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Le male-killing (MK) correspond à la mort des embryons mâles chez certaines espèces d’insectes infectées par Wolbachia (Hurst et Jiggins 2000, Jiggins et al. 2000) (Figure 4). Infecter les mâles apparaît alors comme une impasse évolutive pour les bactéries. Une transmission inférieure à 100% empêche néanmoins l’extinction des populations naturelles. Compte tenu du faible nombre de mâles, la forte consanguinité entre individus au sein d’une population favorise le maintien et la transmission de la souche native de Wolbachia infectant la population (Werren 1997). Dans certains cas, les œufs mâles non-éclos servent de source d’énergie aux individus femelles après leur éclosion. Cela augmente la valeur sélective des femelles et bénéficie du même coup aux Wolbachia dont elles sont porteuses (Hurst et Randerson 2002).

d) La féminisation.

Des sex-ratios déséquilibrés en faveur des femelles ont été longtemps observés chez les crustacés isopodes terrestres (Vandel 1941). La féminisation des mâles génétiques par Wolbachia a été historiquement démontrée chez plusieurs espèces d’isopodes terrestres (Martin et al. 1973, Bouchon et al. 2008). Afin d’assurer sa transmission à la descendance, Wolbachia colonise principalement les ovocytes où sa présence induit la différenciation des embryons génétiquement mâles en femelles fonctionnelles capables de se reproduire et d’engendrer une descendance (Rigaud et al. 1997). Ainsi, le sex-ratio de la descendance est fortement biaisé vers les femelles (Figure 5). Le taux de transmission n’est pas de 100% si bien que quelques ovocytes (~10 à 20%) échappent à l’infection et assurent, par ce biais, la persistence de mâles dans les populations (Bouchon et al. 2008).

Aujourd’hui, la prévalence de Wolbachia est estimée à 61% des espèces d’isopodes terrestres (Bouchon et al. 2008). Le phénomène de féminisation n’a été clairement démontré que chez 3 espèces d’isopodes terrestres: A. vulgare et A. nasatum (Rigaud et al. 2001, Cordaux et al. 2004) et Oniscus asellus (Rigaud et al. 1999). Ce phénotype a également été fortement suspecté chez neuf autres espèces infectées : Porcellionides pruinosus, Porcellio scaber, A. album, Sphaeroma hookeri, S. rugicauda, Asellus aquaticus, Ligia oceanica, Chaetophiloscia elongata et Philoscia muscorum (Bouchon et al. 2008). Parmi les 39 espèces d’isopodes infectées par Wolbachia répertoriées à ce jour, A. vulgare et P. pruinosus présentent l’originalité d’être infectés par trois souches bactériennes différentes (Bouchon et al. 1998, Michel- Salzat et al. 2001, Cordaux et al. 2004, Verne et al. 2007).

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Figure 6: Détermination du sexe chez les isopodes.

Photographies de la face ventrale du pléon de trois phénotypes sexuels d’Armadillidium vulgare. De gauche en droite, (A) un mâle (deux stylets copulateurs ou endopodytes), (B) une femelle (pas de stylets copulateurs, mais des ouvertures génitales non visibles à la base des pattes) et (C) un intersexué femelle (femelle fonctionnelle possédant deux stylets copulateurs très courts, asymétriques et non fonctionnels). Il existe également des intersexués stériles dits intersexués mâles car ils possèdent deux endopodytes incomplets.

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Chez A. vulgare, une première souche wVulC est connue comme féminisante (Rigaud et al. 2001) et son génome est en cours de séquençage (projet Européen Euwol). Une seconde souche (wVulM) a elle aussi un effet féminisant (Cordaux et al. 2004) tandis que la troisième (wVulP), découverte récemment, est une souche recombinante des deux premières (Verne et al. 2007). Ces trois souches peuvent coexister au sein d’une même population de cloportes mais, contrairement à ce qui est observé chez les insectes, aucun cas d’infection multiple d’un même individu n’a été répertorié dans la nature. Ces trois souches sont susceptibles d’avoir des stratégies évolutives, des prévalences et impacts différents dans les populations d’A. vulgare (Verne 2007, Lachat 2009).

