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Marqueurs électrophysiologiques du développement préattentionnel et langagier

Que ce soit chez les enfants nés à terme ou nés prématurément, les résultats liés à l’âge soutiennent les conclusions de Tampas et al. (2005) et Winkler et al. (1999) qui suggèrent une représentation cérébrale en parallèle des stimuli verbaux et non verbaux observés à l’aide des PEAs et de la MMN. Ainsi, dans la première étude, les stimuli non verbaux ont évoqué une MMN de latence plus rapide chez tous les groupes d’âge comparativement à celle évoquée par les stimuli verbaux. De plus, les résultats des analyses sur la latence confirment des patrons différents de développement cérébral entre les processus de discriminations verbale et non verbale. La latence de la MMN en réponse aux stimuli verbaux était encore immature chez le groupe d’enfant d’âge scolaire (8 à 13 ans), alors qu’aucune différence ne les distinguait des adultes lors de la présentation des stimuli non verbaux. La latence plus longue mesurée en réponse aux stimuli verbaux suggère donc que leur catégorisation requiert à la fois le traitement acoustique et phonétique des sons.

De même, dans la deuxième étude, des différences significatives liées à l'âge et au type de stimulus ont été observées. La latence des composantes P150 et N250 en réponse aux stimuli verbaux chez les groupes d’enfants nés à terme ou prématurément diminue de façon

significative avec l’âge, reflétant probablement la maturation axonale et neuronale qui permettrait ainsi un traitement plus rapide et plus efficace de l'information langagière (Nagy, Westerberg, & Klingberg, 2004; Ponton et al., 2002; Ponton et al., 2000). Toutefois, lorsque les stimuli non verbaux ont été présentés, seuls les nourrissons âgés de 3 mois ont montré des PEAs de latences plus longues comparativement aux enfants de 12 et de 36 mois. En accord avec les conclusions de la première étude (Paquette et al., 2013), ces résultats démontrent que la réponse corticale des jeunes enfants lors de la présentation et de la discrimination des stimuli non verbaux se développe plus rapidement que celle des processus de discrimination langagière. De plus, un effet significatif de l'âge a été trouvé sur l’amplitude de la MMN en réponse aux stimuli verbaux, les nourrissons de 3 mois démontrant une réponse de polarité positive alors qu’une réponse de polarité négative était observée chez les enfants de 12 et de 36 mois. Une MMN positive a déjà été observée chez les nourrissons et les très jeunes enfants nés à terme et en santé, de même que chez les enfants à risque de présenter des troubles du langage (Ahmmed et al., 2008; Dehaene-Lambertz, 2000; Kushnerenko et al., 2002; Maurer, Bucher, Brem, & Brandeis, 2003; Morr, Shafer, Kreuzer, & Kurtzberg, 2002; Shafer et al., 2010; Weber, Hahne, Friedrich, & Friederici, 2004). Bien que l’interprétation et la signification clinique de la polarité positive de la MMN demeurent peu investiguées à ce jour, l'une des principales hypothèses est que celle-ci reflète une réponse de discrimination plus immature, tandis qu’une réponse négative de la MMN, comme celle observée chez l’adulte, peut être mesurée de façon plus stable dès l’âge préscolaire.

Le développement différentiel de la MMN et des PEAs en réponse aux sons verbaux et non verbaux observé dans les études constituant cette thèse est compatible avec la théorie du

traitement parallèle acoustique et phonétique des sons verbaux (Tampas et al., 2005; Winkler et al., 1999). Selon cette théorie, la catégorisation des sons du langage exige un traitement parallèle sur les plans acoustique et phonétique, alors que la catégorisation des sons non verbaux exige uniquement le traitement acoustique des sons. Bien que cette notion puisse paraitre relativement intuitive, la littérature appuyant cette théorie chez l’enfant est encore pauvre. En effet, peu d'études se sont intéressées à décrire la réponse différentielle aux stimuli verbaux et non verbaux en fonction des systèmes distincts de traitement cognitif et peu d’entre elles ont considéré différents stades développementaux. L’implication clinique de cette théorie revêt pourtant une importance indéniable dans l’étude des populations à risque de développer un trouble du langage ou de l’attention, puisque celle-ci influence la spécificité des protocoles d’évaluation utilisés auprès de ces enfants et la nature des processus examinés. Parmi les études recensées, Ceponiene, Alku, Westerfield, Torki, & Townsend (2005) ont examiné les processus de discrimination acoustique et phonétique chez des enfants en santé âgés entre 7 et 10 ans et des adultes. Des patrons d’activation distincts ont été observés dans chaque groupe en réponse aux stimuli verbaux (syllabes ba-da-ga) et non verbaux (tons synthétisés à partir de la fréquence fondamentale des stimuli verbaux). La présentation des stimuli non verbaux a évoqué des réponses N100 (chez l’adulte) et P200 (chez l’enfant d’âge scolaire et l’adulte) de plus grande amplitude que la présentation des sons verbaux. En revanche, la présentation des stimuli verbaux a évoqué des réponses N200 et N400 (chez l'enfant et l'adulte) de plus grande amplitude que celles évoquées par les stimuli non verbaux. Les auteurs suggèrent en outre que les premières composantes (N100 et P200) reflèteraient l’orientation automatique de l’attention et la détection acoustique des sons alors que les composantes plus tardives (N200 et N400) reflèteraient davantage le traitement du contenu phonétique des sons verbaux

