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3. LES RÉPONSES AUX STRESS

3.2. L E STRESS ACIDE

3.2.2. Mécanismes de résistance au stress acide des BL

3.2.2.1. Maintien de la force protomotrice

Le gradient électrochimique de protons à travers la membrane (∆µH+ ou force protomotrice) est la résultante de deux composantes : le potentiel électrique (∆Ψ) (milieu intracellulaire plus négatif que le milieu externe) et le gradient de protons (∆pH) (compartiment intracellulaire plus alcalin que le milieu externe). La relation liant l’ensemble est : ∆µH+ = ∆Ψ – Z∆pH, Z étant une constante dépendant de la température (Z= 59 mV à 25°C par exemple) (Kakinuma, 1998). Chez les bactéries possédant une chaîne respiratoire, celle-ci crée un gradient de protons à travers la membrane en les expulsant de la cellule. L’énergie créée par ce gradient de protons est utilisée par la F1F0-ATP synthase (ou H+-ATPase) pour la synthèse de l’ATP à partir d’ADP et de

phosphate inorganique.

De manière plus générale, un certain nombre de transports demandant de l’énergie est lié aux mouvements de protons à travers la membrane, et par là-même à la force protomotrice. Si le transport se fait dans le même sens que le mouvement de protons à travers la membrane, on parle de symport. Si le transport se fait dans le sens inverse, on parle alors d’antiport (figure 8) (Kakinuma, 1998).

Pendant longtemps, les BL ont été considérés comme dépourvues de chaînes respiratoires. Il a été établi qu’en présence d’une source d’hème (et parfois de quinone), certaines BL sont capables de respirer, ce qui se traduit par une acidification restreinte et un gain de viabilité en phase stationnaire (L. lactis, Duwat et al., 2001 ; Rezaiki et al., 2004 ; E. faecalis, Winstedt et al., 2000 ; streptocoques, Yamamoto et al., 2005). Ces travaux ont conduit à une nouvelle méthode de préparation des levains et ferments mais la biotransformation des aliments continue de se faire en condition de fermentation, la production d’acide lactique étant la plus souvent recherchée. Lors du processus de fermentation, la chaîne respiratoire des BL est inactive, elle ne peut donc pas participer à la génération de la force protomotrice.

L’ H+-ATPase

Les premières études sur le maintien du pH intracellulaire par l’H+-ATPase ont été menées chez E. faecalis. Les travaux de Harold et coll. ont montré que chez cette bactérie, l’H+-ATPase est responsable de l’expulsion des protons couplée à la dépense d’ATP (Harold et al., 1970). D’autres travaux, notamment ceux de Kobayashi, ont permis de confirmer que l’H+-ATPase a un rôle majeur dans l’homéostasie du pH cytoplasmique (Kobayashi et al., 1982 ; Kobayashi, 1985 ; Kobayashi et al., 1986). Un mutant de l’H+-ATPase ne maintient plus de ∆pH lorsque le pH diminue et sa croissance est très ralentie à pH 6,0 (Kobayashi, 1985). La régulation du pH intracellulaire est fonction de la quantité et de l’activité de la H+-ATPase (Kobayashi et al., 1986). A pH acide, la quantité des sous-unités α et β de H+-ATPase augmente et elle diminue

Figure 8 : Couplage de la force protomotrice avec des cotransports de protons

A- L’expulsion électrogénique de H+ par la chaîne respiratoire (I) permet d’établir un ∆µH+ qui sera ensuite utilisé pour produire de l’ATP (II) et permettre le transport actif de différents substrats (S) par des systèmes de symport (III) ou d’antiport (IV).

B- Lorsque la chaîne respiratoire est inactive (par exemple en condition de fermentation), l’expulsion de protons est réalisée par la H+-ATPase (V) qui va établir le ∆µH+ en utilisant de l’ATP. Dans certains cas, ce processus peut être inversé (voir dans le texte).

Adapté de Kakinuma, 1998.

Ext. Int. Ext. Int.

A B I II III IV V

lorsque les cellules sont incubées à pH légèrement alcalin. L’alcalinisation du milieu intracellulaire diminue vers pH 8, pH auquel la H+-ATPase n’est plus active. L’expulsion de protons est un phénomène électrogénique (elle augmente le potentiel de membrane par l’expulsion de charges positives).

Chez L. lactis, des études ont montré que la H+-ATPase avait un rôle dans l’ATR car l’activité de la H+-ATPase augmente avec la tolérance à l’acidité (O’sullivan et Condon, 1999). Cette enzyme est essentielle à la croissance de L. lactis (Koebmann et al., 2000). Plus récemment, des études sur des lactobacilles probiotiques (L. rhamnosus GG et E800, L. paracasei NFBC 338, L. salivarius UCC 500 et L. gasseri ATCC 33323) ont montré que leur survie à un environnement acide était augmentée en présence de sucres métabolisables et notamment de glucose. L’explication fournie est que le glucose permet de maintenir une activité glycolytique générant de l’ATP (mais aussi de l’acide lactique) qui sera ensuite utilisé par la H+- ATPase pour augmenter le pH intracellulaire (Corcoran et al., 2005).

