• Aucun résultat trouvé

Ç Jamais assurŽment une technique ne na”t dÕun coup. È

Bertrand GILLE, Histoire des techniques. 93

LÕhistoire technique de lÕOccident est lÕhistoire de la machinisation. Celle-ci commence ˆ la Renaissance avec les premires machines mŽcaniques en bois, explose lors de la rŽvolution industrielle avec lÕarrivŽe des machines-outils et des systmes mŽcanisŽs en mŽtal, et conna”t aujourdÕhui des dŽveloppements inŽdits avec les machines numŽriques en rŽseau qui innervent lÕensemble de nos territoires de vie. La machinisation, perceptible ˆ lՎchelle historique comme une vaste dynamique pluri- sŽculaire, est ce qui prŽcipite lÕEurope, lÕAmŽrique et lÕensemble des pays dŽveloppŽs dans la logique du progrs, mettant fin aux logiques de Ç! blocage! È des systmes techniques traditionnels. Avec la machinisation, le temps technique sÕaccŽlre, la durŽe de vie des systmes techniques se rŽduit, les innovations sÕencha”nent et les Ç!rŽvolutions techniques!È sont de plus en plus frŽquentes. Alors quÕil a fallu plus de quinze sicles au systme technique antique pour tre ŽbranlŽ, il faut seulement trois sicles ˆ la rŽvolution prŽ-machinique de la Renaissance (celle du systme bielle- manivelle et de lÕimprimerie) pour parvenir ˆ la premire rŽvolution industrielle

Ñ! Page 55 sur 302 ! Ñ

(celle du charbon, de la machine ˆ vapeur et du mŽtal), puis moins dÕun sicle ˆ cette dernire pour atteindre la seconde rŽvolution industrielle (celle de lՎlectricitŽ, du moteur ˆ explosion et de lÕacier), et enfin ˆ peine un demi-sicle pour que commence la Ç!rŽvolution numŽrique!È (celle de lÕordinateur, des rŽseaux de communication et de lÕInternet).

Autant dire que nous sommes entrŽs depuis dŽjˆ quelques sicles dans une temporalitŽ technique ˆ Žvolution rapide, et que tout ce que lÕon Žnonce (ou dŽnonce) aujourdÕhui sous le signe de la vitesse, nÕest dans le fond quÕun degrŽ supplŽmentaire dans la crŽation technique accŽlŽrŽe que nous connaissons depuis la Renaissance. Aussi, si lÕon veut avoir une chance de saisir la nature de lՎvŽnement historique que lÕon appelle Ç! rŽvolution numŽrique! È, il nous faut remonter ˆ lÕorigine de lÕhistoire technique occidentale afin dÕen comprendre la dynamique dÕensemble. Car, depuis les premires impulsions mŽdiŽvales!94, Ç! lÕOccident europŽen, et lui seul, conna”t des

mutations successives de son systme technique!È!95. Voyons lesquelles.

¤. 8 Ñ Avant les machines : lÕantiquitŽ et les systmes

techniques bloquŽs

CÕest au Proche-Orient que sont apparus, il y a plusieurs milliers dÕannŽes, les fondements techniques de la civilisation occidentale. Hittites, ƒgyptiens,

Ñ! Page 56 sur 302! Ñ

94. Voir Bertrand GILLE, op. cit., p. 559 : Ç!LÕutilisation de lՎnergie hydraulique sur une large Žchelle, la ferrure ˆ clous plus que lÕattelage moderne, les perfectionnements textiles, les mutations de la sidŽrurgie, lÕapparition de types de navires nouveaux, tout cet ensemble de techniques donnait ˆ lÕOccident mŽdiŽval technique une physionomie trs diffŽrente de ce que lÕAntiquitŽ avait lŽguŽ.!È

MŽsopotamiens, PhŽniciens, Syriens, sont les peuples qui, des rives du Nil ˆ celles du Tigre et de lÕEuphrate, ont mis au point les premires innovations agricoles et mŽtallurgiques, mais aussi les premiers systmes dՎcriture, qui ont par la suite favorisŽ lÕavnement des grandes civilisations. Du point de vue technique, la plus remarquable des cultures anciennes est celle de la Grce, qui voit na”tre son systme technique ˆ partir du VIe sicle av. J-C. Quoique trs imparfait et trs inŽgal, celui-ci

va exercer une influence considŽrable. Aussi, si lÕon veut saisir la dynamique dÕensemble de lՎvolution technique occidentale, il est nŽcessaire dÕanalyser dÕabord le systme technique antique.

