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1.4.1 Désir de procréer de la femme séropositive

En Afrique, la question de la maternité chez les femmes séropositives a fait l’objet de plusieurs travaux en sciences sociales. La question qui a intéressé plusieurs d’entre eux concerne le désir d’enfant chez la femme séropositive. Une de ces études faites par Desgrées du Lou (2005) porte sur le VIH et le choix de procréation à Abidjan. On y apprend que bien que conscientes des risques de contamination du VIH de la mère à l’enfant ou celui de laisser l’enfant orphelin quelques années plus tard, les femmes séropositives veulent procréer.

L’étude de Desclaux et Desgrees du Lou (2006) va dans le même sens. Elles montrent que la maternité reste une priorité même quand on est infecté par le VIH. Cette étude les amène au constat qu’en Afrique, les femmes dépistées séropositives au cours d'une grossesse sont fréquemment de nouveau en grossesse (dans les trois années qui suivent). Le constat est que l’annonce de l’infection par le VIH n’arrête pas la femme dans son désir de procréer (Desgrées du Loû et Ferry, 2005).

Il est intéressant de noter qu’en dehors du continent africain, les travaux ont été réalisés ailleurs sur la même problématique et les résultats ne divergent pas. Les études faites par J. Chen, K. Phillips, D. Kanousse, R. Collins, A. Miu (2001) et celles de I. Heard, R. Sitta, F. Lert, et le groupe d'étude ANRS-Vespa (2008) respectivement aux Etats-Unis et en France en sont de bons exemples. Elles montrent qu'un tiers de femmes séropositives souhaite être mère. C’est respectivement des pourcentages de 33 % et 20 % de femmes qui veulent avoir un enfant. D’autres travaux confirment ce qui précède, c’est le cas d’une enquête périnatale française (cohorte prospective promue par l'ANRS) qui montre une importante hausse de la maternité chez les femmes infectées par le VIH. Le nombre d'accouchements de cette population connaît une importante hausse. En une décennie, il a plus que doublé, il s'élèverait à environ 1500 accouchements par an (en France).

Selon ce qui est démontré, le diagnostic positif au cours de la grossesse ou le fait d’être PVVIH n’entraîne pas comme certains pourraient s’y attendre à un renoncement à la procréation. Bien au contraire, il y a chez ces femmes, le désir de faire un enfant et parfois d’en faire plusieurs (Allen et al, 1993 ; Keogh et al, 1994 ; Desgrees du Loû, 1999 ; 2005 ; Desgrées du Loû & Ferry 2006 ; Aka Dago-Akribi et Cacou, 2004, 2007 ; Gobatto & Lafaye 2005 ; Leroy, 2006 ; Nébié et al, 2001).

Toujours concernant les études réalisées sur le sujet qui nous intéresse, les travaux de S. Zongo (2012a ; 2012b) sont très intéressants. Dans son étude portant sur la procréation chez la femme séropositive au Burkina Faso, S. Zongo relève l’exigence sociale de la femme à procréer.

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Elle précise que la décision d’une maternité ou d’une procréation chez la femme séropositive repose sur plusieurs facteurs. Elle explique aussi que la décision d’être mère ou de procréer n’est pas le seul fait du désir d’enfant. Plusieurs paramètres peuvent être déterminants dans le choix et le désir de procréer. Cette contribution est intéressante en ce qu’elle invite à l’exploitation d’autres éléments dans le choix de la procréation de la femme enceinte et séropositive. S’intéressant à la maternité du même public en interrogeant la dation de nom, elle montre que ces derniers ont une signification chez les femmes séropositives. Ils permettent par exemple de comprendre ce que représente l’enfant attendu.

Le désir d’enfant semble poussé chez la femme enceinte et séropositive et comme nous venons de le voir, le VIH ne le freine pas.