(Ceponiene et al., 2005). Des différences dans la discrimination des stimuli verbaux et non verbaux ont également été observées chez les nourrissons âgés de 3 mois, alors que des topographies différentes ont été observées au niveau du lobe temporal en réponse à des syllabes comparativement à des tons complexes (Dehaene-Lambertz, 2000), indiquant des réseaux neuronaux distincts dans les processus discriminatifs de ces deux types de stimuli. Dans les deux études de cette thèse, la présentation des stimuli non verbaux a évoqué des PEAs (P150 et N250) et des MMNs de plus grande amplitude et de latence plus courte que celle des stimuli verbaux, tant chez les enfants nés à terme que les enfants nés prématurément. En ajout, des patrons de développement différents ont été observés en réponse aux stimuli verbaux par rapport aux stimuli non verbaux, supportant l’hypothèse de processus différents engendrés par la discrimination des stimuli verbaux et non verbaux.

Dans l’ensemble, les différences d’âge observées dans les patrons de réponses corticales aux stimuli verbaux et non verbaux reflètent le développement des aires cérébrales respectivement impliquées dans les processus langagiers et préattentionnels. Durant l'enfance, le système auditif est marqué par des changements structuraux importants qui peuvent être reflétés dans la morphologie du signal EEG (Eisermann, Kaminska, Moutard, Soufflet, & Plouin, 2013). Les connexions axonales qui s’étendent au cœur des couches corticales profondes sont encore immatures à la naissance et arrivent à maturité vers l’âge de cinq ans, alors que le développement des couches corticales supérieures culmine entre l’âge de 6 et 12 ans (Moore & Guan, 2001; Moore & Linthicum Jr, 2007). Le développement des couches corticales profondes et supérieures est donc susceptible de rendre compte de certaines

différences d’âge observées dans les mesures de latences et d’amplitudes de la MMN et des PEAs verbaux et non verbaux, particulièrement auprès des enfants plus jeunes.

Cette maturation corticale coïncide avec les capacités croissantes de l'enfant à traiter et discriminer les stimuli auditifs complexes. En effet, les études indiquent des changements développementaux dans le signal électrophysiologique de l’enfant en lien avec le développement anatomique du cortex auditif. Par exemple, Shafer, Morr, Kreuzer, & Kurtzberg (2000), ont constaté que la latence de la MMN en réponse des tons complexes diminue d’environ 11 millisecondes par année d'âge entre 4 et 10 ans. Ces résultats coïncident avec le développement des couches corticales supérieures et concordent avec les études révélant une corrélation négative significative entre une latence plus courte de la composante MMN et un âge plus avancé chez des nourrissons et des enfants d’âge préscolaire (Morr et al., 2002) ou chez des enfants plus âgés (Korpilahti, Krause, Holopainen, & Lang, 2001; Korpilahti & Lang, 1994). Ainsi, les changements liés à l’âge dans la morphologie de la courbe EEG et observables par une diminution de latence de la réponse de discrimination dans les deux études de cette thèse correspondent avec la maturation des couches profondes VI, V et IV et le développement des couches superficielles III, II, et I. Ces résultats suggèrent également que les processus préattentionnels recrutés dans la discrimination des tons se développent plus rapidement dans l’enfance que ceux responsables de la discrimination des sons verbaux, indiquant que les réseaux neuronaux impliqués dans le traitement langagier sont encore immatures à l’âge scolaire. Finalement, ces résultats suggèrent également qu'une variation de latence des réponses de discrimination peut être utilisée en tant que marqueur

électrophysiologique de la maturité des processus attentionnels auditifs et langagiers, ce qui a été évalué dans le deuxième article de la présente thèse.