Les Grecs sont avant tout un peuple de guerriers et dÕesthtes. Leurs principales innovations techniques ne concernent pas la vie quotidienne et ne visent pas ˆ Ç!diminuer la misre et la peine physique des hommes!È!96. Elles concernent plut™t

les machines et les navires de guerre, comme les trires, ces cŽlbres galres conues pour le combat naval et propulsŽes par un trs grand nombre de rameurs (gŽnŽralement des esclaves), ou les automates scŽniques de thŽ‰tre, comme le mŽcanisme de thŽ‰tre roulant dŽcrit par HŽron dÕAlexandrie!97. Bien sžr, le systme

technique des Grecs, parce quÕil est diffŽrent des prŽcŽdents, se reconna”t Žgalement ˆ une foule dÕinventions ayant eu un impact sur lÕensemble de la vie sociale : les Grecs ont rŽvolutionnŽ la construction en remplaant le bois et la brique par la pierre (ˆ lÕimage du temple dÕApollon ˆ Corinthe, taillŽ dans un seul bloc de marbre monolithique), ils ont mis au point de savants outils de traction et de levage qui

Ñ! Page 57 sur 302 ! Ñ

96. AndrŽ AYMARD, citŽ par Bertrand GILLE, op. cit., p. 361. 97. Bertrand GILLE, op. cit., p. 358-359.

servent encore aujourdÕhui (les cŽlbres poulies, palans et leviers dÕArchimde), ils ont dŽveloppŽ des instruments scientifiques inŽdits (le mŽsolabe dÕEratosthne ou le dioptre d'Hipparque) et ont appliquŽ leur connaissance exceptionnelle de la gŽomŽtrie au plan des villes et ˆ lÕurbanisme.

Toutefois, par des voies qui sont celles de lÕimaginaire collectif et de lÕinconscient groupal, les Grecs semblent avoir fait un choix : concentrer leur gŽnie technique dans les domaines o les valeurs de la culture grecque Ñ!hŽro•sme, virilitŽ, beautŽ du corps et de lÕesprit Ñ!pouvaient le mieux sÕillustrer, plut™t que dans les domaines de la vie pratique et quotidienne o sÕexpriment les besoins ŽlŽmentaires de la population. La technique semble avoir ŽtŽ conue par les Grecs comme destinŽe ˆ servir avant tout des fins nobles et ŽlevŽes. DÕo lÕimportance donnŽe aux constructions navales, aux thŽ‰tres et aux temples, qui connaissent des innovations techniques de pointe, plut™t quՈ des activitŽs ŽlŽmentaires mais essentielles comme la construction des b‰timents de vie ordinaire ou la production textile, qui ont continuŽ de fonctionner avec des techniques artisanales traditionnelles (par exemple, le filage ˆ la quenouille, cher ˆ PŽnŽlope)!98.