1.4.2 VIH, maternité et les partenaires

En dehors de la détermination affichée par les femmes séropositives à procréer, il faut souligner une réalité à laquelle elles sont confrontées. Dans leur vie de couple, elles sont souvent victimes d’abandon et de rejet par leur partenaire lorsqu’elles prennent le courage de leur dire qu’elles sont infectées. En effet, des études faites à Abidjan, en Tanzanie, au Burkina Faso sur les réactions des conjoints à qui une femme annonce sa séropositivité montrent chez les hommes des réactions négatives : colère, violence éventuelle, rejet et divorce (Antelman et al, 2001 ; Desgrées du Loû, 2005 ; Nebié et al, 2001). Les femmes se retrouvent souvent seules après la réception d’un test positif du VIH. Les hommes parfois sans avoir fait le test de dépistage les fuient par peur de se faire contaminer.

On rencontre deux cas de séropositivité dans les couples. Soit un des partenaires est contaminé et l'autre ne l'est pas (sérodifférence ou sérodiscordant), ou bien, les deux sont infectées (Séroconcordance). La continuité du couple et sa résistance à l’avènement du VIH seront influencées par la description que nous venons de faire. Concernant les couples sérodiscordants, des études montrent certaines réactions et les changements au sein de ces derniers. L’étude de Van der Straten auprès d’une population de 28 couples sérodiscordants montre que le VIH dans la vie sexuelle du couple a des conséquences sur le plan physique, physiologique et psychologique. Une des raisons de cet état de fait, est la contrainte d’avoir des rapports protégés et la peur de contaminer son partenaire. Mais, il y a des couples qui transcendent la peur du VIH et restent ensemble (séparation, divorce, honte etc). Pustil (2004) utilise l'expression « couple magnétique » pour désigner ces couples sérodiscordants qui, malgré la présence du VIH chez l’un et son absence chez l’autre, s'attirent, s'acceptent et vivent leur amour dans le bonheur.

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Le VIH/SIDA est une source de construction de théories de toutes sortes. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les personnes qui en sont atteintes et leur entourage sont victimes de toutes ces interprétations qui contribuent à les culpabiliser, les écarter, les stigmatiser et les discriminer. Du fait de ces rapports au sexe et à la mort, le VIH/SIDA a donné naissance à toutes sortes de significations et d’interprétations et l’expression de Ménil (1997) «épidémie de significations» sied bien pour décrire ce qu’est le VIH/SIDA, et ce qu’il véhicule comme représentations. Ces attitudes vont, comme le souligne Desclaux (2002):

« De la méfiance à la critique, de l’ostracisme à la discrimination, du rejet à l’abandon, de la stigmatisation à la spoliation, l’existence d’attitudes hostiles envers les personnes atteintes, nourries par des connotations péjoratives de la maladie, semble être un invariant culturel. Cette maladie sociale est souvent pour les personnes atteintes et leurs proches, plus difficile à vivre que les manifestations cliniques de l’atteinte par le virus » (Desclaux, 2002, p. 1).

Il ne faut pas aller loin pour savoir comment plusieurs gabonais se représentent le VIH, les noms par lesquels ils désignent cette infection sont très éloquents et révélateurs. Nous les trouvons dans le travail d’Aleka Ilougou (2012) dans lequel il expose différentes désignations du VIH/SIDA à Libreville. Les unes sont rangées dans les représentations populaires (le syndrome Inventé pour Décourager les Amoureux ’’SIDA’’, les quatre lettres, Sidonie, la grande maladie). D’autres dans les représentations révélées par l’art musical (maladie d’amour, maladie du sexe, maladie d’infidélité). Loin d’être de simples appellations, il s’agit des désignations qui en disent long sur la manière dont le gabonais se représente le VIH/SIDA et la personne qui en est infectée. Les Gabonais sont pourtant bien informés sur le VIH/SIDA. La quasi-totalité connait les modes de transmission et ceux de protection. L’EDSG (2012) avance les pourcentages de 99 % de femmes et 100 % des hommes ayant entendu parler du SIDA au Gabon. La stigmatisation des PVVIH malgré ces efforts de sensibilisation reste présente dans l’environnement social gabonais.

