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Les animatrices périscolaires

B. DES MÉTIERS FORTEMENT PRÉCARISÉS : ÉTAT DES LIEUX

4. Les animatrices périscolaires

a. Les évolutions du métier liées à l’histoire de l’éducation populaire De la fin du XIXème siècle aux années 1950, trois grandes figures d’acteurs, correspondant aux trois clivages idéologiques alors majeurs en France, ont joué un rôle actif dans les activités mises en place en direction de la jeunesse et dans l’éducation populaire (1). Il s’agit du prêtre et des religieuses pour le courant catholique, de l’instituteur pour les républicains et de l’élu local ou du syndicaliste pour les réseaux socialistes. Chaque réseau fonctionnait à partir du bénévolat et du volontariat.

La relation entre l’éducation populaire et l’école « est ambivalente dès le départ, entre proximité revendiquée et méfiance réciproque » (2). Si l’éducation populaire a toujours valorisé une pédagogie du faire, différente de la forme scolaire, force est de constater qu’elle s’est construite en connexion étroite avec l’école et ses professionnels. Au début du XXe siècle, les instituteurs ont été encouragés par l’État à s’impliquer dans l’éducation populaire laïque pour concurrencer les œuvres de l’Église. La Ligue de l’enseignement, principale fédération d’éducation populaire, a ainsi pu obtenir le concours d’enseignants mis à disposition (MAD) payés par l’éducation nationale et conservant leur statut de fonctionnaire.

Le champ de l’animation a émergé d’une double transformation de l’éducation populaire.

Tout d’abord, l’éducation populaire a été institutionnalisée. Les bénévoles et les occasionnels ont peu à peu fait place à des professionnels exerçant à plein temps dans des associations ou des collectivités locales. L’animation s’est progressivement construite comme un champ professionnel à part. À compter des années 1960, des diplômes spécifiques ont été créés et une réflexion sur le statut des animateurs s’est engagée à l’échelon national, sous l’impulsion de l’État et du monde associatif. Une convention collective de l’animation a été signée en 1988 et une filière animation a été créée en 1997 au sein de la fonction publique territoriale.

Ensuite, les enseignants ont perdu l’essentiel de leur rôle dans l’éducation populaire. La disparition de la pratique de la mise à disposition, par le ministère de l’éducation nationale, de postes d’enseignants (principalement du premier degré) auprès d’associations œuvrant à la périphérie de l’école et issues de la branche laïque de l’éducation populaire y a fortement contribué. La loi de

(1) L’éducation populaire vise l’amélioration du système social et l’épanouissement individuel et collectif, en dehors des structures traditionnelles (famille) et institutionnelles (enseignement).

(2) « De l’éducation populaire à l’animation périscolaire » , Laurent Frajerman, Sciences humaines, 2018

finances pour 2006 (1) a transformé les mises à disposition en détachements et prévu le versement d’une subvention aux associations pour leur permettre de salarier un nombre équivalent d’enseignants détachés. Il n’y a aujourd’hui presque plus aucun personnel enseignant détaché au sein des associations.

b. Une absence de vraie politique nationale du périscolaire

On aurait pu penser que ces deux évolutions (institutionnalisation de l’animation et éloignement du monde enseignant) conduiraient à la mise en place d’une vraie politique nationale du périscolaire.

Au contraire ! Les réformes du temps scolaire se sont enchaînées sans cohérence : en 2008, la semaine de 4 jours a été instaurée ; en 2013, le retour à la semaine de 4 jours et demi a été décidé et en 2017, le choix a été laissé aux communes de revenir à la semaine de 4 jours. Il n’y a jamais eu de réel débat sur ce que l’État devait proposer aux enfants en dehors du temps scolaire. La municipalisation de la politique du périscolaire – l’accueil périscolaire est en effet un service public administratif facultatif que chaque commune décide librement de mettre en place – peut expliquer, en partie, l’absence de réflexion nationale sur le périscolaire ainsi que les hétérogénéités territoriales.

