• Aucun résultat trouvé

Marcel Brisebois (1992-2003)

Chapitre IV Une idée de collectionnement ?

IV. 3 1992 à 2012 et mandats de direction au MACM, une question de style

IV.3.1 Les trois directeurs à la Place des Arts, de 1992 à 2012

IV.3.1.1 Marcel Brisebois (1992-2003)

Comme la plupart des directeurs du MACM, Marcel Brisebois a fait face à des contraintes budgétaires. Il est celui qui s’est le plus épanché dans les rapports annuels, comme on le voit dans celui de 2001 (2001 : 11) où il évoque « [l’]incapacité financière [du Musée] à soutenir un rythme d’acquisition d’œuvres dynamiques ».

C’est au cours de son mandat de plus de 20 ans que la collection a enregistré le plus grand nombre d’acquisitions sollicitées, soit 1343 au total (270 achats, 1073 dons), auxquelles s’ajoutent les 1324 acquisitions non sollicitées de la collection Lavalin.

Les restrictions budgétaires pour lesquelles il est impossible de déterminer la part qui relève du remboursement de l’emprunt de 5,4 millions de dollars ont eu pour conséquence, entre autres, l’intensification de projets en collaboration avec la Fondation des Amis du Musée d’art contemporain de Montréal. Certains consisteront en des levées de financement somme toute assez modestes à en juger par les chiffres publiés dans le Rapport d’activité

1995-1996 (1996 : 24) concernant La collection du MAC, c’est MACollection ! « En mars, au

moment de la publication du rapport, le total atteint grâce à la participation de 50 donateurs est de 59 150 $. » D’autres auront pour but de faire entrer au Musée des collections privées par l’entremise d’une exposition L’œil du collectionneur (du 18 octobre 1996 au 5 janvier 1997). Selon Marcel Brisebois (1996-1997 : 7), cette exposition a eu pour « effet d’encourager la création du Club des collectionneurs et des amateurs d’art du Musée d’art contemporain de Montréal ». En 2000, il (1999-2000 : 10) dira de la Fondation qu’elle est devenue un « pilier » du Musée et il reconnaîtra « l’inestimable contribution des collectionneurs qui, par leurs dons, viennent combler certaines lacunes dans la collection, permettant parfois un rattrapage historique important ».

La collection est au cœur des préoccupations de Marcel Brisebois. Ce qu’il en dit dans le dernier rapport annuel de son mandat est révélateur (2003-2004 : 9) : « La collection est la principale richesse du Musée, et lui confère son identité. » C’est au cours de son mandat

que les expositions de longue durée autour de la collection sont lancées. Ainsi, la première exposition, La collection : tableau inaugural, tient l’affiche pendant deux ans et a pour but de présenter la collection et de montrer la diversité de ses corpus. Elle est suivie 10 ans plus tard, en 2002, de la première exposition qualifiée par le MACM de permanente : Place à la

Magie ! Les années 40, 50 et 60 au Québec ! Cette exposition met de l’avant les assises de la

collection et les réalisations de Paul-Émile Borduas en particulier et durera six ans, soit de 2002 à 2008.

Même s’il n’est pas du ressort du directeur d’écrire les rapports justificatifs, ou de les dicter, leur rédaction reflète les caractéristiques de la période où elle est réalisée et il est possible d’en dégager les tendances. Nous proposons de regarder ce qui a distingué ceux de la période où Marcel Brisebois a dirigé le MACM à la Place des Arts.

Une caractéristique du mandat de Marcel Brisebois est la production de rapports justificatifs pour les acquisitions par achat, ce que nous ne retrouvons pas sous les autres mandats. En effet, 65 % des 270 dossiers d’acquisitions par achat contiennent un rapport justificatif. La forme et le contenu de ce document sont identiques à ceux des dossiers d’acquisitions par don. On y reconnaît la même intention didactique et le ton pédagogique visant à montrer les valeurs de l’œuvre et de l’artiste ainsi que la nécessité de les intégrer à la collection. À titre d’exemple, regardons ce qu’a écrit le conservateur Réal Lussier pour motiver l’achat, en 1992, de I have been a tree in the hand (1984-1992) de Giuseppe Penone154 :

Le moule en fer de la main de l’artiste s’est pétrifié tranquillement dans le nœud d’un arbre, symbole de l’emprise de la chair sur la matière, mainmise de la culture sur la nature. En fait, on peut dire que l’œuvre mesure le temps et rend compte de l’acte créateur qui l’a modelée tout en exprimant le lien existentiel qui unit l’homme et son environnement, l’homme et la nature. La présence d’une première œuvre de Penone au sein de la collection du Musée apparaît des plus essentielles lorsque l’on mesure l’importance du travail de l’artiste à travers non seulement l’essor de l’Arte Povera mais aussi le développement de l’art contemporain en général. Par ailleurs, cette

acquisition se justifie doublement en pertinence, car elle permet d’élaborer un propos avec les œuvres de Mario Merz, Giulio Paolini et Jannis Kounellis que le Musée possède actuellement.