Au début de l’épidémie au Gabon, les populations avaient rebaptisé le SIDA ‘’Syndrome Inventer pour Décourager les Amoureux’’, un marqueur de résistance de plusieurs gabonais face au VIH/SIDA. Cette appellation témoigne ici d’une ironie, une forme d’insouciance, de négligence, d’incrédulité et de déni du VIH/SIDA. Mais année après année et deuil après deuil, le SIDA a fini par installer un climat de terreur chez les populations. Nombreuses familles ont perdu leurs membres, les enfants sont restés orphelins, les deuils se sont répétés. Le VIH/SIDA suscite peur et méfiance chez les gabonais, ce qui a pour conséquence un comportement de fuite et de stigmatisation. Il est désigné par des expressions telles que les quatre lettres, Sidonie, la

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grande maladie, la maladie du siècle (Aleka Ilougou, 2012). Les personnes séropositives sont désignées et considérées comme celles qui sont condamnées et qui sont une menace pour les autres. Ces appellations métaphoriques le montrent, les gabonais se représentent le VIH comme le virus dangereux, celui qui fait peur et crée l’effroi.

Mais, outre l’effroi et la peur que le SIDA cause, les appellations ci-dessus logent aussi les séropositifs dans une catégorie à laquelle les séronégatifs ou les hommes ‘’sains’’ n’appartiennent pas. L’exemple qui illustre le mieux cette situation est celui de Sidonie Siaka (c’est elle qui a inspiré le titre du roman Sidonie ci-dessus cité). Sidonie est la première personne au Gabon à avoir témoigné à visage découvert sa séropositivité pour aider le PNLS dans son entreprise combien difficile de sensibilisation. Mais elle le paya très cher, car aussitôt, Sidonie devint le terme utilisé par la masse populaire pour désigner les séropositifs et les malades du SIDA. Les propos de M. Hugues, infirmiers recueillis par Aleka Ilougou, montrent la souffrance d’une femme qui perdit quasiment tout ce qu’elle avait : travail, ami et parent. Il n’y a pas qu’elle qui en a souffert, mais tous les séropositifs et leurs familles.

« […] Quand je repense à ces moments où les porteurs du virus venaient en larmes raconter au psychologue ce qu'on leur faisait vivre dans les familles ; les injures publiques, les humiliations, les lynchages... […].On pensait qu'en montrant des témoignages les gens comprendraient, mais le noir est terrible ! Bien au contraire les taux augmentaient chaque trimestre et on ne pouvait rien faire. Les gens au lieu de se marrer devaient être plus responsables. Ce n’est pas que nous avons résolu tout à fait ce problème de représentations. Mais, Sidonie, c'est quelque chose à oublier. C'est des moments noirs de la prévention au Gabon. Je t'assure, tu n'imagines pas combien de personnes ont souffert à cause de cette expression de Sidonie. J'ai tellement de souvenirs, d'anecdotes (soupire)... N'en parlons plus ! » (Cité par Aleka Ilougou, Mémoire Online). Dans l’imaginaire collectif du gabonais, le VIH/SIDA est une infection qu’il ne faut pas avoir, elle est synonyme de mort et de honte. C’est dans ce contexte que la femme enceinte et séropositive va mener sa maternité.

1.4.3 L’accès de la femme séropositive à la maternité

Être séropositive et faire un enfant devient aujourd’hui un acte fréquent et un désir réalisable pour toute femme séropositive qui désire un enfant. Pourtant, il n’y a pas si longtemps que cela, il était déconseillé et interdit aux femmes séropositives de se lancer dans un projet de maternité. En cause : le risque de contamination de l’enfant, la brièveté de l’espérance de vie, le risque de laisser l’enfant orphelin, mais aussi, celui de la contamination du partenaire sain

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(Coulon et Feroni, 2004 ; Fignon et Hamamah, 2000 ; Plaza, 1992). Pour les raisons qui précèdent, les équipes médicales se montraient hostiles à toute idée de maternité des femmes séropositives. Le personnel médical proposait l’interruption des grossesses aux femmes séropositives. Celles qui s’entêtaient ou qui par inadvertance se retrouvaient en grossesse étaient taxées d’irresponsabilité, car prenant un risque considérable et faisant prendre un risque à leur enfant (Blanc et al, 1990 ; Plaza, 1999. Vidal, 2000).

