tandis que la zone riche en eau la plus à droite apparaît au contraire plutôt pauvre en alcalins. La seconde zone pauvre en alcalins n’apparaît pas riche en eau.

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

Figure 2 : A) Microphotographie de la zone étudiée, vue au microscope optique en lumière naturelle. B) Image obtenue à la microsonde électronique en mode BSE. C) Teneurs additionnées en potassium et en sodium des phengites, mesurées à la microsonde électronique. D), E) et F) Représentations cartographiques de l’absorbance de l’échantillon dans les gammes de nombre d’onde indiquées, correspondant aux phases indiquées (voir le texte pour plus de détails). Les

nombres d’onde sont exprimés en cm-1. G) Division de F) par E), censée représenter les variations

de la teneur en eau à épaisseur de phengite constante. Les limites de la phengite dessinées à partir de C) sont indiquées en pointillés jaunes en A) et B), en pointillés noirs en D), E), F) et G). Les lignes de base ont été soustraites à chaque représentation de l’absorbance. D), E), F) et G) ont été obtenues avec le logiciel PYMCA. Toutes les figures sont à la même échelle, indiquée en A).

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

3. Comparaison des résultats et discussion

Dans cet échantillon, nous avons pu confirmer la présence d’eau libre (non structurale) dans des phengites provenant d’une lame mince de roche métamorphique. Les spectres IR obtenus sont compatibles avec l’hypothèse que l’eau est présente en position interfoliaire dans la phengite, constituant une sphère d’hydratation autour des cations alcalins. Des variations du contenu en eau sont également observables au sein des phengites. Elles ne sont probablement pas reliées aux variations d’épaisseur car elles s’observent sur l’image de l’eau (Figure 2 F) et sur l’image de l’eau normalisée à la phengite (Figure 2 G).

L’absence de corrélation entre teneur en éléments alcalins et teneur en eau demande une explication. Nous avons proposé précédemment que la présence de lacunes en position interfoliaire permette l’incorporation d’eau. Selon ce modèle, l’eau interfoliaire devrait être préférentiellement placée dans les zones où l’on observe un déficit en éléments alcalins. Si certaines zones de la lame sont plus hydratées, nos observations indiquent que ces zones ne sont pas systématiquement riches en pyrophyllite. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Tout d’abord, l’absence de corrélation entre composition et hydratation peut n’être qu’apparente. Comme nous l’avons dit, la phengite n’a pas une teneur spatialement homogène en éléments alcalins. L’information chimique n’étant accessible à la microsonde électronique qu’à la surface de l’échantillon, il est possible que cette phengite soit plus riche en lacunes interfoliaires sous la surface. Le rapport entre les volumes analysés par spectroscopie IR et à la microsonde électronique est en effet au minimum de l’ordre de 50, ce qui rend les résultats des deux techniques difficiles à comparer.

Ensuite, il faut envisager que l’absence de corrélation est réelle et que par conséquent représenter l’hydratation d’un mica par l’occupation de ces lacunes interfoliaires par de l’eau moléculaire est incorrect. Nous n’observons pas non plus de corrélation entre contenu interfoliaire et hydratation, ce qui signifie que l’on ne peut pas proposer que l’eau soit allée directement hydrater les cations. La phengite que nous observons étant fortement clivée, il est possible d’invoquer un effet mécanique d’incorporation préférentielle de l’eau dans les feuillets les plus ouverts, et un rôle secondaire de la composition. La comparaison directe de l’aspect du minéral avec son hydratation n’est pas probante. Cette hypothèse revient à considérer que la phengite puisse ne pas être à l’équilibre thermodynamique vis à vis de l’hydratation.

Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température

4. Conclusion

L’analyse qualitative de l’absorbance IR à l’E.S.R.F. nous a permis de nous assurer que l’hydratation des phengites est une réalité. La phengite mesurée a une teneur plutôt élevée en pyrophyllite. Elle est variablement hydratée. Les bandes de vibration indiquent que l’eau mesurée est située en position interfoliaire. Elle est venue hydrater les cations présents sur ce site, l’eau est liée à eux par des liaisons hydrogènes.

La modalité de l’hydratation n’a pas pu être clairement établie. Aucun indice ne suggère de rejeter notre modèle où l’eau occupe les lacunes interfoliaires et diminue de ce fait l’activité thermodynamique du pôle pur pyrophyllite. Toutefois, notre modèle n’est pas entièrement confirmé. Le même type de mesures sur des échantillons présentant plusieurs générations de phengites, aux contenus en cations interfoliaires variables, permettrait de tester plus intensément notre modèle et de mieux comprendre la modalité de l’hydratation des phengites métamorphiques et la relation de cette hydratation avec la texture minérale et les micro-structures. Le protocole expérimental serait alors à revoir. La méthode que nous avons utilisée permet de combiner les techniques de spectroscopie IR et d’imagerie à la microsonde électronique, mais est coûteuse en temps de préparation des échantillons et demande de nombreux essais, notamment lors du polissage de l’échantillon.

« Trying is the first step toward failure »