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La masculinité hégémonique 43

Chapitre 1 : la masculinité 6

1.4 La masculinité traditionnelle 39

1.4.3 La masculinité hégémonique 43

L’approfondissement des connaissances au sujet de l’identité de genre et de la socialisation masculine à partir de l’approche socioconstructiviste a mené plusieurs chercheurs à décrire la complexité de la masculinité d’une manière pluridimensionnelle. On parle donc souvent des masculinités plutôt que de la masculinité, cette dernière formulation faisant surtout référence à la forme particulière de masculinité qui prédomine dans nos sociétés – la masculinité traditionnelle, restrictive ou, selon l’approche développée par Connell (1995), la masculinité hégémonique.

L’approche élaborée par Connell (1995) est aujourd’hui une des principales références en sociologie du genre masculin : elle a été adoptée dans plusieurs autres champs d’études comme la psychologie, les sciences infirmières, la santé publique, le travail social ou l’anthropologie. Dans sa théorie, il propose une hiérarchie des différentes masculinités. Au sommet se trouve la masculinité hégémonique, qui est porteuse du discours dominant sur la façon dont les hommes doivent se comporter et penser, particulièrement dans leurs relations

sociales avec les femmes et les autres hommes. La masculinité hégémonique prône la suppression des émotions, la violence, la compétition, la prouesse athlétique et sexuelle, la prise de risque, la consommation abusive d’alcool et met à l’avant-plan le rôle de pourvoyeur (Connell, 1995 ; Oliffe, 2006 ; Trujillo, 2000).

Connell suggère que la masculinité hégémonique se caractérise par la liberté financière et corporelle et elle se concrétise symboliquement par l’entremise de l’homme hétérosexuel, blanc, de classe moyenne et supérieure. En pratique donc, la majorité des hommes sont tenus à l’écart, ils occupent une position de subordonnés face à un groupe restreint d’hommes en possession du pouvoir et des ressources. Si sa théorie porte surtout sur les relations entre hommes, Connell note toutefois qu’une dimension de l’hégémonie masculine est celle du patriarcat, c'est-à-dire les hommes, en tant que groupe, qui exercent leur domination sur le groupe des femmes.

Pour Oliffe (2006), la masculinité hégémonique serait essentiellement l’ensemble des idéaux masculins qui sont les plus fréquemment inscrits dans la socialisation des garçons et des hommes. Cette forme de masculinité constitue une position d’autorité culturelle relativement aux formes subordonnées de masculinité et des femmes. Le corps idéalisé du mâle hégémonique est sexuel, musculaire, athlétique, discipliné et modelable par l’individu (Oliffe, 2006). Au niveau de la psyché, il serait coupé de ses émotions, objectif et logique (Morgan, 1992, cité dans Oliffe, 2006 ; Préjean, 1994 ; Pollack, 1999). La masculinité hégémonique nécessite aussi des hommes qu’ils aient confiance en eux, qu’ils aient une force d’esprit et qu’ils soient indépendants, toutes des qualités nécessaires pour occuper des positions sociales privilégiées comme la haute finance et la politique. Connell (1995) reconnaît donc que la plupart des hommes qui acceptent la légitimité de la masculinité hégémonique ne réussiront jamais à atteindre cet idéal.

Dans le système hiérarchique élaboré par Connell et ses successeurs, l’existence d’un groupe dominant implique la présence d’un autre groupe qui serait dominé. Ce sont les masculinités subordonnées qui incluent, en conséquence, les réalités masculines qui

s’éloignent de la norme établie par la masculinité hégémonique. Une de ces masculinités subordonnées est la masculinité gaie qui, selon Connell (1995), serait la plus suspecte et la plus déviante relativement aux normes hégémoniques. Mais il existe d’autres formes de masculinités subordonnées. Toujours selon Connell, plusieurs hommes hétérosexuels sont exclus des « cercles de la légitimité » en raison de l’adoption d’une masculinité non conforme aux standards établis, notamment en dévoilant des traits trop associés à la féminité.

C’est donc la déviance relativement à la forme hégémonique de masculinité qui définit les masculinités subordonnées. Les hommes appartenant à des groupes socialement subalternes, comme les travailleurs de classe inférieure, les membres de groupes ethniques minoritaires, les minorités raciales ou sexuelles, développent des identités masculines qui sont quant à elles conditionnées et affectées par leur statut socio-économique et culturel (Kimmel 1994).

Certains auteurs se sont demandé comment opérationnaliser cette « vue assez abstraite » représentée par la masculinité hégémonique (Gaunt, 2006 ; Thompson & Walker, 1989). Trujillo (2000) a identifié les indicateurs permettant de repérer la masculinité hégémonique. Tout d’abord, il souligne que ce type de masculinité est perceptible par l’expression et le contrôle du pouvoir et de la force physique. Cet indicateur est probablement le plus utilisé dans les travaux sur la masculinité. Bien que la force musculaire et la puissance politique, par exemple, ne soient pas vraiment assimilables l’une à l’autre, toutes deux sont susceptibles de se combiner quand elles contribuent à conforter de manière consistante une position dominante.

Le second aspect de la masculinité hégémonique mis en valeur par Trujillo (2000) a trait à la réussite professionnelle. Ce point est, particulièrement dans nos sociétés, étroitement lié à la masculinité hégémonique avec toutes ses implications économiques et sociales. Il explique également pourquoi les sportifs professionnels sont aussi souvent pris comme modèles de masculinité.

Un autre indicateur est la hiérarchie familiale. Dans l’organisation patriarcale, la position au sein de la famille joue un rôle crucial dans la définition de la masculinité hégémonique. Celle-ci est renforcée par tout ce qui peut contribuer, en matière de pouvoir (économique ou symbolique) au maintien du premier rang (c’est-à-dire au-dessus de la femme et des enfants).

Le quatrième point permettant d’opérationnaliser la masculinité hégémonique est le désir de conquête. Trujillo (2000) le définit comme quelque chose entre le mythe du cow-boy et celui de la connaissance. Disons plus simplement que, traditionnellement et idéalement, le besoin de dépassement est attaché au masculin, avec toutes ses implications dans des domaines aussi divers que la colonisation, la science, le progrès et la performance sportive. Finalement, à l’instar de plusieurs autres théoriciens évoluant dans le champ des études sur les hommes, Trujillo (2000) voit l’hétérosexualité comme une caractéristique centrale de la masculinité hégémonique. Cet indicateur exprime la capacité d’interagir sexuellement avec des femmes, éventuellement sous des formes hyperactives et agressives : il renvoie également à la capacité de reproduction.