Ds lors, au pays du Ç!miracle grec!È!99, celui de lÕinvention de la gŽomŽtrie et de la

science, de la dŽmocratie et de la philosophie, de lՎgalitŽ devant la loi et de lÕart du discours, de la tragŽdie lyrique et de la sculpture de nu, du sport professionnel ou de lՎthique mŽdicale, il nÕy a eu aucun miracle technique ! Miracle de lÕart, de la science

Ñ! Page 58 sur 302! Ñ

98. Bertrand GILLE, op. cit., p. 314.

99. Ernest RENAN, Ç!Prire sur l'Acropole!È (1865), Souvenirs d'enfance et de jeunesse, Paris, GF Flammarion, 1992, p. 74.

ou de la politique, oui, mais pas de miracle de la technique. De nombreux historiens sÕen sont ŽtonnŽ!100, ne comprenant pas comment la civilisation qui a inventŽ la

science et la philosophie nÕa pas pu aller plus loin dans lÕinnovation technique alors que, dÕaprs les plus optimistes, Ç! le dŽveloppement du machinisme aurait ŽtŽ logiquement possible! È!101. En apparence, toutes les conditions semblaient rŽunies

pour que se produise en Grce une rŽvolution technique de grande ampleur, susceptible de transformer en profondeur les modes de vie. Mais elle nÕa pas eu lieu.

Plusieurs facteurs objectifs peuvent lÕexpliquer. DÕabord, des facteurs gŽographiques et gŽologiques : la Grce est un pays pauvre, o les plaines sont rares, les montagnes sont sches, les cours dÕeau sont maigres et la fort chŽtive!102. Ensuite,

des facteurs politiques et sociaux : les citŽs grecques, voisines et rivales ˆ la fois, se dŽchirent sans cesse entre elles par des guerres intestines, dont le modle est donnŽ par lÕimprobable et consternante Guerre de Troie, qui voit des milliers dÕhommes, femmes et enfants tuŽs pour laver lÕhonneur dÕun roi Ç! cocu! È. Enfin, des facteurs moraux et culturels : les Grecs ont un certain mŽpris pour le travail manuel, mŽpris relayŽ par les textes des plus grands philosophes qui vantent lՎlŽvation de lՉme!103 et

fondŽ sur la conviction dÕune supŽrioritŽ de la vie contemplative sur toute forme de vie pratique. On en trouve une illustration Žloquente dans lÕidŽal grec de lÕhomme libre tel quÕil appara”t dans la figure des protagonistes du Banquet de Platon, citoyens

Ñ! Page 59 sur 302! Ñ

100. Bertrand GILLE, op. cit., p. 361 et suiv. 101. Bertrand GILLE, op. cit., p. 370. 102. Bertrand GILLE, op. cit., p. 287.

103. Bertrand GILLE nous rappelle que Platon (Lois, VIII, 846) et Aristote (Politique, III, 5) refusent au travailleur manuel le droit dՐtre citoyen dans leurs citŽs idŽales.

cultivŽs discutant de lÕamour dans une riche demeure, pendant que des esclaves leur servent le vin.

Mais lˆ nÕest pas le plus important. Comme le montre Bertrand Gille, lÕimpasse technique des Grecs sÕexplique plus encore par des facteurs internes ˆ la technique elle-mme. Tout se passe comme si les Grecs Žtaient tout simplement allŽs au bout de ce qui leur Žtait possible de faire en matire technique, cÕest-ˆ-dire au bout de ce que leur outillage intellectuel et scientifique leur permettait :

Ç!Leviers, poulies, treuils, roues dentŽes, dŽmultiplication, tout ce qui pouvait tre tirŽ de la physique grecque lÕavait ŽtŽ.!È!104

Les Grecs nÕavaient, en vŽritŽ, pas les moyens de faire mieux. Pour aller plus loin, cÕest-ˆ-dire pour aller vers le machinisme, il aurait fallu quÕils disposent de notions auxquelles ils nÕavaient pas encore accs. Il aurait fallu par exemple quÕils dŽcouvrent le systme bielle-manivelle, lÕune des grandes innovations de la Renaissance qui Ç!se trouve ˆ la base de tout machinisme dŽveloppŽ È!105. Or, ni les Grecs, ni les Romains,

ni les Byzantins, ni les hommes du Moyen-‰ge ne lÕont dŽcouvert. CÕest pourquoi le systme technique des Grecs, mme sÕil reprŽsente un progrs certain par rapport aux systmes antŽrieurs, constitue ce que Bertrand Gille appelle un Ç!systme bloquŽ!È, cÕest-ˆ-dire un systme immobilisŽ sur lui-mme, qui ne parvient plus ˆ progresser, faute dÕune dynamique suffisante pour dŽpasser les limites quÕil gŽnre. Comme si lՎlan crŽateur de la pensŽe grecque sՎtait trouvŽ bornŽ face aux enjeux de la technique, contraignant le progrs de celle-ci ˆ se mettre ˆ lÕarrt. Ds lors, Ç! il

