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DES MÉTIERS AMENÉS À SE DÉVELOPPER FORTEMENT À L’AVENIR

aux personnes fragiles devraient bénéficier, à l’avenir, d’une forte dynamique de l’emploi. Celle-ci s’explique notamment par le vieillissement de la population et par les moindres possibilités de prise en charge par les familles (avec la poursuite de la hausse du taux d’activité des femmes après 45 ans et la fragmentation croissante des structures familiales). Elle s’explique également par le caractère non délocalisable et peu automatisable de ces métiers qui nécessitent un contact humain prolongé.

Enfin, les métiers du lien et du « prendre soin » sont moins sensibles que d’autres à la conjoncture économique et pourraient donc se développer même en période de crise.

Comme l’explique le journaliste Pierre Rimbert, les métiers féminins du lien (qu’il appelle « le salariat féminin des services vitaux ») sont en passe, dans un grand nombre de pays, de devenir numériquement beaucoup plus importants que les métiers dits « masculins ».

« Aux États-Unis, la liste des métiers à forte perspective de croissance publiée par le service statistique du département du travail prédit, d’un côté, la création d’emplois typiquement masculins, tels qu’installateur de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes, technicien de plate-forme pétrolière, mathématicien, statisticien, programmateur ; de l’autre, une myriade de postes traditionnellement occupés par des femmes, tels qu’aide de soins à domicile, aide-soignante, assistante médicale, infirmière, physiothérapeute, ergothérapeute, massothérapeute. Pour un million d’emplois de développeur informatique prévus d’ici à 2026, on compte quatre millions d’aides à domicile et d’aides-soignantes — payées quatre fois moins. »

« La puissance insoupçonnée des travailleuses », article publié dans Le Monde diplomatique, Pierre Rimbert, janvier 2019

(1) « Bullshit Jobs », David Graeber, 2018

1. Des métiers qui devraient bénéficier, à l’avenir, d’une forte dynamique de l’emploi

a. En 2030, plus de 862 000 personnes pourraient occuper un emploi d’aide à domicile

Dans son étude « Les métiers en 2022 » (1) réalisée en 2015, France Stratégie précisait que le métier d’aide à domicile serait celui qui créerait le plus de postes entre 2012 et 2022, aussi bien en taux de croissance qu’en nombre (près de 160 000 postes créés en dix ans pour atteindre 702 000 emplois en 2022, soit une hausse de 2,6 % en moyenne chaque année). Si l’on considère que le taux de croissance annuel de 2,6 % demeurera identique dans les années à venir, vos rapporteurs ont calculé qu’en 2030, plus de 862 000 personnes occuperaient un emploi d’aide à domicile (ce qui correspond à 160 000 créations de poste entre 2022 et 2030).

Il est probable que le taux de croissance annuel des emplois dans l’aide à domicile soit plus élevé dans les années à venir en raison de l’augmentation des personnes en perte d’autonomie. L’amélioration des conditions de travail des aides à domicile que vos rapporteurs appellent de leurs vœux (augmentation des temps d’échanges entre salariées, généralisation des binômes d’aides à domicile pour les interventions les plus difficiles, etc.) pourrait également engendrer de plus forts besoins de recrutement et remédier à la difficulté actuelle de pourvoir les postes. Le nombre d’aides à domicile pourrait donc approcher le million de salariées en 2030.

b. Le nombre d’assistantes maternelles devrait fortement augmenter dans les années à venir

Au deuxième trimestre 2014, 320 000 assistantes maternelles étaient employées par des particuliers en France. Elles sont environ 400 000 aujourd’hui et leur nombre pourrait atteindre 499 000 en 2022 (2). Dans son étude « Les métiers en 2022 » (3), France Stratégie souligne que le nombre d’assistantes maternelles devrait augmenter plus rapidement que l’ensemble des métiers pour répondre aux besoins encore insatisfaits de prise en charge des jeunes enfants.

c. L’évolution du nombre d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) est corrélée aux progrès en termes d’inclusion scolaire

Selon les chiffres du Gouvernement, notre pays comptait, pour l’année scolaire 2018-2019, 71 175 AESH. De 2006 à 2017, le nombre d’élèves en situation de handicap bénéficiant d’un accompagnement en milieu scolaire a été multiplié par

(1) « Les métiers en 2022 », France Stratégie et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 2015

(2) Ibidem (3) Ibidem

cinq (1). Si cette augmentation se poursuit, le nombre d’AESH pourrait être amené à croître fortement. L’inclusion scolaire en milieu ordinaire n’est en effet possible que par la mise en place d’un accompagnement spécifique des jeunes concernés.

d. L’évolution du nombre d’animatrices périscolaires est liée à la politique publique du périscolaire

Vos rapporteurs appellent de leurs vœux une statistique publique recensant précisément le nombre d’animatrices périscolaires et leurs caractéristiques socio-économiques. Il n’y a aujourd’hui pas de statistiques nationales spécifiques au périscolaire mais uniquement des données, rares, issues de monographies réalisées dans un territoire donné.