Autres ATPases

D’autres types d’ATPases pourraient être impliqués dans l’homéostasie du pH. L’expulsion électrogénique de protons par l’H+-ATPase augmente le potentiel de membrane. Pour contrer cet effet, des transports d’ions sont impliqués et notamment le transport d’ions K+ (Dashper et Reynolds, 1992 ; Kashket et Barker, 1977 ; Kashket et al., 1980). Ce transport d’ions K+ nécessite chez E. hirae la consommation d’ATP (Bakker et Harold, 1980).

Plus récemment une ATPase de type P présentant les caractéristiques des H+-ATPases de levure a été étudiée chez S. mutans. Cette ATPase, caractérisée biochimiquement, pourrait transporter soit des protons, soit médier un antiport ion/H+ et serait impliquée dans la régulation du pH intracellulaire (Magalhaes et al., 2003, 2005).

Décarboxylation d’acides aminés

L’hypothèse d’un rôle des décarboxylases d’acides aminés dans la résistance au stress acide remonte aux années 1920 (Hanke et Koessler, 1924 ; Gale, 1940), suite à l’observation que l’activité décarboxylase augmentait avec la baisse du pH chez des bactéries isolées de fécès, notamment E. coli. La décarboxylation d’un acide aminé consomme un proton intracellulaire et produit l’amine correspondant à l’acide aminé et du CO2. De nombreuses décarboxylases ont été

étudiées chez les BL. En 1952, Lagerborg et Clapper testent la capacité de 33 souches de lactobacilles (31 souches isolées de salive humaine, L. casei ATCC 7469 et L. arabinosus ATCC

8014) à produire du CO2 à partir de différents acides aminés (arginine, tyrosine, lysine, histidine,

ornithine, glutamate). Ils montrent que dans cet échantillon de souches, les réactions les plus fréquentes sont : la décarboxylation de l’arginine (12/33), celle du glutamate et de la tyrosine n’ont lieu que dans 3 souches sur 33, et la décarboxylation de l’histidine et de l’ornithine dans une seule souche. Les décarboxylases ne sont donc pas systématiquement présentes chez les lactobacilles et leur présence varie selon les souches (les souches de L. casei ATCC 7469 et L. arabinosus ATCC 8014 ne possèdent aucune des décarboxylases).

La première décarboxylase étudiée pour son rôle dans la résistance au stress acide chez les lactobacilles a été l’histidine décarboxylase (Recsei et Snell, 1972). Cette enzyme produit de l’histamine et du CO2 à partir de l’histidine. Lorsque Lactobacillus 30a est placé dans un milieu à

pH 4,3 en présence d’histidine, il produit du CO2 et de l’histamine, le pH du milieu augmente

jusqu’à pH 4,8 et la souche se développe. Dans le même milieu, un mutant dépourvu d’activité histidine décarboxylase est incapable d’augmenter le pH et croît peu. Chez L. buchneri l’histamine produite au cours de la décarboxylation de l’histidine est exportée par un antiport électrogénique Histidine+1/Histamine+2 permettant la création d’un ∆Ψ, qui, en association avec le ∆pH créé lors de la réaction de décarboxylation, génère une force protomotrice (Molenaar et al., 1993, figure 9). La régulation de l’activité de l’histidine décarboxylase a été étudiée chez Lactobacillus 30a. Le pH induit des changements dans la conformation de l’enzyme qui stabilisent l’hélice du site de liaison du substrat et permettent à l’enzyme d’être active à pH acide (Schelp et al., 2001).

D’autres décarboxylases ont été étudiées. Chez L. brevis (Ueno et al., 1997), Lactobacillus E1 (Higuchi et al., 1997) et L. lactis (Sanders et al., 1998), une glutamate décarboxylase a été mise en évidence, couplée à un antiport Glutamate-/GABA. Chez L. lactis, l’induction du système décarboxylase-antiport dépend du pH, de la présence de glutamate et d’ions Cl- (Sanders et al., 1998). Chez L. lactis, l’inactivation de ce système induit une sensibilité accrue au stress acide (Sanders et al., 1998). L. brevis présente également une tyrosine décarboxylase dont le rôle potentiel dans la résistance à l’acidité n’a pas été étudié (Lucas et al., 2003).