La féminisation des mâles génétiques par Wolbachia a également été démontrée chez un lépidoptère (Hiroki et al. 2002, Hiroki et al. 2004, Narita et al. 2007) et chez une espèce de cicadelle chez laquelle on observe de nombreux intersexués femelles (Negri et al. 2006). Néanmoins, le modèle isopode se différencie des autres dans la mesure où la détermination du sexe est presque entièrement contrôlée par la bactérie Wolbachia (Bouchon et al. 2008). En effet, chez A. vulgare, le système de détermination du sexe est une hétérogamétie femelle : les mâles sont homogamétiques ZZ alors que les femelles sont hétérogamétiques WZ (Juchault et Legrand 1972, Legrand et al. 1987) (Figure 6). Les mâles possèdent néanmoins l’ensemble du matériel génétique nécessaire pour devenir des femelles puisqu'en présence de Wolbachia, ils se développent en femelles fonctionnelles de génotype ZZ. Ils sont capables de transmettre les bactéries à leurs descendants qui se développeront à leur tour en femelles fonctionnelles. Comme ces femelles ZZ produisent beaucoup plus de filles comparées aux femelles génétiques WZ, ces dernières finissent par disparaître complètement de la population (Caubet et al. 2000, Bouchon et al. 2008). Pour autant, l’action de Wolbachia peut s’avérer parfois inefficace ou incomplète. Tel peut être le cas quand, dans les populations naturellement infectées (chez P. pruinosus ou O. asellus par exemple), sont observés des individus de phénotype intersexué (Figure 6) ou des mâles infectés à l’âge adulte (Marcadé et al. 1999, Rigaud et al. 1999).

Bien que le mécanisme de la féminisation ne soit pas encore totalement identifié, Wolbachia inhibe la différenciation des glandes androgènes, lieu de synthèse de l'hormone androgène (HA) (Martin et al. 1999). Cette hormone, de nature protéique (cas exceptionnel dans le règne animal), est responsable du développement des caractères sexuels mâles (Martin et al. 1990). Libérée dans la circulation chez l’adulte, cette hormone assure la différentiation des caractères sexuels mâles à chaque mue de l'animal. L’injection d’HA à de très jeunes femelles entraîne leur développement en mâles fonctionnels, démontrant ainsi que les femelles possèdent l’ensemble du matériel génétique nécessaire pour devenir des mâles. La différenciation mâle est donc totalement sous le contrôle de cette hormone.

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Dans le cas des intersexués, il est supposé que la charge bactérienne est trop faible durant le développement embryonnaire pour empêcher la différenciation de la glande androgène mais suffisamment élevée à l’âge adulte, pour que les récepteurs à l’AH soient inactivés menant à une féminisation partielle ou à la persistance de mâles infectés (Rigaud et Juchault 1995, Bandi et al. 2001).

La féminisation d'embryons mâles infectés par Wolbachia pourrait donc résulter de l’inhibition précoce au cours du développement de l’expression et/ou de l’action de l’AH ou de son récepteur, les gonades s’engageant alors par défaut vers la voie femelle. Autrement dit, il est supposé que des effecteurs libérés par Wolbachia interagissent avec les mécanismes moléculaires de la différenciation de la glande androgène, que ce soit au niveau du récepteur de l’AH par compétition, par blocage de son expression ou au niveau de la transduction du signal généré par la fixation du ligand sur son récepteur. Pour compléter notre compréhension des processus moléculaires sous-jacents à l’endosymbiose à Wolbachia et à ses différents phénotypes étendus, il est donc nécessaire de mieux connaître les voies de sécrétion possibles de Wolbachia.

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