Ñ! Page 60 sur 302 ! Ñ

104. Bertrand GILLE, op. cit., p. 370. 105. Bertrand GILLE, op. cit., p. 370.

semble bien que, dans son ensemble, le systme technique mis au point par les Grecs se soit en quelque sorte figŽ pour plusieurs sicles! È!106. CÕest pourquoi il a servi de

socle ˆ celui des Romains, qui lui ont donnŽ toute son ampleur, puis ˆ celui des Byzantins, qui lÕont perfectionnŽ, mais, dans les deux cas, sans bouleversements majeurs.

Pourtant, chacun lÕobserve dans les nombreux vestiges des provinces franaises, le gŽnie romain qui hŽrite du systme technique des Grecs surprend par lÕimpression quÕil donne dÕune Ç! ma”trise parfaite du monde matŽriel! È!107 . Les techniques

dÕadduction dÕeau mises en place par les Romains en sont une illustration emblŽmatique et saisissante. Pour alimenter les villes de lÕEmpire, dont lÕespace gŽographique est immense, il faut aller chercher les sources dÕeau toujours plus loin. Ainsi naissent les aqueducs, qui profitent de lÕexpansion de la vožte dans les techniques de construction, et qui vont chercher lÕeau parfois jusquՈ 100 km de distance, tel le monumental Pont du Gard. Si elle nÕest quÕen partie novatrice, Ç! lÕampleur de l'hydraulique romaine frappe lÕimagination! È!108, reconna”t Bertrand

Gille. Et ce nÕest pas le seul domaine o sÕillustre le gŽnie technique des Romains : le dŽveloppement du rŽseau routier ˆ travers tout lÕempire, lÕessor considŽrable de la culture de la vigne! (auquel les vignobles franais doivent tant!109 ), lÕinvention du

moulin ˆ eau!110, la ma”trise et le perfectionnement de lÕart de construire (innovation

Ñ! Page 61 sur 302! Ñ

106. Bertrand GILLE, op. cit., p. 375. 107. Bertrand GILLE, op. cit., p. 376. 108. Bertrand GILLE, op. cit., p. 428. 109. Bertrand GILLE, op. cit., p. 393. 110. Bertrand GILLE, op. cit., p. 400.

dans les mortiers, invention de la truelle, invention du systme de portes sur gonds, invention de la serrure avec clef ˆ panneton) en sont quelques exemples remarquables!111.

NŽanmoins, il ne sÕagit de rien dÕautre que du perfectionnement du systme technique des Grecs et de son dŽploiement ˆ grande Žchelle, gr‰ce ˆ un plus vaste territoire gŽographique, lÕaccs ˆ de meilleures ressources naturelles et une plus grande stabilitŽ politique. Aussi perfectionnŽe soit la technique des Romains, elle Ç!nÕa connu ni innovation importante, ni machinisme dŽveloppŽ!È!112 et, ˆ ce titre, elle

sÕinscrit bien dans le mme systme technique Ç!bloquŽ!È que celui des Grecs :

Ç!En aucune manire les Romains nÕont fait faire de progrs ˆ la science, du moins aux sciences dont pouvait dŽpendre le progrs technique. Ni leur physique, ni leurs connaissances des matŽriaux ne sont supŽrieures ˆ ce que les Grecs pouvaient savoir, nonobstant lՎlargissement gŽographique de leur civilisation. La recherche en ce domaine est singulirement Žtroite et lÕon serait presque en droit dÕaffirmer quÕil y a vŽritablement un blocage, tout comme la civilisation technicienne chinoise, elle aussi, sÕest bloquŽe ˆ partir dÕun certain moment.!È!113