Il a été également proposé que les décarboxylases aient un autre rôle qui contribue à la tolérance à l’acidité, le génération d’une force protomotrice. Chez Lactobacillus M3, l’ATP cellulaire augmente fortement en présence d’aspartate (Abe et al., 1996) mais la présence d’inhibiteur de la H+-ATPase ou d’ionophores inhibe la synthèse d’ATP. Dans cette souche, la présence d’un système aspartate décarboxylase -antiport Aspartate-/Alanine a été mise en

évidence. La réaction de décarboxylation couplée au transport électrogénique permettrait de générer un force protomotrice qui serait utilisée par la H+-ATPase pour produire de l’ATP.

Figure 9 : Modèle de la création de la force protomotrice par la décarboxylation d’acides aminés et de son utilisation pour la synthèse d’ATP

L’acide aminé (AA) est introduit dans la cellule par un système d’antiport (AP) et dégradé pour produire l’amine correspondante et du CO2 par la décarboxylase (DC). Cette réaction consomme un proton et crée

ainsi un ∆pH. L’amine (Amine+) qui possède une charge positive supplémentaire par rapport à l’AA est

expulsée par le système antiport contre l’import de l’acide aminé. Ce transport est électrogénique et crée un ∆Ψ qui se répercute sur la force protomotrice. Le ∆µH+ ainsi créé peut être utilisé par l’H+-ATPase

pour produire de l’ATP.

Fermentation malolactique

Un autre transport électrogénique, couplé à la fermentation malolactique a aussi été mis en évidence chez les BL. La fermentation malolactique est la conversion de l’acide malique (acide dicarboxylique) en acide lactique (acide monocarboxylique). Cette conversion consomme un proton et libère du CO2. Elle a surtout été étudiée chez Oenococcus oeni et L. lactis (Renault et al., 1988). Les premières observations ont montré que la croissance d’O. oeni était stimulée par la présence d’acide malique dans le milieu, notamment à bas pH (Pilone et Kunkee, 1976). Les transporteurs responsables de la création du ∆µH+ sont de deux types : un antiport Malate2- /Lactate- présent chez L. lactis (Poolman et al., 1991) et L. sakei (Champomier-Vergès et al., 2001) et un uniport Malate- chezO. oeni (Salema et al., 1994), L. plantarum (Olsen et al., 1991), L. sakei (Champomier-Vergès et al., 2001) et L. lactis (Poolman et al., 1991). Les deux types de transport sont électrogéniques et contribuent au ∆Ψ. La fermentation malolactique consommant un proton, elle contribue au ∆pH. Le ∆µH+ généré peut être utilisé par la cellule pour produire de l’ATP. En 1989, Cox et Henick-Kling montrent qu’à pH 3,5 et 5,5, la présence de malate augmente la quantité d’ATP intracellulaire. Cette augmentation d’ATP est inhibée par l’addition

membrane Ext. acide Int. alcalin + + + + + + - - - - - - - AA AA Amine + Amine + H+ CO2 DC AP H+ H+ ATP ADP+Pi

d’inhibiteur de l’H+-ATPase (DCCD) ou d’ionophore (monensine), ce qui indique qu’elle dépend du ∆µH+.

Fermentation citrolactique

Certaines BL sont capables d’utiliser le citrate comme source de carbone via la fermentation citrolactique. Le métabolisme du citrate nécessite plusieurs enzymes dont les gènes sont détectés dans plusieurs genres comme Weissella, Leuconostoc, Lactobacillus, Oenococcus et Lactococcus (Martin et al., 2005). La première étape est le clivage du citrate en acétate et oxaloacétate par le complexe citrate lyase, codé par les gènes citCDEFG (CitD, E, F sont les sous-unités du complexe et citG et citC sont nécessaires à son activité). L’oxaloacétate est ensuite décarboxylé en pyruvate par l’oxaloacétate décarboxylase codée par le gène citM. La décarboxylation consomme un proton (permettant l’alcalinisation du milieu intracellulaire et générant un ∆pH) et produit du CO2. Le pyruvate sera ensuite transformé en lactate par la lactate déshydrogénase. Le

lactate ainsi produit est ensuite excrété par un système d’antiport Lactate-/Citrate2- électrogénique permettant la création d’un ∆Ψ. La combinaison du ∆pH et du ∆Ψ crée une force protomotrice qui sera utilisée par la cellule pour la synthèse d’ATP (Marty-Teysset et al., 1996 ; Drider et al., 2004). La relation entre la fermentation citrolactique et la résistance au stress acide a été étudiée chez Lactococcus lactis subsp. lactis biovar diacetylactis. Chez cette bactérie, les fonctions de transport et les enzymes de dégradation du citrate sont codées par deux opérons différents, situés respectivement sur un plasmide et sur le chromosome (Martin et al., 2004). Les deux opérons sont induits par le stress acide, indépendamment de la présence de citrate (Garcia- Quitans et al., 1998 ; Martin et al., 2004).

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