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81 Malheureusement, la jurisprudence en matière d’assurances sur la vie a porté

Dans le document Les notions de contrat d'assurance (Page 74-76)

un coup à ce principe. En effet, la chambre mixte de la Cour de cassation a rendu, le 23 novembre 2004195

quatre arrêts selon lesquels « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa au sens des articles 1964 du code civil, L.310-1, 1. et R321-1, 20. du code des assurances et constitue un contrat d’assurance sur la vie. ». Dans deux de ces arrêts, la Cour de cassation donne plus de précision : l’aléa qui engendre des effets dépendant de la durée de la vie humaine implique que l’identité du créancier de l’assureur est inconnue au moment de la souscription du contrat : « La Cour d’appel ayant relevé qu’à la date de souscription des contrats litigieux (le souscripteur) ignorait qui d’elle ou des bénéficiaires recevrait le capital puisque le créancier de l’obligation de l’assureur différait selon que l’adhérent était vivant ou non au moment où le versement du capital devait intervenir, a caractérisé l’aléa inhérent aux contrats au sens des textes précités et ainsi légalement justifié sa décision.196

»

La portée de ces arrêts est problématique, car leur rédaction semble indiquer qu’elle se limite à la définition des contrats d’assurance sur la vie, et non à la définition des contrats d’assurance en général. Néanmoins, le problème posé concernait la qualification de contrats en contrats d’assurance sur la vie ou en contrats de capitalisation. L’enjeu portait donc bien sur la définition des contrats d’assurance.

Le visa combiné de l’article 1964 du code civil et de l’article L.310-1 du code des assurances indique que pour la Cour de cassation, le contrat dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent de la durée de la vie humaine, est un contrat d’assurance sur la vie197

. L’aléa inhérent à la durée de la vie humaine doit avoir un impact sur l’identité du créancier de l’assureur : ni le souscripteur, ni l’assureur, ne connaissent son identité au moment de la conclusion du contrat. Ainsi, la caractérisation d’un aléa viager qui aurait pour effet de maintenir inconnue l’identité du bénéficiaire final est suffisante pour définir un contrat d’aléatoire198

. La proposition n’est pas 195. Ch. mixte, 23 nov. 2004 ; JCP éd. G 2005, I, 111, chron. Ghestin ; RGDA 2005, p. 110, note Mayaux ; D. 2005, p. 1325, obs. Groutel et p. 1905, note Beignier ; RDC 2005.2.297, obs. Bénabent ; RTD civ. 2005, p. 434, obs. Grimaldi.

196. Ch. mixte, 23 nov. 2004, pourvoi n. 01-13592.

197. En ce sens, V. Heuzé, « Un monstre et son régime: le contrat commutatif d’assurance sur la vie », Mélanges en l’honneur du Professeur Jean Bigot, L.G.D.J., 2010, p. 205.

198. L’hypothèse selon laquelle l’aléa viager, dès lors qu’il aurait une incidence quelconque sur les effets d’un contrat n’a heureusement pas été envisagée par la Cour de cassation, car cela reviendrait à considérer tous les contrats conclus intuitu personae comme des contrats aléatoires, et à décider

choquante en elle-même, car la Cour de cassation s’appuie sagement sur l’article 1964 du code civil, dont la définition qu’il donne du contrat aléatoire ne permet pas la distinction avec un certain type de contrat commutatif199

. Néanmoins, la position de la Cour de cassation n’est pas défendable, même pour les partisans de l’article 1964 du code civil. En effet, la lecture combinée de 1964 avec l’article L. 310-1 du code des assurances aboutit à consacrer comme aléatoires des contrats affectés non pas par un aléa, mais par une simple incertitude, propre à tout contrat à exécution successive. En l’espèce, il y aurait aléa car le souscripteur ne sait pas, au moment de la conclusion du contrat, qui sera le créancier de l’assureur. Or, on a vu que selon l’article 1964 du code civil, la notion d’« avantages et de pertes » renvoie à l’idée de faire une bonne affaire ou non. En aucun cas, elle ne peut renvoyer à l’idée de savoir si on sera en mesure de profiter de l’argent gagné, puisque, tous les êtres humains étant concernés par le risque de mort, on ne voit plus alors ce qui distinguerait une donation ou un testament d’un contrat d’assurance. C’est pourquoi, comme le souligne M. Heuzé, « si cette thèse parvient (. . .) à décrire les modalités d’exécution de l’opération, dans

cette hypothèse précise200

, elle est en revanche impuissante à justifier sa qualification d’assurance sur la vie. Car elle rendrait tout aussi bien compte du dénouement d’un contrat de capitalisation. Dans un tel contrat, en effet, l’assureur ne s’exécutera entre les mains du souscripteur que si, à l’échéance, celui-ci est encore en vie. Dans le cas contraire, il versera le montant de l’épargne capitalisé de ce souscripteur à ses héritiers, désigné par la stipulation pour autrui que le contrat peut tout aussi bien, voire est réputé contenir, en vertu de l’article 1122 du code civil (. . .). »201

L’admission de l’analyse de la Cour de cassation procède d’une confusion entre les principes qui gouvernent le régime du contrat en question et ceux qui justifient du bien-fondé de la qualification202

.

En définitive, la Cour de cassation ignore la nécessaire réciprocité entre l’heureuse fortune et la malchance des cocontractants ; considérer la possibilité d’attribution du gain à un individu autre que le souscripteur comme un critère de qualification revient à apprécier l’équilibre du contrat en prenant en considération la situation de tiers, ce qui est pour le moins problématique. Enfin, l’incertitude affectant l’identité du créancier final n’affecte pas l’équilibre du contrat, puisque l’assureur ne court pas un risque de perte, et encore moins une chance de gain si le souscripteur décède203

. in fine que cette catégorie, ainsi vidée de sa substance, n’a pas de raison d’être.

199. cf. supra.

200. C’est-à-dire dans le cadre des contrats d’assurance mixte à capital variable, dans lesquels souscripteur et assuré ne sont qu’une seule et même personne.

201. ibid., p. 205. 202. cf. ibid., note 26.

2. Le prix de l’équivalence

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