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REMERCIEMENTS À notre Président de Thèse,

B) Manque de coordination et nécessité d’harmonisation :

Un des problèmes majeurs est l’absence d’harmonisation des prises en charge, qui provient aussi du manque de communication. Cette constatation est à mettre en parallèle avec le travail du Docteur Ivana Obradovic (29). Cet auteur notait, déjà en 2003, que l’enjeu principal de la prise en charge des patients toxicomanes était la coordination des soignants : 63% des établissements de son enquête plaçaient celle-ci parmi les principales difficultés.

B.1) Déphasage dans la démarche de soins entre soignants pour un même patient :

Il existe un réel déphasage qui se manifeste parfois en plein jour, et laisse voir au patient une faille dans le système de soins. Naturellement, le patient toxicomane teste le cadre et les limites. Si elles sont floues, ou si elles sont discordantes d’un médecin à l’autre, il pourra chercher à profiter de ces faiblesses. Cette variation dans la démarche de soins entre soignants est surprenante, car, à de nombreuses reprises, les médecins nous ont rappelé que leurs rôles étaient bien définis et que chaque médecin avait sa file active. Certaines citations nous font penser que ce système de file active n'est pas bien respecté en pratique.

E3 : « Là où il va y avoir le plus de difficultés, c’est ça, c’est quand il y a plusieurs

professionnels, plusieurs soignants qui vont avoir un objectif de soin différent. Où là ça flotte, où là même le détenu est mal à l’aise, parce que finalement il est un peu renfloué par certains, culpabilisé par d’autres ».

B.2) Déphasage des pratiques quant aux arrêts précoces des traitements substitutifs : Les médecins doivent faire face à des détenus qui veulent baisser les doses de traitements substitutifs, au lieu de diminuer les benzodiazépines, ce qui accroît le risque de rechute. Parfois, les patients vont trop vite dans leur décroissance. De plus, les médecins ont souvent des pratiques différentes concernant la manière de réduire les substitutifs.

Un langage commun pourrait ici aussi être trouvé, en s’appuyant sur les recommandations scientifiques bien sûr. Les recommandations de la conférence de consensus de juin 2004 de la FFA (Fédération Française d’Addictologie), Stratégies thérapeutiques pour les personnes

dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution (4), sont peu explicites : le

traitement de substitution doit être « maintenu aussi longtemps que nécessaire », car ce n'est qu’« après une phase de stabilisation avec arrêt de la consommation d’opiacés illicites et une évolution personnelle » que peut être entreprise « une diminution très progressive du

traitement, décidée d'un commun accord par le patient et ses soignants ». La conférence de consensus précise qu’il n’existe aucun protocole spécifique validé. Il sera donc difficile de protocoliser les pratiques, mais on pourrait tenter de les harmoniser.

On constate aussi un réel déphasage entre les équipes des deux prisons, en ce qui concerne les pratiques, car les augmentations de posologie des traitements substitutifs ne sont pas toujours bien perçues par les équipes de Chambéry. Ces dernières seraient, en effet, plus dans une optique de contrôle.

B.3) Déphasage dans la conduite à tenir vis-à-vis des prescriptions de benzodiazépines associées au traitement substitutif :

Dans le guide pratique des médicaments Dorosz 2010, l’association benzodiazépines et Subutex® est uniquement une « association à prendre en compte » ; l’association

benzodiazépines et Méthadone® n’est même pas citée.

Dans le Vidal 2010, il est également dit que l’association benzodiazépines et Méthadone® est une « association à prendre en compte », avec un « risque majoré de dépression

respiratoire, pouvant être fatale en cas de surdosage ». Il est stipulé que l’association benzodiazépines et Subutex® expose au « risque de décès par dépression respiratoire

d'origine centrale ». Il convient donc « de limiter les posologies et d'éviter cette association en cas de risque de mésusage ».

Il n'existe pas, à notre connaissance, d'interdiction légale de prescrire simultanément du Subutex® ou de la Méthadone® avec des benzodiazépines. L'association est cependant déconseillée, étant donné le risque de décès par dépression respiratoire en cas de mésusage. Ce problème divise les équipes sur Chambéry et sur Aiton. Les médecins prescripteurs n’ont pas harmonisé leurs pratiques, et face aux pressions des patients toxicomanes, certains ont une attitude ferme, d’autres, en revanche, associent benzodiazépines et traitements substitutifs.

E7 : « Et aussi qu’on ait une pratique harmonisée, qu’il y en ait qui ne prescrivent pas de benzo, l’autre il prescrit des benzo, l’autre il va absolument mettre la pression pour diminuer le traitement substitutif ».

Ces prises en charge discordantes, pour des patients qui viennent parfois frapper à plusieurs portes, créent un ressenti chez les médecins, mais également chez les infirmiers qui sont, pour certains, mal à l’aise au moment de la dispensation.

B.4) Absence de consensus pour la régularisation des traitements pris au marché noir : Le déphasage entre soignants est aussi du à des pratiques médicales hétérogènes, en ce qui concerne la régularisation des prises d’opioïdes au marché parallèle.

E12 : «Moi généralement je dis : « bah vous vous débrouillez très bien sans moi depuis des mois, en gros, débrouillez-vous » (…). Docteur X régularise beaucoup plus rapidement ».

Tout service a des protocoles de soins validés par ses médecins, qui respectent les recommandations médicales. Or, il n’existe pas de recommandation pour ce problème. Actuellement, chaque médecin fait selon ses habitudes et uses, ce qui génère des différences de pratiques, sources d’incompréhension parmi les équipes. Les patients repèrent le médecin qui régularise plus facilement les traitements de substitution pris au marché parallèle. Certes, le patient ne choisit pas le médecin qu’il consulte. En revanche, s’il est suivi par un

somaticien et un psychiatre, il peut alors tenter de se faire régulariser par l’un ou par l’autre. Encore une fois, la communication et l’explication des pratiques aux soignants et aux soignés semblent primordiales.

B.5) Déphasage avec les pratiques des médecins généralistes à l’extérieur :

Les interviewés remarquent que certaines prescriptions faites en ville sont parfois sources de questionnement pour le médecin pénitencier : comment justifier une diminution puis un sevrage de benzodiazépines, chez un patient sous traitement substitutif, alors que son médecin traitant lui en prescrit depuis des années ?