La branche de l’animation compte environ 124 000 emplois (2) (tout type d’animateur confondu), tandis que la filière de l’animation dans la fonction publique territoriale en compte 117 000 (3). Parmi ces emplois, certains sont occupés par des animatrices périscolaires. Le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA), interrogé par vos rapporteurs, n’a pas su indiquer le nombre d’animateurs périscolaires au sein de la branche de l’animation (4). On connaît donc les emplois dans l’animation sans connaître l’animation périscolaire. Notre incapacité à pouvoir compter celles qui exercent ce métier dit tout de leur invisibilité : la non-statistique est un signe politique important. Le développement du métier dans les années à venir est fortement corrélé à la politique qui sera poursuivie en matière de périscolaire.

2. Des métiers résolument modernes

Les métiers du lien sont donc des métiers d’avenir. Leur modernité ne doit pas être sous-estimée. Aujourd’hui, la « modernité » est associée à des figures principalement masculines que sont les traders ou les start-upers de la Silicon Valley. Pour autant, cette conception de la modernité pourrait se voir éclipsée par une autre perception de cette même modernité, plus humaine et plus durable, qui valorise les liens par rapport aux biens et tire le meilleur des changements technologiques à venir.

La place de la technique dans les métiers du lien devra ainsi faire l’objet d’une réflexion approfondie de manière à ne les pas déshumaniser. Pour le philosophe Xavier Guchet, auditionné par la mission, il faut intégrer les exigences du « prendre soin » dès la conception technique d’un dispositif. Selon lui, les

(1) « Évaluation de l’aide humaine pour les élèves en situation de handicap », ministère des solidarités et de la santé, ministère de l’éducation nationale, ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 2018

(2) Chiffres transmis par le Conseil national des employeurs d’avenir (CNEA)

(3) « Rapport sur la filière animation », Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), mai 2016

(4) Le nouveau rapport de branche, à paraître en juillet 2020, devrait néanmoins permettre, d’après le CNEA

« d’avoir des données précises et exploitables sur les animateurs périscolaires sur les dernières années, ce qui n’était pas le cas du dernier rapport de branche de 2015 ».

technologies ont vocation, non pas à se substituer à des institutions du soin ou du

« prendre soin » défaillantes, mais à mieux instrumenter les aides à domicile ou les personnels soignants. L’automatisation d’un certain nombre de tâches n’est souhaitable que si elle est comprise par les aides à domicile et leur permet de libérer du temps de manière à renforcer la qualité de la relation avec la personne aidée

3. Revaloriser les métiers du lien est le seul moyen de répondre aux forts besoins de main-d’œuvre non pourvus : l’immigration choisie est une solution inacceptable

En 2019, d’après Pôle emploi, les plus grandes difficultés de recrutement ont touché, dans cet ordre, les aides à domicile et ménagères, les agents d’entretien de locaux, les aides-soignants, les conducteurs routiers, les employés et agents polyvalents de cuisine, etc. Afin de répondre aux forts besoins de main-d’œuvre non pourvus, le Gouvernement a annoncé le 6 novembre 2019 qu’il mettrait en place d’ici janvier 2021 une importante refonte des règles de l’immigration professionnelle. Elle devrait être organisée autour de cibles quantitatives (des quotas) fondées sur des niveaux de qualification et des secteurs en tension. La délivrance des autorisations de travail sera simplifiée « dans l’objectif d’être placée au service des besoins des employeurs sur les métiers et secteurs en tension, dont la liste sera actualisée chaque année sous le contrôle du Parlement » (1). L’arrêté fixant la liste des métiers en tension pour lesquels l’immigration professionnelle est ouverte pourrait être modifié pour inclure l’aide à domicile.

Actuellement, les femmes immigrées sont déjà très présentes dans les services à la personne. Elles représentaient, en 2012, 12 % des aides à domicile et des assistantes maternelles. Les femmes actives portugaises, algériennes et marocaines constituent la moitié des femmes actives immigrées dans ces métiers (2). Pour vos rapporteurs, l’immigration professionnelle est une solution inacceptable pour répondre aux forts besoins de main-d’œuvre. Ils s’opposent donc à une logique d’immigration choisie qui conduirait à enfermer les salariées dans une précarité durable. Comme l’a bien expliqué l’économiste François-Xavier Devetter lors de son audition, « l’idée (avec le recours à l’immigration) est, malheureusement, qu’il n’est pas nécessaire de structurer ces métiers car s’il n’y a plus de précarité ici, on ira la chercher ailleurs ». Créer des filières d’immigration fortement précarisées dans le but de venir combler des besoins de main-d’œuvre en France permet en réalité aux décideurs de s’affranchir de toute réflexion sur la manière de rendre plus attractifs ces métiers en tension. Pour vos rapporteurs, l’alternative est claire : revaloriser les revenus et les statuts des personnes qui exercent les métiers du lien.

(1) Réponse du Gouvernement à la Cour des comptes figurant dans le rapport public thématique de la Cour intitulé « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères » de mai 2020

(2) « L’emploi et les métiers des immigrés », Conseil d’analyse stratégique, février 2012

B. DES MÉTIERS FORTEMENT PRÉCARISÉS : ÉTAT DES LIEUX