Les récentes réformes ont également très largement laissé de côté la question des conditions de travail des animatrices périscolaires. Comme le rappelle le CNEA au sujet de l’actuel « plan Mercredi », qui octroie des financements spécifiques aux collectivités pour l’organisation des activités périscolaires, « l’organisation et la qualité des temps périscolaires ne peuvent dépendre que d’un plan de financement mais bien d’une réflexion globale sur la qualification et l’emploi dans ces secteurs ». (2)

Pour vos rapporteurs, le politique a cependant un rôle majeur à jouer pour construire un temps périscolaire dans l’intérêt de tous les enfants et pour structurer le métier d’animateur. À partir du moment où l’on considère que le temps en dehors de l’école n’est pas uniquement un temps « privé » mais bien un temps « libre » constitué d’apprentissages informels de compétences civiques et sociales, une réflexion et un débat national s’imposent sur la nature des activités à mettre en place. Il est essentiel d’assumer pleinement ce temps comme un temps noble de loisirs offrant des formes de socialisation différentes et permettant ainsi de redonner confiance à des élèves mis en difficulté à l’école.

« J’ai accueilli un jour un enfant de sept ou huit ans. Il avait été exclu de son école précédente et les maîtresses, la directrice, les agents de service étaient en train de le stigmatiser à cause de ça. Cet enfant a de grandes chances d’être en échec scolaire. Au centre, on lui donne accès au foot, une activité où il est à l’aise ! »

Propos recueillis auprès d’un animateur de la ville d’Amiens

(1) Loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 (2) Audition du conseil national des employeurs d’avenir le 19 février

Loudmila, animatrice : “On m’appelle au jour le jour... Ça reste une angoisse, une grosse inquiétude ”

« J’ai commencé en 2009, j’étais encore à l’école, l’année du bac français, on était cinq à la maison, et il fallait ramener de l’argent pour s’en sortir. J’ai passé le Bafa, je l’ai payé de ma poche, je me suis dit : au final, derrière, ça va être rentable. J’ai dû payer 500€ et quelques. J’ai démarché auprès des centres de loisirs pour passer la pratique, et le centre où je suis encore m’a prise, Le Vent du large. J’ai fait les deux mois d’été.

1 300 par mois, à peu près. Et j’ai continué pendant l’année, parce qu’on m’appelait toujours pour travailler. Les midis, les soirées, les mercredis aussi. Les petites vacances.

Donc, à un moment donné, j’allais plus à l’école. J’étais bonne élève, pourtant…

« Francois Ruffin : Mais quand est-ce que vous vous êtes dit : “En fait, ça je veux en faire mon métier” ?

« Vers 21 ans, je me suis dit : “Pourquoi ne pas continuer dans cette branche ?” Quand j’étais petite j’allais au centre, et j’adorais, par exemple les activités “danse”, ça m’a donné envie d’en faire, c’est devenu ma passion, que je transmets à mon tour, maintenant, avec les enfants.

« Donc, ça fait onze ans que vous vous êtes professionnalisée, mais finalement, côté diplômes, formations, comment ça s’est passé ? Et pour le statut ?

« Pour le diplôme, je n’ai que le BAFA. J’ai voulu passer le BAFD, mais ça m’est refusé parce qu’il n’y a pas de besoin sur la commune. Pour le statut ? Je suis vacataire, on m’appelle au jour le jour pour le mercredi. Vers 9 h 30, en fonction du nombre d’enfants, le centre se rend compte qu’il y en a trop : “Oh, mince, il nous manque un animateur, on va appeler Loudmila.” En plus, faut speeder. J’ai tourné sur plusieurs structures.

« Donc vous faites bouche-trou ?

« C’est ça, exactement. Avec cette peur, aussi : si une autre structure t’appelle, que tu réponds “oui », et qu’ensuite ton centre habituel appelle aussi, et que tu ne peux plus, tu te dis : “ils ne m’appelleront plus.” Il y a cette peur, à chaque fois. En moyenne, on m’appelait trois mercredis sur quatre. Pour les temps du soir, on m’appelle parfois à 14 h. Et il faut être là à 16 h 30…

« Mais alors, pour la qualité du travail ? Vous ne pouvez pas faire des activités très structurées…

« Exactement. On peut pas préparer à l’avance, on ne sait pas si on va travailler, avec qui, où, quels âges. Le mercredi pareil. Impossible de mettre en place un projet. En septembre, c’est la grande angoisse. Est-ce qu’on va être repris ? Et en vacataire, tu es payée le mois d’après. Le jour où on m’a annoncé que j’étais “auxiliariat ”, j’ai pleuré parce que j’allais avoir des vacances.