Pour bien comprendre le propos de Bertrand Gille, prŽcisons que Ç! blocage! È a pour lui le sens dÕun Ç!arrt!È de lÕinnovation, ce qui nÕexclut pas les inventions :

Ç! Il ne faut pas confondre, comme quelques uns lÕont fait, Žclosion dÕune invention et son emploi gŽnŽralisŽ, cÕest-ˆ-dire innovation.!È!114

Ñ! Page 62 sur 302! Ñ

111. Bertrand GILLE, op. cit., p. 413 et suiv. 112. Bertrand GILLE, op. cit., p. 430. 113. Bertrand GILLE, op. cit., p. 430. 114. Bertrand GILLE, op. cit., p. 524.

Un systme technique est donc Ç!bloquŽ!È non pas lorsquÕil ne produit plus aucune invention ou perfectionnement, mais lorsquÕil ne parvient plus ˆ innover, cÕest-ˆ-dire ˆ imposer une invention ˆ tous les niveaux de combinaison technique du systme. Sur ce point, on observera que tous les systmes techniques que Bertrand Gille appelle Ç! bloquŽs! È!115 sont ceux qui, pour une raison ou pour une autre, nÕont pas

rŽussi ˆ entrer dans lՏre du machinisme, cÕest-ˆ-dire ceux qui nÕont pas rŽussi, faute dÕune innovation majeure en termes dՎnergie ou de matŽriau, ˆ dŽpasser le stade dÕun systme dÕoutils pour accŽder ˆ celui dÕun systme de machines. CÕest le cas, en Occident, des systmes techniques des Grecs, des Romains et des Byzantins, dont on peut dire quÕils constituent diffŽrentes facettes dÕun mme systme technique Ç!bloquŽ!È, le systme technique antique. DÕaprs Bertrand Gille, ce systme appara”t en Grce ancienne vers le VIe sicle av. J-C. et prend fin au dŽbut du Moyen-åge

classique, vers les XIe et XIIe sicles. Pendant cette longue pŽriode, de nombreux

perfectionnements remarquables ont lieu, parfois spectaculaires, mais, nous lÕavons vu, ils ne constituent pas un bouleversement de fond : Ç!la Grce hellŽnistique, Rome et Byzance ont vŽcu sur le mme systme technique! È!116 . Le systme technique

antique dans son ensemble sÕinscrit donc dans la lenteur dÕun temps technique qui nÕa pas encore trouvŽ le souffle du progrs.

Ñ! Page 63 sur 302! Ñ

115. Bertrand GILLE place dans cette catŽgorie non seulement les systmes techniques des Grecs ou des ƒgyptiens, mais Žgalement les systmes de trois grandes civilisations non-occidentales : le systme technique limitŽ de lÕAmŽrique prŽcolombienne (p. 470-475), le systme technique avancŽ de la Chine ancienne (p. 441 et suiv.), et la culture technique perfectionnŽe du monde arabe et musulman (p. 491-492) quoiquÕelle ne repose pas sur un systme technique en propre. Lire la conclusion p. 505-506.

¤. 9 Ñ LÕinvention du machinisme : la Renaissance et le systme

classique

Notre histoire technique commence au XVe sicle. CÕest lˆ, au temps des

inventeurs, que se tisse la trame de lÕaventure du progrs et que se forge lÕidŽal dÕune sociŽtŽ o tout ce qui est possible sera rŽalisable. Gr‰ce ˆ une nouvelle croissance Žconomique, marquŽe par la Ç! naissance dÕun certain capitalisme de grandes unitŽs! È!117, mais aussi gr‰ce ˆ la fin du modle fŽodal et la naissance des ƒtats