Un rapport de l’ONU sur l’incidence du VIH/SIDA sur la fécondité en Afrique subsaharienne réalisé par James Ntozi (2001) va révéler que le VIH/SIDA influe sur la fécondité dans ce continent. Selon ledit rapport, sur une moyenne de 6 enfants par femme avant l’épidémie, ce chiffre avait quasiment diminué de moitié dans plusieurs pays. Ce fut le cas du Botswana qui était passé de [7,1 à 4,4] entre 1981 et 1995-2000 ; le Ghana de [7,2 à 4,5] entre 1960 et 1998 ; le Kenya de [8 à 4,6] entre 1975, 1977 et 1998 ; l’Afrique du Sud de [6,4 à 3,1] entre 1960 et 2000 ; le Swaziland de [6,9 à 4,8] entre 1966 et 1995-2000 et le Zimbabwe de [8,3 à 4] entre 1969 et 1996-1999. Le même constat avait été fait par Ferry (2002) et par Desgrées du Loû et Ferry (2006). Les femmes fécondes du fait du VIH avaient été obligées de renoncer à leur désir de procréer. Le corps promis à la maternité était ainsi contraint au silence et à la résignation.

Heureusement, l’état de détresse que nous venons de décrire ne dura pas une éternité. En 1987, un premier traitement appelé l’AZT fit son apparition. Il permit un début d’affront au VIH, et son impact chez les séropositifs ne tarda pas à montrer son efficacité. Il réduisit la multiplication de ce virus dans l’organisme et améliora la santé des PVVIH de manière générale. Avec l’arrivée de l’AZT, la possibilité de mener une maternité devint possible pour la femme séropositive (Connor et al, 1994). Le développement d’antirétroviraux plus performants ne fera dans le temps, que venir augmenter les chances des femmes enceintes et séropositives de faire des enfants non infectés (Le Cœur, 2004). Conséquences, les spécialistes de santé vont très vite observer une importante réduction du taux de transmission mère-enfant dans les cohortes. De plus, une importante hausse des femmes enceintes infectées par le VIH et menant une grossesse sera observée au fil des années (Connor et al, 1994 ; Newell et al, 2002 ; Warszawski, Tubiana, Le Chenadec et al, 2008). La possibilité de mener une grossesse pour les femmes séropositives devint réelle. Aujourd’hui, la prise en charge s’est améliorée, les femmes séropositives sont mieux suivies et le risque qu’elles transmettent le VIH à l’enfant est de plus en plus réduit, il tend même à être nul (Delfraissy, 1999 ; Le Cœur, 2006).

Au sujet de la procréation de la femme séropositive ou vivant avec le VIH, la question était aussi de savoir si la grossesse constituait un facteur d’aggravation sa santé. Les études ont permis de répondre à cette interrogation. Les résultats d’une étude de Berrebi (il a comparé

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l'évolution clinique des femmes enceintes séropositives à une population témoin non enceinte séropositive) ne montrent pas de différence significative en matière de pourcentage de survenue du SIDA entre les femmes séropositives et celles séronégatives. La grossesse n’est pas un facteur qui accélère ou ralentit la progression ou la nocivité du VIH (Fignon et Hamamah, 2000).

Les grossesses des séropositives sont accompagnées et suivies par un programme appelé PTME. La PTME vise la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant (TME). Dans ce qui va suivre, nous allons la présenter de manière générale et la situer dans le contexte gabonais.

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