« Parce que vous n’aviez pas pris de vacances ?

« Depuis neuf ans. Tu crains toujours de partir, que les centres t’appellent et qu’ensuite ils te raient. 9 ans… Personne ne tiendrait le coup. D’autant que, sans me lancer des fleurs, je m’investis énormément au boulot…Maintenant, j’ai un contrat renouvelé, tous les mois, ou tous les deux mois. Ca reste une angoisse. Fin décembre, j’ai demandé à ma directrice de centre trois ou quatre fois des nouvelles du renouvellement, elle ne savait rien, je ne l’ai appris qu’au dernier moment.

« Et avec votre salaire…

« C’est dur. Une fois les factures payées, il ne reste pas grand-chose. Surtout, c’est compliqué d’imaginer une vie avec des enfants, parce que quand je fais les comptes. Avec monisieur, on comptait faire des fiançailles, avoir des enfants, donc tout est mis en attente... Pourtant, ça fait onze ans qu’on est ensemble. Mais j’ai peur de me lancer et de ne pas pouvoir assumer derrière. Un CDI, au moins, ça serait la sûreté. Je dormirais reposée, en me disant : “Bah, écoute, tu auras ton salaire à la fin du mois, quoi qu’il arrive.” Parce que là, demain, si je suis enceinte, je n’ai rien, rien du tout…

« Et vous n’êtes pas sûre de retrouver votre boulot après la grossesse ?

« Exactement. Mes collègues me disent “qu’est-ce que tu attends ? ” Je réponds : “Oui, mais je vais partir, et vous me rappellerez pas derrière. Et puis, je vais avoir quoi pendant mon congé ? ” Ça ne sera même pas un congé maternité. Et ça joue énormément sur le moral. Je me donne à fond, avec quoi comme récompense derrière ? Rien, en fin de compte. On se demande limite pourquoi on travaille.

« Et avec les enfants ?

« Ça se passe super bien. Le contact avec les enfants, les parents, les enseignants, c’est génial. Le mercredi, on fait un projet cinéma, avec des saynètes, avec un monsieur qui fait du théâtre. Je suis calée aussi en activités manuelles, il n’y a pas que de la danse. Je me suis mise à un projet cuisine, là.

Et au-delà des projets, les enfants viennent se confier sur des choses qu’ils vivent chez eux.. Une petite fille m’a dit “moi je te considère comme ma grande sœur ”, etc. Je me dis que je leur apporte quelque chose de fort, et dans les activités, et dans la relation. Je pense que je leur ai apporté une confiance énorme. Au projet “danse ”, une petite fille pleurait, elle avait peur que les autres se moquent d’elle. Je lui ai expliqué : “quand on fait de la danse, on doit tous s’aider les uns les autres. “Essaie, tu verras, ça va très bien se passer, je serai là pour t’accompagner. ” Elle a fait une séance, deux séances, et au bout de la troisième elle était complètement métamorphosée. Avec le sourire ! Et elle est venue me remercier : “Tu avais raison, ça s’est super bien passé.”

« Les parents aussi, il faut les rassurer : le soir, je prends parfois un quart d’heure pour expliquer au papa, à la maman, comment s’est passée la journée.

« Comment vous voyez votre avenir, alors ? Est-ce que vous imaginez abandonner ce métier là ?

« Non, non, non, non. Franchement, pour le coup, je vois ce que je vaux, ce que je fais, je me dis “non non non, je préfère rester ”. C’est pas un sous-métier. On porte vraiment des valeurs. Sinon, je serais déjà partie...

« Et pour obtenir un CDI, quelles discussions vous avez avec la Mairie ?

« Aucune. Il faut attendre que des postes se libèrent. Il y a une liste, qui se base sur l’ancienneté, le nombre d’heures... Et pour “cdiser ” ils donnent la priorité à cette fameuse liste… Les dernières déprécarisations, je pensais faire partie du lot, y avoir droit, et au final non. Je me disais : “C’est bon, ça fait dix ans, c’est sûr tu vas être sur cette liste.” Dans ma tête, c’était vraiment “je vais être dépréca ”, dix ans c’est sûr.

Quand ils ont appelé, j’ai pleuré. »

II. PROPOSITIONS POUR DE MEILLEURS STATUTS ET DE MEILLEURS