mercantiles modernes, marquŽs par la centralisation administrative et lÕinterventionnisme Žconomique, lՉge classique est emportŽ, comme chacun sait, dans un processus global de Ç!re-naissance!È intellectuelle, artistique, scientifique et technique, fondŽe sur la prise de conscience que lÕhomme peut agir sur le monde gr‰ce ˆ sa raison, au dŽtriment dÕun spiritualisme mŽdiŽval qui lÕavait habituŽ au fatalisme des silences divins. Les princes et les dynasties dÕEurope, comme les Sforza ˆ Milan ou les MŽdicis ˆ Florence, sÕentourent des plus grands savants, artistes, ingŽnieurs et, gr‰ce ˆ ce formidable mŽcŽnat de lÕinnovation, installent la rationalitŽ technique au cÏur de la culture.

Pour la premire fois dans lÕhistoire, la technique devient un sujet de prŽoccupation central, autant quÕune valeur dÕespoir et dÕenchantement. On se passionne pour la mathŽmatisation des problmes mŽcaniques, pour les propriŽtŽs matŽrielles des objets, pour les instruments qui peuvent simplifier le travail des hommes et, par-dessus tout, pour les machines, quÕelles soient rŽelles ou imaginaires.

Ñ! Page 64 sur 302! Ñ

En tŽmoigne le genre Žditorial des Ç! thŽ‰tres de machines! È, qui puise son origine dans les dessins de LŽonard de Vinci et qui se dŽveloppe intensŽment jusquÕau XVIIIe

sicle, jusquÕaux planches de lÕEncyclopŽdie. Dans un bel et savant article de 2004, Luisa Dolza et HŽlne VŽrin nous en donnent une dŽfinition :

Ç!Il nous faut dÕemblŽe lever une confusion possible!: les thŽ‰tres de machines dont il va tre question ici ne sont pas des machines de thŽ‰tre ; ce ne sont pas davantage des cabinets ou musŽes, scnes ou amphithŽ‰tres o des machines sont disposŽes ˆ des fins didactiques ou de curiositŽ. Les thŽ‰tres de machines, mieux connus du public aujourdÕhui gr‰ce aux nombreuses Žditions en facsimilŽ et ˆ leur frŽquente citation dans les ouvrages dÕhistoire, sont des livres imprimŽs, in-folio, qui prŽsentent successivement un frontispice gravŽ, une dŽdicace ˆ quelque grand personnage et un avis au lecteur qui annonce les intentions et expose les idŽes que lÕauteur va mettre en Ïuvre dans la suite de lÕouvrage. Celui-ci se compose dÕune suite de figures en pleines pages, souvent de trs belle facture, accompagnŽes dÕune lŽgende et dÕun bref commentaire. Chaque planche, gravŽe sur bois ou sur cuivre, reprŽsente une machine ou un instrument en perspective dans un paysage, un atelier ou un espace abstrait.!È!118

Autrement dit, les Ç! thŽ‰tres de machines! È ne sont rien dÕautre que des beaux livres consacrŽs ˆ la technique. Gr‰ce ˆ lÕinvention de lÕimprimerie, sur laquelle nous reviendrons, leur publication se dŽveloppe activement entre les annŽes 1570 et 1770. Ç!Durant cette longue pŽriode, le genre na”t, se modifie, sՎtiole et dispara”t!È!119. Il est

constituŽ de livres dÕarchitecture, de fortification, de gŽomŽtrie pratique, de mŽcanique et dÕhydraulique qui Ç! se rŽpondent et adoptent des modes de prŽsentation, des types spŽcifiques de discursivitŽ, qui dŽfinissent leur ҎconomieÓ!au

Ñ! Page 65 sur 302! Ñ

118. Luisa DOLZA, HŽlne VƒRIN, Ç Figurer la mŽcanique : l'Žnigme des thŽ‰tres de machines de la Renaissance È,

Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2004/2 no. 51-2, p. 9, [En ligne], URL : http://www.cairn.info/revue-d- histoire-moderne-et-contemporaine-2004-2-page-7.htm

sens rhŽtorique du terme! È : le genre se singularise notamment Ç! par le recours