Cet extrait met en évidence un souci de contextualiser l’esthétique de l’œuvre qui va au-delà des normes d’un formulaire. À lui seul, ce texte résume les caractéristiques d’acquisition de la période 1992-2003 relevées dans les tableaux XI et XII. L’achat comble un manque stylistique (Arte Povera), marque la première entrée dans la collection de l’artiste international Giuseppe Penone, dont l’œuvre en rejoint d’autres de même calibre (Merz, Paolini, Kounellis), ce qui favorise des rapprochements expositionnels.

Les 1073 acquisitions réalisées par voie de don au cours du mandat de Marcel Brisebois comportent 614 acquisitions historiques, soit plus de la moitié. Parmi celles-ci, les 437 québécoises accordent une place importante aux artistes de l’abstraction québécoise. Dans cette optique, les acquisitions visent à accroître les séries monographiques des peintres surréalistes, automatistes, postautomatistes, géométriques, et promoteurs du hard

edge, tout comme celles des sculpteurs de la même époque.

L’importance accordée aux œuvres québécoises historiques est conforme à ce qui est inscrit dans les Politiques. Les motivations insistent sur le rôle d’éclaireur des pionniers de la modernité en histoire de l’art, rappellent la mission patrimoniale du Musée dans la conservation et l’accroissement des corpus en question, de même que le rôle pédagogique que joue l’institution en diffusant les œuvres. On en trouve un exemple dans le rapport justificatif de l’acquisition par don, en 1998, de la série composée d’une aquarelle et de dessins (c. 1930) de Paul-Émile Borduas155 :

L’ensemble des neuf fusains représente un intérêt historique esthétique pour nous et contribue en somme à enrichir notre connaissance historico- biographique de Borduas, ses relations de jeunesse et l’influence d’Ozias Leduc. Le Musée se fait un devoir de préserver et d’enrichir ce patrimoine pour rappeler le caractère exceptionnel et promoteur de la contribution de l’artiste tant aux développements de l’esthétique picturale contemporaine qu’aux

155 Paul-Émile Borduas, Sans titre (c.1930) [D9866A8], quatre Religieuse lisant (1928) [D9867D1-D9870D1], À

changements culturels survenus au Québec dans les années 1940 et 1950 et des répercussions au pays.

Une autre particularité des rapports justificatifs de ce mandat renforçant la didactique qu’on y reconnaît est le souci d’y inclure, chaque fois que cela est possible, les détails révélés par les ayants droit au conservateur et qui, pensons-nous, sont ajoutés dans l’intention d’enrichir les connaissances techniques ou anecdotiques sur l’artiste. Citons comme exemple ce qui est écrit dans le rapport justificatif concernant l’acquisition de la sculpture Sans titre (1964) de Charles Daudelin offerte par Gisèle Morin Lortie en 1994 : « L’œuvre a été réalisée à la demande de Gisèle et de Gérard Lortie pour être placée dans la cour et elle a été conçue pour être vue de face »156, ou encore dans les dossiers de deux tableaux : Composition abstraite no 48 (1950) et Composition abstraite no 49 (c. 1950) de

Jauran, dons en 1999 de madame de Repentigny, la veuve de l’artiste : « Selon sa femme, Jauran aurait peint ces deux œuvres au dos d’une toile cirée157. »

Comme nous l’avons vu au chapitre II et au chapitre III, l’acquisition de la collection Lavalin a eu lieu au cours du mandat de Marcel Brisebois, sitôt après le déménagement de 1992. Plusieurs rapports justificatifs font état de liens entre les acquisitions nouvellement proposées et les œuvres existant au sein de cette acquisition massive jusqu’en 2001.

C’est le cas du rapport de l’acquisition de don en 1994 du tableau Radioactivité no 7

(1961) de Jacques Hurtubise158 : « Ce tableau complète le corpus des quelque 20 œuvres de l’artiste dans la collection auxquelles s’ajoutent les 28 dans la collection Lavalin. » Cette distinction dans le texte entre les deux collections se répète chaque fois qu’une nouvelle acquisition entre dans la collection et que d’autres œuvres de l’artiste existent aussi dans la collection Lavalin. Selon France Lévesque (2003 : 137), la collection du MACM s’est appuyée sur la légitimité de la collection Lavalin pour justifier l’acquisition de nouvelles œuvres. Notre analyse des rapports justificatifs tend à montrer le contraire, justement en raison de

156 Charles Daudelin, Sans titre (1964) [D9454S1].

157Les rapports justificatifs se trouvent dans les dossiers de Jauran, Composition abstraite no 48 (1950)

[D9941P1] et de Composition abstraite no 49 (c.1950) [D9942P1].

cette distinction que l’on fait entre les deux collections. Certes, la combinaison des deux corpus vient étoffer le nombre d’œuvres de l’artiste, mais les motivations ne présentent pas la collection de l’entreprise comme un support de validité historique ou esthétique.

Documents relatifs